Intervention de Philippe Marini

Réunion du 23 novembre 2011 à 9h30
Loi de finances pour 2012 — Article 30 et participation de la france au budget de l'union européenne

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, président de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quels que soient les problèmes, les difficultés, les changements, le débat sur le prélèvement opéré sur les recettes de la France au titre de sa participation au budget européen se déroule cette année dans les mêmes conditions que les années précédentes. À l’instar des excellents corapporteurs spéciaux, Marc Massion et Jean Arthuis, je voudrais à mon tour, mes chers collègues, vous demander de bien vouloir sortir du concours d’hypocrisie auquel ce sujet est trop souvent prétexte.

Nous le savons, l’enchaînement des derniers mois, des dernières semaines a été redoutable. Aujourd’hui, nul ne peut connaître avec certitude le dénouement de ce que l’on est convenu d’appeler « la crise des dettes souveraines ». À l’inverse, nous savons que les taux auxquels un grand nombre d’États européens sont aujourd’hui condamnés à se financer ou à se refinancer sur les marchés sont insupportables, voire peuvent le devenir encore davantage.

Quelles sont alors les solutions politiques et techniques susceptibles de nous donner une perspective, de faire revenir la confiance, de conférer aux mécanismes européens, à la zone euro en particulier, la visibilité sans laquelle aucune réelle stabilisation des marchés ne pourra voir le jour ?

Deux familles de solutions existent. La première, que je qualifierai toujours de « rêve », concerne les euro-émissions ; la seconde, qui comporte différentes variantes et qui est au cœur du débat européen aujourd’hui, vise la monétisation au moins potentielle de la dette publique.

Mes chers collègues, je voudrais rappeler en quelques mots les raisons pour lesquelles les euro-émissions ne peuvent être, du moins en période de crise, une solution convaincante ou même simplement vraisemblable.

Pour qu’une agence européenne de la dette se finance à un taux suffisant bas, il faudrait que les investisseurs aient confiance en elle et, par conséquent, que les États lui apportent leur garantie. Mais si chaque État de la zone euro garantit seulement une partie de sa dette, la solidité de l’ensemble des dettes européennes sera, financièrement parlant, au niveau de celle de son maillon le plus faible. Il faudrait donc que chaque État se porte garant pour la dette de l’ensemble de ses partenaires.

Permettez-moi, mes chers collègues, d’utiliser une image : cette situation ressemble à un contrat de colocation, dans lequel le propriétaire a intérêt à inclure une clause de solidarité lui permettant d’exiger de n’importe quel locataire le paiement de l’intégralité des loyers. On conçoit que, pour accepter une telle clause, mieux vaut avoir confiance dans tous ses colocataires.

Or, nous le savons bien, les États « vertueux », ou qui sont perçus – ou se perçoivent – comme tels, n’ont aucune confiance dans les États « laxistes », ou qu’ils considèrent comme tels. Pour que les euro-émissions aient une chance de voir le jour, il faudrait donc instituer des « verrous institutionnels » revenant à communautariser de manière permanente – à fédéraliser, dirait notre collègue Jean Arthuis – la politique budgétaire, afin que les États « vertueux » puissent exercer un contrôle politique suffisant sur la politique des États qu’ils estiment « laxistes ».

Cela exigerait à l’évidence des modifications lourdes, auxquelles il ne peut être procédé qu’à l’unanimité, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que, sans doute, des révisions constitutionnelles dans un certain nombre d’États, à commencer, me semble-t-il, par la République fédérale d’Allemagne. Il est tout à fait clair que cela n’a presque aucune chance de se réaliser.

C'est pourquoi je suis quelque peu dubitatif, et même inquiet, lorsque je lis certaines déclarations de la Commission européenne, et plus précisément du commissaire au marché intérieur et aux services, feignant de considérer que tous ces problèmes de principe n’en sont pas. J’estime qu’il n’est pas de bonne pédagogie de rester dans l’illusion en la matière.

Restent les solutions qui devraient impliquer la Banque centrale européenne.

Vous le savez, mes chers collègues, la transformation du Fonds européen de solidarité financière, ou FESF, en banque a été proposée pour la première fois par un économiste en chef de la banque Citigroup, dans un article paru en janvier 2011. Cette idée a été reprise au mois d’août par les économistes Daniel Gros et Thomas Mayer. Plusieurs d’entre nous ont relayé cette idée, qui s’est clairement imposée dans le débat européen.

Il existe en vérité d’assez nombreuses formules possibles. Je sais gré à notre nouveau rapporteur général, Nicole Bricq, d’en avoir établi la liste de manière très pédagogique, dans un tableau qui figure dans son rapport écrit ; je vous y renvoie. Six solutions, qui reposent sur des techniques diverses, sont indiquées de A à F. La plupart d’entre elles ne pourront être mises en œuvre que si les attitudes évoluent en Europe, et si, en particulier, nous réussissons à convaincre notre principal partenaire.

Je voudrais vous renouveler ma confiance, monsieur le ministre, à vous-même ainsi que, par votre intermédiaire, au Président de la République : dans ce domaine, notre pays a en effet été extrêmement actif pour faire bouger les lignes, faire évoluer les positions, desserrer le carcan des doctrines, faire preuve, enfin, de réalisme et d’un véritable esprit européen.

Nous savons bien que les solutions proposées lors du sommet du 26 octobre sont insuffisantes, du point de vue tant qualitatif que quantitatif.

On se souvient – je n’entrerai pas dans le détail – que deux techniques ont été retenues : d'une part, un dispositif d’assurance et, d'autre part, un dispositif d’obligations adossées à des actifs. Il s'agit de formules sophistiquées, complexes, qui ne sont pas encore au point. En outre, et de manière paradoxale, ces dispositifs sont de même nature que les produits qui furent, de l’autre côté de l’Atlantique, à la toute première origine de la crise financière actuelle – vous le savez d’ailleurs fort bien, monsieur le ministre.

Ni la titrisation ni le rehaussement de crédit ne sont de nature à apporter la visibilité et la perspective que les marchés et nos partenaires escomptent.

Surtout, monsieur le ministre, du point de vue quantitatif, les formules évoquées à la fin du mois d’octobre ne permettraient de mobiliser que 1 000 milliards d'euros environ. Il est certes étrange de faire précéder un chiffre aussi immense du terme « que », mais souvenons-nous que ces 1 000 milliards d'euros ne représentent que la moitié des besoins de financement ou de refinancement de l’Espagne et de l’Italie pour les années 2012 à 2014.

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