Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 23 novembre 2011 à 9h30
Loi de finances pour 2012 — Article 30 et participation de la france au budget de l'union européenne

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Pour la première fois, la commission des finances du Sénat a décidé de s’abstenir sur la participation de la France au budget de l’Union européenne, à hauteur de 18, 8 milliards d'euros, qui fait d’elle le deuxième contributeur européen.

Dans le contexte de crise mondiale et d’austérité budgétaire, la Commission européenne impose – hélas ! à raison – des mesures drastiques aux États membres pour qu’ils tentent d’assainir leurs finances publiques et reviennent à l’équilibre budgétaire. Pourtant, la valeur de l’exemple lui est étrangère, puisqu’elle use d’artifices de présentation : elle minore les crédits, masque l’inflation et pratique la débudgétisation de fonds européens et de politiques communautaires.

Il faut avoir à l’esprit que ces artifices et cette débudgétisation avoisinent les 184 milliards d'euros ! La sincérité, la cohérence, l’équité, sont des principes inhérents au budget que les instances communautaires prônent. Pourquoi ne les mettent-elles pas en pratique ? De surcroît, des écarts considérables ont été constatés entre la prévision et l’exécution du prélèvement. Où se trouve la fiabilité ?

Certes, c’est une tâche ardue que de négocier avec vingt-sept États membres et trois institutions aux priorités différentes. M. Janusz Lewandowski, commissaire européen à la programmation financière et au budget, a pu le constater, les médias soulignant à son propos qu’il veut 1 000 milliards et qu’il a presque autant d’opposants... Faire de lui un ministre des finances et des affaires économiques ne lui donnerait-il pas une légitimité vis-à-vis des États membres et des institutions ? Ne pourrait-il pas devenir un acteur majeur de la nouvelle gouvernance économique ?

En effet, les turbulences de la zone euro ont été amplifiées par l’absence de gouvernance économique. Cette faute qui date de la création de l’euro pèse plus que jamais. La cohérence budgétaire devient aujourd’hui une nécessité absolue pour que l’Union européenne exprime pleinement sa puissance économique.

Les soldes nets sont au cœur du calcul que fait chaque État sur les retours qu’il peut attendre en contrepartie des contributions qu’il aura versées. C’est la négation absolue de l’esprit qui a présidé au paradigme européen. Ces comptes d’apothicaire sont non seulement opposés à l’esprit européen mais contraires aux intérêts de l’Union européenne.

Je veux souligner de nouveau que la solidarité communautaire transcendant les égoïsmes nationaux est un principe fondateur de la construction européenne et conforme à ses intérêts. Malheureusement, il semble aujourd’hui plus utopiste que réellement mis en œuvre. Les égoïsmes nationaux rendent illusoire la notion d’une Europe politique. Les tandems Giscard d’Estaing-Schmidt et Mitterrand-Kohl s’efforçaient de toujours faire passer au premier plan leur vision d’une Europe, puissance politique, traduisant l’intérêt commun à tous les États membres.

Je partage l’analyse des rapporteurs spéciaux sur l’évolution du budget européen. Si l’abstention est symbolique, elle n’en sera pas moins un signal fort pour l’Union européenne. La France prône une augmentation du budget limitée à l’inflation. La maîtrise des dépenses publiques n’est pas seulement une nécessité nationale ; elle est aussi une nécessité européenne.

La consultation auprès des instances nationales intitulée « Réformer le budget, changer l’Europe » a dégagé trois priorités budgétaires : le recentrage des politiques communautaires autour du changement climatique, de la compétitivité et de la sécurité énergétique ; la mise en œuvre du principe de subsidiarité selon lequel la valeur ajoutée communautaire justifiera le choix des dépenses au niveau de l’Union européenne ; la réforme des ressources propres. Ces priorités s’appliquent aux négociations en cours sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, sujet sur lequel les tensions entre les États membres, la Commission européenne et le Parlement européen sont les plus fortes.

Avec le président de la commission des budgets du Parlement européen, Alain Lamassoure, changeons de perspective et regardons l’Europe comme un gisement d’économies à portée de main dans différents domaines !

Ainsi, l’espace Schengen rend inutile la présence de consulats au sein de l’Union européenne. En matière de défense, aucun de nos pays n’ayant les capacités financières de son indépendance, la mutualisation dans une défense européenne générera des économies d’échelle. En outre, les agences de sécurité nationales – alimentaire, aérienne, etc. – font double emploi avec les agences européennes. Enfin, la création du service européen d’action extérieure permet de réduire le personnel des ambassades.

Par ailleurs, monsieur le ministre, quelle est votre position sur les projects bonds visant à investir dans de grands projets d’infrastructures ? Souscrivez-vous, comme je le fais, à la proposition du rapporteur spécial Jean Arthuis de demander un état des lieux sur la justification des rabais et corrections des contributions accordés à certains États ? Que pensez-vous de la mise en place d’un Fonds monétaire européen d’une capacité de prêt de 2 000 milliards d'euros, rattaché à la BCE ?

La construction européenne n’est jamais autant stimulée que lorsqu’elle est confrontée à des crises existentielles majeures. La question budgétaire fournirait-elle l’opportunité d’une évolution, quasiment une révolution dans les esprits et les mœurs, la préfiguration d’une Europe fédérale ?

Le traité de Lisbonne a instauré une procédure budgétaire donnant plus de poids au Parlement européen.

Monsieur le ministre, ne pourrait-on envisager une étape supplémentaire en donnant au Parlement européen la prérogative d’autoriser la levée de l’impôt ? Il s’agirait d’un impôt direct qu’acquitteraient les citoyens européens, qui ne s’ajouterait pas aux impôts nationaux mais se substituerait aux prélèvements sur recettes du budget de l’État. Quelles seraient les implications techniques de cette mise en œuvre en matière d’assiette, de taux, de modalités de recouvrement ?

J’ai déjà formulé cette proposition : il faut maintenant l’explorer. Étant fondamentalement Européen, je reste convaincu qu’un impôt direct serait, d’une part, une expression forte de la citoyenneté européenne et, d’autre part, une prérogative légitime du Parlement européen, qu’il pourrait exercer sur proposition du conseil des ministres des finances des États membres à la majorité qualifiée.

En effet, le Parlement européen doit être beaucoup plus qu’« un simple laboratoire législatif ». Il doit devenir « l’âme de l’Europe », comme l’a élégamment affirmé le Président de la République de Hongrie, Pál Schmitt.

La colonne vertébrale franco-allemande est indispensable, puisque ces pays sont les deux principaux contributeurs au budget européen. Cependant, c’est peut-être de la partie orientale de l’Union européenne – les pays de l’ex-bloc de l’Est –, de leur aspiration à une communauté à la gouvernance nouvelle, celle du « souci de l’âme », que viendront la confiance et l’enthousiasme qui manquent aujourd'hui à l’Europe.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion