Ce sera pour l’an prochain !
Le débat qui nous réunit ce matin est un moment traditionnel dans la discussion du projet de loi de finances et porte sur un sujet susceptible d’évoluer, notamment à la suite des discussions entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen.
Le rôle des parlements nationaux dans cette discussion est limité, d’autant que le mode de calcul de ce prélèvement est automatique et découle de nos engagements européens. Aussi mon intervention sortira-t-elle un peu du cadre strict de l’examen de l’article 30 pour évoquer l’ensemble des questions budgétaires européennes.
Il faudra sans doute évoquer aussi le rôle du Parlement dans la définition de la position de la France au Conseil européen, sur ces sujets : étant appelés à voter ce budget, il serait souhaitable que les parlementaires nationaux puissent contribuer à fonder la position de la France en la matière. Il aurait par exemple été bienvenu que le Gouvernement débatte avec la représentation nationale du contenu de ce qu’il est convenu d’appeler la « lettre des cinq » de décembre 2010.
Le budget européen est avant tout utile, bien qu’il reste modeste puisqu’il représente aux alentours de 1 % du revenu national brut européen. Il est, par ailleurs, géré de façon très stricte, même s’il est sans doute toujours possible de faire mieux, et il doit être voté à l’équilibre ; c’est là une différence essentielle avec les budgets nationaux...
À cet égard, je tiens à redire ici que l’Union européenne n’est pas, loin s’en faut, la cause des déboires actuels des finances publiques des États membres.
Ce budget permet le financement de politiques essentielles pour les citoyens de toute l’Europe. Je pense bien sûr à la PAC et à la politique de cohésion, que nous devons défendre sans relâche, notamment dans le cadre de la discussion sur les perspectives financières 2014-2020. Nul ne remet en cause l’intérêt de ces politiques pour nos territoires. Je ne ferai pas la liste des politiques européennes qui ont fait la preuve de leur utilité, y compris quand elles n’offrent pas de retour comptable direct dans tel ou tel État membre…
La dimension européenne de ces politiques est d’ailleurs en elle-même un gage d’efficacité de la dépense publique : elle permet de réduire des dépenses qui seraient autrement prises en charge par les budgets nationaux avec, sans doute, un coût plus important pour chacun.
Pour autant, dans cette période de contraction budgétaire, on peut comprendre le souhait des États membres de ne pas augmenter démesurément les contributions nationales au budget européen.
En fait, il y a une contradiction forte entre le souhait de chaque État de minimiser sa contribution au budget européen et la volonté de chacun de maximiser les retours nationaux, dans une logique purement comptable, qui oublie la plus-value du projet européen. Or c’est ce dernier qui est essentiel !
Les difficultés budgétaires des États sont réelles, notamment pour ce qui est de la France. Mais ces difficultés s’expliquent aussi par l’absence de solution européenne à la crise.
La réponse à la crise est européenne et politique. L’Europe doit, non pas se borner à organiser la concurrence entre les États, comme elle le fait trop souvent, mais, et c’est tout le sens du projet que nous portons, construire la solidarité sur notre continent.
Pour autant, les besoins de financement de l’Europe sont importants. Il ne s’agit pas de dépenses excessives, mais elles doivent permettre à l’Union d’être un levier pour la croissance, notamment au travers de la mise en œuvre de la stratégie 2020.
Si l’on veut ne pas augmenter le budget de l’Union, il faut préciser les programmes qui devront être touchés : la PAC, la politique de cohésion, l’environnement, les politiques de solidarité, le soutien à la recherche ou la gestion des flux migratoires ?
Le gel budgétaire entériné par le trilogue de vendredi dernier laisse craindre, aux dires de la Commission elle-même, que « toutes les obligations financières à l’égard des bénéficiaires des fonds européens » ne puissent être honorées en 2012. Toucher au budget de l’Union, c’est d’abord toucher aux budgets des politiques que nous soutenons tous dans cet hémicycle.
Le rôle de l’Union européenne n’est pas d’être le fer de lance d’une austérité renforcée, j’insiste sur ce point. Soyons vigilants face aux propositions de certains États membres de sanctionner ou de pousser d’autres États vers la sortie dès lors que leurs politiques ne respecteraient pas le pacte de stabilité ! Quel pays, d’ailleurs, le respecte aujourd’hui ?
L’austérité ne peut être érigée en objectif commun ni être un critère pour désigner qui est un bon ou un mauvais État membre. L’Union européenne ne doit pas devenir une « Union de l’austérité ».
Soyons également vigilants dans l’examen des nouvelles propositions que la Commission européenne doit faire, aujourd’hui, pour une surveillance accrue des budgets des États membres, et qui devraient renforcer encore la réforme du pacte de stabilité, laquelle vient pourtant d’être adoptée par le conseil Ecofin du 8 novembre dernier, sans que soient d’ailleurs prévues des obligations en termes de croissance et de relance économique.
L’Union européenne ne doit pas non plus devenir un simple pôle de contrôle technocratique des budgets des États membres, ni ériger la méfiance et les sanctions envers ces derniers comme principe de gestion des politiques et des objectifs communs.
Une confusion est aujourd’hui savamment entretenue entre la vision d’un fédéralisme budgétaire, qui se traduirait par une surveillance macroéconomique accrue de 27 budgets différents, et celle qui privilégierait une plus grande mise en commun de moyens par un effet de mutualisation et de transfert de la capacité fiscale, pour percevoir des ressources qui seraient versées à un budget européen, en partie fédéral.
Telle est la définition du fédéralisme, monsieur le ministre : une intégration plus poussée, pour donner une plus grande impulsion à des projets communs, sans d’ailleurs céder plus de souveraineté. Ce n’est en tout cas pas la promotion d’une Europe à quelques-uns, fonctionnant sur le mode intergouvernemental, régie par des outils de contrainte qui verrouilleraient à l’échelon national toute marge de manœuvre politique et économique.
Le fédéralisme ne revient pas non plus à décider ensemble ce que les États membres doivent faire seuls.
Si l’on veut que l’Europe soit plus que cela, alors elle a besoin d’un budget, certes bien géré, mais à la hauteur de ces ambitions. Le budget européen est un budget d’investissement, qui vient compléter ou suppléer les politiques et actions des États membres. Le réduire, c’est diminuer les marges de manœuvre des États, en les privant de tout soutien pour pratiquer des politiques de relance et de croissance dans les territoires.
À cet égard, permettez-moi de revenir un instant sur la question de la conditionnalité des aides appliquée à la politique de cohésion, qui est évoquée par la Commission. Il s’agirait de conditionner les aides européennes au respect, par les États, des niveaux d’endettement et de déficit fixés par les textes européens.
Monsieur le ministre, je le répète fermement ici, cette orientation n’a pas de sens. D’abord, elle fait peser sur les collectivités aidées par ces fonds le prix de la gestion budgétaire des autorités nationales, sur laquelle les collectivités ne pèsent pas. Ensuite, elle conduirait à affaiblir plus encore les pays en difficulté, alors même que l’Europe doit les aider, notamment en participant au renforcement de la croissance.
Les fonds structurels aident justement les territoires à être vecteurs de croissance et d’emploi. Retirer ce soutien, alors même que les États ont des difficultés pour soutenir les territoires, n’a pas de sens. J’invite d’ailleurs chacun à réfléchir aux conséquences qu’une telle décision aurait pour notre pays dans les conditions macroéconomiques actuelles. Bref, ce serait scier la branche sur laquelle nous sommes assis !
Un budget de crise ne peut donc se traduire par un désengagement des États membres, puisque le budget européen, par définition, ne fonctionne pas sur le principe « un euro donné, un euro perçu ». Il constitue un levier pour la conduite des politiques nationales et doit être mis au service de la relance économique et sociale. Parler de gouvernance économique aujourd’hui, c’est aussi parler de croissance et d’investissements !
La France, comme d’autres États membres, doit sortir du double discours visant à faire croire qu’il faut plus d’Europe, mais sans les moyens correspondants. Notre engagement européen a un coût ; il faut l’assumer !
Sans doute est-il nécessaire que l’Europe dépense mieux, mais on ne peut demander à l’Union de faire plus avec moins de moyens. La seule réelle solution, d’autres l’ont évoqué avant moi, est d’avancer sur la question des ressources propres, pour sortir du dilemme qui paralyse aujourd’hui les États : financer un budget européen dans un contexte de déficits publics massifs et généralisés.
L’Union n’est pas une simple juxtaposition d’États ou la somme de vingt-sept destins nationaux parallèles. Il doit en être de même pour son budget, qui ne doit pas être la somme de vingt-sept contributions nationales déconnectées, mais avoir une portée plus fédérale.
Pourtant, face à ces évidences, le Gouvernement reste, pour une fois, curieusement silencieux, alors qu’il soutient qu’il faut plus d’Europe. Nos propositions de sources nouvelles de financement du budget européen sont déjà connues ; elles sont crédibles et font leur chemin, ce dont nous nous félicitons. Permettez-moi de les rappeler : affectation d’une partie des recettes des enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre, taxe européenne sur les bénéfices des sociétés, affectation d’une partie des recettes d’une taxe européenne sur les transactions financières.
La création d’une taxe sur les transactions financières a fait l’objet de multiples propositions ces derniers mois, propositions pas tout à fait cohérentes, d’ailleurs, et pas assez ambitieuses. Il est nécessaire de réaffirmer qu’une telle taxe doit servir au financement de l’économie réelle, à la régulation et au contrôle des flux financiers et de la spéculation sur les marchés.
Or, ni la proposition conjointe de la France et de l’Allemagne ni celle de la Commission européenne ne sont aujourd’hui à la hauteur d’une telle ambition : taux trop faible ; périmètre insuffisant ; affectation de son produit trop dispersée pour produire un effet de levier ; adoption prévue à l’unanimité, qui pourrait conduire à son application au niveau de la seule zone euro par une coopération renforcée ; désaccord sur son entrée en vigueur, qui conditionne son efficacité pour financer une politique de relance au niveau européen.
Vous aurez remarqué que, dans mon intervention, j’ai plusieurs fois, et à dessein, utilisé le terme de « relance », qui me paraît essentiel.
Alors qu’elle devrait utilement devenir une nouvelle ressource propre pour alimenter un budget européen tourné vers la relance et la croissance, la proposition de la Commission indique que le montant du produit de cette taxe serait affecté en tout ou partie à la réduction des contributions des États membres au budget européen, ce qui empêcherait, au final, d’augmenter sensiblement les ressources dudit budget. Cette position correspond d’ailleurs à la philosophie générale du Gouvernement sur la question des ressources propres.
Si les sommes levées étaient réparties entre le budget européen et les budgets nationaux, selon le taux proposé, il ne resterait que 22 milliards d’euros pour l’Europe. Dans ces conditions, nous nous inquiétons du résultat des négociations sur cette proposition.
C’est à ce niveau que doivent se placer le débat d’aujourd’hui sur l’article 30 et – c’est plus important – les discussions sur les perspectives budgétaires 2014-2020. Il ne faut pas sacrifier l’Europe que nous voulons sur l’autel du « dépenser moins », au risque de devoir, dans chacun des vingt-sept pays européens, dépenser plus pour compenser l’effacement de l’Union européenne.
Nous ne pouvons, pour toutes ces raisons, accepter les positions prises par la France à l’égard de ce budget européen pour 2012 et à l’égard du futur cadre général 2014-2020, car, sans l’Europe, sans un véritable budget européen, et en dépit de tous les contrôles renforcés sur les budgets nationaux, nous ne pourrons nous en sortir tout seuls.
Le groupe socialiste-EELV s’abstiendra donc sur l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012, comme les deux rapporteurs spéciaux de la commission des finances et, j’ai cru le comprendre, l’ensemble des groupes, à l’exception du groupe UMP.