Je sais que, dans votre esprit, la révolte est meilleure que l’indignation, puisqu’elle conduit généralement à l’action, selon la vision camusienne.
Rappelons l’essentiel : notre contribution est le prix à payer pour permettre à la France et à l’Europe d’être au rendez-vous du xxie siècle. C’est le prix pour que l’Europe soit un véritable moteur, une puissance au service non pas des intérêts nationaux, mais d’un espace commun de valeurs et de démocratie.
C’est la raison pour laquelle il faut mettre l'Union européenne en mesure de financer les dépenses d’avenir, porteuses d’un grand espoir. Je pense, par exemple, à Galileo et GMS, ainsi qu’au développement de l’économie verte.
Ces 18, 878 milliards d’euros ne peuvent masquer, bien sûr, l’élan européen. Malgré les difficultés que nous rencontrons, nous devons nous donner les moyens de nos politiques communes.
Il importe de faire reposer ce projet que bâtit l’Europe sur des bases raisonnables, en pleine harmonie avec la réalité vécue par les États. Comment imaginer qu’il puisse être déconnecté du contexte de crise mondiale que nous connaissons ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, la contribution française au budget européen est, comme vous le savez, calculée sur la base de la position exprimée par le Conseil. Je suis particulièrement satisfait aujourd’hui du compromis qui a été trouvé, dans la nuit de vendredi à samedi, entre le Conseil et le Parlement européens. Le montant des crédits de paiement qui a finalement fait consensus est celui que le Conseil avait adopté, soit 129 milliards d’euros. Le prélèvement aujourd’hui soumis à votre vote garde donc toute sa validité.
Ma satisfaction sur ce compromis est grande, car nous sommes parvenus à ramener plus de raison dans les ambitions affichées dans le cadre du débat budgétaire européen. Celui-ci avait débuté sur des bases inacceptables, qui entendaient exonérer totalement le niveau européen des contraintes budgétaires pesant sur les États membres.
Comme vous le savez, le prélèvement sur recettes, bien qu’il retrace les recettes collectées pour le compte de l’Union, est inclus depuis 2008 dans la norme de dépenses de l’État, assise sur la règle du « zéro valeur », particulièrement contraignante. Le Gouvernement français est pleinement conscient de la nécessité de défendre constamment la maîtrise des dépenses et la bonne gestion financière, dans les instances européennes comme au sein de chaque État membre.
Je le redis, le budget européen ne peut s’exonérer des contraintes budgétaires nationales. J’attire votre attention sur ce point : ce ne serait pas populariser l’Europe que de demander à nos concitoyens de faire des efforts sur le plan intérieur tout en faisant preuve de laxisme pour les dépenses communautaires.
La Commission avait présenté en avril dernier un projet de budget affichant une croissance de 3, 7 % des crédits d’engagement et de 4, 9 % des crédits de paiement. Le Conseil a, par la suite, adopté une position limitant la progression à 2, 02 %, laquelle atteint finalement 1, 86 % compte tenu du budget 2011 révisé.
Outre des efforts de maîtrise des dépenses renforcés par rapport à l’année dernière, nous sommes en mesure de prévoir une budgétisation au plus près des besoins réels, sans pour autant dégrader les ambitions européennes.
J’y insiste, le budget 2012, tel qu’il a été revu et voté de façon consensuelle, est un réel budget d’action, ambitieux, centré sur des besoins réels en crédits de paiement, en fonction des prévisions d’exécution de chaque rubrique.
Les crédits en faveur de la politique de cohésion, pour ne citer qu’eux, augmenteront ainsi de 5, 2 % par rapport à 2011. La France assume sa position en la matière, contrairement aux contre-vérités que j’entends parfois : ce n’est pas parce qu’il en appelle à la discipline budgétaire que notre pays prône le démantèlement de la politique de cohésion.
Le Gouvernement a fait preuve d’une grande détermination dans le débat de cette année, en faisant valoir à la fois le montant de la dépense communautaire et l’indispensable amélioration de sa qualité et de son efficacité.
Je le répète une fois de plus, il défend l’idée selon laquelle il faut dépenser mieux, pas forcément plus. Plus d’Europe ne signifie pas une Europe plus chère. L’objectif est de parvenir à une Union mieux gérée et orientée vers des objectifs de croissance.
Pour avancer, la politique européenne doit reposer sur le tryptique « discipline budgétaire, solidarité, croissance et relance ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’évoquerai maintenant un sujet qui m’est cher, dont le Sénat s’est intelligemment et brillamment emparé, par la voix notamment de MM. Bizet, Bernard-Reymond et de Montesquiou ; je veux parler des ressources propres.
Je partage totalement le constat que vous avez fait, messieurs, sur l’essoufflement du système actuel de financement du budget européen, enserré dans la logique du « juste retour », héritée d’une formule thatchérienne. Il faut lutter contre ce marchandage perpétuel, qui consiste à dire : « J’ai donné tant, alors j’attends tant en retour ! » Cela correspond à une politique totalement dépassée aujourd’hui, car pesante et handicapante pour le budget européen.
La France est donc ouverte à une réflexion sur une réforme. Celle-ci aura lieu dans le cadre du débat sur les perspectives financières 2014-2020, qui est engagé depuis le mois de juin et qui va se poursuivre tout au long de l’année 2012.
La politique française est nette : nous sommes pour un système plus simple, plus transparent et plus juste. Cela signifie, en clair, que nous sommes opposés à la pérennisation du système des rabais, porteur de handicaps considérables par rapport aux objectifs que je viens d’exposer.
Face aux pistes de nouvelles ressources, vous le savez, la position de la France est parfaitement définie. Elle est favorable à la création d’une taxe sur les transactions financières. Je rappelle seulement à M. Sutour et à l’ensemble des sénateurs ici présents qu’en vertu des règles de fonctionnement de l’Union européenne la France ne peut pas imposer ce qu’elle souhaite à l’ensemble des vingt-sept autres États membres ! Ce serait contraire aux principes que nous défendons de respect de la démocratie et de l’autonomie des États membres. Elle ne peut pas davantage imposer au monde entier une taxation sur les transactions financières !
Quoi qu’il en soit, toute nouvelle ressource propre devra venir en déduction des contributions nationales actuelles. Les contributions nationales doivent, en effet, s’effacer devant des ressources propres qui impulsent au budget la dynamique nécessaire à la recherche de la croissance indispensable, tout en l’orientant vers la discipline.
Quand l’heure est aux politiques de discipline budgétaire pour les États membres, il faut que l’Europe soit porteuse de grands projets et de croissance.
En ce qui concerne la question du financement des grands travaux européens, soulevée à juste titre par MM. Bizet et de Montesquiou, vous savez que la Commission a proposé la création de project bonds. Soyons ouverts au recours à ces instruments financiers innovants, sous réserve, bien sûr, que l’encadrement soit suffisant. Nous souhaitons qu’ils portent sur des projets dont la rentabilité socio-économique est prouvée, avec une implication de la Banque européenne d’investissement et des garanties claires sur l’absence de risque pour le budget communautaire. J’y vois l’un des éléments qui méritent d’être encouragés, en particulier dans les perspectives budgétaires 2014-2020.
Concernant la problématique de la débudgétisation qu’a évoquée M. Massion, notre attachement à la sincérité budgétaire est total. Et nous nous opposons à l’idée que l’on puisse sortir du cadre financier 2014-2020 de grands projets comme ITER ou GMES. De tels choix fausseraient, de toute évidence, la sincérité du budget tel qu’il nous est présenté.
Sur les perspectives financières, la position de la France est également claire. Elle souhaite que l’on dépense mieux et pas forcément que l’on dépense plus. C’est tout aussi clairement qu’elle exige la stabilisation de l’une des principales politiques communautaires, la politique agricole commune. Enfin, elle souhaite, là encore clairement, que, dans le cadre de l’agenda 2020, on s’oriente vers une politique qui, plutôt que de réduire les moyens, les oriente sans ambiguïté vers la croissance, la compétitivité et l’emploi.
Dans la compétition mondialisée à laquelle l’Europe se trouve confrontée, elle ne peut pas s’affranchir d’une vision prospective qui conjugue espoir, croissance et emploi. La réindustrialisation, les énergies renouvelables, la recherche sont des points forts qui, éventuellement conjugués avec des projects bonds, peuvent permettre à l’Europe de suivre l’exemple français et de dépasser l’approche purement comptable du budget, pour l’aborder dans une perspective financière de croissance.
M. le président Marini a affirmé son soutien, et je salue, une fois de plus, sa compétence et la pertinence de ses propositions.
Je partage son analyse sur la situation de l’Europe, à la croisée des chemins, et sur la nécessité de franchir une étape décisive. Le couple franco allemand est, je le sais, le moteur indispensable à ce franchissement d’étape.
La détermination du Président de la République sera un élément essentiel pour le passage à une autre Europe, une Europe nouvelle qui soit plus déterminée dans ses ambitions, non contrainte par un budget directement dépendant des États membres, et capable de définir des perspectives d’avenir.
Solidarité, discipline budgétaire, croissance, tels doivent être les objectifs de l’Europe. Contrainte de passer obligatoirement par une étape de fédéralisme économique, l’Europe doit définir son avenir, et pour cela elle pourrait s’inspirer de la réflexion actuellement menée par M. Arthuis sur ce que devra être demain la gouvernance de la zone euro.
Au terme de cet exposé, j’ai l’honneur de demander, au nom du Gouvernement, à votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, d’approuver l’article 30 du projet de loi de finances.
La révolte doit mener à l’action, disions-nous. Et, si le Gouvernement partage les réflexions sur les perspectives 2014-2020 que vous avez exprimées aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’en reste pas moins qu’un budget doit être voté pour que l’Europe, porteuse d’espoir et de démocratie, puisse continuer à fonctionner.