Intervention de Jean-Pierre Caffet

Réunion du 23 novembre 2011 à 21h00
Financement de la sécurité sociale pour 2012 — Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

Photo de Jean-Pierre CaffetJean-Pierre Caffet :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, c’est le matin même du début de l’examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, le 7 novembre dernier, que nous avons appris le contenu du nouveau plan de redressement des finances publiques.

Il nous avait alors été indiqué que le Gouvernement souhaitait uniquement traduire dans le texte transmis au Sénat les conséquences sur les tableaux d’équilibre de la révision de la prévision de croissance pour 2012 de 1, 75 % à 1 %. Il nous avait, en revanche, été assuré que les nouvelles mesures de redressement feraient l’objet d’un « collectif social ».

Finalement, le Gouvernement a préféré faire semblant de profiter de l’échec de la commission mixte paritaire et donc de la nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale pour introduire, par voie d’amendement, ces nouvelles mesures.

Certes, la procédure finalement retenue permet d’éviter la situation inédite qui aurait consisté en la discussion d’un texte rectificatif un mois seulement après le vote du texte initial, et cela avant même que l’année 2012 ne débute. Reste que la solution choisie est pire que celle qui nous avait été annoncée.

À l’évidence, compte tenu des délais, elle ne permet pas un examen de ces mesures par le Parlement dans des conditions décentes, puisque le texte adopté par l’Assemblée nationale ne nous est parvenu que ce matin.

Contrairement à ce que le Gouvernement affirme, ce n’est pas la brutale dégradation de la situation économique qui l’y a obligé ; c’est sa pratique consistant à espérer jusqu’au dernier moment un improbable retournement à la hausse de la conjoncture ou, plutôt, à attendre le dernier moment pour dévoiler son plan d’austérité.

À cet égard, je rappelle que la prévision de croissance du « consensus des conjoncturistes » pour 2012 est de l’ordre de 1 % depuis septembre 2011. C’est donc dans le projet de loi initial que le Gouvernement aurait dû inscrire les mesures qu’il prévoit de faire maintenant adopter à la va-vite et sans débat.

La première mesure proposée consiste en la fixation d’un ONDAM à 2, 5 %, au lieu de 2, 8 %, ce qui suppose 500 millions d’euros d’économies supplémentaires.

Ces mesures, qui représentent 50 % des dispositifs de redressement en 2012, sont très peu documentées, voire pas du tout. Cette question rejoint le problème récurrent du manque de transparence sur la construction de l’ONDAM.

Que recouvre, par exemple, la notion de « mesures d’économies relatives aux médicaments » ? S’agit-il de baisses de prix, de déremboursements, de nouvelles réductions des marges des grossistes-répartiteurs ou d’autres mesures encore ?

Ce manque d’informations est encore plus problématique pour les années 2013 à 2015. Le Gouvernement indique que la fixation d’un ONDAM à 2, 5 % pour cette période reposera sur « la maîtrise médicalisée des dépenses de soins de ville », « la baisse des coûts des médicaments par le développement des génériques et l’action sur les prix » et « l’amélioration de l’efficience hospitalière et la convergence tarifaire ». Outre le caractère particulièrement vague de ces annonces, aucune donnée chiffrée n’est, à ce stade, avancée. Il s’agit donc là de mesures purement déclaratoires.

Mais le plus « difficile » n’est pas tant, en la matière, de fixer un objectif de dépenses que de le respecter.

Il n’est pas impossible qu’au vu de leur nature les objectifs fixés pour 2012 soient atteints. En revanche, il en va autrement des mesures annoncées pour les années 2013 à 2015. « L’amélioration de l’efficience hospitalière et la poursuite de la convergence tarifaire », que vous invoquez, madame la ministre, dépendent, par exemple, de facteurs qui échappent pour partie aux pouvoirs publics. Indépendamment de l’appréciation qui peut être portée sur la convergence, il est à rappeler que le Gouvernement a été obligé de reporter de 2012 à 2018 son aboutissement, en raison de ses difficultés de mise en œuvre.

La deuxième mesure proposée concerne l’accélération de la montée en charge de la réforme des retraites, pour 100 millions d’euros d’économies en 2012.

Le Gouvernement « raccroche » son amendement à l’article 51 bis B introduit par le Sénat. Je lis dans l’exposé des motifs de l’amendement du Gouvernement : « Avec son article 51 bis B, le Sénat a ouvert le débat sur cette réforme [...]. Le temps des rapports dans ce domaine semble au Gouvernement dépassé dans le contexte actuel de crise des dettes souveraines ».

Le « temps des rapports » est peut-être dépassé, mais il n’en demeure pas moins que la question du bouclage financier de la réforme de 2010 est posée depuis longtemps, et le reste !

La commission des finances avait émis d’importantes réserves à ce sujet dès l’examen du texte. Ces observations ont été confirmées par la Cour des comptes dans un rapport de juin dernier, la Cour insistant sur l’optimisme des hypothèses retenues.

Il est à relever par ailleurs que, sans ces mesures, le schéma de reprise des déficits de la branche vieillesse par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, arrêté en 2010, aurait été totalement compromis.

En effet, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a prévu le transfert à la CADES, à compter de 2012 et jusqu’en 2018, dans la double limite de 62 milliards d’euros au total et de 10 milliards d’euros par an, des déficits de la Caisse nationale d’assurance vieillesse et du Fonds de solidarité vieillesse.

Or, sans les mesures nouvelles de redressement proposées, le déficit de la CNAV et du FSV aurait dépassé la limite des 10 milliards d’euros par an de reprise par la CADES. Compte tenu des dispositifs annoncés, la limite des 10 milliards d’euros sera juste atteinte, ce qui montre l’extrême fragilité de ce dispositif, dans le contexte actuel.

Troisième mesure, la revalorisation des prestations familiales est fixée à 1 %, au lieu des 2, 3 % prévus.

Une nouvelle étape est ici franchie. On peut s’interroger sur la pérennité de cette mesure. Dans l’objet de son amendement, le Gouvernement précise que le dispositif ne serait applicable qu’à « titre exceptionnel » en 2012. Rien n’est évoqué pour les années suivantes. Qu’en sera-t-il effectivement ?

Le Gouvernement justifie, par ailleurs, la moindre revalorisation des prestations familiales par la nécessaire corrélation entre l’évolution de leur masse et celle de la croissance du pays. Étant donné les incertitudes qui pèsent sur notre taux de croissance, on peut donc légitimement s’interroger sur la reconduction de ce taux de 1 % les années suivantes, voire sur son éventuelle baisse à venir.

En tout cas, une chose est sûre : compte tenu du taux d’inflation que vous prévoyez, 1, 7 %, tous les bénéficiaires des prestations familiales perdront en pouvoir d’achat, pouvoir d’achat dont Nicolas Sarkozy avait dit pourtant qu’il serait le président. En tout état de cause, cette mesure pèsera sur les familles les plus fragiles, c’est une évidence.

Je dirai un dernier mot de l’impact de ces mesures sur les comptes sociaux.

Le Gouvernement présente les nouvelles mesures de redressement comme une surcompensation de l’impact de la révision des hypothèses macroéconomiques. Il est vrai que le solde des régimes obligatoires de base est amélioré de 100 millions d’euros entre le projet de loi initial et le texte transmis pour une nouvelle lecture au Sénat. C’est néanmoins sans compter l’aggravation du déficit du FSV, qui passerait de 3, 7 milliards d’euros à 4, 1 milliards d’euros.

Au total, n’en déplaise au Gouvernement, le déficit de l’ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV est aggravé de 300 millions d’euros, ce qui constitue un niveau de déficit inquiétant, plus du double de celui de 2007 !

Finalement, vous avez cru habile de reporter la plus grande partie de l’effort de maîtrise des comptes sociaux au-delà de 2012, mais en restant dans le flou le plus total sur vos véritables intentions pour les années à venir. C’est ce qui s’appelle du pilotage à très courte vue, dans la précipitation, c’est-à-dire sans capacité d’anticipation.

Les discours grandiloquents du Gouvernement sur les économies courageuses, voire « la seule politique possible » comme on l’entend à longueur de temps, et encore cet après-midi lors de la discussion du projet de loi de finances, apparaissent pour ce qu’ils sont : un tissu de propos vains et sans aucune vision de l’avenir de notre système de protection sociale.

Ne serait-ce que pour ces raisons, et sans revenir sur celles qui ont été évoquées par de nombreux orateurs, il est clair que nous ne pourrons adopter un texte que par ailleurs vous nous présentez dans des conditions indignes du travail parlementaire.

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