Intervention de Laurent Wauquiez

Réunion du 15 novembre 2011 à 14h30
Soirées étudiantes — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Vial de s’être saisi d’un sujet politique d’importance : il nous faut offrir à nos étudiants un cadre qui leur permette de travailler dans de bonnes conditions, tout en préservant une convivialité ne donnant pas lieu à des dérives. Il y va de la réussite de nos étudiants, dont les débuts dans l’enseignement supérieur sont une étape structurante pour leur avenir. Si la société n’est pas capable de mettre en place un cadre propre à les protéger contre les conduites addictives, certains d’entre eux se perdront à jamais.

Sur un plan plus intime, plus philosophique, ce sujet touche aussi à la conception que nous nous faisons de la dignité : la fête suppose-t-elle l’avilissement ?

Reconnaissons-le, beaucoup a déjà été fait, souvent d’ailleurs sur l’initiative du Sénat, auquel je souhaite rendre hommage à cet instant. Un cadre légal fourni existe aujourd'hui. Il n’a pas été sans effet : ainsi, les pratiques de bizutage au sein même des établissements ont disparu et le nombre d’accidents a été progressivement réduit.

Pour autant, la lutte contre le bizutage et les dérives des soirées étudiantes exige une vigilance quotidienne. Je remercie donc le sénateur Vial d’avoir clairement mis cette problématique sur la table, en déposant cette proposition de loi.

À ce stade, permettez-moi de rappeler l’action menée, souvent en lien avec la représentation nationale, pour essayer de protéger nos étudiants contre les dérives. Je dis bien : « protéger » ; il ne s’agit pas de restaurer la prohibition, d’interdire toute soirée étudiante, ce qui serait absurde, car un campus est aussi un lieu de convivialité et de partage.

Pour agir, je me suis appuyé sur les conclusions du rapport commandé sur ce sujet par mon prédécesseur, Valérie Pécresse, à Mme Daoust, rectrice de l’académie de Poitiers.

Dès mon arrivée, j’ai souhaité fonder mon action sur quatre axes forts, concrets, en concertation avec les étudiants, les associations et les familles.

Il faut d’abord mettre fin à l’omerta, aux non-dits, à une tolérance parfois coupable. À cet effet, nous avons instauré un système d’alerte, en lien étroit avec les associations qui luttent contre le bizutage. Nous avons mis en place un numéro d’appel dans chaque rectorat pour libérer la parole, une cellule dédiée, qui permet d’informer étudiants et familles, enfin un espace internet. Nous entendons miser sur l’information et la prévention.

Il faut ensuite responsabiliser les organisateurs des soirées étudiantes, en s’appuyant d’ailleurs sur les associations étudiantes, qui ne veulent pas cautionner ce type de pratiques. J’ai décidé d’organiser des testings sur le terrain, afin de vérifier que les soirées étudiantes sont sécurisées. Il s’agit là de principes de bon sens : a-t-on prévu un système de navettes ? S’est-on assuré que la soirée aurait lieu dans un endroit sécurisé ? L’objectif est de vérifier que les organisateurs ont une démarche responsable. Les opérations de testing peuvent être étendues à la lutte contre les dérives de l’alcoolisation et du bizutage.

Par ailleurs, il faut mettre en garde nos étudiants contre les comportements addictifs, qui peuvent faire sombrer une vie, gâcher une existence. Les débuts dans l’enseignement supérieur sont à cet égard une période clé.

Enfin, j’évoquerai la question qui se trouve au cœur du sujet : si l’arsenal répressif est bien développé, qu’en est-il de l’arsenal préventif ?

Il faut toujours miser sur la prévention, sur l’action précoce. Par exemple, lorsque les manifestations festives ne sont pas organisées par les bureaux d’élèves, nous n’en avons pas connaissance : c’est souvent alors que se produisent des dérives. Par une lettre circulaire du 1er septembre dernier, nous avons voulu mettre en place un outil inédit : un dispositif normalisé de déclaration des projets festifs auprès des chefs d’établissement. Toutefois, dans ce domaine, on ne peut pas faire grand-chose sans la loi.

Comme vous, je n’aime pas la logorrhée législative. Je ne considère pas que toute action gouvernementale doive passer par des lois bavardes, floues, mais il s’agit ici de droit dur : ce sont les principes de liberté d’association et de liberté de réunion qui sont en jeu. À cet égard, je rappellerai la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association ou l’abondante jurisprudence du Conseil d’État soulignant que la liberté de réunion est une liberté fondamentale, à l’instar de la décision du 30 mars 2007 « ville de Lyon ». La liberté d’association et la liberté de réunion sont donc des principes fondamentaux relevant de notre bloc de constitutionnalité.

Dans ces conditions, sans intervention de la loi, nous ne pouvons pas mettre en place un système de prévention qui soit contraignant, surtout s’il s’agit de soirées privées ayant lieu dans un cadre privé.

Dans cette optique, votre proposition de loi va tout à fait dans le bon sens, monsieur Vial. Je tiens en outre à saluer le travail accompli par M. le rapporteur sur ce point très délicat. En effet, instaurer une obligation de déclarer chaque événement festif pose deux difficultés.

D’abord, le cadre d’information reste à définir. Quels événements, quel type d’organisateurs seront concernés par cette obligation ? À partir de quel seuil d’affluence une telle déclaration sera-t-elle obligatoire ?

Ensuite, auprès de qui la déclaration sera-t-elle effectuée ? Surtout, comment s’assurer que cette procédure n’aboutira pas à ce que les organisateurs se défaussent de leur responsabilité sur l’autorité qui recevra la déclaration ?

Il convient d’approfondir ces questions avant d’élaborer un texte dont l’application poserait ensuite des difficultés. Nous ne voulons pas interdire et réprimer ; notre objectif est de prévenir, de protéger.

Dans cet esprit, je fais confiance à la Haute Assemblée pour approfondir et éclaircir les quelques aspects techniques que j’ai soulignés. Il est important d’avancer rapidement sur cette question afin de signifier clairement que la convivialité, que nous entendons préserver, ne doit pas servir de prétexte à des débordements.

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