Séance en hémicycle du 15 novembre 2011 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • bizutage
  • d’alcool
  • soirée
  • étudiant
  • étudiante

La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Pignard

Monsieur le président, je souhaite faire une rectification au sujet d’un vote.

Lors du scrutin public n° 37, portant sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, Mme Nathalie Goulet et M. Joël Guerriau ont été déclarés comme n’ayant pas participé au vote. Or Mme Goulet souhaitait voter pour et M. Guerriau souhaitait voter contre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 14 novembre prennent effet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord monétaire entre la République française et l’Union européenne relatif au maintien de l’euro à Saint-Barthélemy, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi relative à la prévention et l’accompagnement pour l’organisation des soirées en lien avec le déroulement des études, présentée par M. Jean-Pierre Vial et plusieurs de ses collègues (proposition n° 421 [2010-2011], rapport n° 86).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte, comme son intitulé l’indique, sur les « soirées étudiantes ».

Pourquoi légiférer dans un tel domaine, diront certains ? D’autres invoqueront même le principe de liberté. Comme beaucoup, je déplore notre propension à trop légiférer, mais, quand il s’agit de la santé publique, du respect de la personne et du droit à la vie, tout simplement, n’avons-nous pas l’obligation d’ouvrir les yeux et d’assumer nos responsabilités ?

En effet, derrière l’expression, plutôt sympathique, de « soirées étudiantes », se cache ce fait de société nouveau qu’est le binge drinking chez les jeunes. Venu d’outre-Manche, ce phénomène aura envahi l’Hexagone en quelques années seulement. La rapidité de son développement en Europe n’a pas manqué de faire réagir votre prédécesseur, monsieur le ministre. Ainsi, par courrier en date du 26 octobre 2010, Mme Valérie Pécresse indiquait « que plusieurs événements dramatiques survenus lors de soirées ou de week-ends d’intégration [l’avaient] conduite à rappeler en termes fermes les dispositions de la loi […] », soulignant que « toute forme de bizutage est strictement interdite ». Après avoir travaillé avec l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire, elle a adressé à Mme Martine Daoust, rectrice de l’académie de Poitiers, une lettre de mission lui demandant « de s’attacher plus particulièrement à la prévention des comportements à risque et des conduites addictives liées notamment à la consommation excessive d’alcool […] sans exclure la possibilité de faire évoluer le droit si le besoin s’en faisait sentir […] ».

Oui, mes chers collègues, à l’instar du bizutage, dont on connaît les excès et, dans certains cas, les drames, le binge drinking, qui lui est parfois lié, est devenu une pratique courante dont les ravages sont, malheureusement, souvent encore plus graves, d’autant qu’elle se répète tout au long de l’année.

Il s’agit d’un phénomène récent, aux conséquences dramatiques. Le binge drinking, expression que l’on traduit souvent, en français, par « alcool défonce », touche les jeunes Européens de quinze à vingt-cinq ans. Dans les faits, cette pratique consiste à consommer de l’alcool de façon excessive et rapide, à seule fin d’être saoul le plus vite possible. Elle présente la particularité de s’être répandue très rapidement en Europe, plus particulièrement dans les pays du nord du continent. La motivation n’est pas le goût de l’alcool, mais bien la recherche des sensations procurées par son abus.

Le binge drinking entraîne des troubles de comportement classiquement liés à la consommation d’alcool : pratiques sexuelles à risques, conduite en état d’ivresse, violence extrême, coma éthylique parfois mortel, troubles cardiovasculaires et surtout cognitifs, les études expérimentales ayant fait apparaître des séquelles durables. Ainsi, en Europe, 10 % des accidents mortels chez la jeune fille et 25 % chez le jeune homme seraient liés à une intoxication à l’alcool.

Si l’appellation de « soirées étudiantes » peut laisser imaginer qu’il ne s’agirait que d’événements occasionnels, liés à des circonstances particulières ou festives, leur organisation s’avère en fait de plus en plus fréquente, jusqu’à devenir hebdomadaire dans certains établissements.

Aux termes d’une étude de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, un décès sur quatre, parmi les Européens de sexe masculin âgés de quinze à vingt-neuf ans, serait causé par la consommation à risque d’alcool, et 55 000 jeunes Européens, au total, seraient morts des suites d’une consommation excessive d’alcool. Une étude conduite à l’échelon européen a révélé que, dans les hôpitaux allemands, le nombre d’admissions pour intoxication à l’alcool a plus que doublé entre les années 2000 et 2006, passant de 9 500 à 19 500.

Face à de tels excès et aux drames qui en résultent, faut-il légiférer ?

Le dispositif répressif existe déjà : le code de la santé publique punit l’ivresse publique manifeste comme une infraction depuis 1873 ; la loi Évin du 10 janvier 1991 est venue compléter la loi Veil pour lutter contre le tabagisme et l’alcoolisme au travers de l’encadrement de la publicité ; la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs qualifie le bizutage de délit ; la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance alourdit les peines pour les atteintes aux personnes lorsque l’acte a été commis en état d’ivresse ; la même loi prévoit une mesure d’injonction thérapeutique lorsque le condamné fait usage de stupéfiants ou consomme habituellement de l’alcool ; la loi du 21 juillet 2009 interdit la vente de boissons alcoolisées à emporter entre 18 heures et 8 heures et interdit la vente d’alcool à tous les mineurs ; le code de la santé publique encadre la vente d’alcool pour tous les débitants de boissons ; enfin, il y a lieu de rappeler les dispositions relatives aux rave parties contenues dans la loi de 1995, qui instaure la déclaration préalable, sur laquelle nous reviendrons dans un instant.

Le dispositif répressif existe donc, avec ses mesures d’accompagnement qui ne semblent pas devoir être davantage aggravées ni précisées pour en améliorer l’efficacité. Eu égard à l’inefficacité et à l’inadéquation de ce dispositif législatif face à un comportement social nouveau, ne faut-il pas davantage sensibiliser et responsabiliser les personnes concernées ? Plus que la répression, la prévention paraît être de toute évidence la solution la plus efficace pour lutter contre cette nouvelle pratique et ce nouveau mode de consommation de l’alcool.

La plupart des pays européens ont d’ores et déjà mis en place des dispositifs de prévention du binge drinking : je citerai, en Allemagne, le programme HaLT – contraction de « stop, c’est la limite » –, aux Pays-Bas, un programme intitulé « la boisson te détruit plus que tu ne le crois ». Nous savons, monsieur le ministre, à quel point ce sujet a constitué une priorité de votre action dès votre prise de fonctions ; nous vous en remercions.

La mission conduite par la Mme la rectrice Martine Daoust, dont je tiens à saluer la qualité du rapport – les orientations qu’il a dégagées ont recueilli l’adhésion des membres du groupe de travail –, a proposé de suivre une telle démarche de prévention. S’il fallait retenir deux idées fortes, ce serait, d’une part, la pédagogie, et, d’autre part, la responsabilisation.

Les auteurs de cette proposition de loi préconisent l’instauration d’un régime déclaratif pour sensibiliser et responsabiliser les différents acteurs.

Dans son rapport au nom de la commission des lois, notre collègue André Reichardt, dont je salue la qualité des travaux et des propositions, a précisé les modalités du régime déclaratoire dont pourrait relever l’organisation de ces soirées étudiantes.

À ceux qui objecteraient, à juste titre, que le binge drinking n’est pas le fait des seuls étudiants, je répondrai que cela ne justifie pas que nous ne tentions pas de remédier à une pratique dont les conséquences peuvent être particulièrement dramatiques : il nous revient de garantir aux étudiants et à leurs familles le respect de la personne.

Les étudiants vivent dans un environnement où l’effet de groupe et le cadre institutionnel peuvent fournir un prétexte à l’organisation de manifestations ou de soirées, ou faciliter celle-ci.

Si le rapport Daoust reflète bien la volonté de tous les acteurs de s’associer à une démarche pédagogique et préventive, encore convient-il d’être lucides quant aux intentions de certains d’entre eux, qui ne sont pas toujours désintéressées. Je me bornerai, à cet égard, à évoquer le cas de certains fournisseurs de boissons qui mettent de l’alcool à disposition en concédant une partie de la recette aux organisateurs de la soirée.

Dès lors, s’il n’y a pas lieu de prévoir de nouvelles mesures répressives, il importe de sensibiliser les organisateurs à leurs responsabilités et aux risques que font encourir des soirées que la consommation abusive d’alcool peut rapidement transformer en enfers.

La discussion qui s’est ouverte au sein de la commission des lois a mis en évidence qu’instaurer un régime de déclaration pourrait engendrer de trop lourdes conséquences, dont il convenait de prendre toute la mesure.

Puis-je simplement rappeler, avant de conclure, que notre débat a trait, d’abord et avant tout, à la santé publique, domaine qui relève de la compétence des maires et des préfets, et que ceux qui sont à l’initiative de telles soirées étudiantes ou concourent à leur organisation ne peuvent échapper à leurs responsabilités ?

Mes chers collègues, il importe que l’invocation des libertés et d’autres principes ne nous fasse pas oublier ce qui est au cœur du présent débat : l’éducation, l’avenir des étudiants, et surtout leur sécurité et leur santé.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UCR.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi relative à la prévention et l’accompagnement pour l’organisation des soirées en lien avec le déroulement des études traite d’un réel problème de société : le phénomène du binge drinking, qui consiste à consommer de grandes quantités d’alcool en un temps limité, en vue d’obtenir une ivresse rapide.

Cette pratique, importée des pays du nord de l’Europe, ne semble pas, contrairement à ce que l’on entend souvent dire, en progression rapide chez l’ensemble des jeunes, mais elle pose un véritable problème dans les soirées étudiantes.

Ainsi, une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, réalisée en 2010 auprès de 267 associations d’étudiants indique que la moitié des organisateurs de soirées prévoient de quatre à cinq consommations d’alcool fort par personne, d’autres boissons moins alcoolisées étant par ailleurs fournies.

Une telle consommation d’alcool, associée à celle de stupéfiants, a des effets parfois graves, tels que des comas éthyliques, des violences, des agressions, des accidents divers et, à plus long terme, des lésions cérébrales, une dépendance, qui peuvent déboucher, dans des cas extrêmes heureusement assez peu nombreux, sur des décès. Je citerai l’exemple, parmi d’autres, d’une personne qui s’est défenestrée en rentrant d’une soirée, persuadée qu’elle pouvait voler…

Les événements en question sont d’une grande diversité : soirées d’intégration dans les grandes écoles en début d’année, soirées réservées aux étudiants d’une filière, galas en cours d’année, week-ends d’intégration. Une telle manifestation, rassemblant plus de 5 000 étudiants, s’est ainsi déroulée au bord d’un lac, dans lequel un jeune s’est noyé.

Le point commun, c’est la volonté d’échapper au contrôle du chef de l’établissement d’enseignement supérieur en organisant l’événement à l’extérieur de celui-ci.

Il faut souligner que de réels efforts de prévention sont déployés par les associations d’étudiants, les mutuelles, les chefs d’établissement et même les alcooliers, qui proposent la mise à disposition gratuite de barmen ayant pour consigne de refuser de servir de l’alcool aux personnes « fatiguées »… On peut citer également, dans le même ordre d’idées, la mise en place de navettes gratuites, le retrait des clés de voiture si cela se révèle nécessaire, l’élaboration de nombreuses chartes de bonnes pratiques, souvent financées par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires – les CROUS –, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie ou le Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes.

Ces efforts paraissent cependant insuffisants, puisque, selon l’étude du CREDOC précitée, un tiers seulement des organisateurs de soirées dans lesquelles des étudiants font le service des boissons mettent en œuvre des actions de prévention ; globalement, un tiers des soirées ne donnent lieu à aucune démarche de ce type.

Beaucoup d’associations considèrent qu’elles n’ont pas les moyens financiers de mettre en place de tels dispositifs. En outre, les initiatives prises en matière de prévention pâtissent incontestablement d’une trop grande dispersion. Cela a amené l’une des principales associations d’étudiants à proposer, lors d’une audition par la commission, d’envisager une certification d’organisateur de soirées, afin de promouvoir la prévention et d’éviter les dérives.

Le législateur s’est déjà penché à plusieurs reprises sur le problème de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes ainsi que sur les dérives du bizutage, qui se produisent souvent à l’occasion de soirées étudiantes.

En matière de lutte contre la consommation excessive d’alcool, il existe une législation riche, s’agissant tant de la protection de la santé que de la préservation de l’ordre public. On peut citer, à cet égard, l’obligation de demander une licence temporaire de débit de boissons pour les associations étudiantes qui organisent une soirée, certaines dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, telle l’interdiction des open bars et de la vente d’alcool aux mineurs, ainsi que la répression de l’ivresse sur la voie publique et de la conduite en état d’imprégnation alcoolique.

Sur un sujet connexe, le bizutage, on peut évoquer la loi du 17 juin 1998, qui interdit cette pratique. Monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs récemment lancé de nouvelles mesures de lutte contre le bizutage, notamment le testing dans les soirées.

Il faut néanmoins noter, mes chers collègues, que cette législation est insuffisamment appliquée. L’étude du CREDOC de 2010 indique ainsi que la pratique des open bars, pourtant strictement interdite, subsisterait dans 25 % des soirées étudiantes.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Quant au bizutage, il existe toujours, malheureusement, comme en témoigne un cas récent survenu à l’université Paris-Dauphine. Il convient à tout le moins de veiller à ce que la législation existante soit pleinement appliquée.

Dans ce contexte, le texte qui nous est proposé a été jugé intéressant par la commission des lois, même si celle-ci a estimé que la réflexion devait se poursuivre.

La proposition de loi qui nous est soumise, inspirée du rapport de Mme la rectrice Daoust, prend appui sur la législation relative aux rave parties.

Le rapport de Mme Daoust préconise tout d’abord d’organiser des opérations de testing au cours des soirées, avec des sanctions en cas de non-respect des dispositions législatives relatives aux open bars et à la vente d’alcool au forfait. M. le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a décidé récemment de lancer de telles actions ; il nous en parlera certainement tout à l’heure.

Ce rapport propose ensuite d’adopter une approche intégrée à l’échelon de l’établissement d’enseignement supérieur, ainsi que de prendre de multiples initiatives de prévention et de sensibilisation.

Il invite enfin à responsabiliser les organisateurs, en prévoyant que chaque événement soit déclaré à l’établissement, à la mairie et/ou à la préfecture du lieu d’organisation.

La proposition de loi reprend cette dernière préconisation, en s’appuyant sur le dispositif concernant les rave parties de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne. Celui-ci prévoit un régime de déclaration au chef d’établissement et au préfet et une concertation entre les parties. Surtout, la manifestation pourra être interdite par le préfet si les mesures envisagées par les organisateurs lui semblent insuffisantes ou si elle est de nature à troubler gravement l’ordre public.

La proposition de loi renvoie la définition des modalités d’application de son dispositif à un décret en Conseil d’État. Le régime prévu est en réalité plus proche de l’autorisation préalable que de la simple déclaration, le préfet ayant la faculté d’interdire le rassemblement dès lors qu’il aura le sentiment que les organisateurs ne prennent pas toutes ses recommandations en compte.

Cela me conduit à soulever la question suivante : cet encadrement n’est-il pas trop rigoureux ? Il convient, à mon sens, de trouver un équilibre entre la liberté de réunion, le droit à la vie privée et la nécessité de réglementer ces soirées étudiantes. Cela n’est pas facile : la notion de « rassemblement […] en lien avec le déroulement des études » retenue par les auteurs de la proposition de loi me paraît en effet assez imprécise. Si l’on considère que certains des rassemblements visés sont de caractère plutôt public, dans la mesure où un droit d’entrée est perçu, il y a risque d’atteinte à la liberté de réunion ; si l’on considère que d’autres sont plutôt de caractère privé, parce qu’ils rassemblent quelques dizaines d’étudiants dans un appartement, par exemple, il y a risque d’atteinte au droit à la vie privée.

C’est pourquoi mes réflexions m’inclineraient à préférer un régime plus souple de déclaration simple, pour éviter ces écueils, ainsi que les difficultés d’ordre pratique que ne manquerait pas de susciter la mise en œuvre du dispositif de la proposition de loi.

Ces obstacles d’ordre pratique tiennent notamment à la difficulté d’inclure tous les événements visés dans le champ du texte. En effet, ils sont d’une grande diversité. En outre, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, une soirée peut s’organiser très rapidement, en quelques « clics », au dernier moment. Par ailleurs, comment établir l’existence d’un lien avec les études, par exemple lorsqu’un étudiant décide d’organiser une fête à l’occasion de son anniversaire ?

Enfin, les préfectures et, le cas échéant, les forces de l’ordre se heurteront elles aussi à des difficultés pratiques pour suivre les quelque 20 000 manifestations organisées chaque année au sein de nos 4 000 établissements d’enseignement supérieur, sans même parler des risques de contournement, ce qui est interdit à Strasbourg ne l’étant pas forcément de l’autre côté du Rhin, pour prendre un cas de figure que je connais bien… Faudra-t-il chaque fois une déclaration ?

Surtout, en légiférant de manière trop brusque, ne risque-t-on pas de casser la dynamique de prévention constatée au cours de nos auditions ? J’ajoute qu’il n’est naturellement pas question de stigmatiser le monde étudiant, qui n’est pas seul concerné par le problème de la consommation excessive d’alcool.

En conclusion, la commission a considéré que la proposition de loi qui nous est soumise aborde un problème réel, grave dans certains cas, et qu’elle contient de bonnes idées, notamment la déclaration préalable au chef d’établissement, même si le régime prévu d’autorisation par le préfet lui a paru un peu lourd.

Cependant, en l’état actuel des choses, il est apparu à la commission prématuré de légiférer. Si le texte que nous examinons constitue une bonne base de réflexion, il ne permet pas de répondre à l’ensemble de la problématique, laquelle va au-delà des seules soirées étudiantes. La commission des lois a donc décidé de soumettre au Sénat une motion tendant à son renvoi à la commission, afin de poursuivre la réflexion sur le sujet. À cette fin, M. le président de la commission des lois a proposé que soit mis en place un groupe de travail commun avec la commission des affaires sociales.

Applaudissements

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Vial de s’être saisi d’un sujet politique d’importance : il nous faut offrir à nos étudiants un cadre qui leur permette de travailler dans de bonnes conditions, tout en préservant une convivialité ne donnant pas lieu à des dérives. Il y va de la réussite de nos étudiants, dont les débuts dans l’enseignement supérieur sont une étape structurante pour leur avenir. Si la société n’est pas capable de mettre en place un cadre propre à les protéger contre les conduites addictives, certains d’entre eux se perdront à jamais.

Sur un plan plus intime, plus philosophique, ce sujet touche aussi à la conception que nous nous faisons de la dignité : la fête suppose-t-elle l’avilissement ?

Reconnaissons-le, beaucoup a déjà été fait, souvent d’ailleurs sur l’initiative du Sénat, auquel je souhaite rendre hommage à cet instant. Un cadre légal fourni existe aujourd'hui. Il n’a pas été sans effet : ainsi, les pratiques de bizutage au sein même des établissements ont disparu et le nombre d’accidents a été progressivement réduit.

Pour autant, la lutte contre le bizutage et les dérives des soirées étudiantes exige une vigilance quotidienne. Je remercie donc le sénateur Vial d’avoir clairement mis cette problématique sur la table, en déposant cette proposition de loi.

À ce stade, permettez-moi de rappeler l’action menée, souvent en lien avec la représentation nationale, pour essayer de protéger nos étudiants contre les dérives. Je dis bien : « protéger » ; il ne s’agit pas de restaurer la prohibition, d’interdire toute soirée étudiante, ce qui serait absurde, car un campus est aussi un lieu de convivialité et de partage.

Pour agir, je me suis appuyé sur les conclusions du rapport commandé sur ce sujet par mon prédécesseur, Valérie Pécresse, à Mme Daoust, rectrice de l’académie de Poitiers.

Dès mon arrivée, j’ai souhaité fonder mon action sur quatre axes forts, concrets, en concertation avec les étudiants, les associations et les familles.

Il faut d’abord mettre fin à l’omerta, aux non-dits, à une tolérance parfois coupable. À cet effet, nous avons instauré un système d’alerte, en lien étroit avec les associations qui luttent contre le bizutage. Nous avons mis en place un numéro d’appel dans chaque rectorat pour libérer la parole, une cellule dédiée, qui permet d’informer étudiants et familles, enfin un espace internet. Nous entendons miser sur l’information et la prévention.

Il faut ensuite responsabiliser les organisateurs des soirées étudiantes, en s’appuyant d’ailleurs sur les associations étudiantes, qui ne veulent pas cautionner ce type de pratiques. J’ai décidé d’organiser des testings sur le terrain, afin de vérifier que les soirées étudiantes sont sécurisées. Il s’agit là de principes de bon sens : a-t-on prévu un système de navettes ? S’est-on assuré que la soirée aurait lieu dans un endroit sécurisé ? L’objectif est de vérifier que les organisateurs ont une démarche responsable. Les opérations de testing peuvent être étendues à la lutte contre les dérives de l’alcoolisation et du bizutage.

Par ailleurs, il faut mettre en garde nos étudiants contre les comportements addictifs, qui peuvent faire sombrer une vie, gâcher une existence. Les débuts dans l’enseignement supérieur sont à cet égard une période clé.

Enfin, j’évoquerai la question qui se trouve au cœur du sujet : si l’arsenal répressif est bien développé, qu’en est-il de l’arsenal préventif ?

Il faut toujours miser sur la prévention, sur l’action précoce. Par exemple, lorsque les manifestations festives ne sont pas organisées par les bureaux d’élèves, nous n’en avons pas connaissance : c’est souvent alors que se produisent des dérives. Par une lettre circulaire du 1er septembre dernier, nous avons voulu mettre en place un outil inédit : un dispositif normalisé de déclaration des projets festifs auprès des chefs d’établissement. Toutefois, dans ce domaine, on ne peut pas faire grand-chose sans la loi.

Comme vous, je n’aime pas la logorrhée législative. Je ne considère pas que toute action gouvernementale doive passer par des lois bavardes, floues, mais il s’agit ici de droit dur : ce sont les principes de liberté d’association et de liberté de réunion qui sont en jeu. À cet égard, je rappellerai la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association ou l’abondante jurisprudence du Conseil d’État soulignant que la liberté de réunion est une liberté fondamentale, à l’instar de la décision du 30 mars 2007 « ville de Lyon ». La liberté d’association et la liberté de réunion sont donc des principes fondamentaux relevant de notre bloc de constitutionnalité.

Dans ces conditions, sans intervention de la loi, nous ne pouvons pas mettre en place un système de prévention qui soit contraignant, surtout s’il s’agit de soirées privées ayant lieu dans un cadre privé.

Dans cette optique, votre proposition de loi va tout à fait dans le bon sens, monsieur Vial. Je tiens en outre à saluer le travail accompli par M. le rapporteur sur ce point très délicat. En effet, instaurer une obligation de déclarer chaque événement festif pose deux difficultés.

D’abord, le cadre d’information reste à définir. Quels événements, quel type d’organisateurs seront concernés par cette obligation ? À partir de quel seuil d’affluence une telle déclaration sera-t-elle obligatoire ?

Ensuite, auprès de qui la déclaration sera-t-elle effectuée ? Surtout, comment s’assurer que cette procédure n’aboutira pas à ce que les organisateurs se défaussent de leur responsabilité sur l’autorité qui recevra la déclaration ?

Il convient d’approfondir ces questions avant d’élaborer un texte dont l’application poserait ensuite des difficultés. Nous ne voulons pas interdire et réprimer ; notre objectif est de prévenir, de protéger.

Dans cet esprit, je fais confiance à la Haute Assemblée pour approfondir et éclaircir les quelques aspects techniques que j’ai soulignés. Il est important d’avancer rapidement sur cette question afin de signifier clairement que la convivialité, que nous entendons préserver, ne doit pas servir de prétexte à des débordements.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, photos choquantes de jeunes filles nues prises lors d’un week-end d’intégration à Bordeaux puis diffusées sur les réseaux sociaux, renvoi de six élèves dans le Gers après un jeu dit « du string », scarification d’un étudiant à Paris-Dauphine : ces différents faits divers survenus au cours des seuls mois de septembre et de novembre de cette année montrent que la pratique du bizutage perdure dans certaines écoles, sous le couvert de week-ends d’intégration ou de soirées étudiantes. Ces actes médiatisés ne sont certainement que la partie émergée du phénomène, car la loi du silence chez les victimes, et parfois une certaine complaisance de l’administration des établissements, permettent la survivance d’un bizutage qui ne dit plus son nom.

Juridiquement, le bizutage, tel qu’il est défini par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, est un délit, puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Contrairement à une idée répandue chez les étudiants, est punissable le fait, pour une personne, d’amener autrui à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants, même si la victime est consentante.

Or bon nombre de bizuteurs avancent l’argument que personne n’oblige les bizutés à participer aux week-ends d’intégration et que ceux-ci peuvent dire « non ». En fait, les psychiatres estiment que, « en groupe, chacun perd le sentiment de sa responsabilité individuelle et de sa propre identité. […] L’effet de groupe inhibe le sens critique, surtout quand on est nouveau dans l’école et qu’on ne connaît pas les codes. »

En refusant de « jouer le jeu », l’étudiant craint d’être mis à l’écart et d’apparaître comme un « dégonflé ». Alors, déguisés, entraînés par le mouvement, la mise en scène, l’alcool, certains étudiants se laissent aller à des comportements qu’ils n’auraient pas normalement.

Malgré maints rappels du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche par voie de circulaires ou de courriers réclamant la plus grande fermeté à l’égard des actes de bizutage, il faut bien admettre que des débordements se produisent, la plupart du temps sous l’emprise de l’alcool ou de produits illicites.

Un simple « clic » sur internet permet de recueillir de nombreux témoignages d’actes dégradants, souvent à caractère sexuel quand les victimes sont des filles. Ces actes plus ou moins bien vécus semblent quasiment toujours associés à l’usage excessif d’alcool. Certains comparent les week-ends d’intégration à des « marathons alcoolisés ». Le binge drinking, l’alcoolisation massive et rapide, est devenu un phénomène de mode, qui séduit des jeunes de plus en plus tôt, non seulement des étudiants, mais aussi des lycéens, voire des collégiens. « Aujourd’hui, on devient potes parce qu’on a vomi ensemble », peut-on lire sur internet.

C’est pourquoi Mme Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, avait chargé, fin 2010, la rectrice de l’académie de Poitiers, Mme Daoust, de présider un groupe de travail sur les actions envisageables afin de protéger les jeunes de toutes les dérives auxquelles peuvent donner lieu les soirées étudiantes.

Sur la base d’une des préconisations de ce rapport, et sur le modèle du dispositif déclaratif prévu par la loi du 15 novembre 2001 en vigueur pour les rave parties, la présente proposition de loi tend à instaurer un régime de déclaration préalable pour tous les rassemblements à caractère festif d’étudiants, en lien avec le déroulement de leurs études mais organisés en dehors des établissements d’enseignement.

Un tel dispositif a plutôt fait ses preuves pour les rave parties, en permettant un encadrement sanitaire et sécuritaire approprié à ces grands rassemblements, mais il a également montré ses limites, par la scission entre festivals déclarés et contre-festivals.

En ce qui concerne les soirées étudiantes, permettez-moi d’avoir des doutes quant à l’opportunité de prévoir une telle déclaration préalable, qui s’apparente en réalité à un régime d’autorisation, dans la mesure où le préfet pourra refuser de délivrer le récépissé permettant la tenue du rassemblement.

Premièrement, sachant que le nombre de soirées étudiantes organisées chaque année est évalué entre 10 000 et 20 000, combien de fonctionnaires faudrait-il mobiliser pour assurer le service de déclaration et vérifier l’encadrement de 200 à 400 soirées par semaine ?

Deuxièmement, l’interdiction a bien souvent un effet inverse de celui qui est recherché. C’est donc l’organisation d’événements festifs espaces de non-droit qui risque de se développer.

Troisièmement, est-il besoin d’un texte supplémentaire, qui sera en outre perçu comme liberticide ? Tant le rapport de Mme Daoust que celui de M. Reichardt font état d’une législation abondante quant à la consommation d’alcool et au bizutage. Est-elle bien ou suffisamment appliquée ?

La responsabilisation de tous les acteurs du monde étudiant – étudiants, chefs d’établissement, alcooliers, associations, mutuelles – et la prévention me semblent les deux angles d’attaque les plus pertinents pour lutter contre les dérives que peuvent connaître les soirées étudiantes.

La signature depuis 2008 de chartes ou de conventions de prévention entre les associations étudiantes et les acteurs de la prévention – la Croix-Rouge ou la sécurité routière, par exemple – va dans ce sens. L’élaboration et la promotion d’une charte unique sont, à mon avis, à encourager fortement.

La plupart des étudiants sont majeurs. C’est par conséquent à leur intelligence et à leur créativité qu’il faut faire appel. La loi condamne le bizutage, et non pas toutes les manifestations de rentrée. L’accueil convivial des nouveaux permet une multitude de jeux, d’épreuves ou autres opérations collectives.

Pour toutes ces raisons, il me semble que la proposition de loi qui nous est soumise mérite de faire l’objet d’une réflexion approfondie. Je voterai par conséquent la motion tendant à son renvoi à la commission.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le problème qui nous occupe aujourd'hui a déjà fait l’objet d’un certain nombre de mesures censées permettre d’y remédier. J’essaierai de vous montrer, au cours de mon intervention, pourquoi la proposition de loi qui nous est présentée ne nous semble pas, en l’état, opportune.

Oui, certains jeunes ont un problème majeur avec l’alcool. Je signale néanmoins que la moitié des comas éthyliques constatés dans les services des urgences concernent des collégiens ou des lycéens. Le dispositif de la présente proposition de loi ne couvre donc que 50 % du problème de l’alcoolisation chez les jeunes.

Oui, la pratique du binge drinking est détestable et dangereuse.

Oui, lorsqu’ils sont en état d’ébriété, les jeunes, qu’ils soient ou non étudiants, ont des conduites inappropriées, parfois criminelles, qu’il convient de condamner. La justice s’y emploie.

Oui, depuis vingt ans, les politiques de tous bords ont pris la mesure de ce problème. Je ne vais pas détailler, une nouvelle fois, les mesures qui ont été prises pour y faire face. Elles vont de la condamnation du bizutage dans la loi du 17 juin 1998 au décret relatif aux happy hours, en passant par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, sans parler des mesures prises par Mme Pécresse puis par M. Wauquiez. Il existe donc déjà un arsenal législatif pour lutter contre la surconsommation d’alcool chez les jeunes.

En l’état, le dispositif de la proposition de loi qui nous est soumise nous semble difficile à appliquer. Or, le propre d’une bonne loi n’est-il pas d’être applicable et appliquée ?

En premier lieu, on dénombre chaque année quelque 20 000 soirées étudiantes, dont 6 000 sont organisées au sein des écoles de commerce, sans compter les innombrables soirées d’anniversaire. Est-il envisageable que tous ces événements fassent l’objet d’une déclaration préalable auprès du chef d’établissement ?

En deuxième lieu et surtout, nous parlons ici d’étudiants, qui sont pour la plupart d’entre eux majeurs. Or, cette proposition de loi, qui sera certainement améliorée, nous semble traiter les étudiants, appelés à devenir rapidement des actifs responsables, comme des mineurs, voire des enfants !

En troisième lieu, la proposition de loi ne traite que du problème de l’alcool chez les jeunes étudiants. Le reste de la jeunesse ne mérite-t-il pas lui aussi toute notre attention ? Pourquoi ne se préoccuper que de l’alcoolisation des étudiants ? En effet, cette question concerne aussi un certain nombre de jeunes travailleurs, de jeunes chômeurs ou de jeunes SDF. Actuellement, selon les statistiques du Secours catholique publiées le mois dernier, 36 % des personnes aidées en urgence par cette organisation sont des jeunes, vraisemblablement confrontés à une suralcoolisation et, pour peu qu’ils disposent de suffisamment de moyens, au binge drinking.

En quatrième lieu, nous ne sommes pas favorables à ce texte en l’état parce qu’il nous semble porter une atteinte disproportionnée à la liberté de réunion, par exemple en vue de fêter un anniversaire. Nous ne comprenons pas comment une soirée privée, organisée dans un lieu privé, c'est-à-dire extérieur à l’établissement d’enseignement supérieur, pourrait faire l’objet d’une déclaration au chef d’établissement. Le lien d’une telle manifestation avec les études peut en effet n’être que très ténu.

Enfin, les soirées en question peuvent regrouper à la fois des étudiants et des non-étudiants, d’où une autre difficulté d’application du dispositif de la proposition de loi.

En résumé, même si le travail préparatoire accompli est extrêmement riche et permet d’attirer l’attention sur un grave sujet de santé publique, le présent texte nous paraît poser un certain nombre de problèmes.

L’alcoolisation rapide des jeunes est le symptôme d’une crise profonde. Cette proposition de loi ne s’attaque qu’à la partie émergée de l’iceberg. Pourquoi cette jeunesse boit-elle autant ? Voilà la question que nous devons nous poser !

Si nous sommes aussi réservés sur ce texte, c’est parce qu’il ne suffit pas de se donner bonne conscience en instaurant un régime de déclaration préalable qui permettra aux acteurs d’« ouvrir le parapluie » et de se défausser de leurs responsabilités.

Pour notre part, nous faisons un autre pari : celui de la prévention et de la coopération avec les associations et les mutuelles étudiantes. Encore faut-il qu’elles aient les moyens de mener des actions de prévention, car cette dernière a un coût. La proposition de loi ne comporte d’ailleurs aucun volet financier.

Sur un plan positif, nous souhaitons proposer trois axes de travail en vue de remédier à un problème dont nous ne nions nullement la réalité.

Tout d’abord, les soirées ayant quitté les écoles et les universités pour s’éloigner des centres-villes, nous pensons qu’il conviendrait de faire revenir au sein des établissements d’enseignement supérieur une partie de la vie étudiante, notamment les fêtes. Il n’y aurait alors plus lieu d’élaborer une loi, puisque le code de l’éducation et les règlements intérieurs des établissements suffisent tout à fait pour régler les problèmes liés à la vie étudiante.

Ensuite, nous souhaiterions que soit lancée une enquête approfondie sur la santé des jeunes, étudiants ou non, afin d’essayer de mieux comprendre les raisons et les ressorts de leur malaise. Cela permettrait d’étudier les moyens de développer la prévention, par exemple en assurant une prise en charge des jeunes en difficulté par les bureaux d’aide psychologique universitaires ou les maisons de la santé. Je reconnais toutefois qu’une telle politique a un coût.

Enfin, nous pensons qu’une authentique politique de la jeunesse doit s’adresser aux jeunes dans toute leur diversité : garçons, filles, étudiants, non-étudiants, demandeurs d’emploi. Une telle politique doit permettre d’ouvrir des perspectives en matière d’emploi, car les jeunes ne demandent qu’une chose : étudier en vue d’acquérir une formation puis d’exercer un métier. À cet égard, la piste des emplois verts est particulièrement intéressante.

En conclusion, les membres du groupe socialiste-EELV sont eux aussi favorables au renvoi du texte à la commission, qui permettra de faire mûrir la réflexion. Nous appelons à un travail de fond sur le malaise de la jeunesse dans son ensemble, afin d’essayer d’apporter à celle-ci ce qui lui manque peut-être le plus cruellement : de l’espoir.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste -EELV.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes toutes et tous particulièrement préoccupés par les débordements, les excès et les incidents graves qui ont parfois lieu à l’occasion des rentrées universitaires, dans le cadre de soirées étudiantes dites « d’intégration ».

La semaine dernière encore, un étudiant de l’université de Paris-Dauphine aurait été victime de violences au cours d’une de ces soirées : on lui aurait scarifié sur le dos les initiales d’une association d’étudiants, à l’aide de capsules de bouteille…

Nous condamnons avec force ces actes inadmissibles, comme nous dénonçons ceux qui contribuent à transformer des soirées qui devraient être fédératrices et rassembleuses en occasions de faire subir des pratiques barbares, dégradantes, humiliantes et parfois dangereuses à de nouveaux entrants.

Depuis plusieurs années, le bizutage est considéré comme un problème social majeur. Il fait l’objet de polémiques opposant ses défenseurs, qui affirment qu’il n’est au fond qu’un rite de passage relevant d’une tradition, et ses détracteurs, qui le considèrent comme un déchaînement de violence totalitaire.

Le bizutage est pratiqué majoritairement au sein de l’institution scolaire. Pour ses auteurs, il marque un moment important dans le déroulement d’une vie, l’entrée dans un groupe. Les pratiques de bizutage reposent sur un principe de soumission des « nouveaux » aux « anciens », au nom de traditions d’école.

Le sociologue René de Vos affirme avec raison que, « dans l’école de la République, le bizutage est la marque de l’échec d’un projet pédagogique qui ne parvient pas à démontrer que l’humanisme repose sur la conscience des personnes et [que] c’est là un point d’ancrage pour la pensée totalitaire ». Cela doit nous inciter à réfléchir particulièrement sur le rôle de l’école publique.

Heureusement, les violences physiques et les débordements sexuels perpétrés lors de bizutages sont tout de même plutôt rares. Cependant, ils existent et sont condamnables, comme le sont toutes autres formes de violences physiques et de débordements sexuels, où qu’elles s’exercent.

Au regard des responsabilités qui sont les nôtres, il nous revient non pas d’interdire, mais de formuler des propositions en matière d’accompagnement, d’encadrement et de prévention de ces soirées à risques, afin qu’elles ne deviennent pas des lieux de soumission absolue où se déchaînent des pratiques violentes et/ou humiliantes.

Dans cette perspective, on peut se demander quelle est l’utilité de la présente proposition de loi. En effet, les actes de violence et les agressions sexuelles sont déjà réprimés par la loi en tant que tels, y compris dans le cadre du bizutage. En outre, la loi a déjà prévu des dispositions relatives à la lutte contre le bizutage. Ainsi, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs comporte un article spécifiquement consacré au bizutage. La pratique de ce dernier est désormais considérée comme un délit, passible de six mois de prison et d’une amende de 7 500 euros, ces deux sanctions étant doublées si la victime est mineure ou vulnérable. La loi dispose qu’il est interdit d’« amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées au milieu scolaire et éducatif ».

Le bizutage est donc déjà réprimé en tant que tel par la loi, outre la répression de tout acte de violence perpétré sur autrui. Par ailleurs, je me bornerai ici à évoquer les différents textes, notamment la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite « loi Évin », ou la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, qui encadrent et réglementent la consommation d’alcool, que notre droit associe à juste titre au problème du bizutage.

Alors que le législateur a déjà œuvré en la matière, force est de constater, avec les auteurs de la proposition de loi, que des pratiques violentes subsistent dans les soirées étudiantes. Toutefois, croire que nous pourrions totalement les éradiquer en légiférant de nouveau, c’est au mieux pécher par excès de naïveté, au pire céder à une tentation liberticide.

Face à l’indignation légitime que soulèvent de telles pratiques, les auteurs de cette proposition de loi, loin de combler un vide juridique, s’apprêtent à franchir un second pas en encadrant le déroulement des soirées d’intégration, démarche qui trahit une tentation de les interdire totalement.

Pour notre part, nous pensons qu’un travail de sensibilisation doit être mené en amont. Pour autant, instaurer un régime de déclaration préalable des soirées donnant au préfet le pouvoir de les interdire ou d’ordonner la présence des forces de l’ordre ne serait, au final, qu’apporter une réponse répressive, alors que la plupart des soirées d’intégration sont, fort heureusement, inoffensives !

Face aux drames sur lesquels peuvent déboucher ces soirées, nous ne devons pas céder à la tentation liberticide d’instituer un régime de déclaration préalable dont la mise en œuvre aurait pour conséquences l’hyper-contrôle et l’interdiction des fêtes, et pourrait même s’étendre à des rassemblements d’une autre nature, y compris à des manifestations, voire décourager celles et ceux qui mènent, au sein d’associations ou d’établissements d’enseignement supérieur, des actions de prévention qui, dans la durée et avec des moyens suffisants, peuvent porter leurs fruits.

Nous sommes donc opposés à cette proposition de loi, inutile pour lutter contre les dérives du bizutage et dangereuse du point de vue des libertés individuelles. En conséquence, nous voterons la motion tendant au renvoi du texte à la commission que défendra tout à l’heure M. le rapporteur.

J’ajoute que nous approuvons l’idée de M. le président de la commission des lois de créer un groupe de travail commun avec la commission des affaires sociales. Cela permettra, nous l’espérons, de se pencher enfin sur les causes qui amènent des individus de plus en plus jeunes, le plus souvent sous l’emprise de l’alcool ou de substances illicites, à se comporter de manière inadmissible, voire dangereuse pour autrui ou pour eux-mêmes.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste -EELV.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à apporter une réponse à un problème bien réel : celui de l’usage de l’alcool comme une drogue par de jeunes adultes, voire de très jeunes adolescents.

À mon sens, le problème est peut-être plus important, quantitativement, que ce qui a été dit. Par exemple, dans ma commune de 2 500 habitants, nous rencontrons de manière récurrente des difficultés avec de petits groupes de jeunes adultes ou d’adolescents se réunissant pour « se défoncer ».

Dans cette perspective, l’ivresse n’est plus une conséquence, d’abord agréable, puis désagréable et, à terme, calamiteuse, de la consommation d’alcool ; elle est le but visé. D’ailleurs, plus que d’ivresse, il faudrait parler de coma éthylique, ce qui est encore autre chose.

Voilà une quarantaine d’années, pour distinguer l’usage solitaire de la drogue de l’usage festif de l’alcool, Claude Olievenstein, le créateur du centre Marmottan, spécialisé dans le traitement des addictions à la drogue, déclarait n’avoir jamais rencontré de drogué qui lève sa seringue à la santé de quelqu’un. §La situation a bien changé : l’objectif est désormais de « se défoncer » – c’est le mot – en un minimum de temps.

Le problème est donc bien réel, et tous les membres de la commission des lois ont reconnu que les auteurs de la proposition de loi avaient eu raison de l’aborder.

Cependant, la solution proposée, à savoir élaborer une loi, est-elle la bonne ? Probablement pas, d’autant que, comme l’ont d’ailleurs rappelé M. Vial et M. le rapporteur, l’arsenal législatif existant est largement suffisant.

En l’état, si les dispositions du texte pourraient constituer une réponse dans certains cas, leur portée resterait limitée. Pis, elles pourraient même se révéler contre-productives, en laissant croire, à tort, que le problème serait désormais réglé.

En effet, le texte vise seulement les rassemblements festifs d’étudiants ou de jeunes adultes en situation d’apprentissage, alors que le problème est beaucoup plus large, comme je l’ai indiqué.

En outre, les rassemblements ne sont pas seuls en cause : la consommation excessive d’alcool peut être le fait de petits groupes, voire d’individus isolés.

Enfin, les rassemblements ont de moins en moins souvent des organisateurs identifiés. Ceux que l’on pourra repérer par le biais des réseaux sociaux ne sont pas forcément les premiers responsables de la tenue du rassemblement.

Certes, le recours à la procédure déclaratoire a pu donner des résultats s’agissant d’énormes manifestations exigeant l’installation d’un matériel important : je pense aux rave parties ou aux rassemblements de musique techno, auxquels la plupart des maires ont été confrontés. Cependant, le binge drinking ne nécessite pas un tel déploiement logistique : il suffit de venir avec ses bouteilles !

Au demeurant, l’essentiel n’est pas là. Plus fondamentalement, la solution législative ici proposée en reste, me semble-t-il, à la surface des choses. Or le problème de société qui nous occupe est trop profond pour qu’une loi puisse le résoudre.

J’évoquais à l’instant la figure de Claude Olievenstein, pionnier en France de la prise en charge spécifique des addictions à la drogue. La célébration cette année du quarantième anniversaire du centre Marmottan a donné lieu à un certain nombre de colloques, dont j’ai retenu l’analyse suivante :

« Peut-être avons-nous un temps été trop “intoxiqués” par l’alcool, l’héroïne, la cocaïne, et avons-nous contribué à l’érection du “mythe de la drogue”. Bouc-émissaire, celle-ci a peut-être été l’arbre qui cachait la forêt des addictions…

« L’histoire montre certes que les addictions ne sont pas une simple “niche écologique” provisoire et amenée à disparaître rapidement. Mais la production des addictions peut aujourd’hui apparaître comme le résultat des logiques d’une société “d’hyperconsommation” dans laquelle tout tend à faire croire que le bonheur se résume à la possession d’objets de consommation. »

Tout est dit, mais rien n’est réglé. C’est pourquoi il me paraît sage de voter la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission, d’autant que, en l’occurrence, l’adoption de cette motion de procédure ne sera pas synonyme d’enterrement de première classe.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat. En effet, une volonté unanime de faire émerger l’esquisse d’une solution de fond s’est exprimée. J’espère que nous aurons les moyens de mener une réflexion approfondie en vue de formuler des propositions susceptibles d’aboutir à des résultats tangibles.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste -EELV.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier M. Vial d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi, qui s’attaque à un véritable problème, ce qui m’a conduit à la cosigner.

Les soirées étudiantes, qui sont souvent largement alcoolisées, posent de très grosses difficultés, en termes non seulement de sécurité publique, mais aussi de santé publique.

Du point de vue de la sécurité publique, lorsque de telles soirées se déroulent à l’extérieur des établissements d’enseignement supérieur, des débordements susceptibles de nuire à la tranquillité de nos concitoyens peuvent survenir.

Mais l’usage immodéré de l’alcool, voire de substances illicites, peut aussi être à l’origine de très graves accidents de la route, parfois mortels, par défaut de maîtrise du véhicule sur le trajet du retour vers le domicile, après la soirée.

Du point de vue de la santé publique, on constate une augmentation très inquiétante de la consommation d’alcool chez les jeunes étudiants. Cette dérive touche aussi bien les filles que les garçons.

Or, force est de le reconnaître, si les pouvoirs publics ont consacré au cours des précédentes décennies un effort tout particulier à la lutte contre le tabagisme, dont les résultats sont d’ailleurs très inégaux, le même volontarisme ne s’est pas manifesté en matière de lutte contre l’alcoolisation.

En tant que médecin généraliste installé à la campagne, je suis bien placé pour connaître les méfaits à long terme de la consommation excessive d’alcool pour la santé de nos concitoyens et, au-delà, le coût que celle-ci représente pour notre système de santé.

Il est donc grand temps d’encadrer plus efficacement la vente, la distribution et la consommation d’alcool au cours des soirées étudiantes, qu’elles se déroulent à l’extérieur ou à l’intérieur des établissements.

En effet, comme me l’ont signalé plusieurs présidents ou doyens d’université, ce problème se pose avec d’autant plus d’acuité lorsque les soirées étudiantes sont organisées au sein des locaux universitaires. La responsabilité des doyens et de leurs collaborateurs peut rapidement être mise en cause en cas d’accident. Il en va d’ailleurs de même en matière de sécurité et de tranquillité publiques : les chefs d’établissement sont souvent démunis pour lutter efficacement contre les débordements auxquels peuvent donner lieu les soirées étudiantes.

Il existe désormais, dans notre pays, un véritable « rite initiatique », se déroulant au cours des soirées en question. Les dispositions législatives de lutte contre le bizutage votées et mises en œuvre à la fin des années quatre-vingt-dix ne s’appliquent pas à cette dérive progressive.

Actuellement, il est très fréquent que des soirées dites « étudiantes » soient sponsorisées par les grandes marques et les réseaux de distribution d’alcool, comme elles l’étaient par les fabricants de cigarettes avant l’entrée en vigueur des lois relatives à l’interdiction de la consommation de tabac dans les lieux publics : les producteurs de cigarettes trouvaient dans ces manifestations le terreau idéal pour prospecter leurs futurs clients. Aujourd'hui, les alcooliers ont adopté la même démarche, à quelques nuances près, en direction des jeunes générations.

En revanche, d’un point de vue médical, la démonstration est apportée chaque jour qu’il est beaucoup plus facile de traiter une addiction au tabac qu’une addiction à l’alcool.

J’ose espérer que notre débat d’aujourd'hui, à défaut de déboucher immédiatement sur une nouvelle loi, permettra d’ouvrir une réflexion approfondie sur la meilleure manière de combattre et de prévenir ce véritable fléau que constitue la consommation d’alcool, notamment en milieu étudiant, en vue de définir et de mettre en place des solutions concrètes dans les meilleurs délais.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi du texte à la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Je suis saisi par M. Reichardt, au nom de la commission, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, la proposition de loi relative à la prévention et l’accompagnement pour l’organisation des soirées en lien avec le déroulement des études (421, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Le dépôt de cette motion, que je présente au nom de la commission des lois, me semble suffisamment motivé par le contenu de mon rapport et des interventions des orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je voudrais tout d’abord, au nom de la commission, remercier de son initiative notre collègue Jean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi. Tous les orateurs de la discussion générale, ainsi que M. le ministre, ont reconnu qu’elle soulevait un véritable problème.

Je salue également l’important travail accompli par M. Reichardt sur ce sujet difficile.

La commission des lois a décidé à l’unanimité – cela mérite d’être souligné – de proposer le renvoi du texte à la commission. Le dépôt d’une telle motion de procédure ne relève en aucun cas d’une tactique dilatoire : il ne s’agit nullement, dans notre esprit, d’éluder le grave problème que représente la multiplication de faits ayant des conséquences désastreuses, parfois dramatiques, en termes de santé publique.

Il convient d’examiner les causes de cette situation et d’envisager les remèdes qui peuvent y être apportés. À cet égard, je me permets de souligner que nous n’avancerons pas si nous ne prenons pas en compte la responsabilité de chacun des acteurs : organisateurs, chefs d’établissement dans la mesure où ils auront été prévenus de la tenue d’une manifestation dans l’enceinte de celui-ci…

Cette motion tendant au renvoi à la commission n’a donc pas pour objet de dessaisir le Sénat d’un sujet tout à fait important. En effet, si elle est adoptée, nous proposerons à nos collègues de la commission des affaires sociales de constituer un groupe de travail commun dont la tâche sera d’élaborer, dans les deux ou trois mois à venir, un certain nombre de propositions concrètes, qui ne seront pas forcément de nature législative. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, il serait précieux que ce travail puisse être mené en concertation avec le Gouvernement.

En résumé, nous ne vous proposons pas, mes chers collègues, de vous dessaisir : nous nous engageons au contraire à approfondir la réflexion, en vue d’aboutir à une panoplie de réponses concrètes à un problème complexe, grave et préoccupant.

Debut de section - Permalien
Laurent Wauquiez, ministre

Ayant souvent eu l’occasion d’apprécier la qualité des débats au Sénat, je ne suis pas surpris de la haute tenue de celui qui nous réunit aujourd’hui : dans un esprit d’ouverture et de respect des opinions de chacun, il nous a permis de progresser notablement. Je voudrais à mon tour remercier M. Vial de son initiative, et saluer le travail de M. le rapporteur.

Je suis tout à fait déterminé à œuvrer sur ce sujet d’intérêt général. Nous ne devons pas nous relâcher, car toute baisse de vigilance entraîne une résurgence des dérives.

Par ailleurs, je suis bien entendu parfaitement disposé à mener une réflexion commune avec le groupe de travail sénatorial sur les pistes d’amélioration possibles. Le renvoi du présent texte à la commission ne doit surtout pas être synonyme d’enterrement du problème soulevé. Je le dis clairement : le Gouvernement a besoin que la représentation nationale se mobilise sur cette question.

Enfin, ne nous faisons pas d’illusions : pour des raisons juridiques que j’ai rappelées, le passage par la loi est nécessaire pour un certain nombre de mesures.

En tout état de cause, j’ai totalement confiance en la sagesse de la Haute Assemblée. Dans l’immédiat, je suis résolu à utiliser d’ores et déjà tous les outils réglementaires à ma disposition pour lutter contre les dérives que vous avez dénoncées.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UCR. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

La motion est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures, pour les questions cribles thématiques sur la désindustrialisation.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la désindustrialisation.

L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddeï.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été placés à la vue de tous.

La parole est à M. Martial Bourquin.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’annonce de milliers de suppressions d’emplois chez PSA – 6 000 en Europe, dont plus de 4 000 sur le sol français ! – intervient dans un contexte déjà difficile. Vous le savez, 4 700 000 personnes sont déjà inscrites à Pôle emploi.

Des problèmes analogues se posent dans le raffinage, autour de l’étang de Berre, à Dunkerque, ainsi que dans de nombreuses PME et TPE. À l’évidence, notre pays est entré dans une nouvelle étape de la désindustrialisation.

En dépit d’une relance de la production manufacturière au premier trimestre de 2011, les chiffres sont en stagnation, voire en baisse en cette fin d’année.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Monsieur le ministre, que faites-vous devant ces suppressions d’emplois ? Vous misez essentiellement sur de grands groupes multinationaux, oubliant des milliers de PME et de TPE. Inévitablement, notre pays connaît une baisse de son activité industrielle !

Or cette baisse de l’activité industrielle n’est pas une fatalité. Voyez l’Allemagne, qui affiche une santé insolente !

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Notre pays n’a pas de politique industrielle. Certes, des déclarations sont faites, mais, à notre grand regret, aucun acte suffisamment fort ne vient soutenir notre industrie, nos industriels, nos salariés, qui ont besoin d’une politique industrielle et d’un Gouvernement qui s’investisse en ce sens.

Monsieur le ministre, quelles sont vos réponses ?

Dans le bassin d’emplois de Sochaux-Montbéliard, qui fait partie de ma circonscription, et où se trouve une usine Peugeot, l’annonce, il y a plusieurs semaines, de la suppression de milliers d’emplois chez ce constructeur automobile a créé un émoi considérable.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique

Monsieur le sénateur, vos questions mériteraient bien plus qu’une réponse de deux minutes. Je ne peux que me contenter de vous dire une nouvelle fois combien nous sommes attachés à mettre en œuvre les vingt-trois mesures annoncées lors des états généraux de l’industrie.

Ainsi, nous avons créé la conférence nationale de l’industrie, qui a permis d’associer pour la première fois l’ensemble des partenaires sociaux, des industriels à l’élaboration de la politique industrielle.

Nous avons également mis en place la première semaine de l’industrie afin d’associer les plus jeunes et de promouvoir le « fabriqué en France ».

Nous avons nommé un ambassadeur de l’industrie, Yvon Jacob, qui travaille notamment sur une question cruciale pour l’avenir de notre industrie : la réciprocité dans les échanges internationaux.

Nous nous efforçons, avec le ministre de l’économie, François Baroin, de revaloriser le rôle de l’État actionnaire. Nous avons d’ailleurs reçu les dirigeants des grandes entreprises publiques pour leur assigner un certain nombre d’objectifs.

Par ailleurs, nous développons l’emploi et les compétences dans les territoires.

Le dispositif de soutien à la réindustrialisation de 200 millions d'euros pour les ETI, les entreprises de taille intermédiaire, et les PME, dont vous avez fait état à l’instant dans vos préoccupations, est opérationnel depuis juillet 2010. Des investissements pour un montant de 350 millions d'euros ont été encouragés, et 1 500 emplois ont été créés.

Nous consolidons les filières industrielles françaises, notamment grâce au très important travail de médiation de la sous-traitance mené par Jean-Claude Volot.

Nous avons créé douze comités stratégiques de filières, qui travaillent bien.

Je pourrais vous citer aussi la façon dont nous dopons la compétitivité et l’innovation de nos entreprises avec France Brevets, avec la pérennisation du remboursement immédiat du crédit d’impôt recherche, avec la suppression de la taxe professionnelle, qui est très appréciée par nos industriels, vous le savez.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique

Il nous reste une étape importante à réaliser : mieux orienter l’épargne des Français vers l’industrie. Nous allons transformer le livret de développement durable en « livret de développement industriel durable ».

J’aurai sans doute l’occasion, au cours de cette séance, d’approfondir un certain nombre des thèmes que je viens de citer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Martial Bourquin, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Monsieur le ministre, tant la taxe professionnelle que l’impôt sur les sociétés diffèrent considérablement selon que l’on est un artisan, une PME ou une multinationale.

Les nombreux cadeaux fiscaux ont été accordés sans aucune contrepartie. Or notre pays a besoin d’un patriotisme industriel. Il n’en a pas !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Nous devons développer l’aide à l’industrie, mais, qu’il s’agisse du crédit d’impôt recherche, de l’impôt sur les sociétés, ce soutien doit favoriser les investissements sur le territoire national. Sans contreparties, les grands groupes prendront l’argent, iront sur les marchés émergents et oublieront le sol national. Réagissons : nous avons besoin d’une vraie politique industrielle ; nous n’en avons plus !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie sidérurgique est en cours de démantèlement en France et dans le reste de l’Europe.

Le groupe ArcelorMittal accélère les délocalisations de production d’acier vers des pays où les réglementations environnementales et sociales lui permettent d’accroître encore ses bénéfices. Le résultat, ce sont neuf hauts fourneaux européens à l’arrêt en 2011, alors que le groupe a dégagé un profit net de 3, 5 milliards d’euros durant les neuf premiers mois de l’année 2011 et qu’il a promis 1 milliard de plus en 2012 à ses actionnaires.

Après Gandrange et Liège, le groupe continue la casse de l’outil industriel ici, abandonnant des parts de marché, qu’il récupère en Inde ou ailleurs, et laissant ainsi des milliers de salariés sans emploi.

À l’annonce de l’arrêt du haut fourneau de Florange, des centaines de travailleurs ont été plongés dans l’angoisse : 405 intérimaires et 350 cotraitants remerciés, 600 salariés au chômage technique, 160 fournisseurs et sous-traitants menacés.

La direction d’ArcelorMittal a annoncé la prolongation jusqu’au premier trimestre de 2012 de la fermeture des hauts fourneaux P3 et P6 de Florange et l’arrêt temporaire sur les laminoirs à froid de la ligne d’étamage 2 de la filière packaging sur les aciers d’emballages. Aucune visibilité ! Aucune date de reprise ! Ce sont 45 salariés de plus mis au chômage partiel.

La filière liquide et le packaging sur les aciers d’emballages en Lorraine sont plus que compromis.

Il y a urgence à mettre en œuvre une vraie politique industrielle. Les délocalisations dans la sidérurgie accéléreront les délocalisations dans la métallurgie et dans d’autres secteurs d’activité.

Aujourd’hui, certains se raccrochent au projet ULCOS de captage et de stockage du CO2. N’est-ce pas d’abord un projet destiné à augmenter la productivité – on parle de 30 % – de la filière acier au bénéfice d’ArcelorMittal avec l’argent public ? À quel prix ? Et pensez-vous que l’Europe est prête à investir dans un outil qui fonctionnerait six mois dans l’année ?

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous garantir la remise en marche et la modernisation des hauts fourneaux P3 et P6 ainsi que le maintien de l’activité sidérurgique en Lorraine ? §

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Madame la sénatrice, la sidérurgie reste un secteur important en France puisqu’elle emploie actuellement 50 000 personnes environ. Nous nous battons pour qu’elle conserve ses positions.

Concernant le site de Florange, ArcelorMittal a annoncé un arrêt temporaire de son haut fourneau ; je ne peux que vous dire ce qu’est l’engagement d’ArcelorMittal, à savoir qu’il n’y aurait pas de fermeture à terme de ce haut fourneau. C’est d’ailleurs dans ce cadre que le groupe s’est engagé à investir plus de 50 millions d'euros en maintenance. On ne maintient pas un site qu’on a l’intention de fermer.

Nous nous battons aussi pour que le projet ULCOS de captage et de stockage du CO2, qui ferait du site de Florange l’un des plus compétitifs en Europe, se réalise.

Vous avez évoqué un certain nombre de pistes. Nous avons réservé une enveloppe de 150 millions d'euros aux investissements d’avenir. J’ai signé, il y a une quinzaine de jours, le permis exclusif de recherches nécessaire pour ce projet. Je suis allé à Bruxelles, le 8 novembre dernier, plaider ce projet auprès des trois commissaires européens concernés, afin que les financements européens – 250 millions d'euros – puissent être accordés.

S’agissant de Gandrange, je vous ai trouvée un peu injuste. Sachez que, sur les 571 suppressions de postes qui ont eu lieu, 99 % des salariés ont été reclassés et ont retrouvé un emploi. La promesse du Président de la République a donc été respectée.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

ArcelorMittal a par ailleurs signé avec l’État une convention d’ancrage territorial très exigeante, qui a conduit à la réalisation de 30 millions d'euros d’investissements additionnels : laminoirs et ateliers de coupe, centre technique de formation des apprentis, fonds lorrain des matériaux. En outre, ArcelorMittal finance une convention classique de revitalisation à hauteur de 3 millions d'euros afin d’aider à la création de projets locaux.

Je le répète, les engagements demandés par le Président de la République ont été tenus : tous les salariés ont été reclassés et ArcelorMittal consacre des moyens importants à la revitalisation du site.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le ministre, je doute que cette réponse soit à la hauteur des enjeux.

Le déclin de l’industrie française est fort et marqué : 600 000 emplois ont disparu dans le secteur ces dix dernières années, fruits amers des gains de productivité arrachés au travail et au développement du « précariat », notamment sous la forme du travail intérimaire.

La recherche de la rentabilité financière de court terme trouve toute application : ici, délocalisation – ma collègue Évelyne Didier l’a rappelé et je le constate sur le site Sevelnord, dans mon département du Nord – ; là, liquidation de la recherche-développement ; ailleurs, absence d’investissements productifs ; partout, réduction progressive de l’emploi comme des capacités de production.

Cette course au profit met en cause l’industrie comme élément durable et fondateur de notre économie.

Aujourd’hui, 16 % du PIB français dépendent de l’industrie, contre 30 % en Allemagne. Il est temps d’arrêter ce déclin, en s’appuyant non pas sur le Fonds stratégique d’investissement, qui n’a rien réglé, mais sur nos atouts, nos plus grandes entreprises, les compétences et qualités de leurs salariés – techniciens, cadres comme ouvriers.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux qui, comme moi, parcourent la France depuis quarante ans sont en mesure d’apprécier le véritable saccage de son industrie.

Dans des régions comme la Picardie, où autrefois les usines fumaient, il n’y a plus que des friches industrielles.

La Lorraine comptait 80 000 employés dans la sidérurgie, contre 4 000 aujourd'hui. Désormais, 90 000 Lorrains travaillent à l’étranger, notamment dans les banques luxembourgeoises.

M. Bourquin vient d’évoquer les 4 000 emplois, en particulier dans le secteur de la recherche-développement, qui vont être supprimés chez Peugeot, notamment sur le site de Sochaux-Belchamp.

Monsieur le ministre, la surévaluation de l’euro, que le rapport sur la réindustrialisation de nos territoires n’aborde qu’en page 182, joue selon moi un rôle tout à fait essentiel dans la désindustrialisation de la France. Or le rôle du change dans le commerce international a toujours été caché par les tenants de la monnaie forte.

L’euro, dont le cours de lancement était à 1, 16 dollar au 1er janvier 1999, cours qu’il a retrouvé en 2003, n’a cessé d’être surévalué, dans une proportion de 20 % à 50 %. Ainsi, il s’échangeait contre 1, 40 dollar en 2004, 1, 60 dollar en 2008 et 1, 50 en 2009. Malgré la crise qui le frappe depuis 2010, son cours reste aujourd’hui à 1, 37 dollar, c’est-à-dire à plus de 20 % au-dessus de son cours de lancement.

La part de l’industrie française dans la valeur ajoutée, tombée à près de 30 % au début des années quatre-vingt, s’établit aujourd'hui à 16 %, contre 22 % il y a six ans.

Selon les statistiques fournies par M. Estrosi, l’industrie ne représente plus que 13 % de l’emploi total, soit 3, 3 millions de personnes, contre 5, 5 millions au début des années quatre-vingt.

Nos parts de marché à l’exportation ont régressé. Elles représentaient 8 % au début des années quatre-vingt, contre 3, 8 % aujourd'hui.

Au début de son mandat, le Président Sarkozy évoquait en termes forts le handicap que constituait pour l’industrie française un euro trop cher. Ce thème a toutefois disparu de son discours. L’alignement sur l’Allemagne est devenu le leitmotiv de ses interventions.

Une monnaie est faite pour un pays ! Vouloir étendre un « mark bis » – l’euro – au reste de l’Europe était une erreur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Monsieur le ministre, comment expliquez-vous que la monnaie branlante qu’est l’euro reste surévaluée ?

En tant que ministre de l’industrie, quelles initiatives avez-vous prises pour rendre notre monnaie moins chère ?

Marques d’impatience sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

M. Trichet s’est toujours retranché derrière les missions données à la Banque centrale européenne pour ne rien faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Quelle démarche le Gouvernement français a-t-il effectuée pour obtenir que la révision du traité de Lisbonne porte aussi sur le rôle de la BCE, afin de rendre le change plus compétitif ? Êtes-vous conscient de la nécessité d’une monnaie moins chère pour réindustrialiser la France ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, c’est vrai, l’industrie française a vu depuis trente ans son poids reculer, dans l’emploi comme dans la valeur ajoutée. Pour autant, ne cédons pas au « déclinisme » ambiant. Cela vaut en particulier pour vous au regard de votre parcours.

Notre industrie représente encore 3 700 000 emplois directs et indirects. En termes d’exportations, elle occupe toujours le deuxième rang en Europe et le cinquième rang dans le monde.

En vingt-cinq ans, notre industrie a multiplié par trois sa production et par 4, 5 ses exportations.

Pour la première fois depuis un quart de siècle, même si les chiffres ne sont pas grandioses, l’emploi industriel s’est stabilisé en France.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Autre point, que l’on évoque rarement : cette année, nous avons dénombré plus de 360 créations ou extensions d’usines sur nos territoires, soit une par jour.

Par ailleurs, vous avez raison, la France connaît des problèmes de compétitivité. On pourrait débattre de la part relative des différents facteurs ; il y a eu de nombreux rapports sur le sujet. Je ne suis pas sûr toutefois que l’on puisse tout imputer à l’euro, en affirmant que l’euro est surévalué ou que d’autres monnaies sont sous-évaluées.

Tout d’abord, depuis 2008, l’euro s’est déprécié de 18 % par rapport au dollar.

Ensuite, vous le constatez comme moi, le cours de l’euro n’empêche pas certains de nos industriels de battre des records commerciaux : par exemple, Airbus n’a jamais autant vendu qu’en 2011 et aura plus de 4 000 avions à livrer dans les prochaines années.

Pour autant, le niveau de l’euro reste une préoccupation du Gouvernement et, au premier chef, du Président de la République. En témoigne l’action du Président, dans le cadre du G20, pour résorber les déséquilibres monétaires mondiaux. Malheureusement, je n’ai pas le temps de vous décrire les initiatives qui ont été prises en ce sens.

Monsieur Chevènement, vous avez raison, il faut protéger notre industrie de toute guerre des changes. C’est ce que nous faisons, mais nous devons mener dans le même temps une politique industrielle ambitieuse dont je n’ai eu le temps précédemment que de décrire les têtes de chapitre.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique.

Je rappelle que vous disposez d’une minute, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Monsieur le ministre, ne vous leurrez pas ! Le déclin est malheureusement une réalité. Mais vous ne faites rien pour lutter contre ce déclin !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Je vous l’accorde, le choix d’une monnaie forte est ancien, mais les choses s’accélèrent !

La France compterait encore 3 700 000 emplois industriels, directs et indirects. Il faut toutefois mettre les choses en perspective : au début des années quatre-vingt, le nombre de ces emplois était de l’ordre de 8 à 9 millions !

M. Patrick Artus vient de cosigner un livre intitulé La France sans ses usines. Une « entreprise sans usine », c’est justement ce que souhaitait faire d’Alcatel son patron, M. Tchuruk. Nous y sommes désormais ! Mais la France sans usine, c’est la fin de la France.

Monsieur le ministre, je souhaite que vous soyez conscients, vous, M. Sarkozy et d’autres encore, que, dans la période troublée qui s’annonce avec la crise de la monnaie unique, la recherche d’une monnaie moins chère doit demeurer notre cap. Sinon, c’en sera fini de la France !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Monsieur le ministre, en un peu plus de vingt ans, la part industrielle française dans le PIB national est passée de plus de 30 % à un peu moins de 15 %. II y a d’autant moins de fatalité à cette régression que notre pays dispose de grands groupes industriels, leaders mondiaux dans leur domaine, et d’un tissu de PMI-PME dont les savoir-faire ne demandent qu’à être mobilisés, à travers des filières à forte composante technologique.

Permettez-moi d’évoquer le domaine des énergies renouvelables, en particulier de l’énergie solaire, dont la région Rhône-Alpes, que vous connaissez bien, constitue un territoire d’excellence.

Si Photowatt vient de franchir une nouvelle étape difficile dans un contexte international perturbé, la filière démontre sa capacité à être un acteur de niveau mondial ; je pense à Soitec dans le solaire par concentration, à la vente récente d’une première usine clés en main par un consortium français au détriment de ses compétiteurs allemand et japonais ou encore au succès international de la société Fonroche à Agen.

Les partenariats conduits par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et l’Institut national de l’énergie solaire avec plus de deux cents industriels, dont plus de cent PMI-PME, démontrent cette capacité de la filière française.

Lors de son déplacement en Savoie sur le thème du développement des énergies renouvelables, le 9 juin 2009, le Président de la République rappelait l’importance de l’énergie, son soutien à l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables et son engagement en vertu duquel, lorsque l’on dépensera « un euro pour le nucléaire, on dépensera un euro pour les énergies propres ».

Or, dans son dernier rapport, auquel a contribué le laboratoire américain de référence NREL, le réseau REN21 a rappelé que les cinq premiers investisseurs dans le domaine des énergies renouvelables étaient la Chine, l’Allemagne, les États-Unis, l’Italie et le Brésil, loin devant la France.

Monsieur le ministre, j’ai deux questions à vous poser.

La première concerne le marché national, qui, bien que limité dans son volume à la suite du moratoire, mérite de pouvoir bénéficier aux produits et équipements les plus respectueux de l’environnement en matière d’émissions de gaz à effets de serre, ce qui est le cas des produits fabriqués en France.

Ne peut-on instaurer une norme environnementale qui permettrait de procéder à une sélection objective en fonction de la qualité et des garanties des matériels et équipements vendus ?

La seconde question concerne le soutien à la filière industrielle française, qu’il s’agisse du solaire thermique, du solaire photovoltaïque ou du solaire par concentration.

Quels sont les moyens prévus dans le cadre du plan de relance du grand emprunt que le Gouvernement entend mobiliser au profit de cette filière, dans le prolongement des engagements du Président de la République ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, nous avons souhaité rénover le dispositif de soutien au solaire photovoltaïque afin de le rendre économiquement soutenable et de permettre l’émergence d’une véritable industrie nationale du solaire.

Vous proposez d’allier critères de performance et sélection de nos industriels. C’est ce que nous faisons, en respectant bien évidemment les règles européennes et internationales.

Ainsi, dans l’appel d’offres en cours concernant des installations de production d’électricité à partir de l’énergie solaire de puissance supérieure à 250 kilowatts, le critère « impacts environnementaux et évaluation des risques industriels » représente, en fonction du lot considéré, de 13 % à 20 % de la notation des projets.

Vous le savez, nous avons également soutenu et mis en place en juillet dernier un label dit « alliance qualité photovoltaïque », dont l’objectif est précisément de promouvoir et de faire reconnaître les solutions technologiques françaises.

Quant aux filières d’avenir du photovoltaïque, elles constituent effectivement le segment où peuvent émerger les industriels français performants. Nous soutenons d’ores et déjà ces filières d’avenir en leur offrant la possibilité de développer industriellement des projets concrets.

L’appel d’offres pour les installations de plus de 250 kilowatts comprend d’ores et déjà quatre lots dédiés à des technologies innovantes, pour un total de 237, 5 mégawatts.

Nous développons la recherche sur ces technologies grâce au grand emprunt. Vous savez que deux appels à manifestations d’intérêt ont été lancés ; nous en annoncerons les résultats dans les semaines à venir. Le premier appel à projets de création des instituts d’excellence en matière d’énergies décarbonées est en phase finale d’instruction, mais d’autres candidats sont pressentis pour répondre au second appel d’offres ouvert en ce moment.

Enfin, vous le savez, nous accompagnons nos entreprises à l’export. Ainsi, un appel à projets pour soutenir le développement à l'export des entreprises françaises de la filière solaire vient d’être lancé, portant sur l’attribution d’une enveloppe de 100 millions d’euros, et j’ai personnellement conduit à l’étranger des délégations de chefs d’entreprise du photovoltaïque pour faciliter leurs démarches.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Jean-Pierre Vial, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Monsieur le ministre, je connais votre engagement. Je me permets malgré tout de souligner la nécessité que le Gouvernement fasse tout pour que la qualité environnementale des produits soit vraiment considérée comme une exigence. Il s’agit non pas de créer un privilège pour les entreprises françaises, mais d’apporter le soutien qu’elles méritent à celles ayant un avantage compétitif.

La France a sa place à l’international, notamment dans le plan solaire méditerranéen. À cet égard, sachez que je vous remercie de votre accompagnement.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Namy

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie française a perdu 2 millions d’emplois depuis trente ans ; son poids dans le PIB est, sur la même période, passé de 25 % à un 15 %.

Le déclin de l’emploi industriel, dû en grande partie aux gains de productivité et à la concurrence internationale, n’est d’ailleurs pas propre à la France ; il touche la plupart des économies occidentales.

Malgré les mutations industrielles en direction des industries de hautes technologies, la France a encore du mal à implanter ou à réimplanter des industries nouvelles dans des territoires aujourd’hui dévitalisés.

Aux côtés de la hausse du chômage, nos friches industrielles constituent ainsi les stigmates de la désindustrialisation en France.

Aussi, ces milliers de friches commencent enfin à être valorisées, sous forme de logements ou d’établissements publics ou encore via la réimplantation d’activités industrielles – trop rares, hélas !

Je n’insisterai pas sur les questions d’urbanisme et de dépollution des sols, qui, bien que cruciales dans l’implantation d’activités et la reprise de sites désaffectés, n’intéressent pas directement votre ministère.

La rénovation des friches constitue un enjeu essentiel pour réimplanter des activités et les ancrer sur nos territoires, à condition que l’État soutienne ces initiatives.

Monsieur le ministre, votre ministère a, dans cette optique, déployé un plan de 200 millions d’euros, sur la période 2010-2013, pour accompagner des projets de réindustrialisation concourant à structurer l’environnement économique local.

Les délais de mise en place ont été longs, et les premiers résultats partiels me permettent de penser que ce plan ne répond pas de manière satisfaisante aux espérances des collectivités. Il me semble donc utile que vous nous présentiez le bilan à mi-parcours de ce dispositif, en termes d’emplois et d’investissements ainsi que les correctifs que vous comptez le cas échéant lui apporter.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, l’aide à la réindustrialisation, l’ARI, est l’une des mesures phares des états généraux de l’industrie. Dotée de 200 millions d’euros sur trois ans, cette aide s’adresse en priorité aux petites et moyennes entreprises ainsi qu’aux entreprises de taille intermédiaire, puisque seules sont éligibles les entreprises du secteur industriel de moins de 5 000 salariés.

L’ARI vise à favoriser leurs investissements productifs en France, puisqu’il faut réaliser au minimum 5 millions d’euros d’investissements et créer au moins 25 emplois en trois ans.

Ce dispositif est effectif depuis juillet 2010 et il connaît depuis une montée en puissance progressive : à ce stade, douze aides ont été attribuées, pour un total de 54 millions d’euros générant 235 millions d’euros d’investissement et plus de 1 000 emplois créés sur le territoire.

Sur la liste dont je dispose, et que je me propose de vous faire parvenir, figurent ainsi des activités très diverses : fonderies à Dreux, sous-traitance automobile en Haute-Savoie, industrie du papier en Ardèche, groupes agroalimentaires à Roanne, maroquinerie de luxe dans le Doubs, connectique pour les secteurs spatial et médical dans la Marne, produits photovoltaïques, éco-matériaux, et j’en passe.

Seront bientôt finalisés huit autres dossiers, à hauteur de 24 millions d’euros d’aide, ce qui permettra de dégager 120 millions d’euros d’investissement supplémentaire et de créer plus de 500 emplois.

L’objectif initial était d’accompagner une quarantaine de projets, en vue de permettre 400 millions d’euros d’investissement et de créer 2 000 emplois sur trois ans.

Vous m’avez demandé, monsieur le sénateur, de faire en quelque sorte un « arrêt sur image ». Je suis en mesure de vous dire que, à mi-parcours, nous avons déjà soutenu 20 projets, favorisé plus de 350 millions d’euros d’investissement et créé 1 500 emplois dans des bassins industriels qui en avaient grand besoin. Comme vous l’avez suggéré, on peut toujours améliorer le dispositif, mais nous pouvons d’ores et déjà nous réjouir des résultats obtenus lors de cette première étape.

Nos objectifs seront probablement tous dépassés, ce qui témoigne du succès de ce dispositif.

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe socialiste-Eelv

Tout va bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Je tiens avant tout à exprimer notre solidarité avec les salariés de Peugeot SA. Je le fais d’autant plus volontiers que je suis l’élue d’un département, les Hautes-Pyrénées, qui a perdu 10 000 emplois en moins de dix ans. Je m’inspirerai d’ailleurs, pour illustrer mon propos, d’exemples concrets que je connais bien.

Après la fermeture d’un site tel que celui de GIAT, à Tarbes, qui comptait plus de 3 200 salariés, il ne reste qu’un seul défi à relever : la réindustrialisation du département. Pour gagner ce pari, nous avons choisi, d’une part, d’encourager la recherche et, d’autre part – c’est au ministre chargé de l’économie numérique que je m’adresse ! –, d’équiper ce territoire d’un réseau haut et très haut débit.

Pour encourager la recherche, les collectivités locales, en l’occurrence les départements et les régions, financent, par l’intermédiaire de fonds spéciaux, les travaux et thèses scientifiques, les laboratoires, et même les projets d’investissements. Dans les Hautes-Pyrénées, nous menons également cette démarche dans le cadre des pôles de compétitivité, qui constituent, selon nous, des espaces privilégiés.

Au demeurant, nous rencontrons des problèmes, dans la mesure où les sociétés gestionnaires, qui sont des entreprises de rentes – j’y insiste, même si c’est un lieu commun ! –, font des bénéfices, mais n’investissent pas. Les menaces d’OPA sont réelles. L’entreprise ESK, installée dans les Hautes-Pyrénées, a ainsi perdu l’an dernier 97 emplois, qui sont partis en Allemagne, en même temps que les brevets et le savoir-faire.

Monsieur le ministre, que faites-vous pour protéger ces entreprises ?

Par ailleurs, en l’absence d’équipement en haut et très haut débit, l’industrie n’a aucun avenir. Le conseil général achève donc le déploiement intégral de ce réseau sur le territoire. C’est également le cas dans d’autres départements, mais ils sont peu nombreux. Le coût de cet équipement, 29 millions d’euros, est lourd pour cette collectivité. Or celle-ci n’a pas reçu un seul euro de l’État pour la réalisation de ce projet ; c’est invraisemblable !

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Ce projet, qui a obtenu le prix de l’aménagement du territoire, n’a bénéficié d’aucun crédit au titre du grand emprunt, du Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, du Fonds européen agricole pour le développement rural ou encore, tout au moins pour le moment, du Fonds européen de développement régional !

Où sont passés, monsieur le ministre, les quelque 750 millions d’euros destinés à l’équipement des zones peu denses ? Des territoires seraient-ils abandonnés ? Je rappelle que 40 % à 60 % des industries de ce pays sont localisées en secteur rural ! Tous les efforts des collectivités seraient-ils vains ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Je ne pourrai vous répondre sur tous les sujets que vous avez évoqués, madame la sénatrice. Permettez-moi de citer un seul chiffre : plus de 6 milliards d’euros de financement public et privé ont été mobilisés depuis 2005 en faveur des pôles de compétitivité. C’est considérable !

L’équipement en haut et très haut débit, auquel vous avez consacré l’essentiel de votre propos, est effectivement un objectif majeur. Notre pays est dans le peloton de tête pour le très haut débit en Europe. Sachez d’ailleurs que deux de nos opérateurs majeurs, France Télécom-Orange et SFR, viennent de signer un accord très important, dont nous nous félicitons, par lequel ils s’engagent à couvrir 60 % de la population dans les dix ans.

Par ailleurs, dans les zones de carence de l’initiative privée, les collectivités locales contribuent au déploiement de ce réseau, et le Gouvernement a ouvert en juillet 2011 un premier guichet de 900 millions d’euros.

J’espère, madame la sénatrice, que trois projets interdépartementaux ou régionaux d’importance seront récompensés d’ici à la fin de l’année ; ils devraient être suivis d’une douzaine d’autres en 2012.

Il est vrai qu’il nous a fallu du temps pour mettre en œuvre ce dispositif, car nous étions contraints de respecter scrupuleusement la réglementation européenne.

Pour les zones très rurales ou très reculées, la solution ne passe par la fibre optique, mais par le satellite. Nous consacrons 40 millions d’euros à la recherche et développement, au titre des investissements d’avenir, afin d’améliorer cette offre satellitaire.

Enfin, la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique prévoit que les collectivités locales peuvent demander aux opérateurs des informations sur les réseaux déployés. Le décret d’application a été adopté une première fois par le Gouvernement en janvier 2009, mais cette version, qui convenait aux collectivités locales, a été annulée par le Conseil d’État.

Nous avons, depuis lors, modifié la base juridique par la loi du 22 mars 2011, qui a habilité le Gouvernement à transposer le « paquet télécom ». La nouvelle version du décret, plus solide sur un plan juridique, devrait désormais être rapidement publiée. Je vais donc saisir cette semaine l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et la commission consultative des communications électroniques.

Comme vous le voyez, nous avons la volonté de doter les collectivités territoriales des zones rurales de tous les outils nécessaires au déploiement de leur réseau. C’est d’ailleurs leur souhait, comme en témoigne votre intervention.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Votre réponse ne nous satisfait pas, monsieur le ministre, même si nous savons que le temps vous est compté. L’exercice auquel nous nous livrons trouve d’ailleurs là ses limites.

Nous venons d’évoquer la situation des collectivités locales, qui, souvent hors compétence, investissent financièrement dans le tissu industriel de leur territoire.

Comment se fait-il donc, alors même que vous évoquez sans cesse les comités stratégiques de filières et les états généraux de l’industrie, que ces collectivités ne soient jamais informées de la situation de l’industrie dans leurs territoires, et plus largement dans notre pays, autrement que par les réponses aux questions lapidaires que nous avons le droit de poser dans cet hémicycle tous les trois mois ? Pourquoi les élus de Haute-Garonne et de la région Midi-Pyrénées, par exemple, ne sont-ils pas informés de la situation de l’aéronautique ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe socialiste-Eelv

Bien envoyé !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Le 26 avril dernier, dans cet hémicycle, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, dont j’étais le rapporteur, formulait dix-sept propositions destinées à redynamiser le tissu industriel et à accompagner les PME et les ETI de notre pays.

Monsieur le ministre, six mois après ce débat, combien de ces propositions vos services ont-ils examinées, et combien ont-elles été appliquées ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Avant de répondre à M. Chatillon, je souhaite faire une remarque sur le déroulement de cette séance de questions cribles thématiques. Je respecte tout à fait le rôle du Parlement et les règles qui régissent les travaux du Sénat ; mais répondre en deux minutes à une question extrêmement large, et entendre ensuite une réplique portant sur trois autres sujets, sans que je puisse y répondre, c’est tout de même, vous en conviendrez, un exercice compliqué.

Monsieur Chatillon, j’avais souligné la cohérence de vos dix-sept propositions avec les actions d’ores et déjà menées par le Gouvernement depuis 2007 ; je pense à la politique conduite en matière d’innovation, de recherche et développement, au triplement du crédit d’impôt recherche depuis 2008 et à la mise en place des pôles de compétitivité. Par ailleurs, sur 35 milliards d’euros d’investissements d’avenir, près de 17 millions d’euros sont consacrés à l’innovation et à la recherche, notamment en matière industrielle.

Certaines de vos propositions ont été mises en œuvre depuis la publication de votre rapport. C’est le cas de celle relative à la sécurité et à la confidentialité des données stratégiques. Comme vous le savez, un texte législatif portant sur le « confidentiel entreprise » est actuellement en cours d’élaboration. C’est aussi le cas de la mesure portant création d’indications géographiques protégées, qui vise à mieux protéger nos savoir-faire locaux, par exemple, les couteaux de Laguiole ou la dentelle de Calais.

Nombre de vos propositions sont donc actuellement en cours d’application. Pour que toutes soient mises en œuvre, je vous invite officiellement, monsieur le sénateur, à venir les présenter lors d’une des prochaines séances plénières de la conférence nationale de l’industrie, qui regroupe tous les acteurs du monde de l’industrie, y compris les syndicalistes. Une telle rencontre permettra d’achever la concrétisation des préconisations contenues dans ce rapport de grande qualité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Alain Chatillon, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Monsieur le ministre, permettez à l’industriel que je suis depuis trente-huit ans de vous faire deux suggestions concrètes.

La première concerne la capacité d’exportation de nos entreprises. L’an dernier, notre balance commerciale était déficitaire de 50 milliards d’euros, tandis que celle de l’Allemagne était excédentaire de plus 200 milliards d’euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Nos entreprises ont donc véritablement besoin d’un accompagnement.

Il est en outre nécessaire, et ce sera ma seconde suggestion, d’organiser un Grenelle des banques, afin d’inciter celles-ci à se rapprocher des entreprises, en particulier des PME.

Supprimer les numéros de téléphone des banques qui commencent « 800 », ce serait déjà une performance. En zone rurale, on ne trouve plus de banquiers !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

En tant que maire et président d’un pôle de compétitivité, je suis dans l’incapacité d’accompagner les entreprises de mon territoire, car il faut de trois à six mois pour qu’un banquier daigne répondre à une demande de crédit de trésorerie.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Autant dire que lorsque l’industriel obtient la réponse, le problème est réglé : le marché est déjà passé...

Je vous demande donc, monsieur le ministre, de faire un geste fort et crédible en direction des banques et en faveur de l’aide à l’exportation.

Applaudissement sur de nombreuses travées

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Je tiens à dire, en préambule, que la question de Jean-Pierre Chevènement ne doit pas être jetée aux oubliettes. Comme je l’avais indiqué lors du débat sur la réindustrialisation, l’euro fort représente une réelle difficulté pour les entreprises européennes, et nous devons y prêter attention.

S’agissant de la Lorraine, région fortement touchée par les restructurations, je ne partage pas l’avis de notre camarade Évelyne Didier sur l’action menée par le Gouvernement au cours des dernières années.

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre engagement profond en faveur de la sidérurgie en Lorraine, qui s’est traduit par les mesures que vous avez énumérées précédemment. Je tiens à témoigner de l’efficacité de l’action gouvernementale, engagée lors des trois ou quatre dernières années afin de protéger l’industrie lorraine, et j’en parle en connaissance de cause !

Nous sommes encore vivants, notamment en Moselle, grâce à l’action forte du Gouvernement. Le matraquage systématique n’est pas une bonne politique !

Monsieur le ministre, je vous demande de vous engager auprès du groupe Total aussi fortement que vous l’avez fait auprès d’ArcelorMittal.

Nous devons trouver, avec les grands groupes chimiques européens, une solution aux problèmes des industries chimiques continentales, qui fabriquent nombre de produits nouveaux à partir de dérivés du pétrole.

On peut en effet craindre, à terme, une délocalisation massive de la chimie européenne si son approvisionnement, notamment en éthylène, n’est pas assuré. Ce problème se pose en Moselle, à l’usine Total de Carling. Si cette entreprise devait fermer, tout un pan de l’industrie lourde mosellane disparaîtrait.

Qu’en est-il, monsieur le ministre, des projets d’alimentation par gazoducs des entreprises chimiques continentales éloignées des côtes ?

Debut de section - Permalien
Éric Besson, ministre

Monsieur le sénateur, vous confirmez que je n’ai pas cherché à écarter d’un revers de main les questions de fond posées par Jean-Pierre Chevènement. J’ai précisé que tous nos problèmes de compétitivité ne pouvaient être attribués à l’euro. Par ailleurs, j’ai rappelé que, dans un certain nombre de secteurs et dans certaines circonstances, l’euro nous avait protégés : n’oublions pas les attaques contre le franc et les dévaluations successives qu’il nous a fallu opérer par le passé !

Je ne conteste pas qu’il faille procéder à un certain nombre d’ajustements. J’ai simplement souligné que le Président de la République s’y attelait en essayant de modifier les règles du jeu du système monétaire international.

Je vous remercie, monsieur le sénateur, de vos propos concernant la politique industrielle du Gouvernement. Je ne reviendrai pas sur les précisions que j’ai apportées à votre collègue et que vous avez bien voulu rappeler, au sujet de l’action que nous essayons de mener sur le site de Florange : nous nous mobilisons.

Vous me posez une question précise sur le projet de pipeline chimique entre la France et l’Allemagne. Vous savez mieux que quiconque qu’il vise à relier les réseaux français et allemands d’oléfine, afin de sécuriser l’approvisionnement de plusieurs sites chimiques en Lorraine et dans le Jura.

En juillet 2008, le Premier ministre a confié à François Loos, député du Bas-Rhin, la mission d’examiner les conditions d’un raccordement. Son rapport, remis le 10 décembre 2008, a conclu à l’intérêt d’une telle infrastructure. Une étude de faisabilité a ensuite été financée par les industriels. Elle a confirmé que le projet était réalisable, le coût d’investissement des deux canalisations d’éthylène et de propylène étant estimé à 156 millions d’euros.

Préalablement à la recherche d’un financement public, j’ai récemment écrit aux principaux chimistes concernés, afin qu’ils puissent me confirmer leur souhait de prendre part au projet. En effet, il est essentiel que les intéressés se prononcent sur la pertinence industrielle d’un tel raccordement et s’engagent à le soutenir. Il est également capital de s’assurer que le pipeline, qui est susceptible de concurrencer le dernier vapocraqueur de Carling, est bien compatible avec son maintien en activité.

Monsieur le sénateur, voilà l’exact état de la situation. Je suis très désireux d’avancer et je vous tiendrai bien évidemment informé des développements de ce projet.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Monsieur le ministre, je ne mets pas en doute votre engagement sur ce dossier. Toutefois, si cela est possible, j’invite le Gouvernement à exercer de fortes pressions sur le groupe Total, qui, à l’heure actuelle, ne semble pas très pressé de participer à ce projet européen de pipeline.

Par ailleurs, je vous demande – si vous le pouvez mais, à mes yeux, vous le devez ! – de prendre l’initiative de réunir à la fois les industriels européens et les gouvernements concernés, afin de renverser la vapeur ! Il en va de l’intérêt de nos industries plastiques dans l’Europe tout entière.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques consacrées aujourd’hui à la désindustrialisation.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.