Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 15 novembre 2011 à 14h30
Soirées étudiantes — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à apporter une réponse à un problème bien réel : celui de l’usage de l’alcool comme une drogue par de jeunes adultes, voire de très jeunes adolescents.

À mon sens, le problème est peut-être plus important, quantitativement, que ce qui a été dit. Par exemple, dans ma commune de 2 500 habitants, nous rencontrons de manière récurrente des difficultés avec de petits groupes de jeunes adultes ou d’adolescents se réunissant pour « se défoncer ».

Dans cette perspective, l’ivresse n’est plus une conséquence, d’abord agréable, puis désagréable et, à terme, calamiteuse, de la consommation d’alcool ; elle est le but visé. D’ailleurs, plus que d’ivresse, il faudrait parler de coma éthylique, ce qui est encore autre chose.

Voilà une quarantaine d’années, pour distinguer l’usage solitaire de la drogue de l’usage festif de l’alcool, Claude Olievenstein, le créateur du centre Marmottan, spécialisé dans le traitement des addictions à la drogue, déclarait n’avoir jamais rencontré de drogué qui lève sa seringue à la santé de quelqu’un. §La situation a bien changé : l’objectif est désormais de « se défoncer » – c’est le mot – en un minimum de temps.

Le problème est donc bien réel, et tous les membres de la commission des lois ont reconnu que les auteurs de la proposition de loi avaient eu raison de l’aborder.

Cependant, la solution proposée, à savoir élaborer une loi, est-elle la bonne ? Probablement pas, d’autant que, comme l’ont d’ailleurs rappelé M. Vial et M. le rapporteur, l’arsenal législatif existant est largement suffisant.

En l’état, si les dispositions du texte pourraient constituer une réponse dans certains cas, leur portée resterait limitée. Pis, elles pourraient même se révéler contre-productives, en laissant croire, à tort, que le problème serait désormais réglé.

En effet, le texte vise seulement les rassemblements festifs d’étudiants ou de jeunes adultes en situation d’apprentissage, alors que le problème est beaucoup plus large, comme je l’ai indiqué.

En outre, les rassemblements ne sont pas seuls en cause : la consommation excessive d’alcool peut être le fait de petits groupes, voire d’individus isolés.

Enfin, les rassemblements ont de moins en moins souvent des organisateurs identifiés. Ceux que l’on pourra repérer par le biais des réseaux sociaux ne sont pas forcément les premiers responsables de la tenue du rassemblement.

Certes, le recours à la procédure déclaratoire a pu donner des résultats s’agissant d’énormes manifestations exigeant l’installation d’un matériel important : je pense aux rave parties ou aux rassemblements de musique techno, auxquels la plupart des maires ont été confrontés. Cependant, le binge drinking ne nécessite pas un tel déploiement logistique : il suffit de venir avec ses bouteilles !

Au demeurant, l’essentiel n’est pas là. Plus fondamentalement, la solution législative ici proposée en reste, me semble-t-il, à la surface des choses. Or le problème de société qui nous occupe est trop profond pour qu’une loi puisse le résoudre.

J’évoquais à l’instant la figure de Claude Olievenstein, pionnier en France de la prise en charge spécifique des addictions à la drogue. La célébration cette année du quarantième anniversaire du centre Marmottan a donné lieu à un certain nombre de colloques, dont j’ai retenu l’analyse suivante :

« Peut-être avons-nous un temps été trop “intoxiqués” par l’alcool, l’héroïne, la cocaïne, et avons-nous contribué à l’érection du “mythe de la drogue”. Bouc-émissaire, celle-ci a peut-être été l’arbre qui cachait la forêt des addictions…

« L’histoire montre certes que les addictions ne sont pas une simple “niche écologique” provisoire et amenée à disparaître rapidement. Mais la production des addictions peut aujourd’hui apparaître comme le résultat des logiques d’une société “d’hyperconsommation” dans laquelle tout tend à faire croire que le bonheur se résume à la possession d’objets de consommation. »

Tout est dit, mais rien n’est réglé. C’est pourquoi il me paraît sage de voter la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission, d’autant que, en l’occurrence, l’adoption de cette motion de procédure ne sera pas synonyme d’enterrement de première classe.

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