Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « nul n’est censé ignorer la loi ». À ce principe qui fonde notre droit devrait être adjoint un autre : « Nul ne peut se situer au-dessus de la loi ».
Aujourd'hui, la crise économique et sociale, voire morale, qui secoue notre pays et l’Europe se double d’une crise de confiance vis-à-vis des dirigeants, qu’ont confortée ceux qui ont confondu leur fonction, leur obligation d’intérêt général et la satisfaction de leurs besoins propres ou de ceux de leurs amis. Cette défiance vis-à-vis des représentants politiques se manifeste, avec raison, d’une manière de plus en plus forte, ici comme chez nos voisins.
Nos concitoyens, confrontés à la violence sociale et à la dureté de la période, veulent une République exemplaire et ils ont raison. Le Président de la République la leur avait promise, parlant de « République irréprochable ». Nous en sommes loin !
Or cette exemplarité doit commencer à la tête de l’État. Comment afficher une rectitude de l’État ? Comment prétendre à la probité de ceux qui gouvernent le pays si le chef de l’État peut échapper à la justice durant son mandat pour des actions commises sans rapport avec sa fonction ?
Cette question de la responsabilité du chef de l’État n’est pas nouvelle.
En 2001, la majorité de l’époque a adopté à l'Assemblée nationale un projet de loi établissant clairement une responsabilité de droit commun pour le Président de la République en dehors de ses fonctions, mais y compris durant son mandat. Ce texte n’a pas eu de suite.
En 2007, quelques semaines avant la fin de son mandat présidentiel, M. Jacques Chirac a fait adopter une modification de la Constitution instaurant une procédure de destitution du chef de l’État par le Parlement, seul moyen aux yeux de la majorité d’alors d’échapper à une irresponsabilité absolue, dont le principe était pourtant réaffirmé. C’est donc la représentation politique qui devait décider de la responsabilité judiciaire d’un homme, parce qu’il était Président de la République. Drôle de conception de la séparation des pouvoirs, en vérité !
Or cette procédure de destitution, même difficile à mettre en œuvre, effrayait visiblement en haut lieu, puisque le projet de loi organique permettant l’application du nouveau dispositif constitutionnel, n’a été déposé que le 22 décembre 2010, trois ans après le vote du nouvel article 68 de la Constitution. Il n’est pas encore officiellement inscrit à l’ordre du jour de l'Assemblée nationale.
La proposition de loi organique, initialement déposée par François Patriat et Robert Badinter, tend donc à remédier à cette lenteur a priori incompréhensible. En fait, un sénateur UMP, éminent juriste, en a fourni l’explication : le Président de la République ne voulait surtout pas que cette procédure puisse être utilisée contre lui, non seulement au cas où son nom serait cité dans une chronique judiciaire, ce qui fut le cas fréquemment durant cette durée, mais surtout si les évocations devenaient des implications directes et concrètes.
Je comprends donc que les sénateurs du groupe socialiste soient agacés par cette course de lenteur et souhaitent la mise en application de la Constitution dans sa plénitude. Il est d’ailleurs de bonne politique que la Constitution s’applique, même si on n’est pas d’accord sur l’ensemble de ses articles.
Au demeurant, nous regrettons que, même dans le cadre limité de l’application de ces dispositions, une nouvelle fois les groupes politiques soient écartés du processus, comme ils le sont pour le déclenchement de la saisine du Conseil Constitutionnel.
Je souhaite rappeler que le Sénat, dans son ancienne configuration politique, avait adopté un amendement que j’avais présenté au nom de mon groupe, lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008, visant à conférer ce droit de saisine aux groupes politiques. Cette proposition n’a pas eu de suite à l’Assemblée nationale. Il n’empêche qu’elle fut brièvement acceptée au Sénat.
Ces groupes sont en effet clairement reconnus par la Constitution et l’argument invoqué en commission d’un risque d’utilisation politique, voire politicienne, de ce droit par les groupes n’est pas acceptable. En quoi le fait d’accorder ce droit de saisine à un dixième des parlementaires éviterait une telle manœuvre ?
Les groupes les plus importants de l’opposition ou de la majorité seraient-ils dotés d’une vertu que les groupes minoritaires, irresponsables par nature, n’auraient pas ? Ces dernières décennies ont pourtant montré que la vertu n’était pas toujours l’apanage des partis dominants.
Nous avons également critiqué la restriction de l’effectif de la commission d’instruction au sein du Parlement constitué en Haute Cour. Alors que le bureau chargé de l’organisation comprend vingt-deux membres, la commission ne devrait en comprendre que douze. Là encore, la défiance à l’égard des groupes minoritaires n’était pas acceptable et nous avons demandé que cette tentative bipartiste soit abandonnée.