La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.
La séance est reprise.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des lois, la discussion de la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution (proposition n° 69 [2009-2010], texte de la commission n° 85, rapport n° 84).
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Patriat, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter, et pour la seconde fois depuis le mois de janvier 2010, une proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution que j’avais, à l’origine, rédigée, au nom du groupe socialiste, avec Robert Badinter. Je saisis l’occasion du débat de ce soir pour rendre un hommage appuyé à ce dernier, que j’ai rencontré aujourd'hui même au Sénat. Je sais à quel point il est attaché au texte que nous examinons et je le représente en cet instant.
Je me demande toujours la raison pour laquelle l’ex-majorité de la Haute Assemblée s’oppose à ce que nous comblions le vide qui existe dans notre législation.
L’article 68 de la Constitution constitue le corollaire de l’article 67 relatif au statut juridictionnel du chef de l’État.
Les dispositions de ces deux articles résultent de la loi constitutionnelle du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution, inspirée du rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République présidée par le professeur Pierre Avril.
La présente proposition de loi organique a pour simple objet de combler une lacune, et non des moindres, qui conduit le Président de la République française à être l’un des rares, sinon le seul, dans les démocraties dites couramment « avancées », à ne pas avoir à rendre compte d’actions délictueuses ou incompatibles avec sa fonction, qu’il pourrait commettre dans le cadre de celle-ci.
Cette proposition ne vise personne ad hominem ; elle s’appliquera aux futurs Présidents de la République issus de scrutins à venir. Elle est motivée par le fait que, depuis 2007, nous attendons toujours la traduction des engagements du Gouvernement en la matière.
Le dernier alinéa de l’article 68 de la Constitution renvoie à une loi organique la fixation des conditions d’application de la procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »
Point n’est toujours besoin de loi organique pour que la Constitution puisse normalement s’appliquer, mais, dans ce cas précis, cette nécessité est explicite. C’est la raison pour laquelle je présente de nouveau aujourd'hui, avec les membres de mon groupe, la présente proposition de loi organique.
Plus de quatre ans après l’adoption de la loi constitutionnelle, le Gouvernement n’a toujours pas pris l’initiative de faire inscrire à l’ordre du jour du Parlement le projet de loi organique qu’il avait promis !
Notre première tentative, au mois de janvier 2010, s’était soldée par un renvoi en commission et Mme Alliot-Marie, à l’époque garde des sceaux, s’était engagée à présenter un texte du Gouvernement dans les six mois. En séance, vous m’aviez dit, monsieur Hyest, que, si tel n’était pas le cas, vous déposeriez vous-même le texte.
Aujourd'hui, force est de constater que vous ne l’avez pas fait...
Avec retard, un texte a bien été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais il n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour !
M. François Patriat. Ce débat aura au moins servi à faire avancer les choses !
Bravo ! et applaudissementssur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Jusqu’à cet instant, nous étions tous raisonnablement conscients dans cette enceinte que ce texte ne serait pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement avant la fin de cette législature, et ce malgré ce qu’avait indiqué M. Patrick Ollier dans une communication relative au programme de travail parlementaire, à l’occasion d’un conseil des ministres au mois d’octobre dernier, puisqu’il avait alors déclaré que la poursuite de l’examen de ce texte faisait partie des « quatre priorités » gouvernementales.
Nous reprenons donc aujourd’hui à notre compte une promesse faite voilà presque deux ans par Jean-Jacques Hyest.
Je vous le dis clairement, les auteurs de la présente proposition de loi organique, dont Robert Badinter, ont cherché à être utiles : il ne s’agit pas de faire dériver ce débat vers des finalités politiciennes. Vous en conviendrez, mes chers collègues, si vous me connaissez.
Je vous en prie, monsieur Hyest ! Vous ne pouvez pas dire cela !
Nous voulons simplement permettre que soit respecté l’équilibre délicat de nos institutions.
La présente proposition de loi organique, qui a été profondément modifiée par la commission, s’inscrit dans cette démarche. Si elle est adoptée, la future loi organique s’appliquera à tous les Présidents de la République à venir. La personnalité du Président de la République actuel n’est pas en cause, puisqu’elle n’est rien au regard de la fonction constitutionnelle qu’il exerce et qui, seule, compte aujourd’hui, pour le texte qui vous est proposé.
Cette proposition de loi organique, que j’ai voulue comme « l’application de la Constitution, rien que la Constitution, mais toute la Constitution », décrivait les conditions de dépôt et d’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution portant réunion de la Haute Cour et les modalités de la procédure d’examen, de débat et de vote de ce texte.
Comme je l’ai indiqué, la commission des lois l’a profondément modifiée, en y intégrant les dispositions principales du projet de loi gouvernemental déposé à l’Assemblée nationale au mois de décembre 2010.
Loin de vouloir imposer son point de vue, la majorité actuelle du Sénat a cherché à rapprocher le texte que nous examinons de celui du Gouvernement.
Je m’en félicite parce que, en la matière, s’agissant de notre Constitution, dans un esprit typiquement républicain, il faut toujours rechercher l’accord le plus large possible. Nous allons tenter d’y parvenir ce soir.
Je laisserai à M. le rapporteur le soin de nous expliciter les différentes dispositions issues des travaux de la commission des lois que nous retrouvons maintenant dans le texte qui nous est présenté. Je rappellerai simplement le cadre de ma démarche.
Les principes de la révision du titre IX de la Constitution sont issus des travaux de la commission présidée par le professeur Pierre Avril, nommé par le Président Jacques Chirac en 2002. C’est, à peu de chose près, le texte adopté par cette commission qui avait été déposé au Parlement et débattu en 2006 et en 2007.
Concernant le régime de la responsabilité du Président de la République, un principe simple avait été retenu : ce qui relève du politique doit être évalué dans un cadre politique ; ce qui engage la responsabilité personnelle du titulaire de la fonction doit être jugé par les voies juridictionnelles ordinaires. Ainsi, la réforme constitutionnelle a précisé le statut juridictionnel du chef de l’État à l’article 67 en préservant le principe de l’irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en qualité de chef de l’État.
À l’époque, Robert Badinter, et bien d’autres qui sont présents ce soir dans cet hémicycle s’étaient opposés à cette « immunité » quasi totale conférée au Président de la République.
Mais notre démarche en l’instant n’est pas de viser une réforme plus générale de la responsabilité du chef de l’État, que j’appelle cependant de mes vœux. Elle se concentre sur la partie la moins contestable de la révision de 2007, à savoir la nouvelle procédure de destitution.
Nous sommes dans un vide juridique extraordinaire. Le chef de l’État français aura été le seul président de la République de tous les temps à exercer son mandat tout en bénéficiant d’une immunité totale. Quelle République peu ordinaire !
En effet, l’article 68 introduit dans la Constitution une procédure de destitution du Président de la République en cas de manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions. Cette destitution n’a pas pour objet de mettre en cause la responsabilité pénale du Président de la République. Il s’agit d’une procédure politique, au sens noble du terme, en vertu du principe selon lequel l’atteinte à une institution issue du suffrage universel ne peut être appréciée que par le représentant du peuple souverain.
Ainsi, le Parlement, constitué en Haute Cour, ne peut se prononcer sur la qualification pénale du manquement ; ce n’est pas son rôle. Il statue seulement sur l’atteinte portée à la dignité de la fonction, afin de rendre le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire.
Cette possibilité de destitution est donc une procédure dépénalisée, et j’insiste sur ce terme. Pour la Haute Cour, il s’agit non pas de se substituer à la justice afin de juger le chef de l’État – tel n’est pas notre rôle, mes chers collègues, je le répète –, mais de se prononcer sur la capacité de ce dernier à poursuivre son mandat compte tenu des manquements qui lui seraient reprochés.
Aussi les parlementaires ne deviennent pas des juges politiques ; ce sont des représentants prenant une décision politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation.
Aujourd’hui, le chef de l’État bénéficie d’une double protection : d’une part, l’irresponsabilité, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, et, d’autre part, l’inviolabilité, qui le protège des poursuites judiciaires pendant la durée de son mandat. Cette double protection ne doit pas faire obstacle à la mise en cause de la responsabilité du Président de la République dans l’hypothèse où il se montrerait indigne de sa fonction. Il ne peut avoir tous les droits sans aucune contrepartie : ceux qui sont attachés à ses prérogatives constitutionnelles et ceux qu’il prétend exercer comme tout justiciable, comme le droit de se porter partie civile, alors que l’article 67 interdit toute réciprocité pour la partie adverse.
Il ne peut rester dans cette position d’irresponsabilité « intégrale » et, en la matière, nous en convenons tous, le transitoire ne peut devenir la règle. La loi constitutionnelle a été votée ; encore faut-il maintenant qu’elle s’applique. C’est tout simplement ce qu’il vous est demandé, mes chers collègues, et non pas, comme vous avez tenté de le faire, d’appliquer des filtres quels qu’ils soient à une procédure clairement explicitée par notre loi fondamentale ! Pourquoi craindre aujourd’hui plus qu’hier la possibilité donnée par cet article d’une forme de censure du Président de la République ? La destitution est une procédure exceptionnelle et elle le restera.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi organique n’est pas polémique. Elle ne traduit pas des positions de principe propres au groupe socialiste-EELV. Elle tend seulement à rendre applicable une disposition de la Constitution qui concerne tout Président de la République, en exercice ou à venir.
Sur le fond, cette proposition de loi organique, qui s’en tient à la stricte transcription de la Constitution, amendée par vos soins, a pour objectif de recueillir l’adhésion de l’ensemble de notre assemblée afin de consolider utilement nos institutions. Il serait dommageable pour celles-ci que certains tentent de politiser la simple mise en œuvre d’une disposition constitutionnelle, ce qui conduirait à en diminuer la valeur et donc à la fragiliser.
Pour conclure, je tiens à dire que je m’interroge toujours quant aux raisons qui ont poussé une partie des élus siégeant sur ces bancs
M. Patriat désigne les travées de l’UMP
à s’opposer à cette proposition de loi, alors même qu’ils sont attachés au respect du droit et des principes constitutionnels. Pourquoi laisser subsister un tel vide juridique dans notre république, mes chers collègues, alors que le combler honorerait notre assemblée et préserverait l’avenir ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, deux articles de notre Constitution traitent du statut juridique du chef de l’État.
Il y en a donc au moins deux ! Il est vrai qu’il en existe davantage, monsieur Gélard.
Je dirai tout d'abord un mot de l’article 67, qui a donné lieu à de nombreux débats. Cet article organise l’immunité pénale du chef de l’État.
Vous avez raison, l’immunité concerne toutes les juridictions, tant civiles que pénales.
Il n’est pas question de remettre en cause cet article 67.
Toutefois, ses conditions d’application posent quelques problèmes. Récemment encore, de nombreux débats ont eu lieu, au sujet notamment de dépenses de communication ou liées à l’analyse de l’opinion. Une cour d’appel a rendu une décision, monsieur le garde des sceaux.
Cependant, cette décision ne nous empêche pas de nous interroger sur le champ d’application de l’article 67.
Que le chef de l’État bénéficie de l’immunité juridictionnelle, du début à la fin de son mandat, cela se conçoit. En revanche, on peut se demander, nonobstant l’arrêt de la cour d’appel, si cette immunité s’applique aux collaborateurs du chef de l’État ; cela ne constituerait-il pas une conception extensive, et tout à fait préjudiciable, de l’immunité présidentielle ?
Par exemple, les membres du cabinet du chef de l’État et les fonctionnaires de l’Élysée sont-ils tenus d’appliquer le code des marchés publics ? S’il apparaît que tel ou tel ne respecte pas les dispositions de ce code, n’y a-t-il pas un problème ? Peut-on exciper de l’article 67 pour conclure que toute personne travaillant à l’Élysée, ou seulement proche de l’Élysée, en contact avec le chef de l'État, serait protégée par l’immunité juridictionnelle de ce dernier ? Voilà une grave question sur laquelle il nous faudra assurément revenir.
Il s'agit de l’article 68 de la Constitution, qui a donné lieu à bien des débats. François Patriat en a excellemment parlé. Je n’oublie pas non plus ce qu’avait dit, à cette tribune, Robert Badinter, dont je viens de relire l’intervention : il avait fortement critiqué cet article.
Toutefois, cet article ayant été voté et donc inséré dans notre Constitution, il convient de l’appliquer. Il serait injuste et incompréhensible qu’il ne s’appliquât point ; chacun le comprend. Or, comme l’a excellemment dit François Patriat, cela fait près de cinq ans que l’article 68 a été voté, et nous attendons toujours l’adoption de la loi organique nécessaire à son application.
Entre-temps, une proposition de loi a été rédigée par François Patriat et Robert Badinter. Cette proposition de loi a été examinée ; on en a dit grand bien, mais son renvoi en commission a été décidé.
M. Hyest, alors président de la commission des lois et rapporteur du texte, a dit qu’il n’accepterait pas que cette situation de carence, ou de latence, subsistât trop longtemps.
Le Gouvernement a ensuite déposé un projet de loi. Cependant, il nous a encore fallu attendre avant que ce projet de loi ne fût inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Nous nous sommes dit qu’il fallait être positifs. Puisque nous en avons la possibilité, nous avons décidé d’inscrire à nouveau la proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter à l’ordre du jour du Sénat, afin qu’elle puisse être adoptée par notre assemblée, puis examinée par l’Assemblée nationale.
Je devine les arguments qui ne manqueront pas d’être utilisés. Autant en faire justice tout de suite !
… de discuter d’une proposition de loi dès lors qu’il existe un projet de loi traitant du même sujet.
Cet argument ne tient pas ; chacun le sait. En effet, il suffit de lire la Constitution pour constater qu’aucun de ses articles n’établit de hiérarchie entre les projets et les propositions de loi. Ces deux types de textes sont également respectables et sources du droit.
Par conséquent, lorsqu’il existe un projet de loi et une proposition de loi traitant du même sujet, rien n’impose que l’on examine d'abord le projet de loi.
Qui plus est, en l’espèce, la proposition de loi est largement antérieure au projet de loi.
En inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour, monsieur le garde des sceaux – je répète ce que j’ai dit l’autre jour à M. Ollier –, nous ne faisons qu’aller dans le sens de l’application de la Constitution. Je pense que le Gouvernement ne pourra que saluer notre volonté de lui faciliter la tâche, en quelque sorte.
En résumé, rien ne justifie qu’on nous dise que nous ne pouvons pas examiner une proposition de loi au motif qu’il existe un projet de loi abordant le même sujet. Comme nous sommes tous d'accord là-dessus, me semble-t-il, certains développements non seulement inopportuns, mais infondés en droit, nous seront épargnés.
Venons-en maintenant à la proposition de loi qui nous occupe.
Il est permis, je le répète, de critiquer l’article 68, mais, puisqu’il existe, il faut l’appliquer. Nous avons décidé, monsieur le garde des sceaux – vous voyez à quel point nous sommes positifs –, de profiter de l’existence d’un projet de loi pour améliorer encore la proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter, qui était pourtant déjà bonne, et même très bonne.
Si nous n’avions pas pris en compte les suggestions utiles que comporte le projet de loi, vous l’auriez regretté, monsieur le garde des sceaux. Vous le voyez, nous œuvrons au bien commun.
L’article 68 prévoit une procédure de destitution du Président de la République en « cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Cette procédure est conduite par la Haute Cour.
Une première question se pose, celle des modalités de saisine de la Haute Cour.
La proposition de loi de François Patriat et Robert Badinter prévoyait que la saisine fût ouverte à soixante députés ou soixante sénateurs. Le projet du Gouvernement prévoit que l’initiative d’un dixième des députés ou des sénateurs serait suffisante.
Nous avons décidé de reprendre à notre compte le texte du Gouvernement, car il est patent – vous serez d'accord, monsieur le garde des sceaux – que ce dernier protège davantage les droits du Parlement que la proposition de loi que nous avions rédigée initialement.
En second lieu, il est question, dans le projet du Gouvernement, d’un filtre des saisines par les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui devraient juger de leur caractère « sérieux ».
Nous avons estimé qu’il ne s’agissait pas d’une bonne voie. En effet, si le nombre requis de parlementaires opère la saisine pour sanctionner un acte très grave du Président de la République – il s’agit de la destitution de ce dernier, je le rappelle –, le caractère sérieux de la saisine nous semble évident. De toute façon, c’est à la Haute Cour qu’il reviendra de statuer in fine.
Aussi n’avons-nous pas suivi ce chemin. Du reste, j’ai quelques raisons de penser que nos collègues députés feront peut-être une analyse similaire… Je suppose que vous pensez la même chose, monsieur le garde des sceaux ; nous avons les mêmes sources.
S'agissant des délais – quinze ou treize jours – de transmission de la saisine d’une assemblée à l’autre, nous avons repris les dispositions du projet de loi.
Pour ce qui est du bureau de la Haute Cour, nous nous sommes également inspirés du projet de loi, en prévoyant une parité totale entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Vous le voyez, nous avons repris ce qui, dans le projet du Gouvernement, nous paraissait aller dans le bon sens.
Concernant la commission instituée en cas de saisine de la Haute Cour, qui jouera un rôle essentiel puisqu’elle procédera en quelque sorte à l’instruction de la saisine, nous avons modifié le texte, pourtant déjà très positif, de François Patriat et Robert Badinter.
En effet, ce texte prévoyait, comme celui du Gouvernement, que cette commission fût composée des vice-présidents des deux assemblées du Parlement. Nous n’avons pas très bien compris pourquoi il faudrait que les membres de la commission soient vice-présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat !
Par conséquent, nous avons proposé, à l’issue de longs débats, que la commission soit distincte du bureau de la Haute Cour et que ses vingt membres soient désignés, dans chaque assemblée, selon la représentation proportionnelle au plus fort reste, dans le respect du pluralisme des groupes. Nous avons pesé chaque mot, afin que cette commission soit totalement indépendante, parfaitement représentative du pluralisme des deux assemblées et de leur parité.
Demeure la question de savoir si le chef de l'État peut être amené à s’exprimer devant la commission, puis devant la Haute Cour.
La position de la commission des lois est la suivante.
Nous pensons que la commission doit pouvoir demander au chef de l'État de venir s’exprimer. Bien entendu, elle ne doit pas pouvoir le contraindre à le faire, car ce serait contraire aux devoirs de sa charge comme à notre conception de la fonction de chef de l'État et à son statut. En revanche, il nous paraît légitime qu’elle puisse demander à l’entendre. Il nous paraît également légitime que le chef de l'État puisse lui-même demander à être entendu.
Il en va de même pour la Haute Cour.
Le chef de l'État peut avoir un conseil. Nous estimons que ce conseil doit pouvoir s’exprimer aussi bien devant la commission que devant la Haute Cour.
Nous considérons en revanche qu’il ne serait pas judicieux qu’il puisse s’exprimer à la place du chef de l'État, mais il peut le faire en sa présence, si toutefois le chef de l'État souhaite venir, ce que, selon notre texte, il peut très bien ne pas faire.
Tels sont les principaux points du texte dont nous allons discuter tout à l’heure.
Mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus et, si tel n’est pas le cas, j’aimerais connaître vos arguments !
Murmures amusés sur les travées de l ’ UMP.
Je rappelle ceux qui, à nos yeux, justifient la discussion de cette proposition de loi.
Premièrement, il n’y a pas de hiérarchie entre proposition de loi et projet de loi. On ne peut donc pas légitimement dire qu’il n’y a pas lieu de débattre de la présente proposition de loi organique, d’autant que celle-ci a déjà été débattue voilà quelque temps ; elle a fait alors l’objet d’un renvoi en commission et revient aujourd'hui tout à fait normalement devant vous.
Deuxièmement, le texte que nous vous proposons retient l’essentiel de la proposition de loi initiale tout en l’enrichissant des apports qui nous semblent positifs du projet de loi. Quelles raisons pourraient donc justifier que vous ne la votiez pas ?
Quelles raisons y aurait-il de ne pas profiter de l’occasion qui nous est ainsi donnée de régler, la navette aidant, le plus vite possible cette question ? Ce serait le moyen de mettre fin à la situation bizarre et singulière dont parlait à l’instant François Patriat, situation dans laquelle nous aurions vécu un mandat présidentiel entier sans qu’aucunement la question de la responsabilité juridictionnelle du chef de l'État eût été posée non plus que sa mise en œuvre – indépendamment, évidemment, de toute application éventuelle ou hypothétique d’une procédure dont, clairement, nous espérons tous qu’elle ne s’appliquera jamais.
Si le Constituant a prévu qu’il fallait que cette procédure existât, il nous revient, à nous législateurs, de voter la loi organique.
Je terminerai mon intervention en répétant une fois encore que, comme nous l’avons fait, par exemple lors de l’examen de la réforme territoriale, …
… nous entendons proposer des mesures simples et pratiques pour répondre aux problèmes concrets qui se posent, comme nous l’avons fait d’ailleurs dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale tout récemment pour promouvoir une plus grande justice sociale dans ce pays.
S’agissant du droit, en l’espèce du statut juridictionnel du chef de l'État, nous avons la même volonté d’avancer concrètement.
Mes chers collègues, j’espère donc, non seulement que la présente proposition de loi organique sera votée, mais aussi qu’elle connaîtra une suite, car il serait tout de même bizarre que, pour des raisons de susceptibilité
Protestations sur les travées de l ’ UMP
, l’on prolonge encore et toujours une attente qui n’a que trop duré – cinq ans déjà…– alors que nous vous donnons l’occasion ce soir de commencer à donner un début d’application au nouvel article 68 de notre Constitution.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois et rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ce soir pour examiner la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution, que nous présente M. Patriat.
Comme cela vient d’être abondamment rappelé, cet article est issu de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, qui institue, comme vous le savez, une procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Selon la Constitution, le Président de la République assure « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. « Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. » Il assure ainsi, dans la Ve République, la plus haute fonction du pouvoir exécutif ; il est, pour reprendre une expression bien connue mais très juste, la « clé de voûte » de notre système institutionnel.
À ce titre, le chef de l’État bénéficie d’une double protection : d’une part, l’irresponsabilité, en vertu de laquelle il n’a pas à répondre des actes accomplis en sa qualité de Président de la République – ce principe est, je le rappelle, commun à la plupart des démocraties contemporaines ; d’autre part, l’inviolabilité, qui fait l’objet de l’article 67 de la Constitution et protège pendant la durée de son mandat le Président de la République des poursuites judiciaires, de tout acte d’enquête et, bien sûr, de toute mesure privative ou restrictive de liberté.
L’inviolabilité, que votre rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, a justement qualifiée d’immunité de procédure, est absolue, mais temporaire ; l’irresponsabilité, elle, est définitive mais limitée dans son champ.
C’est parce qu’il est le représentant de la nation et qu’il participe directement à l’exercice de la souveraineté que le Président de la République bénéficie des immunités qui s’attachent à cette qualité. Il doit en effet pouvoir exercer le mandat dont il est investi en toute indépendance et en dehors de toute pression ou intimidation qui l’empêcherait de mener à bien sa mission.
A l’appui de ces propos, je reprends les termes du rapport de la commission présidée par le professeur Pierre Avril : « Tout président détient un mandat de représentation nationale, garantit la continuité de l’État et s’inscrit dans la séparation des pouvoirs. À ce triple titre, sa fonction doit être protégée contre ce qui pourrait abusivement l’atteindre, de bonne ou de mauvaise foi ».
Entendons-nous bien : ces immunités sont attachées à la fonction et non pas à la personne du Président de la République. C’est ainsi que les éventuelles procédures judiciaires de droit commun ne sont que suspendues le temps de son mandat ; elles reprennent dès lors que cesse la fonction présidentielle.
Suivant, là encore, les recommandations de la commission présidée par le professeur Avril, le Constituant a cependant souhaité assortir ce. régime protecteur d’un dispositif dit de sauvegarde, ou de « soupape », permettant que soit mise en cause la responsabilité du Président de la République dans l’hypothèse absolument exceptionnelle où il aurait manqué à ses devoirs de manière tellement grave et manifeste qu’il se rendrait, par là même, indigne de poursuivre l’exercice du mandat que lui a pourtant confié le peuple français.
C’est à la faveur de cette conception que, à la notion quelque peu surannée, et il est vrai un peu obscure, de « haute trahison », a été substituée, comme critère de saisine de la Haute Cour, celle du « manquement manifestement incompatible avec l’exercice du mandat ».
C’est au Parlement constitué en Haute Cour que l’article 68, qui est donc le pendant de l’article 67, confie le pouvoir de mettre en œuvre la procédure de destitution.
C’est là un choix cohérent dès lors que l’objet de cette procédure n’est en aucun cas, comme l’ont rappelé aussi bien M. Patriat que M. Sueur, de mettre en cause pénalement le chef de l’État, même si la destitution peut, dans un second temps, permettre l’engagement de poursuites pénales dans les conditions redevenues de droit commun.
Son objet est strictement politique, au sens le plus noble qui soit : il s’agit de se prononcer sur la dignité du titulaire de la fonction à exercer celle-ci, et seule la représentation nationale peut légitimement interrompre un mandat directement confié par le peuple à la personne du chef de l’État.
Le dernier alinéa de l’article 68 de la Constitution renvoie à une loi organique la fixation de ses modalités d’application, qu’il s’agisse des conditions de recevabilité des résolutions tendant à la réunion de la Haute Cour, des modalités d’examen de ces propositions ou encore du déroulement des débats devant la Haute Cour.
C’est bien l’objet de la proposition de loi organique que M. Patriat vient de présenter devant le Sénat que de répondre à ces questions.
Comme cela a également été rappelé, ce texte a déjà été débattu au sein de cette assemblée. Il avait alors été renvoyé en commission au motif que le Gouvernement allait présenter un projet de loi organique. C’est ce qu’il a fait le 22 décembre 2010 en adoptant un texte en conseil des ministres et en le déposant sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Sourires.
Je constate aujourd’hui votre impatience à débattre de ces sujets, mais rappelons que, grâce au soutien de sa majorité parlementaire, le Gouvernement n’a pas manqué d’agir en matière constitutionnelle et organique et que son bilan n’est pas mince ! Songeons à la question prioritaire de constitutionnalité, au Défenseur des droits, à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables, à la modernisation du travail parlementaire, …
…à l’institution d’un nouveau mode de contrôle sur les nominations du Président de la République…
De telles réformes demandent du temps et d’ailleurs, depuis un an, je suis moi-même venu très souvent devant le Sénat défendre des projets de loi.
C’est bien la preuve que le Gouvernement travaillait et que sa majorité le soutenait.
Vous nous dites qu’il fallait aller plus vite, mais il fallait aussi prendre le temps de la réflexion sur un sujet qui, vous en conviendrez avec moi, n’était pas le plus évidemment urgent et qui soulève des questions fort délicates. En effet, comme cela avait d’ailleurs été relevé au sein de votre Haute Assemblée, notamment par les auteurs de la proposition de loi, les dispositions organiques qui découlent de l’article 68 de la Constitution ne relèvent pas seulement de mécanismes procéduraux ; elles mettent en jeu des équilibres institutionnels justifiant une réflexion approfondie.
Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui s’est saisie du projet de loi que le Gouvernement a déposé sur son bureau, examinera celui-ci lors de sa réunion de demain matin. Son rapporteur, M. Philippe Houillon, présentera son rapport à cette occasion.
En outre, je peux vous confirmer, ce que vous savez parfaitement, qu’ainsi que l’avait très officiellement indiqué le Premier ministre à l’issue du conseil des ministres du 5 octobre dernier, le texte sera inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dans le courant du mois de janvier et même, si c’est possible, dès le mois de décembre.
Le Gouvernement a donc rempli l’obligation que le Constituant lui avait imposée en 2007 et que le Sénat l’avait invité à remplir rapidement.
J’ai bien compris M. le rapporteur, qui vient d’expliquer que, grâce au travail de la commission des lois du Sénat, la proposition de loi de M. Patriat, s’était très sensiblement rapprochée du texte du Gouvernement…
« Enrichie », en effet ! Je n’osais pas le dire, car je ne voulais pas provoquer la majorité sénatoriale, …
Je le sais bien, et je ne le suis pas non plus !
Voici donc au moins un point sur lequel nous pouvons être d’accord : la proposition de loi a été « enrichie », améliorée par le texte du Gouvernement.
Il vous reste un dernier effort à faire : accepter de discuter le texte du Gouvernement.
Il va de soi que la majorité du Sénat prendra ses responsabilités. Je n’ai rien à redire à cela. Pour ma part, je soutiendrai la position du Gouvernement, qui sera identique, qu’il s’agisse du projet de loi ou de la proposition de loi.
Cela étant, tout se passe comme si on faisait tout pour ne pas réussir.
En effet, il y aura à la fois un texte voté par le Sénat et un autre voté par l'Assemblée nationale.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. La démocratie, c’est d’avoir un texte unique voté par le Parlement !
Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Ces deux textes auront une vie parallèle. Or, si nous voulons parvenir à un résultat, il est préférable d’avoir un seul texte.
Demain matin, l'Assemblée nationale entamera l’examen du projet de loi organique. Le Gouvernement estime que c’est sur son texte qu’il faut discuter, s’agissant d’une question constitutionnelle et organique aussi importante, et qu’il a aussi un rôle à jouer.
En outre, dès lors que le président de l'Assemblée nationale, en vertu de l'article 68, troisième alinéa de la Constitution, est appelé à présider la Haute Cour, il y a une certaine logique à commencer par l'Assemblée nationale.
Au contraire !
Mais, très naturellement, le Gouvernement sera très attentif aux observations et remarques du Sénat.
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il vaut mieux discuter du texte que le Gouvernement a déposé devant l'Assemblée nationale.
Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 68 de la Constitution institue une procédure de destitution du chef de l’État. Le dernier alinéa de cet article est très clair : il impose que le législateur adopte une loi organique définissant ses conditions d’application. Aussi la question n’est-elle pas de savoir si nous devons légiférer sur cette question. La Constitution nous l’impose et c’est l’objet de la présente proposition de loi organique.
Cela a été rappelé, ce texte a déjà fait l’objet d’un examen par le Sénat. En effet, notre commission des lois l’avait examinée et son rapporteur, notre collègue Jean-Jacques Hyest, avait conclu que, d’une part, certaines de ses dispositions mettaient en jeu des équilibres délicats justifiant une réflexion approfondie, d’autre part, qu’un texte d’origine gouvernementale était en préparation sur cette question, ce qui justifiait un renvoi de ce texte en commission. Le Sénat avait donc adopté une motion tendant au renvoi à la commission, lors de sa séance publique du 14 janvier 2010.
Depuis, le contexte a sensiblement évolué.
Conformément à ce qu’avait annoncé votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux, lors du premier examen de la proposition de loi organique de M. Patriat, le conseil des ministres du 22 décembre 2010 a adopté un projet de loi organique relatif à l’application de l’article 68 de la Constitution.
Au risque de répéter des remarques qui ont déjà été formulées, je redirai que ce texte doit être examiné par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2011, c'est-à-dire demain matin, mes chers collègues.
La question est donc simple – et je n’aborde pas le fond : est-il opportun et surtout efficace que le Sénat statue ce soir sur cette proposition de loi organique en parallèle des travaux de l'Assemblée nationale ? Une telle méthode ne saurait en rien constituer un gain de temps, comme certains ont tenté vainement de le démontrer en commission des lois.
Dans l’hypothèse où nous adopterions ce texte ce soir – ce n’est pas une illusion –, nous le ferions sans même savoir ce que les députés ont l’intention de proposer, notamment par l’intermédiaire de leur rapporteur, et sans qu’eux-mêmes, de leur coté, aient le temps de prendre connaissance de ce qu’aurait adopté le Sénat en séance publique ce soir.
Vous avez bien compris que nous sommes ici dans une stratégie de la nouvelle majorité que j’ose qualifier de politicienne. C’est très clair !
Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
En effet, monsieur le rapporteur, la donne serait tout autre si le Gouvernement n’avait pas tenu ses engagements et s’il ne nous avait pas proposé de projet de loi organique. Tel n’est pas cas, mais certains – pas vous, monsieur le rapporteur – font mine de ne pas comprendre la situation.
Les sénateurs centristes ne souhaitent évidemment pas participer à cette initiative. Ils souhaitent que, sur les dispositions de mise en œuvre de l’article 68 de la Constitution, la navette parlementaire permette un examen serein, dans le respect de la procédure législative.
Cette initiative est d’autant plus incompréhensible qu’au vu des nouveaux équilibres politiques au sein de la Haute Assemblée chacun sait bien que, quel que soit le texte examiné, qu’il soit ou non d’origine gouvernementale, la majorité de gauche a tous les moyens à sa disposition pour proposer et surtout faire adopter les modifications qu’elle estime nécessaires.
Lorsque le Sénat examinera le texte du Gouvernement, le rapporteur de la commission des lois sera sans doute le même qu’aujourd’hui…
On peut le supposer. Il y a tout lieu de penser, monsieur Sueur, que vous serez à nouveau désigné. D’ailleurs, tout le monde le souhaite probablement.
Je disais donc qu’en tant que rapporteur, lorsque le texte du Gouvernement viendra en discussion, vous ne ferez que proposer des modifications similaires à ce qui nous est soumis ce soir.
Je pourrai enrichir le texte gouvernemental grâce à notre proposition de loi !
Mes chers collègues, je vous pose la question sans ambages : à quoi sert notre travail aujourd’hui ? On peut le voir comme une répétition générale, ...
Permettez-moi de vous dire que tout cela me semble bien inutile.
Dans notre esprit, il n’est pas question de poser une hiérarchie entre un projet de loi et une proposition de loi, comme certains l’ont laissé entendre. Le débat n’est pas là.
Justement, vous avez exposé le contraire à l’instant. S’il n’y a pas de hiérarchie, pourquoi refuser d’examiner cette proposition de loi organique ?
Je vous concède que ce débat sur l’application de l’article 68 de la Constitution a trop tardé. La révision constitutionnelle date du 23 février 2007 : cela fait presque cinq ans. Mais ce n’est certainement pas une raison pour agir dans la confusion des procédures parlementaires.
Aussi, dans l’attente de l’examen conjoint par la Haute Assemblée du texte de notre collègue Patriat, texte auquel nous reconnaissons un intérêt, et du projet de loi organique que nous présentera le garde des sceaux, le groupe de l’Union centriste et républicaine souhaite que le Sénat adopte la motion tendant à opposer la question préalable.
Je l’ai dit en commençant mon propos : il ne s’agit nullement d’apprécier le fond des propositions formulées dans la proposition de loi organique. Reconnaissez d’ailleurs que ces deux textes ne sont pas très éloignés l’un de l’autre.
M. François Zocchetto. Il s’agit simplement pour nous de réaffirmer notre volonté que le Parlement travaille de la manière la plus efficace possible, surtout sur un sujet aussi important que celui qui concerne l’équilibre de nos institutions.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « nul n’est censé ignorer la loi ». À ce principe qui fonde notre droit devrait être adjoint un autre : « Nul ne peut se situer au-dessus de la loi ».
Aujourd'hui, la crise économique et sociale, voire morale, qui secoue notre pays et l’Europe se double d’une crise de confiance vis-à-vis des dirigeants, qu’ont confortée ceux qui ont confondu leur fonction, leur obligation d’intérêt général et la satisfaction de leurs besoins propres ou de ceux de leurs amis. Cette défiance vis-à-vis des représentants politiques se manifeste, avec raison, d’une manière de plus en plus forte, ici comme chez nos voisins.
Nos concitoyens, confrontés à la violence sociale et à la dureté de la période, veulent une République exemplaire et ils ont raison. Le Président de la République la leur avait promise, parlant de « République irréprochable ». Nous en sommes loin !
Or cette exemplarité doit commencer à la tête de l’État. Comment afficher une rectitude de l’État ? Comment prétendre à la probité de ceux qui gouvernent le pays si le chef de l’État peut échapper à la justice durant son mandat pour des actions commises sans rapport avec sa fonction ?
Cette question de la responsabilité du chef de l’État n’est pas nouvelle.
En 2001, la majorité de l’époque a adopté à l'Assemblée nationale un projet de loi établissant clairement une responsabilité de droit commun pour le Président de la République en dehors de ses fonctions, mais y compris durant son mandat. Ce texte n’a pas eu de suite.
En 2007, quelques semaines avant la fin de son mandat présidentiel, M. Jacques Chirac a fait adopter une modification de la Constitution instaurant une procédure de destitution du chef de l’État par le Parlement, seul moyen aux yeux de la majorité d’alors d’échapper à une irresponsabilité absolue, dont le principe était pourtant réaffirmé. C’est donc la représentation politique qui devait décider de la responsabilité judiciaire d’un homme, parce qu’il était Président de la République. Drôle de conception de la séparation des pouvoirs, en vérité !
Or cette procédure de destitution, même difficile à mettre en œuvre, effrayait visiblement en haut lieu, puisque le projet de loi organique permettant l’application du nouveau dispositif constitutionnel, n’a été déposé que le 22 décembre 2010, trois ans après le vote du nouvel article 68 de la Constitution. Il n’est pas encore officiellement inscrit à l’ordre du jour de l'Assemblée nationale.
La proposition de loi organique, initialement déposée par François Patriat et Robert Badinter, tend donc à remédier à cette lenteur a priori incompréhensible. En fait, un sénateur UMP, éminent juriste, en a fourni l’explication : le Président de la République ne voulait surtout pas que cette procédure puisse être utilisée contre lui, non seulement au cas où son nom serait cité dans une chronique judiciaire, ce qui fut le cas fréquemment durant cette durée, mais surtout si les évocations devenaient des implications directes et concrètes.
Je comprends donc que les sénateurs du groupe socialiste soient agacés par cette course de lenteur et souhaitent la mise en application de la Constitution dans sa plénitude. Il est d’ailleurs de bonne politique que la Constitution s’applique, même si on n’est pas d’accord sur l’ensemble de ses articles.
Au demeurant, nous regrettons que, même dans le cadre limité de l’application de ces dispositions, une nouvelle fois les groupes politiques soient écartés du processus, comme ils le sont pour le déclenchement de la saisine du Conseil Constitutionnel.
Je souhaite rappeler que le Sénat, dans son ancienne configuration politique, avait adopté un amendement que j’avais présenté au nom de mon groupe, lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008, visant à conférer ce droit de saisine aux groupes politiques. Cette proposition n’a pas eu de suite à l’Assemblée nationale. Il n’empêche qu’elle fut brièvement acceptée au Sénat.
Ces groupes sont en effet clairement reconnus par la Constitution et l’argument invoqué en commission d’un risque d’utilisation politique, voire politicienne, de ce droit par les groupes n’est pas acceptable. En quoi le fait d’accorder ce droit de saisine à un dixième des parlementaires éviterait une telle manœuvre ?
Les groupes les plus importants de l’opposition ou de la majorité seraient-ils dotés d’une vertu que les groupes minoritaires, irresponsables par nature, n’auraient pas ? Ces dernières décennies ont pourtant montré que la vertu n’était pas toujours l’apanage des partis dominants.
Nous avons également critiqué la restriction de l’effectif de la commission d’instruction au sein du Parlement constitué en Haute Cour. Alors que le bureau chargé de l’organisation comprend vingt-deux membres, la commission ne devrait en comprendre que douze. Là encore, la défiance à l’égard des groupes minoritaires n’était pas acceptable et nous avons demandé que cette tentative bipartiste soit abandonnée.
En effet, la commission des lois a approuvé cette remarque, puisque l’effectif de la commission a été porté à vingt. Nous nous félicitons de cette avancée.
Mais, je le répète, notre gêne est plus profonde, car nous aurions souhaité un autre affichage. Nous devons en finir avec ces années d’hyper-présidence, rompre avec une domination de chaque instant de la présidence sur les institutions et réformer en profondeur le rôle du Président de la République dans notre système politique, ce qui implique aussi une refonte de son régime de responsabilité, en dehors de sa fonction, bien évidemment. Est-il possible de revendiquer une présidence « normale » sans choisir cette voie de la révision ?
À cet égard, le groupe CRC avait déposé, le 21 septembre 2011, une proposition de loi constitutionnelle n° 798, qui visait à établir cette responsabilité de droit commun, tout en garantissant, bien entendu, au chef de l’État les protections exigées par son exposition. Nous rappelions, dans l’exposé des motifs, cet anachronisme qui maintient le président français dans le confort du roi constitutionnel de 1791, époque où la Constitution affirmait que « la personne du Roi est inviolable et sacrée. »
Nous en sommes pratiquement toujours là !
Face à cette forme de présidence monarchique, nous pensons qu’une rupture sur le plan institutionnel est nécessaire. Nous n’avons d’ailleurs pas voté les articles 67 et 68 de la Constitution.
Le groupe CRC a bien conscience que le seul changement de majorité au Sénat n’est pas suffisant pour nous engager dans une telle rupture institutionnelle. La proposition de loi déposée par notre collègue François Patriat, largement modifiée en commission des lois, au point de reproduire à peu de chose près le projet gouvernemental, …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … déposé sur le bureau l’Assemblée nationale, mais pas encore inscrit à l’ordre du jour, a le mérite de permettre l’application de la Constitution, sans laisser l’article 68 encore en suspens pendant un temps indéterminé. C’est le seul moyen actuel de sortir du système d’irresponsabilité absolue du chef de l’État, qui est très critiquable. Nous n’allons donc pas nous y opposer. Je tenais néanmoins à vous faire part, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, de notre façon un peu différente d’appréhender cette question par rapport à nos partenaires de la majorité sénatoriale.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, non seulement la définition extensive de l’irresponsabilité du chef de l’État résultant de la révision constitutionnelle de 2007 n’est pas digne d’une démocratie, mais la seule disposition permettant d’en atténuer la portée – la possibilité de destituer un Président de la République ayant manifestement manqué aux devoirs de sa charge, prévue par l’article 68 – est toujours inopérante à défaut de la loi organique nécessaire à sa mise en œuvre.
Cinq ans après, les amis de l’Élysée nous expliquent qu’« il n’y a pas le feu au lac », le projet de loi organique déposé depuis un an sur le bureau de l’Assemblée nationale étant prioritaire. La preuve en est qu’il sera examiné demain matin par nos collègues députés, selon M. le garde des sceaux… On peut donc se demander ce qui est le plus politicien dans l’affaire : la colombe que le garde des sceaux vient de tirer de sa manche avec brio, ce soir, ou la présente proposition de loi organique, que je qualifierai de « stimulus législatif » ?
Mes chers collègues, une proposition de loi valant un projet de loi, autant voter le présent texte, cela nous fera gagner du temps !
Chacun, cependant, aura compris que, le minimum du minimum étant assuré – je veux parler de l’adoption du texte permettant d’appliquer la Constitution –, les problèmes de fond restent entiers. Permettez-moi d’y revenir brièvement.
Le premier problème est la confusion entre la personne publique et la personne privée du chef de l’État, ayant pour conséquence une interprétation de plus en plus extensive de l’irresponsabilité pénale du Président de la République.
Ainsi, Jean Foyer, l’un des rédacteurs de l’article 68 de la Constitution, peut-il écrire, quelques semaines après la décision du Conseil Constitutionnel du 22 janvier 1999 : « En tant que personne privée, le Président de la République ne bénéficie d’aucune immunité ni d’aucun privilège de juridiction. Il est pénalement et civilement responsable, comme tout citoyen, des actes commis avant le début de ses fonctions. L’affirmation paraît être remise en question par certains de nos jours, elle est pourtant juridiquement indiscutable. »
Le Conseil constitutionnel, alors présidé par Roland Dumas, avait conclu, chacun s’en souvient, que la responsabilité pénale du chef de l’État ne pouvait être engagée que devant la Haute Cour, pour crime de haute trahison.
Le deuxième problème est que l’inviolabilité du chef de l’État s’est progressivement étendue à ses collaborateurs et à ses proches, comme on l’a vu dans l’affaire dite des « sondages de l’Élysée », évoquée tout à l’heure, ou dans celle, que j’aime beaucoup, des « infirmières bulgares ».
Mme Cécilia Sarkozy avait alors refusé de déférer à la convocation de la commission parlementaire chargée d’éclairer cet épisode de nos relations, alors amicales, avec feu Mouammar Kadhafi. Le porte-parole de l’Élysée avait jugé que, puisque Nicolas Sarkozy ne pouvait répondre à une convocation parlementaire, « par extension, Mme Sarkozy, puisqu’elle était son envoyée personnelle, tomb[ait] sous la même règle. »
Le troisième problème tient au fait que le principe d’égalité de tous devant la loi est remis en cause en matière pénale, mais aussi en matière civile et administrative.
Comme l’a fait remarquer Robert Badinter, lors de la révision de 2007, « le conjoint du chef de l’État ne pourra demander le divorce en justice, son propriétaire lui réclamer des loyers impayés, le fisc des impôts. Le [la] Président[e] s’acquittera de ses obligations s’il le veut, quand il veut. C’est le bon plaisir ressuscité ! »
Que le Président puisse divorcer par consentement mutuel ou à sa demande, mais pas à celle de son conjoint, rappelle des codes de la famille pas vraiment républicains…
« A-t-on bien mesuré, se demandait alors Pierre Fauchon, la portée d’une telle mesure qui fait payer à des tiers le prix d’une immunité totale du Président pendant au moins dix ans, si on en juge par l’expérience des deux derniers présidents. A-t-on bien mesuré la gravité du préjudice ainsi causé et qui peut être irréparable, en particulier dans les affaires à caractère familial ? »
Tout cela n’a rien de théorique, car c’est au moment où l’hôte de l’Élysée est élevé au rang d’intouchable qu’il se fait procédurier. Si François Mitterrand et Jacques Chirac se sont interdit de saisir la justice, leur successeur a rompu avec leur hauteur de vue.
Mes chers collègues, essayons de faire l’inventaire : recours contre Ryanair pour « atteinte au droit à l’image hors consentement et à des fins publicitaires » ; plainte contre Le Nouvel Observateur pour « faux, usage de faux et recel », à l’occasion de la publication d’un SMS attribué à Cécilia Sarkozy – la plainte sera retirée ; constitution de partie civile dans une affaire de tee-shirt détournant l’image de Nicolas Sarkozy ; affaire de la poupée vaudou ; plainte contre l’ex-patron des renseignements généraux, Yves Bertrand, pour « atteinte à la vie privée » et « dénonciation calomnieuse » ; constitution de partie civile dans l’affaire Clearstream ; plainte pour « escroquerie » à la carte bleue. Peut-être en ai-je oublié…
Et je ne parle que des actions directement engagées par le Président de la République lui-même, sans évoquer les actions diligentées par le parquet ou les préfets pour « offense au chef de l’État », « à l’insu du plein gré » de ce dernier, bien évidemment !
Le représentant du parquet général près la Cour de cassation, lors de l’examen de la plainte pour escroquerie à la carte bleue, a bien résumé l’impasse dans laquelle nous a placés la révision constitutionnelle de 2007 : « L'exercice de l'action civile par le président de la République devant une juridiction pénale [...] paraît incompatible avec l'exercice de ses pouvoirs institutionnels : le fait qu'une autorité soumette à ceux-là mêmes qui relèvent de son pouvoir de nomination le soin de trancher un litige qui concerne ses intérêts privés, est de nature à donner l'apparence aux autres parties, comme au public, que le procès n'obéit pas aux règles d'un procès équitable. »
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si nous ne pouvons malheureusement pas revenir là-dessus ce soir, faisons au moins en sorte que puissent être appliquées les règles qui ont été adoptées et qui modèrent, certes de manière insuffisante, les privilèges dont bénéficie le chef de l’État.
Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la responsabilité du chef de l’État, ou du chef de l’exécutif, a toujours constitué un problème, au regard aussi bien de la séparation des pouvoirs que de la définition de la démocratie.
En effet, il faut faire en sorte que le chef de l’État puisse exercer la plénitude de ses prérogatives sans toutefois être gêné dans son rôle de représentant de la nation et de l’État.
À l’origine, ce sont les Britanniques qui ont inventé la notion de responsabilité de l’exécutif, mettant en place une procédure qui ne touchait pas directement le chef de l’État, en l’occurrence le roi ou la reine, mais qui concernait ses ministres. Cette procédure, l’impeachment, a donné naissance, par glissement à partir de la responsabilité pénale des ministres, – qui risquaient tout de même, chaque fois, de se faire couper la tête ! –, à la responsabilité devant le Parlement et, partant, au régime parlementaire.
Il en a été différemment aux États-Unis, où la procédure d’impeachment a été mise en place selon des modalités autres que celles qui étaient pratiquées en Grande-Bretagne. La raison en est que, aux États-Unis, il n’y a pas réellement de ministres : le président est en quelque sorte l’exécutif à lui tout seul. Ainsi, Abraham Lincoln disait, en parlant d’une décision prise par lui et ses secrétaires d’État : « sept non, un oui, le oui l’emporte ! »
Sourires.
Aux États-Unis, la procédure d’impeachment, destinée à mettre en cause le président directement, n’a pas abouti les trois fois où elle a été engagée. Il n’y a eu aucun cas de condamnation, soit qu’un arrangement ait été trouvé préalablement, soit que le président ait démissionné avant, mettant un terme à la procédure.
La tradition juridique française est tout à fait différente. Nous avons d’abord eu l’expérience de la Révolution française, qu’a rappelée Mme Borvo tout à l'heure. La Constitution de 1791 avait prévu une procédure de suspension du roi, chef de l’État, dans l’hypothèse où celui-ci ne respecterait pas la Constitution. Mais, comme vous le savez, la Convention ne va pas se comporter conformément aux règles constitutionnelles. Elle sera tiraillée entre une application erronée du tyrannicide et une conception faussée de la souveraineté nationale ou populaire.
Il faudra attendre encore quelque temps pour que soit reconnue une véritable responsabilité du chef de l’État dans le cadre de nos institutions, avant d’en arriver à la pratique républicaine qui est maintenant la nôtre.
Il convient de le rappeler, il y a quatre hypothèses dans lesquelles la responsabilité du chef de l’État est susceptible d’être, dans une certaine mesure, mise en cause.
La première, qui a tendance à être quelque peu oubliée, est prévue à l’article 7 de la Constitution : c’est celle dans laquelle le chef de l’État n’est plus en mesure d’exercer physiquement ses fonctions, soit parce qu’il est décédé, soit parce que des raisons médicales l’en empêchent, soit parce qu’il ne donne plus de ses nouvelles... Pour ce dernier cas, toutes les suppositions étant permises et je ne donnerai que deux exemples : il est pris en otage ou il a disparu dans un pays lointain pour se livrer à la chasse ou à je ne sais quelle autre activité !
Sourires.
Aux termes de la Constitution, c’est le Conseil constitutionnel, saisi par le conseil des ministres, qui organise soit, en cas de décès ou de disparition définitive, un intérim définitif, suivi alors d’une élection, soit un intérim provisoire.
Je dois le dire, notre Constitution est insuffisamment précise sur ce point. Imaginons que le Président de la République soit injoignable, du fait d’une prise en otage ou d’un isolement : que se passerait-il ? Combien de temps durerait l’intérim provisoire ? La question n’est pas résolue dans la Constitution. Or elle mériterait de l’être.
La deuxième hypothèse est celle qui est évoquée l’article 53-2 de la Constitution, auquel renvoie d’ailleurs l’article 67 : il s’agit de la responsabilité du chef de l’État dans le domaine très particulier des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Là encore, je ne suis pas convaincu de la bonne rédaction de la Constitution. En effet, il existe une certaine contradiction entre les deux articles que je viens de mentionner : l'article 67 protège, pendant la durée de son mandat, le chef de l’État de tout acte de procédure, alors que l’application de l’article 53-2 supposerait la coopération des organes juridictionnels français, qui seraient ainsi amenés à exercer les contraintes qu’exclut l’article 67. Je ne vois pas comment tout cela pourrait s’harmoniser et il y a manifestement là une lacune supplémentaire du texte constitutionnel.
Je souligne au passage que le professeur Badinter n’est pas non plus étranger à cette affaire de responsabilité devant la Cour pénale internationale.
J’en viens à la troisième hypothèse, qui se fonde sur les articles 67 et 68 de la Constitution.
À cet égard, il est faux de dire que le Président de la République échappait auparavant à toute responsabilité.
Dans les Constitutions des IIIe et IVe Républiques, figurait une disposition relative à la responsabilité, disposition qui s’est retrouvée, dans une certaine mesure, dans celle de la Ve République, mais qui posait des problèmes d’interprétation. Cette disposition a donné lieu, sous la Ve République, à deux analyses.
La première, cela a été rappelé tout à l’heure, a été fournie par le Conseil constitutionnel, présidé à l’époque par Roland Dumas : pour mettre en cause la responsabilité pénale du chef de l’État, il fallait mettre en place la structure prévue par la Constitution en cas de mise en accusation pour haute trahison. C’est sur cette interprétation que s’est appuyé, avec raison, d’ailleurs, le député Arnaud Montebourg lorsqu’il a voulu lancer la procédure de saisine de la Haute Cour.
Cette analyse du Conseil constitutionnel a été contredite par la Cour de cassation. Dans un arrêt, celle-ci a estimé que, si le Président de la République ne peut être poursuivi pendant la durée de son mandat, du même coup, la prescription est suspendue et l'ensemble des procédures peuvent être reprises à la fin de son mandat. C’est peu ou prou cette formule qui, à la suite des propositions de la commission Avril, a été reprise dans l’article 67 de la Constitution, et que l’on trouve dans la plupart des démocraties voisines. Cela étant, je ne suis pas convaincu qu’elle soit tout à fait satisfaisante.
La quatrième hypothèse à considérer est tout à fait nouvelle puisqu’elle résulte de l’actuelle rédaction de l’article 68, qui fait l’objet de la présente proposition de loi organique.
Son premier intérêt est de mettre fin à cette anomalie juridique qu’était la haute trahison.
À l’époque de la Monarchie ou de l’Empire, tout était plus clair : la haute trahison consistait à voler dans les caisses de l’État, car l’argent se trouvait physiquement dans des cassettes, à se rendre coupable d’intelligences avec tel ou tel ennemi, ou à fuir ses responsabilités en partant à l’étranger.
L’inconvénient, c’était que la haute trahison n’était pas mentionnée dans le code pénal et que nul ne savait quelles sanctions il convenait de lui appliquer. En définitive, elle n’a jamais été invoquée. Lorsque des chefs de l’État ont été poursuivis, on a utilisé d’autres procédures que celles qui étaient prévues par le texte constitutionnel de l’époque.
Faute d’invoquer la haute trahison, la responsabilité du chef de l’État n’était pas mise en cause en France. Cela nous rapprochait un peu du modèle américain, où le président est pratiquement à l’abri l’impeachment, eu égard à la très grande complexité de sa mise en œuvre.
Ce fut donc une tout autre procédure, désormais inscrite à l’article 68 de la Constitution, qui fut inventée. Après avoir fait quelques recherches dans les démocraties voisines, je dois dire que la France a fait preuve d’une originalité intéressante, car je n’ai pas retrouvé l’équivalent ailleurs !
M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.
Ainsi fut introduite la fameuse formule « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice » des fonctions présidentielles. Mais qu’est-ce donc qu’un manquement manifestement incompatible ? J’aimerais bien qu’on me l’explique ! Faut-il comprendre qu’il s’agit de l’affichage de certaines convictions métaphysiques ou philosophiques, ou bien d’un certain comportement physique ?
Sourires.
En tout cas, nous quittons là le domaine juridictionnel, comme M. le rapporteur l’a souligné, pour entrer dans la sphère purement politique.
La Haute Cour porte d’ailleurs bien mal son nom, …
… car elle n’est pas une cour : elle n’applique pas le droit pénal ni les dispositions prévues par le code de procédure pénale. Il s’agit d’autre chose : il est question de responsabilité politique ou morale, et la décision relève de la représentation nationale. Nous sommes donc dans un domaine tout à fait différent de ce que nous avons pu connaître jusqu’à maintenant.
Or, tant dans le projet de loi organique que dans la proposition de loi organique, a été maintenue une procédure quasi juridictionnelle. Je le déplore. Mieux aurait valu innover et nous inspirer de l’impeachment à l’américaine, qui exclut toute procédure juridictionnelle et laisse, en fin de compte, les deux chambres se partager la charge d’organiser la mise en cause de la responsabilité.
L’instauration d’une commission de l’instruction relève, en fin de compte, du juridictionnel.
En outre, il y a, dans ce dispositif, une certaine incompatibilité avec l’article 18 de la Constitution, qui prévoit désormais que le chef de l’État peut prendre la parole devant le Congrès. Le Président de la République peut-il donc être convoqué pour s’exprimer devant le Parlement tout entier ?
Je le sais bien. Il n’en demeure pas moins que les articles 18 et 68 de la Constitution sont, à mes yeux, incompatibles, car c’est le chef de l’État, et lui seul, qui décide s’il y a lieu, ou non, de venir se présenter devant ce qui constitue la Haute Cour.
Le système que nous avons mis en place se révèle compliqué et n’est pas forcément fondé sur le plan juridique. Il ne manquera pas de poser des problèmes. Je pense, en vérité, qu’il ne pourra jamais être mis en œuvre, d’autant que la majorité des deux tiers est requise. Je vois donc mal comment il pourrait trouver, un jour, un aboutissement, si ce n’est dans une période particulièrement troublée.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’en viens à ma conclusion, qui prendra la forme d’une question toute simple : à quoi sert le débat d’aujourd’hui ?
M. le garde des sceaux nous l’a rappelé tout à l’heure, la commission des lois de l’Assemblée nationale s’apprête à examiner, dès demain, le projet de loi organique.
Monsieur le rapporteur, à votre place, j’aurais annoncé le retrait pur et simple de la proposition de loi organique, en attendant la transmission du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Je n’ai pas ce pouvoir : je rends compte de ce que décide la commission !
En réalité, ce que vous êtes en train de faire s’apparente à un détournement de procédure.
Certes, c’est votre droit le plus absolu que de faire discuter une proposition de loi organique. Mais vous n’avez pas réellement l’intention d’aboutir, car, vous le savez, ce texte ne sera, à l’évidence, pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale : ni le Gouvernement ni la majorité de l’Assemblée nationale ne l’accepteront.
Par conséquent, le travail que nous faisons ne sert strictement à rien !
Peut-être, mais, en tout cas, vous répétez les mêmes errements, et ce n’est pas forcément à votre honneur…
Nous perdons donc notre temps.
Attendons donc le texte qui nous parviendra de l’Assemblée nationale, respectons la logique qui prévaut en matière d’adoption d’un texte de loi organique. Je tiens à le rappeler, aucune proposition de loi organique n’a jamais été adoptée par le Parlement.
Si toutes les lois organiques sont issues de projets de loi, c’est qu’elles doivent résulter d’un consensus entre l’exécutif et le législatif. Or ce n’est pas du tout ce que vous recherchez en l’espèce. Vous souhaitez, en fin de compte, faire une action de communication.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UMP votera la motion tendant à opposer la question préalable !
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je viens d’entendre le doyen Gélard nous poser une question que je qualifierai de « vive » : à quoi sert le débat d’aujourd’hui ?
Monsieur Gérard, je veux vous répondre immédiatement : ce débat sert, justement, à provoquer un débat, …
… celui qui aurait dû avoir lieu voilà des années, parce que nous ne voulons pas qu’il soit purement et simplement enterré.
Chacun d’entre nous s’en souvient sûrement, c’est le Président de la République lui-même qui, avec sa vigueur habituelle, avait souligné dès le début de son mandat qu’il s’agissait d’un texte concernant, pour reprendre exactement ses propos, les fondements mêmes de la République. Et pourtant, ce texte si important, le Président de la République n’a pas voulu qu’il puisse lui être appliqué puisque, à ce jour, aucun projet de loi organique n’a été adopté. D’ailleurs, je n’ai toujours pas entendu, dans vos rangs, la moindre explication ou justification de ce retard.
Ainsi, pendant quasiment tout un quinquennat, le Président de la République aura bénéficié de l’immunité de l’article 67 de la Constitution sans s’exposer à sa contrepartie, inscrite à l’article 68, qui est la destitution. Au fond, il a fait son tri dans la réforme constitutionnelle, prenant d’un côté ce qui lui convenait, écartant de l’autre ce qui lui apparaissait moins profitable.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, une telle façon de procéder n’est guère convenable.
Je salue donc, pour ma part, la proposition de loi organique déposée par François Patriat et Robert Badinter et je considère que, contrairement à tout ce qui vient d’être dit, elle s’inscrit tout à fait dans l’esprit de notre Constitution.
Le rôle du Parlement, donc le rôle du Sénat, c’est bien de veiller à ce que la Constitution s’applique. Lorsque tel n’est pas le cas, du fait du Gouvernement, nous nous devons, en tant que législateur, de combler une telle carence : c’est l’objet même de cette proposition de loi organique.
Monsieur Gélard, comment pouvez-vous sérieusement affirmer qu’elle n’est qu’une manœuvre ? Mais enfin ! Regardez simplement le calendrier : elle a été déposée en octobre 2009, voilà plus de deux ans, donc bien avant que le Sénat ait changé de majorité.
Depuis octobre 2009, on nous invite à la patience, on nous prie de ne pas nous précipiter, on nous dit qu’un texte va venir… Mais il n’est jamais venu !
Prenons donc nos responsabilités ! Monsieur Hyest, n’est-ce pas vous qui, pendant toutes les années où vous avez présidé la commission des lois, nous avez sans cesse répété que le Sénat ne devait pas être à la remorque de l’Assemblée nationale, qu’il devait prendre ses responsabilités ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.
Alors, au moment où une initiative sénatoriale vous est proposée, vous devriez la soutenir avec force !
Vous devriez la soutenir avec d’autant plus d’ardeur que, sur le fond, nous sommes sans doute largement d’accord.
Sur le fond, personne ne remet en cause la nécessité de l’immunité du chef de l’État pendant la durée de son mandat. Cette irresponsabilité et cette inviolabilité existent d’ailleurs sous différentes formes dans la plupart des démocraties, en tout cas dans la plupart des démocraties occidentales, sous réserve – cela a été rappelé tout à l’heure – des cas de haute trahison ou de crime contre l’humanité.
Je préciserai tout de même que la tradition française comporte quelques différences avec d’autres démocraties. J’en vois au moins deux.
Tout d’abord, je relève que, à la différence de l’impeachment américain, par exemple, ce que la Constitution prévoit n’est pas une peine. Le dispositif qui existe et que notre proposition va rendre applicable, c’est une procédure qui va, au fond, exposer à terme le Président de la République à une sanction lorsque les juridictions redeviendront compétentes.
Cela une conséquence tout à fait inattendue, et qui me paraît d’ailleurs insuffisamment soulignée.
Aux États-Unis, l’impeachment entraîne la destitution du président américain, et le vice-président prend immédiatement sa place. Dans le système que nous sommes en train de fabriquer, la conséquence sera évidemment autre. Le Président sera destitué et, dans les trente-cinq jours, nous dit la Constitution, une élection présidentielle sera organisée. Or rien n’empêchera le Président destitué de se représenter, faisant ainsi appel au peuple. Il pourra même être éventuellement réélu, auquel cas toutes les procédures qui ont pu être engagées contre lui se trouveront de nouveau suspendues, et l’on reviendra à la situation initiale. On peut d’ailleurs se demander si, de nouveau, le Parlement devra se réunir en Haute Cour pour prononcer la destitution et ce qu’il se passera ensuite. Rien n’est prévu dans le texte sur cette mécanique infernale qui pourrait s’enclencher.
La deuxième exception française qui distingue notre système de celui des démocraties comparables relève, selon moi, d’une inspiration monarchique. Il y avait, dans notre droit ancien, une devise selon laquelle « le roi ne peut mal faire ». J’ai l’impression qu’on retrouve cette idée dans le texte.
Et c’est bien en toute matière que « le roi ne peut mal faire ». Robert Badinter l’a d’ailleurs magnifiquement démontré en expliquant que, dans notre système, l’épouse du chef de l’État est la seule femme de France à ne pas pouvoir divorcer sans le consentement de son mari ! Nous le savons, l’immunité judiciaire du chef de l’État s’étend aux procédures civiles, y compris le divorce. Le souhaitons-nous vraiment ? Souhaitons-nous maintenir un système aussi archaïque ou voulons-nous avancer ?
Ainsi, non seulement l’épouse du Président de la République ne peut pas engager une procédure contre son mari, mais, de surcroît, si le chef de l’État, demain, causait un accident de la circulation, ...
M.En percutant le camion d’un laitier, par exemple !
M.… la victime de l’accident ne pourrait pas être dédommagée, faute d’avoir le droit d’engager une procédure contre le Président de la République.
Évidemment, en matière de diffamation et d’injure, nous sommes face au même paradoxe de cette immunité que je qualifierai d’universelle.
En fait, cette protection absolue conduit à deux dérives.
La première va s’illustrer dans quelques jours : la Cour de cassation va rendre un arrêt dans l’affaire de la carte bleue du chef de l’État qui, vous le savez, avait été piratée. Nous ne connaissons pas encore les termes de cet arrêt, mais nous connaissons déjà les conclusions de l’avocat général, qu’il a énoncées le 14 mars dernier. Il a souligné avec force que nous avions un Président intouchable : personne ne peut agir contre lui, mais lui peut agir contre les autres ; de fait, François Patriat l’a dit tout à l’heure, le Président de la République peut se constituer partie civile, ce qu’il a fait en l’occurrence.
Et l’avocat général, qui n’est pas un parlementaire, qui n’est pas un homme politique, mais qui est un juriste éminent, d’expliquer : « Le fait qu’une autorité soumette à ceux-là mêmes qui relèvent de son pouvoir de nomination le soin de trancher un litige qui concerne ses intérêts privés est de nature à donner l’apparence aux autres parties comme au public que le procès n’obéit pas aux règles d’un procès équitable, qu’il n’est pas tenu dans le respect de l’indépendance du tribunal et que ne sont pas assurées les conditions objectives d’un fonctionnement impartial. »
Voilà l’impasse – un procès qui n’est pas équitable – où nous conduit le système actuel.
Évidemment, il y aurait une solution ; M. le garde des sceaux la connaît bien, mais il ne cesse de la laisser de côté. Cette solution consisterait à avoir un parquet indépendant ; cela réglerait au moins la question que nous soulevons. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait par le gouvernement actuel.
La deuxième dérive, notre rapporteur et président de la commission des lois l’a évoquée tout à l’heure avec beaucoup de pertinence. Elle s’est manifestée avec l’affaire des sondages commandés par l’Élysée. Que l’immunité concerne le Président est une chose. Que l’immunité, tout d’un coup, s’étende à l’ensemble de ses collaborateurs en est une autre !
Souhaitons-nous vraiment que cette affaire de sondages commandée par les collaborateurs du Président de la République, qui ont bénéficié par extension de son immunité, passe finalement par pertes et profits ? « Désolé, il n’y a rien à voir ! Vous ne pouvez pas enquêter sur cette question-là ni sur tous les manquements qui ont été faits aux règles du code des marchés publics ! Veuillez passer à autre chose ! »
Oui, il y a eu infraction au code des marchés publics, nous le savons, mais nous ne pouvons pas la sanctionner parce que ce sont des collaborateurs du Président qui l’ont commise. Je ne crois pas que ce soit la volonté du Parlement.
Nous avons donc quelques critiques à formuler sur le texte constitutionnel, car il ne nous semble absolument pas parfait. Pour autant, nous soutenons évidemment la proposition de loi de MM. Patriat et Badinter, ainsi que les améliorations apportées par la commission des lois.
M.La parole est à M. Gaëtan Gorce.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission, mes chers collègues, notre Constitution repose depuis une cinquantaine d’années sur une ambigüité, voire un paradoxe : celui qui détient l’essentiel des pouvoirs dans la République n’a à supporter, en réalité, aucune forme de responsabilité.
La ligne, le général de Gaulle l’avait fixée avec son talent, son caractère, mais elle a tout de même suscité quelques contestations. Au cours de la conférence de presse du 31 janvier 1964, il livrait une forme d’interprétation de la Constitution qui était de nature à faire se dresser les cheveux des doyens des facultés !
Sourires.
Le paradoxe que j’évoquais tout à l’heure résulte de ce que cette responsabilité politique assumée, affichée, conséquence de l’élection du Président de la République au suffrage universel, ne se trouve équilibrée, compensée, contrebalancée par rien.
Vous m’objecterez que, dans un régime parlementaire, c’est le Premier ministre et la mise en cause de la responsabilité de ce dernier qui, d’une certaine manière, servent d’exutoire. Mais notre Parlement n’a saisi cette opportunité qu’une seule fois, en 1962, justement pour protester contre l’élection au suffrage universel du Président de la République introduite par référendum sur la base de l’article 11 de la Constitution. Et ceux qui ont voté cette censure en ont été pour leurs frais puisque la plupart d’entre eux n’ont pas été réélus lors des élections législatives qui ont suivi la dissolution consécutive à la censure…
Autrement dit, cette censure politique a servi de leçon pour leurs successeurs, de sorte qu’elle ne fut plus ensuite utilisée autrement qu’avec la plus grande sagesse.
Jusqu’en 2007, les décisions prises par le Président de la République ne pouvaient être mises en cause, sauf à invoquer la haute trahison. Il s’y ajoute heureusement, depuis la réforme de 2007, un dispositif nouveau qui, tout en garantissant l’inviolabilité du chef de l’État en matière pénale et civile, organise sa responsabilité sur le plan politique.
On peut discuter cette réforme, et cela a été fait dans cet hémicycle. Robert Badinter a notamment argué que le chef de l’État se voyait, par l’article 67 de la Constitution, protégé contre toute forme d’action civile, y compris en matière de divorce. Encore que, s’agissant du divorce d’avec les Français, j’ai le sentiment que la procédure est plutôt bien engagée…
Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV.
À l’article 68, la réforme de 2007 a apporté aussi une avancée intéressante, mais tout de même discutable puisqu’elle pose les formes d’une responsabilité politique sans trancher véritablement sur sa nature, juridictionnelle ou non.
Le texte qui nous est soumis prévoit précisément la création d’une commission compétente pour examiner les conditions dans lesquelles cette responsabilité pourrait être mise en cause. Cet élément mérite incontestablement discussion.
Le débat ne porte pas tant sur la question de savoir s’il faut discuter d’une proposition de loi ou d’un projet de loi que sur la nécessité d’aller au bout de la réforme qui a été engagée. En effet, si cette réforme a le mérite d’exister, elle n’a jamais été concrétisée par la loi organique.
Le projet de loi organique, il a fallu attendre décembre 2010 pour qu’il soit déposé.
Il est quand même curieux que ce soit seulement au moment où la majorité sénatoriale a « réveillé » cette question à travers l’excellente proposition de loi de François Patriat et de Robert Badinter que, brusquement, le projet de loi a retrouvé à vos yeux suffisamment d’intérêt pour mériter d’être examiné par la commission des lois de l’Assemblée nationale.
N’y avait-il pas suffisamment de place dans le calendrier parlementaire pour que, depuis 2007, vous ne puissiez pas nous faire examiner une question aussi « mince » qu’une réforme constitutionnelle, aussi « secondaire » que la mise en cause de la responsabilité du chef de l’État, …
… alors que vous avez trouvé, pendant cette période, le temps de légiférer sur les chiens dangereux, de légiférer plusieurs fois sur la récidive, et je passe sur la totalité des textes de loi à l’intérêt manifeste dont nous avons eu à discuter depuis quatre ans et demi ?
S’il ne s’agit pas d’un vrai retard, on pourrait penser qu’il s’agit d’une négligence. Mais, dans ce cas-là, monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de penser qu’elle serait de taille ! Comme je ne saurais imaginer qu’une telle négligence puisse être imputée au Gouvernement, je suppose que ce n’était pas pour vous une priorité. Il s’agit donc d’un choix politique.
C’est pourquoi vous avez souhaité l’examen de la proposition de loi Ciotti !
Je ne suis d’ailleurs pas certain qu’en ayant fixé ces priorités et établi cette chronologie vous ayez véritablement rendu service au Président de la République, car les mauvais esprits – dont je ne suis pas ! – risquent d’être conduits à penser que, s’il n’était pas très enclin à mettre en place une telle réforme, c’est parce qu’il pouvait en redouter les effets. Mais je veux écarter cet argument, qui serait polémique…
On nous dit qu’il existe un projet de loi, qu’il a été déposé et qu’il a, par définition, la primauté. La Constitution ne dit rien de tel, et j’ai du mal à croire, monsieur le garde des sceaux, que vous qui avez été sénateur puissiez adhérer à l’argumentation selon laquelle un projet de loi primerait sur une proposition de loi et qu’un texte déposé sur le bureau l’Assemblée nationale primerait sur un texte déposé sur le bureau du Sénat, alors que notre assemblée ne fait qu’exercer ses prérogatives les plus élémentaires.
Je me permets donc de vous demander pourquoi vous en arrivez à une telle situation, pourquoi on organise un débat en commission à l’Assemblée demain, presque au dernier moment. Pourquoi organise-t-on cette espèce de pantomime institutionnelle, sinon pour des raisons qui n’ont rien de juridique et qui, malheureusement, sont strictement politiques ?
En fait, le problème, c’est que ce gouvernement a du mal à se faire à la situation nouvelle qui a été créée voilà quelques semaines par le vote des grands électeurs. Vous avez du mal à considérer qu’il existe une nouvelle majorité sénatoriale, avec laquelle vous devez pouvoir engager un dialogue et dont vous devez respecter les initiatives.
Je crois que, s’agissant de la responsabilité du chef de l’État, puisque nous sommes d’accord sur le fond, nous aurions pu faire l’économie de cette polémique sur la question de savoir quelle est la chronologie qui devrait s’imposer pour faire avancer la réforme et rendre tout simplement enfin applicable l’article 68 tel qu’il a été modifié.
À travers ce texte, nous vous offrons l’opportunité d’agir dans le sens que nous souhaitons tous. Saisissez-la ! Entrez dans le débat ! Amendez les propositions que nous faisons, pour que l’Assemblée nationale puisse ensuite en discuter !
Nous apporterons ainsi à nos concitoyens, qui éprouvent aujourd'hui un manque de confiance évident dans le fonctionnement de nos institutions, une réponse qui sera de nature à les remobiliser. Nous leur montrerons que personne ne cherche à organiser une impunité et que, bien au contraire, les parlementaires ont le souci d’appliquer les textes qu’ils ont votés, a fortiori quand il s’agit d’un sujet grave entre tous : faire en sorte que, tel la femme de César, celui qui est à la tête de l’État ne puisse inspirer le moindre soupçon !
Tout à l'heure, notre collègue Patrice Gélard se demandait comment définir la notion de « manquement aux devoirs du Président de la République manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Je ne citerai qu’un exemple, qui montre bien, d’ailleurs, que nous nous trouvons dans une situation de blocage et qu’il faut la corriger : la réglementation du financement des campagnes électorales.
Personne n’imagine que l’on puisse empêcher un Président de la République d’entrer en fonctions au motif qu’il n’aurait pas appliqué les règles s’appliquant au financement des campagnes électorales ; un président du Conseil constitutionnel l’a même affirmé explicitement. Or nous savons que cela est arrivé, et nous connaissons la conclusion qui en a été tirée... Personne ne peut s’en satisfaire !
Si nous adoptons les dispositions organiques permettant la mise en œuvre de l’article 68 de la Constitution, chacun saura que, si la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et le Conseil constitutionnel établissent que le Président de la République a financé sa campagne dans des conditions irrégulières, celui-ci pourra alors être destitué et renvoyé devant les juges compétents pour juger des infractions d’une telle nature.
M. Gaëtan Gorce. Nous prouverions ainsi que l’impunité n’existe pas et que le manquement du Président de la République à ses devoirs est bien constitué. Voilà donc une raison supplémentaire d’engager ce débat et de voter ce texte !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Moi, j’adore recevoir des leçons et je dois avouer que, si M. Anziani n’a pas démérité dans l’exercice consistant à m’en adresser, M. Gorce y a excellé !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Oui, aussi bon qu’un chou farci, monsieur Néri !
Souriressur les travées de l’UCR et de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.
Monsieur le ministre, je ne vous suivrai pas sur ce terrain. Vous devriez élever le niveau !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ne vous inquiétez pas, je vais l’élever !
Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Voulez-vous bien me laisser parler ?
Brouhaha sur les mêmes travées.
Pour élever le débat, justement, permettez-moi de revenir à la Constitution de 1958. La question du statut juridictionnel du chef de l’État se pose au moins depuis 1958.
Personne ne vous a empêchés, lorsque vous déteniez la totalité du pouvoir, …
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … de réviser la Constitution pour régler cette question. Or vous n’avez rien fait !
Bravo ! et applaudissementssur les travées de l’UCR et de l’UMP.
En 1958, le problème restait théorique ! Il ne s’est posé en pratique qu’à partir de la fin des années 1990 !
Comme d’habitude, monsieur Collombat, vous polémiquez et vous mélangez tout ! Très honnêtement, ce soir, vous vous êtes révélé être un polémiste médiocre !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne fais que constater cette vérité : depuis 1958 jusqu’à aujourd’hui, rien n’a été fait, alors que beaucoup aurait pu être fait !
Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Si cela avait été fait, ce ne serait plus à faire.
Qui nous aura fait progresser sur cette question, même si ce fut peut-être de façon maladroite ou insuffisante, car je ne prétends pas que la situation actuelle soit parfaite ? Qui ? Mon rôle ne consiste pas à dénigrer les parlementaires qui siègent à gauche ni à vanter la perfection de ceux qui siègent à droite…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … – telle n’a jamais été ma façon de faire, monsieur Néri, et je ne vais pas commencer ce soir, quelles que soient vos provocations, dont je reconnais parfois l’efficacité –, mais force est de reconnaître que vous n’avez rien fait, que vous n’avez rien changé. Ceux qui ont agi, peut-être de façon un peu lente ou incomplète, ce sont les membres de la majorité. Car, si la majorité est devenue minorité au Sénat, elle reste la majorité présidentielle.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Sûrement pas vous !
On peut parler de la décision rendue en 1999 par le Conseil constitutionnel, présidé alors par M. Roland Dumas. C’est bien elle qui a suscité beaucoup de réactions, en raison des énormités qu’elle contenait et qui ont bien montré qu’il fallait agir. Cela, il faut aussi le dire aussi ! Parce que vous avez beaucoup parlé de M. Badinter, pour lequel j’éprouve un immense respect, mais quand on remplace Badinter par Dumas, ça en dit long sur l’idée que l’on se fait du droit !
Vives protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Applaudissements sur les travées de l ’ UCR et de l ’ UMP.
Je suis prêt à tout entendre, mais il ne faut pas non plus exagérer !
Ce que je viens de dire correspond à la réalité ! J’accepte de recevoir des leçons et je l’ai fait tout au long de ce débat, mais je vous réponds simplement que rien n’a été fait lorsque vous aviez la possibilité d’agir.
Aujourd’hui, nous essayons, nous, d’agir, parce que c’est nécessaire, et j’espère que nous trouverons, avec la majorité nouvelle du Sénat, le moyen de parvenir à la rédaction d’un texte organique. En effet, nos positions respectives ne sont pas si éloignées et je souhaite que, au terme de la procédure, nous obtenions un texte de loi organique à la rédaction duquel chacun aura pris sa part et qui rendra applicable l’article 68 de la Constitution.
Je ne peux cependant pas accepter qu’on reproche à notre majorité de ne rien faire tout en prétendant que la gauche ferait tout toute seule, et cela tout simplement parce que c’est faux !
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UCR et de l ’ UMP.
Nous connaissons le calendrier parlementaire. Demain, la commission des lois de l’Assemblée nationale examinera le projet de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution, mais aucune inscription de ce texte à l’ordre du jour n’est encore prévue. Or nous savons que la session s’achèvera en février et que de très nombreux textes attendent d’être inscrits.
Vous savez très bien, monsieur le ministre, qu’il est possible d’organiser la discussion conjointe de plusieurs textes. Ainsi, demain, notre commission des lois examinera trois propositions de loi portant sur la question des armes à feu, qui émanent toutes trois du groupe UMP et qui ont toutes trois été inscrites à l’ordre du jour.
De même, en ce qui concerne les collectivités territoriales, il serait tout à fait possible d’examiner en même temps la proposition de loi que le Sénat vient d’adopter et celle qu’a présentée par M. Pélissard, car elles sont convergentes.
C’est un autre débat, je vous l’accorde !
Je vous demande simplement, monsieur le ministre, si vous envisagez – ce qui serait judicieux ! – d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la discussion conjointe de la présente proposition de loi et du projet de loi organique, de manière à gagner du temps. Ainsi, il y aurait une lecture au Sénat, ce soir, puis une à l’Assemblée nationale, et nous pourrions nous acheminer enfin vers l’adoption de cette loi organique. J’ai cru comprendre que cela ne vous paraissait pas impossible, monsieur le garde des sceaux…
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Je suis saisi, par M. Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, M. Zocchetto et les membres du groupe UCR, d’une motion n°5 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution (n° 85, 2011-2012)
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour la motion.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, même pour ceux qui sont rompus depuis longtemps à la procédure parlementaire, l’examen, ce soir, de la proposition de loi organique présentée par M. Patriat et certains de ses collègues constitue sans doute – mais c’est normal, puisque le Sénat a changé de majorité –, …
… une novation – je le maintiens – dans nos rapports avec l’Assemblée nationale et avec le Gouvernement, qui s’apparentent plus à une « course à l’échalote » qu’au dialogue nécessaire pour aboutir à un texte commun.
Monsieur le président Sueur, il n’existe effectivement pas de hiérarchie entre les propositions de loi et les projets de loi ; en revanche, une différence fondamentale demeure : une assemblée ne peut pas obliger l’autre à examiner les propositions de loi qu’elle a adoptées, alors que le Gouvernement est maître de l’ordre du jour.
Le Gouvernement peut donc inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour !
À partir du moment où le Gouvernement a déposé un projet de loi organique devant l’Assemblée nationale – on vous a expliqué pourquoi –, je ne vois pas au nom de quoi il changerait d’avis et chercherait à faire plaisir à la nouvelle majorité du Sénat, car, jusqu’à preuve du contraire, il n’a aucune raison de lui faire plaisir !
Mes chers collègues, certes, nous avions déjà examiné cette proposition de loi, …
… et décidé de la renvoyer à la commission des lois, dans l’espoir, compte tenu de l’engagement du Gouvernement, de voir déposer un projet de loi ; sinon, le Sénat aurait repris son examen. Tel était le cadre dans lequel nous nous trouvions.
Le caractère paradoxal de la séance de ce soir tient au fait que, depuis la fin de 2010, un projet de loi a bien été déposé par le Gouvernement, et il doit être examiné dans les prochains jours par l’Assemblée nationale.
Il sera examiné demain par la commission des lois de l’Assemblée nationale, mais c’est la séance publique qui est importante !
Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous insistiez auprès de qui de droit pour que nous sortions de cette incongruité inconstitutionnelle qui fait que des lois organiques d’application de la Constitution ne sont toujours pas votées après plus de quatre ans !
Nous, nous pouvons nous plaindre de cette situation, mais pas ceux qui n’ont pas voté la révision constitutionnelle de 2007 !
Je pense que nous aurons à examiner prochainement le texte de ce projet de loi organique, tel qu’il sortira des débats de l’Assemblée nationale. Autrement dit, si nous votons ce soir la proposition de loi qui nous est soumise, elle restera « en l’air » et nous devrons reprendre nos travaux.
Bien entendu, et selon l’usage en vigueur au Sénat, nous serons favorables, lorsque nous examinerons le projet de loi, à l’idée de joindre la présente proposition de loi au débat. Mais je m’interroge vraiment sur vos intentions, chers collègues de la majorité ! Je note d’ailleurs, que le rapporteur et président de la commission des lois s’est bien aperçu de l’absurdité de la situation puisqu’il a intégré lui-même dans le texte de la proposition de loi plusieurs dispositions du projet de loi organique, …
M. Jean-Jacques Hyest. … même si le rapport cite ce projet de loi au passé – « comme le proposait le texte gouvernemental » –, alors qu’il fallait bien évidemment employer le présent ! Pour un grammairien, vous avouerez que ce n’est pas très fort !
M. Alain Néri s’exclame vivement.
C’est un fait, mon cher collègue : le rapport de la commission des lois évoque le projet de loi organique au passé !
Par ailleurs, le rapporteur a aussi supprimé toutes les dispositions de la proposition de loi qui étaient redondantes avec le texte de la Constitution.
Certains propos que j’ai entendus – pas ceux de M. Patriat, qui étaient parfaitement mesurés, mais, par la suite, le discours a franchement déraillé ! – ont révélé une confusion totale entre la responsabilité pénale du chef de l’État, visée à l’article 67 de la Constitution – même si vous ne l’avez pas approuvé, il a été voté par une majorité au Congrès et il fait désormais partie du texte de la Constitution, mais cet article n’est pas en cause aujourd'hui puisqu’il s’applique de lui-même – et la destitution, visée à l’article 68 de la Constitution, en cas de manquement du Président de la République « à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Nous avons pu bénéficier du cours de droit du doyen Gélard, qui a démontré la nécessité de créer cette procédure exceptionnelle et extraordinaire, …
… de nature politique.
Mais je ne sais pas à quels cas elle pourrait s’appliquer. Peut-être à certains cas de priapisme aggravé…
Sourires sur les travées de l ’ UMP.
Il faut que cette procédure reste exceptionnelle, pour ne pas déstabiliser en permanence nos institutions.
Certains amendements qui ont été déposés – mais la commission des lois les a rejetés – sont dangereux, car ils n’ont pour objet que de mettre en cause en permanence, politiquement et surtout médiatiquement, le Président de la République. Nous en avons eu ce soir l’illustration à de nombreuses reprises. Si c’est cela que vous voulez et si c’est la raison pour laquelle vous avez inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour, nous vous mettons en garde !
En tout état de cause, même si les motions de procédure sont parfois utilisées pour allonger les débats ou retarder le vote des textes…
Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Quoi qu'il en soit, la motion que je défends au nom du groupe UMP et du groupe Union centriste et républicaine, et tendant à opposer la question préalable, se justifie parfaitement, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer. Puisque nous serons amenés à discuter du projet de loi en cours d’examen à l’Assemblée nationale, auquel sera jointe la présente proposition de loi déjà fortement amendée par la commission, il n’y a pas lieu de délibérer ce soir.
Quels engagements avez-vous obtenus en termes de calendrier de la part du Gouvernement !
Méfiez-vous, mes chers collègues ! Nous refusons que notre ordre du jour soit instrumentalisé : alors qu’une excellente proposition de loi consensuelle sur la contrefaçon, sur laquelle avait notamment travaillé nos collègues Richard Yung et Laurent Béteille, aurait pu être discutée ce soir…
Vous deviez inscrire cette proposition de loi au nom de la commission, mais vous avez préféré la proposition de loi organique !
En fait, vous instrumentalisez l’ordre du jour ! La plupart du temps, vous voulez détricoter toutes les lois qui ont été votées précédemment…
… pour tenter de faire croire que vous détenez seuls la vérité.
En fait, le débat de ce soir ne sera qu’un exercice de style politicien assez dérisoire : nous n’y participerons pas !
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UCR.
Monsieur Hyest, votre question préalable est une question dilatoire, vous le savez bien.
Pour ce qui est de la proposition de loi relative à la contrefaçon, je tiens à vous rassurer, mon cher collègue, nous pourrons l’introduire dans la proposition de loi Warsmann 4…
Je ne reviendrai pas sur le calendrier ni sur les cinq ans qui se sont écoulés. Durant cette période, monsieur le garde des sceaux, vous l’avez dit, mais sans en tirer les vraies conséquences, la « substantifique moelle » en quelque sorte, le Gouvernement a présenté cinq projets de loi organique destinés à rendre applicable la réforme constitutionnelle de 2008 – ne manque plus que celle qui a trait au référendum dit « d’initiative populaire ». Pourquoi ne pas avoir fait les choses dans l’ordre et permis d’abord l’application de la réforme constitutionnelle de 2007 ?
Cette réforme est intervenue dans une atmosphère de fin de règne, un règne « assiégé » par les procédures judiciaires. Le Président de la République de l’époque, avec, il faut bien le dire, la complicité active du président du Conseil constitutionnel et de quelques professeurs de droit, a fait voter une réforme qui n’a aucun sens.
L’article 67 de la Constitution, tout le monde l’a dit, notamment M. Collombat, est très critiquable en ce qu’il confond la personne du chef de l’État et la personne privée. Les procédures civiles, notamment en matière de droit de la famille, les procédures commerciales et administratives concernent évidemment la personne privée.
Si des problèmes de garde d’enfant surviennent entre le chef de l’État et ses deux ex-épouses, cela ne concerne pas ses fonctions de chef de l’État. L’article 67 est, par conséquent, mauvais.
Quant à l’article 68, qui était une sorte de compensation, il serait inconstitutionnel s’il n’était dans la Constitution !
Exclamations sur les travées de l ’ UMP.
Car enfin, comment peut-on accepter, dans l’esprit de la Constitution de la Ve République, que la responsabilité politique – car il ne s’agit pas d’un jugement pénal – du Président de la République soit mise en cause par le Parlement constitué en Haute Cour, autrement dit, comme l’a fort justement souligné le doyen Gélard, par le Congrès ? Comment peut-on accepter que le Parlement, sur une question déterminée par un pourcentage de députés et de sénateurs, destitue le chef de l’État, mais que celui-ci puisse faire appel devant le peuple en se portant à nouveau candidat pour être élu au suffrage universel. Au reste, même s’il ne fait pas appel devant le peuple, il pourra, même après avoir été destitué, siéger au Conseil constitutionnel…
Cet article n’a donc aucun sens au regard de l’édifice constitutionnel !
Si l’actuel Président de la République n’avait pas l’intention de l’appliquer, il pouvait très facilement modifier l’article 68 en 2008. Il était parfaitement possible de réfléchir à un autre dispositif. Or il ne l’a pas fait ! On a préféré laisser le temps s’écouler, avant que, en toute fin de mandature, pressé d’agir par la commission des lois du Sénat et par vous-même, monsieur Hyest – il suffit de reprendre vos propos –, …
… le Gouvernement dépose dans la précipitation un projet de loi organique, qui méritera certainement d’être revu.
Votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux, avait demandé que la présente proposition de loi soit renvoyée en commission et la majorité sénatoriale avait naturellement suivi le Gouvernement, ce qui est au demeurant tout à fait normal – j’ai souvent agi de même. Le texte a donc été renvoyé à la commission des lois. Au bout d’un an, elle a considéré qu’elle avait assez travaillé, assez attendu le projet de loi organique promis, et elle a décidé de présenter un texte, celui que nous examinons en cet instant et qui a d’ailleurs fait l’objet d’ajustements jusqu’à ce matin même.
Mais vous nous dites une fois de plus que le vote de ce texte n’est pas opportun parce que la commission des lois de l’Assemblée nationale va examiner demain le projet de loi organique du Gouvernement ! Au demeurant, nous ne savons pas quand ce projet de loi viendra en séance publique ! Je note d’ailleurs que M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a fait une courte apparition dans l’hémicycle, est déjà parti. Je le regrette, car s’il était resté, je n’aurais pas manqué de lui demander quand il comptait l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. C’est sans doute la raison pour laquelle il n’a pas souhaité s’attarder… Courage, fuyons !
Protestations sur les travées de l’UMP.
Ce soir, il est de notre responsabilité de voter un texte qui, après son passage en commission, est devenu assez consensuel.
Ainsi, le Gouvernement pourra joindre les deux textes. À l’issue des deux lectures, la loi organique pourra être adoptée rapidement, afin d’être applicable au prochain chef de l’État, quel qu’il soit.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous nous opposons à la question préalable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Il va de soi, monsieur le président, que la commission souhaite le rejet de cette motion.
Dont le Gouvernement, lui, recommande l’adoption.
Je formulerai brièvement deux remarques.
Je dirai d’abord à M. le garde des sceaux que le problème se pose effectivement depuis 1958. Cependant, jadis, c’était un problème juridique, certes excitant, mais purement théorique. C’est devenu un problème pratique à la fin des années 1990, quand les affaires de la mairie de Paris sont arrivées sur le devant de la scène.
Exclamations sur les travées de l ’ UMP.
En outre, jusqu’à l’actuel chef de l’État, je n’ai pas connaissance que des Présidents de la République aient agi en justice dans des affaires privées. Ce n’est plus le cas, ainsi que je l’ai dit tout à l'heure en vous livrant un petit échantillonnage.
Ce n’est donc plus seulement un problème de droit que l’on peut laisser à l’analyse des spécialistes dans les rayons d’une bibliothèque : c’est devenu un véritable problème de morale publique. Nous sommes, par conséquent, obligés d’y apporter une réponse. §
Ensuite, trouvez-vous particulièrement satisfaisante la façon dont se déroulent – ou essayent de se dérouler – les procès intentés à l’ancien Président de la République, sur des faits qui remontent à loin ? La méthode adoptée vous paraît-elle bonne ? À mon sens, elle ne l’est pas !
La discussion de ce soir aura au moins le mérite, si nous parvenons à nous écouter, de poser le problème et de mettre en évidence que la solution votée par le Congrès en 2007 n’est pas bonne !
Il n’est pas nécessaire de discuter une proposition de loi organique pour cela !
Nous avons bien compris l’importance particulière que revêtait ce texte pour la nouvelle majorité sénatoriale. Il est heureux, cependant, que le scrutin public ordinaire soit de droit, car si nous devions procéder aujourd'hui à un vote à main levée, je crois que vous ne seriez plus majoritaires, chers collègues de gauche…
Je m’interroge donc sur le manque de mobilisation dans vos rangs !
Cela étant dit, bien entendu, nous voterons pour la motion défendue par Jean-Jacques Hyest.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l’UCR.
Quand on songe au nombre de fois où, dans le passé, la droite a dû recourir à des scrutins publics pour avoir la majorité !
Je mets aux voix la motion n° 5 rectifiée, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Je rappelle que la commission demande le rejet de cette motion, tandis que le Gouvernement en souhaite l’adoption.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Mmes et MM. les sénateurs de l ’ UMP et de l ’ UCR quittent l’hémicycle.
Une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour doit être signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée devant laquelle elle est déposée.
Elle est motivée.
Un député ou un sénateur ne peut être signataire de plus d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel.
L'amendement n° 3, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée
par les mots :
un groupe politique de l’assemblée devant laquelle elle est déposée ou par un dixième des membres de celle-ci
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Cet amendement a été repoussé en commission des lois, mais je tiens à le défendre malgré tout.
La Constitution reconnaissant explicitement les groupes politiques, il paraît logique de leur conférer le droit de déposer une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour. Je m’en suis expliquée lors de mon intervention dans la discussion générale.
En quoi le fait, pour un groupe politique parlementaire, d’engager une telle procédure relèverait-il ou risquerait-il de relever d’une manœuvre politicienne, alors que ce ne serait pas le cas dès lors que cette procédure serait engagée par une trentaine ou une cinquantaine de parlementaires, sans qu’il soit fait référence à leur appartenance à un groupe ? J’avoue que l’argumentation que l’on nous oppose ne me convainc absolument pas.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement et je tiens à exposer publiquement les raisons de cette position.
Nous n’avons évidemment aucune prévention à l’égard de la politique. Nous en faisons tous et nous sommes fiers d’en faire. L’acte politique est un acte citoyen et républicain. Il ne s’agit donc pas du tout de porter atteinte à la politique.
Nous sommes en revanche en désaccord avec le fait qu’un groupe politique puisse, en tant que tel, demander la saisine de la Haute Cour, car nous considérons que, si un parlementaire demande la saisine de la Haute Cour, c’est parce qu’il a l’intime conviction qu’il faut procéder à cet acte grave pour le bien de la République. Une telle démarche doit aller au-delà des clivages politiques existant au sein d’une assemblée.
Parmi les parlementaires qui demanderont la saisine, il pourra y avoir des représentants de groupes très divers, de la majorité ou de l’opposition. Il s’agit en effet d’une question morale lourde – les intérêts de la République sont en jeux –, celle de l’incapacité du chef de l’État à exercer ses fonctions en raison de ses manquements.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 1 er est adopté.
La Conférence des présidents de l’assemblée concernée se réunit dans un délai de six jours à compter du dépôt sur le bureau de celle-ci de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour.
Si la proposition de résolution satisfait aux conditions de recevabilité, elle est inscrite de droit à l’ordre du jour de l’assemblée concernée dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter du dépôt de cette proposition.
La proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre assemblée. Elle est inscrite de droit à son ordre du jour, au plus tard le treizième jour suivant cette transmission. Le vote intervient de droit, au plus tard, le quinzième jour.
Le vote des assemblées sur la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour fait l’objet d’un scrutin public.
Le rejet de la proposition de résolution par l’une des deux assemblées met un terme à la procédure. –
Adopté.
Le président de l’Assemblée nationale préside la Haute Cour.
En cas de saisine de la Haute Cour, le bureau de celle-ci se réunit aussitôt. Il est composé de vingt-deux membres désignés, en leur sein et en nombre égal, par le bureau de l'Assemblée nationale et par celui du Sénat. Son président est celui de la Haute Cour.
Le bureau organise les conditions du débat et du vote, prend toute décision qu’il juge utile à l’application de l’article 68 de la Constitution.
Ses décisions s’appliquent de plein droit et ne sont susceptibles d’aucun recours. –
Adopté.
En cas de saisine de la Haute Cour, il est institué une commission, chargée de recueillir toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission par la Haute Cour. La commission comprend douze membres élus, selon la représentation proportionnelle au plus fort reste des groupes, en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement total ou partiel de ces assemblées. Elle élit parmi ses membres son président et désigne un rapporteur.
Elle dispose des mêmes prérogatives que celles reconnues aux commissions d’enquête. Le Président de la République peut être entendu soit à sa demande, soit à la demande de la commission. Dans les deux cas, il peut se faire assister d’un conseil de son choix.
Le rapporteur établit un rapport écrit qu’il soumet à la commission. Ce rapport est transmis à la Haute Cour après son approbation par la commission.
La commission dispose d’un délai de quinze jours à compter de l'adoption de la résolution pour mener à bien ses travaux.
Monsieur le président, trois amendements ont été déposés sur cet article et font l’objet d’une discussion commune. Je demande que, parmi ces amendements, l’amendement n° 6, qui émane de la commission, soit examiné par priorité.
La priorité est de droit.
Je suis donc saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 6, présenté par M. Sueur, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 1, deuxième phrase
1° Remplacer le mot :
douze
par le mot :
vingt
2° Après les mots :
plus fort reste
Insérer les mots :
, dans le respect du pluralisme
La parole est à M. le rapporteur.
Si j’ai sollicité l’examen en priorité de l’amendement n° 6, qui a été élaboré ce matin en commission à l’issue d’une longue discussion, c’est parce qu’il prend en compte une partie des préoccupations à la fois de M. Collombat et de Mme Borvo, auteurs des deux autres amendements de cette discussion commune.
Mme Borvo souhaitait que les groupes politiques soient représentés au sein de la commission chargée de procéder à l’instruction de la demande de destitution. Nous avons proposé d’inscrire que la composition de la commission se ferait à parité entre l’Assemblée nationale et le Sénat « dans le respect du pluralisme des groupes ». Cette formule est tout à fait claire.
Afin d’atteindre cet objectif, eu égard au fait que nous examinerons bientôt la demande de réduire à dix le nombre de parlementaires nécessaires à la formation d’un groupe, il nous est apparu nécessaire d’augmenter le nombre de membres de la commission et de le porter de douze à vingt. On peut penser que ce nombre permettra, d’une part, le respect du pluralisme des groupes et, d’autre part, celui de la proportionnalité entre les groupes.
L'amendement n° 4, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1, deuxième phrase
Remplacer cette phrase par trois phrases ainsi rédigées :
La commission comprend vingt-deux membres. Chaque groupe politique des deux assemblées est représenté par au moins un siège. Les sièges restant sont répartis à la représentation proportionnelle au plus fort reste des groupes en leur sein en veillant au respect d’une représentation égale de l’Assemblée et du Sénat au sein de la commission.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin et Fortassin, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 1, deuxième phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
La commission comprend seize membres élus à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, en leur sein et en nombre égal par chaque assemblée après chaque renouvellement total ou partiel de ces assemblées. Lorsque la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée nationale ou du Sénat n’a pas été acquise au premier ou au deuxième tour de scrutin, les membres de la commission sont élus au troisième tour selon la représentation proportionnelle au plus fort reste des groupes.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
Bien sûr, j’apprécie la volonté de synthèse du président et rapporteur de la commission des lois.
Je souhaite néanmoins dire que, compte tenu de la mission de la Haute Cour, il est souhaitable que la composition de la commission soit aussi peu contestable que possible. À cet effet, cet amendement vise à prévoir, pour la désignation des membres de cette commission, un vote à la majorité qualifiée des deux tiers, susceptible de traduire un certain consensus.
Telle était d’ailleurs la conclusion à laquelle mes collègues et moi étions arrivés à l’issue d’une discussion sur des questions de déontologie et de conflits d’intérêts après que nous nous fussions demandé comment faire pour que ceux qui sont appelés à juger soient le plus possible objectifs, le moins possible partisans.
L’avis de Jean-Pierre Sueur sur l’amendement n° 3 de Mme Borvo allait d’ailleurs dans ce sens : le problème n’est pas d’ordre politique au sens banal du terme.
L’amendement n° 1 rectifié vise donc à rechercher, dans un premier temps, un quasi-consensus. Si cela n’est pas possible, il prévoit une élection à la proportionnelle.
L'amendement est adopté.
En conséquence, les amendements n° 4 et 1 rectifié n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 4, modifié.
L'article 4 est adopté.
Les débats de la Haute Cour sont publics.
Seuls peuvent y prendre la parole le Président de la République et son conseil, le Gouvernement et les membres de la Haute Cour. Le Président de la République et son conseil peuvent reprendre la parole en dernier avant la clôture des débats.
Le vote sur la destitution intervient dans un délai d’un mois à compter de l’adoption par les deux assemblées de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour.
La Haute Cour est dessaisie si elle n'a pas statué dans le délai d'un mois fixé au troisième alinéa de l'article 68 de la Constitution.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin et Fortassin, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
La Haute Cour statue impérativement sur la destitution dans un délai d’un mois à compter de l’adoption par les deux assemblées de la proposition de résolution tendant à sa réunion.
II. – Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
Je suis très intrigué par le quatrième alinéa de l’article 4, qui prévoit que la Haute Cour est dessaisie si elle n’a pas statué dans le délai d’un mois fixé au troisième alinéa de l’article 68 de la Constitution.
La Haute Cour a une mission et tranche impérativement dans un délai d’un mois. Il n’est tout de même pas bien difficile de voter dans un sens ou dans un autre ! Je ne vois donc pas pourquoi elle serait dessaisie ! J’ai un peu de mal à comprendre le sens de cet article, mais peut-être son auteur va-t-il me l’expliquer…
La commission est défavorable à cet amendement.
Il faut tout de même imaginer quelle serait la situation de notre pays dans le cas où se poserait la question de savoir si le chef de l’État doit ou non être destitué… Il me semble que, dans l’intérêt de la République, un tel débat ne devrait pas s’éterniser. C’est pourquoi la Constitution a prévu un délai d’un mois.
Il n’y a pas contradiction, monsieur Collombat, entre l’obligation pour la Haute Cour de statuer, conformément à la Constitution, dans un délai d’un mois et la conséquence que prévoit le texte de la commission des lois en cas de dépassement de ce délai, à savoir le dessaisissement de la Haute Cour.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. François Patriat, pour explication de vote.
Lorsque Robert Badinter et moi-même avons déposé ce texte, j’en ai conçu une fierté en tant qu’élu, mais également une fierté démocratique.
En effet, même si je ne suis pas juriste, même si je ne suis pas constitutionnaliste, il m’était apparu, comme d’ailleurs à un certain nombre de parlementaires de droite, qu’il y avait un vide et qu’il convenait d’agir pour rétablir un équilibre dans notre Constitution.
Lorsque j’ai déposé cette proposition de loi organique, je l’ai fait sans esprit partisan – et je crois que, ce soir, tous ceux qui sont présents dans l’hémicycle sont dans les mêmes dispositions. Car cette proposition de loi n’a rien de politique au sens partisan du terme.
Ce soir, ce n’est pas une victoire d’un camp sur l’autre, de la gauche sur la droite. Ce n’est pas une victoire clanique. C’est une victoire de la démocratie, et elle est à l’honneur de la majorité sénatoriale.
Celle-ci a porté ce texte avec, je le crois, une volonté d’ouverture et de respect. Elle a considéré qu’il y avait là une chance de régler cette question avant la fin de la législature, afin que le prochain Président de la République, quel qu’il soit, puisse bénéficier d’un statut juridiquement solide, qui le protège tout en maintenant sa responsabilité.
Je suis également convaincu que cette proposition de loi organique aura servi d’accélérateur à la mise en application de l’article 68 de la Constitution, puisque le projet de loi organique déposé le 22 décembre 2010 à l’Assemblée nationale voit son examen enfin hâté, la commission des lois de l’Assemblée nationale étant appelé à l’examiner ce mercredi matin.
Je souhaite vivement, comme Jean-Pierre Sueur, que soit saisie l’occasion de discuter les deux textes, proposition de loi du Sénat et projet de loi, en même temps.
… nous efforcer d’aboutir à un texte qui permettrait de clore ce dossier ? Ce serait à l’honneur de tous et nous aurions fait œuvre utile.
Le doyen Gélard se demandait tout à l’heure ce que nous faisions ici. Eh bien, nous faisons notre travail de parlementaires, et je crois que, ce soir, nous l’avons fait avec honneur et dignité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 39 :
Nombre de votants177Nombre de suffrages exprimés177Majorité absolue des suffrages exprimés89Pour l’adoption176Contre 1Le Sénat a adopté.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 15 novembre 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-214 et 2011-215 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 16 novembre 2011 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Proposition de loi garantissant le droit au repos dominical (n° 794 rectifié, 2010-2011).
Rapport de Mme Annie David, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 89, 2011 2012).
Texte de la commission (n° 90, 2011-2012).
2. Proposition de loi visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies (n° 745 rectifié, 2010-2011).
Rapport de M. Christian Favier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 71, 2011-2012).
Texte de la commission (n° 72, 2011-2012).
À dix-huit heures trente, le soir et la nuit, jusqu’à zéro heure trente :
3. Proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial (n° 800, 2010-2011).
Rapport de M. Gaëtan Gorce, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 87, 2011 2012).
Texte de la commission (n° 88, 2011-2012).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 16 novembre 2011, à zéro heure cinq.