Intervention de Alain Anziani

Réunion du 15 novembre 2011 à 21h30
Application de l'article 68 de la constitution — Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

La deuxième exception française qui distingue notre système de celui des démocraties comparables relève, selon moi, d’une inspiration monarchique. Il y avait, dans notre droit ancien, une devise selon laquelle « le roi ne peut mal faire ». J’ai l’impression qu’on retrouve cette idée dans le texte.

Et c’est bien en toute matière que « le roi ne peut mal faire ». Robert Badinter l’a d’ailleurs magnifiquement démontré en expliquant que, dans notre système, l’épouse du chef de l’État est la seule femme de France à ne pas pouvoir divorcer sans le consentement de son mari ! Nous le savons, l’immunité judiciaire du chef de l’État s’étend aux procédures civiles, y compris le divorce. Le souhaitons-nous vraiment ? Souhaitons-nous maintenir un système aussi archaïque ou voulons-nous avancer ?

Ainsi, non seulement l’épouse du Président de la République ne peut pas engager une procédure contre son mari, mais, de surcroît, si le chef de l’État, demain, causait un accident de la circulation, ...

M.En percutant le camion d’un laitier, par exemple !

M.… la victime de l’accident ne pourrait pas être dédommagée, faute d’avoir le droit d’engager une procédure contre le Président de la République.

Évidemment, en matière de diffamation et d’injure, nous sommes face au même paradoxe de cette immunité que je qualifierai d’universelle.

En fait, cette protection absolue conduit à deux dérives.

La première va s’illustrer dans quelques jours : la Cour de cassation va rendre un arrêt dans l’affaire de la carte bleue du chef de l’État qui, vous le savez, avait été piratée. Nous ne connaissons pas encore les termes de cet arrêt, mais nous connaissons déjà les conclusions de l’avocat général, qu’il a énoncées le 14 mars dernier. Il a souligné avec force que nous avions un Président intouchable : personne ne peut agir contre lui, mais lui peut agir contre les autres ; de fait, François Patriat l’a dit tout à l’heure, le Président de la République peut se constituer partie civile, ce qu’il a fait en l’occurrence.

Et l’avocat général, qui n’est pas un parlementaire, qui n’est pas un homme politique, mais qui est un juriste éminent, d’expliquer : « Le fait qu’une autorité soumette à ceux-là mêmes qui relèvent de son pouvoir de nomination le soin de trancher un litige qui concerne ses intérêts privés est de nature à donner l’apparence aux autres parties comme au public que le procès n’obéit pas aux règles d’un procès équitable, qu’il n’est pas tenu dans le respect de l’indépendance du tribunal et que ne sont pas assurées les conditions objectives d’un fonctionnement impartial. »

Voilà l’impasse – un procès qui n’est pas équitable – où nous conduit le système actuel.

Évidemment, il y aurait une solution ; M. le garde des sceaux la connaît bien, mais il ne cesse de la laisser de côté. Cette solution consisterait à avoir un parquet indépendant ; cela réglerait au moins la question que nous soulevons. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait par le gouvernement actuel.

La deuxième dérive, notre rapporteur et président de la commission des lois l’a évoquée tout à l’heure avec beaucoup de pertinence. Elle s’est manifestée avec l’affaire des sondages commandés par l’Élysée. Que l’immunité concerne le Président est une chose. Que l’immunité, tout d’un coup, s’étende à l’ensemble de ses collaborateurs en est une autre !

Souhaitons-nous vraiment que cette affaire de sondages commandée par les collaborateurs du Président de la République, qui ont bénéficié par extension de son immunité, passe finalement par pertes et profits ? « Désolé, il n’y a rien à voir ! Vous ne pouvez pas enquêter sur cette question-là ni sur tous les manquements qui ont été faits aux règles du code des marchés publics ! Veuillez passer à autre chose ! »

Oui, il y a eu infraction au code des marchés publics, nous le savons, mais nous ne pouvons pas la sanctionner parce que ce sont des collaborateurs du Président qui l’ont commise. Je ne crois pas que ce soit la volonté du Parlement.

Nous avons donc quelques critiques à formuler sur le texte constitutionnel, car il ne nous semble absolument pas parfait. Pour autant, nous soutenons évidemment la proposition de loi de MM. Patriat et Badinter, ainsi que les améliorations apportées par la commission des lois.

M.La parole est à M. Gaëtan Gorce.

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