Avec l’article 1er, l’article 35 constitue le cœur de ce projet de loi, dont l’objet est au fond, sous prétexte de rationaliser l’action publique, de porter atteinte au service public.
Le Gouvernement ne fait qu’entreprendre pour le niveau local ce qu’il opère déjà pour les services publics nationaux.
Entre suppression de la taxe professionnelle et réforme des collectivités territoriales, l’objectif est l’affaiblissement du pouvoir local.
La suppression de la moitié des élus départementaux et régionaux, jugés « usés » par le Président de la République, la réduction des dotations puis l’entrave à l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, la non-compensation des charges transférées et, enfin, la remise en cause de la clause de compétence générale des régions et des départements constituent une véritable rupture avec la place et le rôle respectifs de l’État et des collectivités dans l’identité, tant constitutionnelle qu’institutionnelle, de notre République.
L’article 35 qui nous est proposé ici est en totale contradiction avec l’amendement n° 166 rectifié qui a été adopté la semaine dernière et qui précise que la compétence générale est un principe fondateur de la libre administration des collectivités locales.
Le Sénat, garant de la décentralisation et représentant des territoires, doit avoir le courage de maintenir la position qu’il a adoptée et donc de rejeter l’article 35, qui devrait en fait « tomber ».
Derrière une volonté de clarification, oubliant que la création d’un catalogue de compétences n’est pas une solution, cette réforme sonne le glas des politiques volontaristes sur les territoires – politiques qui font pourtant leur identité – et entérine le désengagement de l’État.
L’article 35 remet en cause le principe d’égalité républicaine, la capacité d’action, la légitimité de l’intervention des autorités locales à l’égard de presque tous les sujets de préoccupation de leurs administrés, et le service public local, dont chacun d’entre nous sait combien son essor est intimement lié à la clause de compétence générale.
Le rétablissement de cette clause de compétence assurerait la pérennité des mécanismes de financements croisés. En effet, et cela a été rappelé à plusieurs reprises sur ces travées, nombreuses sont les collectivités locales qui participent, sous différentes formes, au financement du logement social, exemple que ma collègue Odette Terrade vient d’évoquer. Leur contribution à la construction et à la réhabilitation est souvent supérieure à celle de l’État, alors même que le budget étatique de 2010 dans ce domaine est de nouveau en diminution.
Il semble, par conséquent, difficile d’évoquer les compétences des collectivités sans mener une réflexion concomitante sur le rôle de l’État.
Enfin, l’article 35 tout comme l’ensemble du présent projet de loi vident le département et la région de leurs éléments constitutifs au profit des métropoles, en les dénaturant et en heurtant la logique démocratique, oubliant la cohérence territoriale et la cohésion sociale dont est traditionnellement porteur tout projet de décentralisation.
Comme l’a très justement rappelé mon collègue Gérard Le Cam la semaine dernière, les métropoles et les pôles métropolitains auront des compétences stratégiques, alors même que seule l’idée de compétitivité et de concurrence sous-tend leur création, et non l’ambition d’en faire les moteurs du développement solidaire de toute une région.
L’article 35, replacé dans le contexte de la réforme qui nous est proposée, amplifie le risque réel de voir s’accroître le fossé entre les communes qui deviendront des métropoles et les autres, d’accentuer ainsi les déséquilibres sur le territoire départemental au point de désintégrer ce dernier.
Le présent projet de loi privilégie une vision urbaine exclusive de la société, dans laquelle l’espace rural et les petites villes sont plus que jamais délaissés, marginalisés, considérés comme résiduels. C’est là une vision que nous ne pouvons partager.
Les pôles métropolitains concentreront les investissements, les aides, les emplois, confisquant ainsi l’activité économique, et signeront l’abandon de la cohésion sociale et territoriale.
Tout dans ce projet de loi est tourné vers l’objectif de transformer les collectivités territoriales en structures commerciales et les élus locaux en simples membres de conseils d’administration. Le territoire réel ne peut être réduit aux logiques du marché, de l’offre et de la demande.
La clause générale de compétence est indispensable aux collectivités. Revenir sur la position adoptée la semaine dernière reviendrait à trahir l’esprit de la décentralisation et la confiance des élus locaux.
C’est pourquoi, par souci de cohérence avec l’amendement 166 rectifié, les membres du groupe CRC-SPG ne voteront par l’article 35 : plus que jamais, ils font le pari de l’intelligence territoriale.