Intervention de Annie David

Réunion du 16 novembre 2011 à 14h30
Droit au repos dominical — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Annie DavidAnnie David, présidente de la commission des affaires sociales, rapporteure :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 1906, la loi garantit aux salariés de l’industrie et du commerce un jour de repos hebdomadaire, traditionnellement fixé le dimanche. À l’époque, ce jour de repos avait été instauré non seulement pour protéger la santé des salariés, mais aussi pour préserver leur vie de famille. Ces deux objectifs restent aujourd’hui pleinement d’actualité.

Pour autant, le principe du repos dominical a toujours été assorti de dérogations : certaines sont nécessaires pour assurer la continuité de nos services publics, d’autres sont justifiées par les contraintes techniques de secteurs industriels qui doivent fonctionner en continu, d’autres encore ont été accordées pour répondre aux besoins de la clientèle, besoins sans doute réels, mais parfois créés, voire suscités, par notre société de consommation. Mes chers collègues, nous avons toutes et tous connaissance, par exemple, de campagnes promotionnelles justement mises en place certains dimanches ou jours fériés.

La loi Mallié du 10 août 2009 a cependant rompu l’équilibre qui prévalait jusqu’alors entre les intérêts des entreprises, les besoins des consommateurs et les droits des salariés. Son adoption avait d’ailleurs été difficile, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, car ce texte avait suscité de fortes réticences, y compris au sein de la majorité présidentielle ; ma collègue Isabelle Pasquet l’a souligné.

La loi Mallié, je vous le rappelle, a introduit de nouvelles dérogations au principe du repos dominical au profit des commerces établis dans les communes et les zones touristiques, et de certaines zones commerciales installées dans de grandes agglomérations.

Ces nouvelles dérogations vont bien au-delà de ce qui suffirait à satisfaire la demande de la clientèle touristique ou celle des habitantes et habitants de ces grandes agglomérations. De surcroît, elles s’accompagnent d’une inégalité de traitement choquante entre les salariés.

La commission d’experts de l’Organisation internationale du travail s’en est d’ailleurs émue et a invité la France à apporter les mêmes garanties à toutes et tous les salariés.

La proposition de loi que nous examinons cet après-midi vise donc à corriger les excès de la loi Mallié et à rétablir l’égalité entre les salariés, en garantissant les mêmes contreparties à toutes celles et tous ceux qui sont concernés par ces dérogations.

Conformément au protocole relatif à la concertation avec les partenaires sociaux, j’ai invité les organisations syndicales et patronales représentatives à me faire connaître leur point de vue sur ce texte. Cinq organisations syndicales m’ont répondu : trois organisations de salariés – la CGT, la CFDT et la CFTC – et deux organisations patronales – la CGPME et l’UPA.

Les syndicats de salariés soutiennent globalement les orientations du texte. Les organisations d’employeurs ont exprimé une position nuancée, réaffirmant leur attachement à la défense du petit commerce face à la concurrence des grandes surfaces, mais aussi leur souci que les contreparties accordées aux salariés ne mettent pas en danger l’équilibre financier des entreprises.

La proposition de loi vise d’abord à restreindre le champ des dérogations au repos dominical introduites par la loi Mallié.

En ce qui concerne les communes et les zones touristiques, elle tend à inscrire dans le code du travail deux principes de bon sens : d’abord, limiter le droit à déroger à la règle du repos dominical aux seuls établissements qui mettent à la disposition du public des biens ou des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs, ce qui revient à rétablir ce qui existait pour les zones touristiques ; ensuite, pour ces dernières, n’accepter ces dérogations que pendant la saison ou les saisons touristiques, étant rappelé que ces saisons peuvent être définies différemment en fonction des territoires et qu’elles le sont par la préfecture. Plusieurs collègues ont en effet souligné en commission que la période touristique pouvait être longue dans certaines régions et qu’il fallait veiller à ne pas pénaliser leur activité.

La commission a également précisé que ce sont bien les communes classées touristiques au sens du code du travail qui seront concernées par ces dérogations.

Elle a également clarifié la rédaction de la proposition de loi concernant les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE. L’objectif visé par les auteurs du texte était non pas de supprimer les PUCE existants, mais bien de mettre un coup d’arrêt à la multiplication de ces zones à l’intérieur desquelles il est possible de déroger au principe du repos dominical. La rédaction adoptée par la commission lève toute ambiguïté, en indiquant qu’aucun nouveau PUCE ne pourra être délimité après l’entrée en vigueur de la proposition de loi, sans remettre en cause les PUCE existants.

Sur l’initiative de notre collègue Ronan Kerdraon, nous avons pris en considération le cas des commerces de détail alimentaires. Comme vous le savez, ces commerces peuvent faire travailler leurs salariés le dimanche jusqu’à treize heures en vertu d’une disposition issue de la loi Mallié. Auparavant, c’était jusqu’à douze heures. Or certaines grandes enseignes qui proposent des denrées alimentaires, mais qui vendent aussi d’autres produits, s’appuient sur cette disposition pour ouvrir tous les dimanches et font ainsi une concurrence déloyale aux petits commerces.

Nous avons donc choisi de réserver désormais cette faculté aux seuls commerces de moins de cinq cents mètres carrés. De cette manière, les petits commerces alimentaires qui contribuent à l’animation de nos villes et de nos villages pourront ouvrir le dimanche matin, contrairement aux grandes surfaces, qui ne le pourront pas. Dans les communes et les zones touristiques, toutefois, la réglementation actuelle continuera à s’appliquer, afin de tenir compte des besoins particuliers de la clientèle touristique.

J’en arrive à la question des contreparties que la proposition de loi envisage d’accorder aux salariés privés du repos dominical.

Le texte consacre d’abord le principe du volontariat : seuls les salariés ayant donné volontairement leur accord par écrit pourront travailler le dimanche.

Ensuite, l’autorisation de déroger au principe du repos dominical sera subordonnée à la conclusion d’un accord de branche ou interprofessionnel fixant les conditions dans lesquelles l’employeur prend en compte l’évolution de la situation personnelle des salariés privés du repos dominical, ainsi que les contreparties qui leur sont accordées.

Enfin, la loi garantira aux salariés le bénéfice d’un repos compensateur et d’un salaire double pour les heures travaillées le dimanche.

Je voudrais m’arrêter un instant sur le repos compensateur. Comme il est précisé dans la proposition de loi, si le repos dominical est supprimé un dimanche précédant une fête légale, le repos compensateur sera accordé au salarié le jour de cette fête légale. Cette disposition figure déjà dans le code du travail, à l’article relatif à l’autorisation exceptionnelle d’ouverture accordée par le maire pour un maximum de cinq dimanches par an, et n’est donc pas introduite par le texte que nous examinons aujourd’hui. Toutefois, une organisation syndicale a attiré mon attention sur le fait que cette précision risquait de ne pas être toujours favorable aux salariés. En effet, le salarié peut être lésé si le jour de cette fête légale correspond à un jour chômé dans l’entreprise. Aussi cette question devra-t-elle, selon moi, être revue au cours de la navette parlementaire, après consultation des autres organisations syndicales et patronales sur ce point.

La commission s’est enfin attachée à préciser le champ d’application des garanties que je viens d’évoquer. Elles viseront les salariés employés dans les PUCE, celles et ceux qui travaillent dans les communes et les zones touristiques, celles et ceux qui sont privés du repos dominical dans le cadre des cinq dimanches exceptionnels d’ouverture autorisés par le maire et, enfin, celles et ceux dont l’entreprise déroge au repos dominical sur le fondement de l’article L. 3132–20 du code du travail, cas où le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés d’un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de l’établissement.

En conclusion, je veux souligner à quel point la question du repos dominical est d’une nature éminemment politique. Elle nous amène à confronter nos visions, diamétralement opposées, de l’organisation de la vie en société et de la place qu’il convient d’accorder aux activités commerciales.

Il est indiscutable que la pratique religieuse a reculé dans notre société et que le dimanche n’a plus, pour la majorité de nos concitoyennes et concitoyens, la signification qu’il pouvait avoir autrefois. Isabelle Pasquet a d’ailleurs cité à cet égard les propos d’un historien, lequel démontre que la loi du 13 janvier 1906 n’est en rien liée à la religion.

Il n’en reste pas moins que le repos dominical mérite d’être défendu, car le dimanche est souvent le seul jour chômé où les familles peuvent se retrouver et passer du temps ensemble. Conserver ce jour de repos commun au plus grand nombre est un objectif qui devrait, je l’espère, nous rassembler toutes et tous.

Pour cette raison, je vous invite, mes chers collègues, à approuver la proposition de loi garantissant le droit au repos dominical dans la rédaction résultant des travaux de notre commission. §

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