Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 16 novembre 2011 à 14h30
Droit au repos dominical — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l'examen de la proposition de loi du député Richard Mallié, mes deux collègues François Fortassin et Jacques Mézard étaient intervenus au nom du groupe RDSE. Ils avaient démontré comment le dispositif proposé venait rompre avec la tradition de la loi républicaine, humaniste et laïque, la loi Sarrien de 1906.

Ils avaient dénoncé encore la volonté de faire croire, pour partie du moins, que le travail dominical serait le remède à la crise économique et sociale dont nous pressentions déjà alors, le 21 juillet 2009, lors de l'examen du texte, qu'elle serait aiguë et longue.

Ils s'inquiétaient enfin des conséquences du nouveau régime sur les salariés eux-mêmes. D’une part, s’agissant de la notion de volontariat, les salariés ne seraient-ils pas souvent des « volontaires d’office » ? D'autre part, quels seraient les modes de compensation horaire et financière ?

La loi, promulguée le 10 août 2009, a très vite démontré ses forces et ses faiblesses.

Ses forces : la liberté d'entreprendre, en s'adaptant à l'évolution de nos mœurs sociétales, qui, progressivement, RTT oblige, efface – ou du moins amenuise – le poids et la place du repos dominical au profit du repos hebdomadaire.

Nos débats ont clairement montré que nombreux sont les bricoleurs, les jardiniers amateurs, les familles qui profitent d'un temps libre, partagé, pour aller faire leurs achats ou, tout simplement, flâner dans les magasins de grande distribution.

Nombreux aussi, tout simplement, sont ces salariés qui n’ont pas eu le temps, pendant le jour de travail, de faire posément leurs courses, des courses du quotidien, le plus souvent des achats alimentaires.

Là est le point de vue du chaland, de plus en plus avide de sa liberté, au risque d'amputer celle de l'autre.

Quand l’autre est son propre patron, propriétaire de son commerce et qu’il ne contraint pas un salarié à travailler le dimanche, la liberté des uns, comme celle des autres, n'est pas mise à mal.

Personne ne se plaindra de pouvoir aller acheter la presse chez son marchand de journaux, qui ouvre régulièrement le dimanche matin pour la plus grande satisfaction de tous.

Avantage encore que d'avoir régularisé des situations que la force des habitudes avait institutionnalisées. Je pense en particulier au domaine de l'ameublement, du bricolage et du jardinage, à la reconnaissance des périmètres d'usage de consommation exceptionnel ; je pense encore aux zones touristiques, d’influence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente.

Il est évident, et la volonté de tous est bien établie, qu'il ne s'agit en aucun cas d'affaiblir, comme l’a d'ailleurs fort justement souligné Mme la rapporteure, la compétitivité des entreprises industrielles, de réduire l'activité de secteurs commerciaux fragilisés par la crise, de complexifier la vie des consommateurs.

En revanche, et là réside la principale faiblesse du dispositif existant, les salariés soumis au travail du dimanche ne sont pas suffisamment protégés.

La loi d'août 2009 avait fait un premier pas d’équilibre – ou plutôt d'équilibriste – pour concilier les intérêts des salariés avec ceux des entreprises et des commerces. Mais la réalité du terrain a mis au jour les difficultés auxquelles se sont heurtés les différents acteurs et montré le bien-fondé de la réticence de celles et ceux qui, au sein de la Haute Assemblée, s'étaient opposés à ce texte.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui rectifie le dispositif de 2009 et répond aux observations de l'Organisation internationale du travail, qui, dans un rapport récent, a mis la France en garde au sujet de l'application de cette loi.

Avait été notamment soulignée la nécessité que soit assurée une protection équivalente aux salariés employés dans des zones touristiques ou dans les PUCE, les premiers ne bénéficiant pas de la garantie du caractère volontaire de leur participation au travail dominical et du droit à des contreparties, reconnus au second.

Dès lors, on ne peut que se satisfaire de l'extension du principe de volontariat à l'ensemble des salariés sur l'ensemble du territoire, sans distinction ni de la nature des activités salariées ni de leur localisation.

Cette disposition restaurera l’égalité entre ceux qui sont amenés à travailler dans le cadre des dérogations soumises à autorisation, y compris s'agissant des commerces de détail non alimentaires, dont l’ouverture est autorisée par le maire cinq dimanches par an.

Cette garantie est accompagnée d’une autre, tout aussi essentielle, qui oblige à conclure un accord collectif fixant les contreparties aux salariés, accord sans lequel l'autorité administrative compétente pour accorder la dérogation ne pourra se prononcer.

Enfin, au cas où le salarié n’accepterait pas ou ne pourrait accepter de travailler le dimanche, la proposition de loi prévoit de le protéger contre d'éventuelles mesures discriminatoires qui nuiraient à sa situation professionnelle.

Si, pour ma part, j'adhère aux trois garanties dont le principe est ici posé, je voudrais néanmoins mettre en garde notre assemblée contre une éventuelle rigidité excessive du dispositif, qui, au lieu de réguler le travail dominical, en dévoierait l'esprit.

Comment ne pas admettre que les employeurs auront intérêt à privilégier soit la compensation dans le temps, soit la compensation financière, et non pas à les cumuler avec une rémunération représentant au moins le double de la rémunération normale ?

La conclusion de conventions recueillant l'accord de tous les partenaires s'en trouvera assurément complexifiée.

Comment encore distinguer, au sein des zones touristiques et thermales, celles dont l'activité est effectivement limitée dans le temps ? Au demeurant, l'extension aux zones d'influence exceptionnelle et d'animation culturelle élargit le champ dérogatoire et milite pour une extension de la durée d'ouverture vers une ouverture permanente.

Enfin, comment ne pas être attentif à la situation de nos petits commerces de proximité, que, fort opportunément, notre commission a tenu à préserver et qui font la force et l'attractivité tant de nos territoires ruraux que des zones urbaines qui auraient parfois tendance à se départir de cette indispensable humanité, celle de la raison, des yeux et du cœur ?

Dans ce contexte, dont chacun mesure la complexité, le groupe RDSE se partagera, fidèle à son principe de liberté de conscience, entre opposition à cette proposition de loi, abstention et vote positif.

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