Intervention de Louis Souvet

Réunion du 8 mars 2005 à 10h00
Questions orales — Situation des chirurgiens dans le secteur public hospitalier

Photo de Louis SouvetLouis Souvet :

Même s'il est coutume d'évoquer - on vient de l'entendre à de nombreuses reprises, lors de cette séance des questions orales - des problèmes locaux d'infrastructures en tout genre, je n'abuserai pas de cette tribune pour polémiquer sur le site médian du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard ; cela n'aurait pas un très grand intérêt pour mes collègues ici présents. Sachez toutefois que les parlementaires du pays de Montbéliard feront preuve d'une extrême vigilance.

De vigilance, il doit en être question pour le dossier que j'aborderai aujourd'hui : la situation des chirurgiens dans les hôpitaux publics. Pourquoi, pourriez-vous m'objecter, opposer deux composantes d'un système de santé ? Je n'ai pas l'habitude d'aborder ainsi les problèmes, mais les contraintes auxquelles sont confrontés les chirurgiens des centres hospitaliers, la spécificité de leur situation, méritent amplement que je fasse une exception à cette règle de conduite.

Un tel état de fait non seulement affecte les conditions de travail au sein des blocs opératoires, mais réduit également le nombre d'opérations. Ce fonctionnement au ralenti engendre des délais d'attente pour les patients. S'ajoutent des distorsions relatives à la répartition territoriale des chirurgiens, donc à l'offre de soins au niveau national.

Reconnaître les astreintes du métier de chirurgien des hôpitaux, c'est se donner les moyens de traiter, à la base, ce dossier. Cette reconnaissance doit s'insérer dans une large palette de mesures : elles vont de la réorganisation de la formation chirurgicale de troisième cycle, en passant par les conditions de participation à la permanence chirurgicale. La mise en place de la réduction du temps de travail a en effet pesé particulièrement sur les services chirurgicaux compte tenu des spécificités temporelles et techniques.

Il suffit de reprendre les statistiques pour constater objectivement que l'activité chirurgicale d'urgence est, en très grande majorité, assurée dans les centres hospitaliers, avec les contraintes en matière de garde que cela suppose en termes à la fois de présence et de responsabilités.

Tout d'abord, les responsabilités sont multiples du fait non seulement de la non-délégation des actes chirurgicaux, mais également du suivi quotidien des suites chirurgicales et des opérations ultérieures qui se révéleraient nécessaires.

Ensuite, les responsabilités, au sein de l'équipe chirurgicale, se concentrent, compte tenu de la nécessaire personnalisation de l'acte, sur le chirurgien.

Enfin, les responsabilités sont accrues du fait de la pénurie, car pénurie il y a dans les blocs opératoires, les effectifs n'étant pratiquement jamais complets en raison de l'application de la réduction du temps de travail.

Les hôpitaux doivent gérer une pénurie chronique d'infirmiers de bloc opératoire diplômés d'Etat. Je citerai juste un chiffre pour illustrer l'ampleur du phénomène : à un concours d'entrée en école d'IBODE, le nombre de candidats s'élevait à 74 unités pour 105 places.

On peut dès lors comprendre les conditions de travail particulièrement pénibles des infirmières ou infirmiers et des chirurgiens confrontés à ces sous-effectifs. A l'exigence propre de leur spécialité s'ajoutent des contraintes supplémentaires. Le résultat est logique. Les chiffres le prouvent : 40 % des chirurgiens ayant débuté à l'hôpital n'y exercent plus au bout de dix ans. Dans un métier où l'expérience constitue un facteur déterminant, ce turn-over n'est pas à prendre à la légère. Il se conjugue malheureusement avec le non-remplacement des chirurgiens partant à la retraite.

Ces multiples problèmes affectant la chirurgie dans le secteur public hospitalier, il convient de les envisager et de les traiter le plus en amont possible, c'est-à-dire au niveau du recrutement, en rendant son attractivité à une filière valorisée et valorisante au sein du cursus médical.

Devra être augmenté, de façon significative, le nombre des internes en chirurgie, avec la capacité, en dernière année, de participer à la permanence des soins chirurgicaux ; il est nécessaire de reconstituer des équipes opératoires complètes.

Dans un excellent article intitulé Lettre à un de mes anciens élèves, le professeur Bernard Debré le rappelle : les chirurgiens ne recherchent ni des remerciements ni même la gloire, si mince soit-elle ! Pour autant, nous nous devons de leur permettre d'exercer leurs responsabilités dans les conditions les plus satisfaisantes possibles. Ils doivent également pouvoir se concentrer sur leur pratique, qui nécessite une formation et une remise à niveau permanentes. Je me mets à la place d'un étudiant en médecine : à l'heure actuelle, compte tenu de toutes les contingences matérielles que je viens d'évoquer, il ne s'interrogera même pas sur la durée de sa carrière de chirurgien au sein d'un centre hospitalier. Il ne choisira tout simplement pas cette voie !

Je n'attends pas de solutions miracles : je suis réaliste ! Mais je souhaite savoir si une réforme prenant en compte la globalité d'une telle problématique permettra de mettre fin à ce qui s'apparente à une crise de la vocation s'agissant de la chirurgie.

Je pourrais poursuivre cette énumération, mais je ne me situe pas dans une quelconque logique de défense d'un pré carré corporatiste : je dresse seulement le constat d'une situation alarmante tant pour les praticiens que pour les patients actuels et à venir.

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