Intervention de Bernard Piras

Réunion du 8 mars 2005 à 16h00
Régulation des activités postales — Discussion générale

Photo de Bernard PirasBernard Piras :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand je rencontre les maires de mon département, le maintien des services publics en général, et du service postal en particulier, est systématiquement abordé. L'inquiétude des élus locaux, justifiée par des faits avérés et non par de simples suppositions, porte tant sur la qualité du service, en raison des réductions des heures d'ouverture ou de la diminution du service rendu, par exemple, que sur la remise en cause même de la présence postale sur le territoire.

Mes chers collègues, nous devons être bien conscients que le débat auquel nous participons aujourd'hui, dans cet hémicycle, est très attendu, et qu'il sera interprété, selon sa nature, soit comme une prise en compte des attentes et des souffrances du monde rural, soit comme un nouvel abandon. Le retrait progressif de la plupart des services publics est vécu, à juste titre, comme un échec, source d'une profonde démoralisation, réduisant à néant tous les efforts entrepris pour faire vivre et se développer ces territoires.

En menant ce juste combat, ces honorables élus sont, non pas animés d'une volonté de se raccrocher désespérément au passé, mais guidés par une logique : le retrait progressif de tous les services publics ne peut conduire qu'à la désertification de ces territoires, qui ont, au contraire, besoin de la solidarité nationale.

Ce qui s'est passé samedi dernier dans la Creuse n'est qu'une illustration du mécontentement de la population et des élus des territoires ruraux, qui se généralise. Ce combat est non pas archaïque, mais, au contraire, visionnaire.

Pour une commune, la disparition de l'opérateur a de multiples répercutions qu'il ne faut pas négliger.

Sur le plan économique, elle a des répercussions liées aux dépenses directes réalisées par l'opérateur et ses agents sur le territoire, à l'attractivité pour l'implantation d'autres activités, à la facilitation de l'accès à internet. Sur le plan socio-économique, elle a des répercussions tant sur la densité de la vie locale qu'en termes d'aide aux démarches administratives réalisées par les postiers locaux et de proximité du service bancaire. Sur le plan plus politique, elle a, par exemple, des répercussions sur l'image que donne un territoire.

Pour une meilleure compréhension, il convient de rappeler certains principes. L'activité de La Poste s'inscrit dans trois cadres juridiques très différents, dont chacun nécessite des modes de financement spécifiques : une activité commerciale, la prestation du service universel et l'exécution de missions de service public. Or, pour ces dernières, les financements actuels sont déjà insuffisants, ce qui permet de justifier les suppressions, mais j'y reviendrai par la suite.

Je tiens également, monsieur le ministre, à lever immédiatement une ambiguïté : il ne faut pas laisser croire que l'orientation libérale, prise de manière délibérée dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui et qui vient transposer les directives européennes de 1997 et 2002, était la seule envisageable. Contrairement au parti pris par votre texte, il aurait été tout à fait possible de préserver le service public postal, et d'ouvrir de manière progressive et maîtrisée ce secteur à la concurrence.

Au lieu de cela, la régulation qui est proposée est, en réalité, une dérégulation généralisée : le régime d'autorisation est réduit à sa portion congrue ; l'accès au marché postal est quasiment libre, le périmètre des services réservés, qui sont de la compétence exclusive de La Poste, a été réduit ; une libéralisation complète du courrier et la fin du prix unique sur tout le territoire sont désormais techniquement possibles, et constituent sans doute la prochaine étape.

La question qui se pose à présent est la suivante : quelle sera la répercussion de l'ouverture du marché que vous préconisez sur l'évolution de la présence postale, aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif, laquelle subit déjà, depuis plusieurs années, une profonde mutation ?

Sur ce point, l'approche de la mutation engagée laisse déjà perplexes de nombreux élus, qui formulent à son encontre de nombreuses critiques. Ils dénoncent une insuffisance de la rémunération des communes par La Poste pour le maintien de son enseigne, la non-garantie de la pérennité du partenariat avec l'opérateur, une limitation des prestations proposées aux clients en matière de services financiers, une imprécision quant aux modalités de la continuité du service en cas d'empêchement de l'agent communal ou du commerçant, et un manque d'équipement.

Rappelons que la présence sur notre territoire de La Poste répond à une double mission confiée à cette entreprise : d'une part, permettre le bon accomplissement du service universel postal, lequel correspond à la levée, le tri, le transport et la distribution des lettres jusqu'à deux kilogrammes et des colis jusqu'à vingt kilogrammes, les envois recommandés et les envois à valeur déclarée ; d'autre part, garantir un aménagement du territoire équilibré, cette présence devant favoriser la cohésion sociale et territoriale du pays.

Or, le respect de ces deux missions d'intérêt public a un coût, qui est évalué à 750 millions d'euros. Il semble que le maintien de certains services réservés suffise, selon le Gouvernement, pour compenser la mission portant sur le service universel postal, à savoir 250 millions d'euros, ce qui ne semble pourtant pas évident. Pour la présence postale, la compensation accordée à La Poste n'étant que de 150 millions d'euros, cela laisse à la charge de cette dernière un solde de 350 millions d'euros.

Outre cet aspect financier, pour bien comprendre la problématique de la présence postale, il faut distinguer plusieurs aspects de cette dernière : le nombre de points de contact, la nature de ces derniers, ainsi que leur répartition sur notre territoire.

Le nombre de points de contact est à ce jour d'environ 17 000.

Quant à leur nature, il faut distinguer les bureaux de poste de plein exercice, les agences postales gérées en partenariat avec des collectivités et les points Poste gérés en partenariat avec des commerçants.

Si le nombre de points de contact semble rester stable, celui des bureaux de plein exercice diminue, notamment dans les zones rurales, tandis que les partenariats augmentent et risquent de se développer sensiblement.

Enfin, s'agissant de la répartition, La Poste argue du fait que 62 % du réseau touchent 18 % du marché, tandis que 17 % du réseau desservent 54 % du marché potentiel.

Cela conduit à la situation suivante : dans un souci d'économies, l'opérateur cherche à rationaliser ses implantations sur le territoire et, à ce titre, remet en cause son maillage, estimant que cette attitude lui est plus que jamais imposée par le défi lié à l'ouverture du marché postal.

Ayant pris conscience de l'impopularité grandissante d'une telle politique auprès des élus locaux - le Premier ministre en a d'ailleurs eu un aperçu lors du dernier congrès des maires, la déception des élus ayant été amplifiée par le non-respect des engagements qui avaient été pris de ne pas procéder à de nouvelles suppressions de services publics -, La Poste affirme aujourd'hui vouloir maintenir les 17 000 points de contact.

Or, il ne faut pas être dupe : en admettant que cet engagement soit respecté à l'avenir, ce qui est loin d'être évident à la simple lecture du texte qui nous est soumis, cette présence postale risque d'évoluer inéluctablement vers un partenariat accentué par l'externalisation de cette présence, tant auprès des points Poste commerçants, que des agences postales communales et des maisons de service.

Je doute que l'annonce - qui reste à vérifier - du remplacement de l'ère des fermetures par celle des mutations rassure pleinement les élus et la population.

Il est notoire que ces évolutions conduisent la plupart du temps à une dégradation du service rendu et/ou à faire payer deux fois le bénéficiaire du service.

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