Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après France Télécom, EDF, GDF, Air France, c'est aujourd'hui La Poste qui est dans la ligne de mire du Gouvernement.
Votre volonté à l'égard du secteur public est particulièrement déterminée : il s'agit de refondre notre société au regard de votre vision libérale, une vision tournée vers la suppression de tous les freins qui pourraient empêcher la course au profit, à la rentabilité financière. Les services publics, dans cette conception, sont destinés à disparaître, alors que leur objectif premier est non pas d'être rentables mais de remplir une mission d'intérêt général structurante pour la vie de la cité.
Dans la droite ligne des orientations de l'OMC et de l'AGCS, l'accord général sur le commerce des services, vous soutenez que toutes les activités humaines doivent être soumises à la concurrence, quelle que soit leur utilité sociale.
La construction européenne suit cette même conception : tout doit être régi selon les lois du marché, celles de la rentabilité, des ratios financiers, et ce au prix de la disparition de nos services publics, au profit des services dits « universels ». Mais ces derniers ne visent, en fait, qu'à réduire les droits des salariés, à faire supporter par les collectivités publiques ce qui ne serait pas rentable et à diminuer les droits des usagers. La directive Bolkestein est un exemple frappant de la logique que vous voulez mettre en oeuvre.
Vous savez pourtant que notre pays est très attaché à son secteur public, qu'il s'agisse des entreprises ou des services. Vous savez combien notre peuple est sensible à leur qualité, au dévouement de leurs personnels. Vous savez combien les élus locaux y sont attentifs tant ils constituent des éléments essentiels de la vie locale. Vous savez aussi qu'ils ont contribué et contribuent encore à l'aménagement et au développement des territoires de notre pays, à la vie économique.
Malgré cela, vous répondez par l'obligation de rentabilité de La Poste, par la mise en oeuvre dans la gestion de cette entreprise publique des impératifs de performance, de compétitivité, par l'évolution du réseau...
Pour les idéologues du libéralisme, il convient de casser l'idée, inconcevable et dangereuse pour le système lui-même, selon laquelle le secteur public pourrait être un acteur fiable et pertinent du développement économique et pourrait proposer de bonnes réponses aux besoins de notre société et des populations, cela sans générer de plus-value au sens capitaliste du terme. Il faut détruire ces croyances qui seraient d'un autre âge et asséner l'idée que seules les relations marchandes seraient porteuses d'avenir, n'est-ce pas ?
Les services publics gênent car ils sont porteurs d'une certaine idée de la société - respect des droits de chacun, respect d'un statut pour les salariés, respect du bien commun - et contribuent à plus de lien social et plus de solidarité. Ils gênent également car ils symbolisent l'action de l'Etat pour l'intérêt général, l'action politique devant être jugée à l'aune de son utilité sociale, économique en faveur des femmes et des hommes de notre pays.
Monsieur le ministre, au-delà de ces considérations, vous êtes résolu à franchir une étape ; vous y êtes poussé par les entreprises financières et leurs actionnaires qui sont à la recherche de nouvelles zones de profit. Vous abandonnez toute responsabilité du politique dans l'économie en refusant de reconnaître que certains secteurs ne peuvent être livrés au marché parce qu'il s'agit de répondre à des besoins fondamentaux.
En cédant au dogme de la stricte limitation de la dépense publique, vous visez plusieurs objectifs qui vont de la satisfaction des plus nantis - ils paient moins d'impôts - à la vente de richesses constituées par la Nation au fil de son histoire. Pour respecter le seuil de 3% de déficit public, vous cédez aux investisseurs privés des parts de notre patrimoine public. A ce propos, j'indique que, selon l'OCDE, les privatisations réalisées, de 1984 à 2000, dans l'Europe des quinze ont porté sur 563 milliards d'euros.
Vous prétendez, à l'unisson de la Commission européenne, que la mise en concurrence du service postal créerait des emplois supplémentaires !
Vous ne voulez surtout pas entendre ni regarder ce qui s'est passé dans les pays qui nous ont précédés dans cette même voie, que ce soit l'Allemagne ou la Suède. Leur expérience montre que le marché ne peut pas prendre en charge la satisfaction de l'intérêt général parce qu'il ne peut penser dans le temps.
La Suède fut l'un des premiers Etats à mettre fin, en 1993, à son monopole postal : dix ans plus tard, le prix du timbre-poste a doublé ; le nombre de bureaux de poste a été divisé par cinq ; près de trois mille points Poste sont désormais installés dans des supérettes, des bureaux de tabac ou des stations-service ; tout le monde n'a pas la garantie d'un accès simple au service postal ; enfin, alors qu'elle était normalement rentable, la poste suédoise est caractérisée par un déficit chronique qui lui a déjà fait frôler le dépôt de bilan... Est-ce cela que vous voulez pour la poste française ?
Le même constat peut être fait en Allemagne, où, en treize ans, les effectifs sont passés de 390 000 à 230 000 postiers.
Les effets néfastes de la libéralisation peuvent aussi être constatés dans d'autres secteurs d'activités comme l'énergie, les télécommunications, les transports...
Pourquoi refusez-vous de faire l'évaluation que nous vous demandons sur les résultats réels des libéralisations intervenues depuis quelques années ?
La concurrence, nous a-t-on dit, devrait entraîner la baisse des prix. En terme d'évolution des tarifs à l'égard des usagers, EDF peut servir d'exemple !
Telle est la libéralisation que vous voulez imposer : afin de permettre de dégager des bénéfices aux entrants sur le marché, vous choisissez la dégradation des conditions de travail des personnels et l'augmentation des tarifs.
La constante de votre démarche est le désengagement de l'Etat, le refus de toute responsabilité politique pour garantir une économie solidaire. Cela se vérifie avec la réduction des dépenses publiques ! Vous savez pourtant que la réduction du nombre de services publics pénalise les plus modestes : ceux qui ne paient ni l'ISF, l'impôt de solidarité sur la fortune, ni l'impôt sur le revenu, et vous savez que, parallèlement, l'impôt est un élément de justice sociale, de citoyenneté. Mais il est vrai que vous voulez transformer les citoyens en clients, n'est-ce pas ?
Avec ce texte relatif à la régulation des activités postales, vous allez même plus loin que la transposition de la directive ne l'impose. Il faut, en effet, distinguer, d'un côté, l'ouverture qui est l'européanisation des réseaux sous maîtrise publique et, de l'autre, la libéralisation qui serait l'abandon pur et simple au marché. La directive européenne tend à l'ouverture du réseau mais n'impose ni sa privatisation ni le changement du statut de l'entreprise ou des agents.
La directive de 1997 permettait la soumission des opérateurs privés à des obligations de desserte de l'ensemble du territoire ; le Gouvernement n'a pas estimé utile de transposer cette possibilité.
La directive permettait ensuite la création d'un fonds de compensation du service universel postal, dans l'hypothèse, plus que vraisemblable, où le secteur réservé de La Poste ne suffirait pas à financer le service universel. Dans le projet de loi, il est prévu qu'un rapport sur cette question soit remis au Parlement dans deux ans. Vous préférez ainsi ne pas créer ce fonds immédiatement, remettant à plus tard la question centrale du financement du service universel alors qu'elle se pose dès aujourd'hui.
Par ailleurs, si l'objectif de présence postale est largement évoqué dans le projet de loi, on renvoie à un décret en Conseil d'Etat pour préciser « les modalités selon lesquelles sont déterminées, au niveau départemental, les règles d'accessibilité au réseau de La Poste » et la loi renvoie également à un décret pour définir les missions de service public.
Ce sont donc les juges qui délimitent le service public et ses missions. Et pourtant, selon notre Constitution, il s'agit d'une compétence appartenant à la représentation nationale. En effet, nous sommes en présence d'un transfert de propriété d'entreprise du secteur public au secteur privé. Les principes constitutionnels sont donc déniés pour toutes les grandes entreprises publiques privatisées ces dernières années.
Vous prétendez que cette loi est la stricte transposition des directives européennes, ce qui implique que la France n'aurait pas d'autres choix ? Mais c'est faux ! Ce projet de loi reflète un choix de société qui se traduit par l'abandon de la conception même de nos services publics postaux. C'est bien d'un renoncement du politique à maîtriser l'évolution du secteur postal qu'il faut parler ! C'est bien un retrait du politique au profit des seules forces privées du marché que vous nous préparez !
En ce sens, la création d'une autorité de régulation dite « indépendante » apparaît bien comme l'instrument de la privatisation à terme de l'ensemble des services postaux avec, à la marge, une part minime réservée aux services dits « universels » destinés aux populations les plus fragilisées par la libéralisation actuelle.
La Commission européenne conteste le fait que le ministre chargé des postes puisse être à la fois l'autorité réglementaire nationale et l'autorité chargée de la tutelle de La Poste. Elle considère que le ministre de tutelle est amené à exercer des « fonctions et responsabilités dans l'entreprise publique liées à l'exercice du droit de propriété et à la performance économique et financière de La Poste ». Elle poursuit en affirmant que « la seule façon d'assurer un effet utile à la notion de séparation fonctionnelle est alors d'assurer qu'il existe une séparation adéquate entre la fonction régulatrice et les fonctions liées à la propriété de l'opérateur public et à son contrôle ».
Indirectement, c'est bien le caractère public de la propriété de l'entreprise qui est contesté. Or, qu'a-t-on trouvé de mieux pour mettre en oeuvre une politique de redistribution et de correction des inégalités sociales que les services publics ?
Devons-nous rappeler que le Conseil européen de Nice de décembre 2000 reconnut le rôle unique et indispensable joué par les services d'intérêt général en réaffirmant que « les Etats membres sont libres de définir les missions ainsi que les modalités de gestion et de financement des services d'intérêt économique général » ?
Nous savons depuis 1957, date de conclusion du traité de Rome, que rien n'interdit la propriété publique du capital dans la mesure où l'ouverture du marché à la concurrence est assurée. Au contraire, le rôle des services publics est clairement évoqué dans l'article 16 du traité, qui souligne le rôle joué par les services d'intérêt général dans « la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union ». Le traité invite également la Communauté et les Etats membres à veiller « à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions ».
Il s'agit donc bien d'un choix politique du Gouvernement que de libéraliser et de privatiser le secteur public postal.
Confirmant le désengagement de la puissance publique, le Gouvernement propose également la mise en place d'une autorité de régulation, en intégrant le secteur postal dans les prérogatives de l'autorité de régulation des télécommunications, transformée en autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP.
Cette autorité ne dispose pourtant pas de la légitimité démocratique, puisque ses membres seront nommés. L'Assemblée nationale a même prévu que trois de ses membres, et non plus deux, soient nommés par décret.
Une régulation, pour quoi faire ? Pour se substituer à l'Etat et distribuer les licences aux nouveaux opérateurs ? L'expérience que nous avons de l'ART ne joue nullement en faveur de l'ARCEP !
Quelle alerte a donné l'ART lorsque France Télécom a opéré des investissements inconsidérés à l'étranger ? En quoi l'ARCEP serait-elle plus efficace que les organismes équivalents existant dans d'autres pays ?
Les dysfonctionnements considérables liés aux manques d'investissement - car c'est la rentabilité immédiate qui prime ! - n'ont pas été pris en compte par les autorités de régulation : elles n'ont pas signalé les risques encourus par ces sociétés, leurs personnels, leurs usagers, les territoires d'activités ! Elles ne conduiront donc qu'à une libéralisation toujours plus forte, dont seront victimes l'opérateur historique, ses salariés et les usagers.
Je ne peux m'empêcher de penser, au regard des pouvoirs exorbitants confiés à l'ARCEP et qui sont le fruit de l'abandon des prérogatives du ministre de tutelle, que celle-ci aura toute liberté pour permettre la totale privatisation de La Poste.
Ainsi, l'ARCEP est chargée de délivrer les autorisations aux prestataires de services postaux concurrents de La Poste sur les envois de correspondance intérieure.
Elle précise le champ territorial de l'autorisation, qui peut alors ne pas s'étendre à l'ensemble du territoire.
Elle veille au respect des obligations de service public par La Poste et par les prestataires disposant d'une autorisation. Or, à ma connaissance, seule La Poste est soumise à des obligations de service public.
Elle décide, sur proposition de La Poste ou d'office, à défaut d'accord, de la politique tarifaire du service universel et approuve les tarifs du secteur réservé. En d'autres termes, elle maîtrise la politique tarifaire de l'opérateur historique.
Elle peut proposer au ministre des mesures utiles pour garantir, si nécessaire, le financement du service universel.
Elle dispose également d'un pouvoir de sanction important à l'égard de l'opérateur historique et de tout prestataire de services postaux pour manquement à ses obligations.
Nous savons par ailleurs que La Poste a engagé un véritable processus de rationalisation des coûts et qu'elle a pour objectif d'aligner ses tarifs sur les grands opérateurs européens. Certaines dispositions du présent texte lui permettront d'accorder des rabais aux entreprises clientes et de déroger ainsi aux obligations tarifaires auxquelles est astreint le domaine réservé. Naturellement, ces pratiques se feront sous l'oeil vigilant de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
Ce désengagement de l'Etat, qui signifie la perte de contrôle au profit d'une autorité de régulation et le transfert de charges sur les collectivités locales, justifie le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Ce qui est à l'ordre du jour, c'est bien une réduction drastique du nombre de bureaux de poste et des suppressions de services, alors que le réseau de proximité, s'ajoutant à de nouveaux services, est un véritable atout !
Ce qui est à l'ordre du jour, c'est la réduction continue du service postal, sur fond de concurrence totale à compter de 2009 ! En première lecture d'ailleurs, l'avis rendu par la commission des finances du Sénat précisait : « La Poste n'a pas vocation à détenir à moyen terme la totalité du capital de sa filiale banque postale » !
Vous proposez donc, monsieur le ministre, de créer une banque postale, filiale de La Poste et détentrice de l'intégralité de ses activités financières.
Vous décidez que l'ouverture de son capital se fera par décision du gouvernement, mais sans que vous puissiez indiquer à la représentation nationale les modalités de cette amorce de privatisation.
Nous savons ce que signifie ce blanc-seing donné à un gouvernement de disposer du droit exorbitant de vendre au privé notre patrimoine public. Certes, ces attaques contre ce qui a été et continue d'être une originalité et une richesse de notre pays ne datent pas d'aujourd'hui ! Nous connaissons les conséquences de la mise en concurrence systématique des entreprises publiques par des groupes privés.
L'objectif n'est plus l'accès de tous aux services, mais la course à la rentabilité : de fait, les entreprises publiques s'alignent sur les critères de gestion des entreprises privées.
Cette évolution, qui prépare les privatisations et la création de monopoles privés et livre le patrimoine public aux intérêts financiers, est en conformité avec l'article I-3 du projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe, qui indique, dans son 2°, que « l'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ».
Nous avons une autre conception du secteur public. Pour nous, les services publics peuvent être les piliers d'une construction progressiste de l'Europe et ne doivent pas seulement s'occuper de ce que les groupes privés délaissent, parce que ce n'est pas assez rentable.
Au contraire, les services publics sont des acteurs à part entière du développement économique, scientifique, industriel : ils en ont fait la preuve ! De fait, ils constituent une alternative réelle au libéralisme. C'est bien pour cette raison que les libéraux souhaitent leur disparition.
Nous sommes fondamentalement favorables à ce que l'Europe fasse, dans sa Constitution, le choix de garantir à tous les citoyens qui la composent la satisfaction des besoins fondamentaux de notre temps : éducation, santé, eau, énergie, communication, transports, logement, culture, recherche... Ces domaines doivent être soustraits aux règles de la concurrence et doivent faire l'objet de services publics assurant notamment l'égalité d'accès de tous et l'adaptation de ces services aux évolutions des besoins.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, mes chers collègues, d'approuver cette motion tendant à opposer la question préalable.