Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 24 novembre 2011 à 9h30
Loi de finances pour 2012 — Justice

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l’administration pénitentiaire :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec une dotation de près de 3 milliards d’euros de crédits de paiement, en hausse de 7 % par rapport à 2011, le projet de budget pour l’administration pénitentiaire s’inscrit dans l’évolution favorable depuis de nombreuses années du budget de la justice, qui, je le rappelle, est passé depuis 2002 de 1, 6 % à 2, 6 % du PIB, nous rapprochant ainsi de la moyenne de l’OCDE.

Ce projet de budget pour l’administration pénitentiaire paraissait donc devoir échapper à la critique. Pourtant, les perspectives qu’il dessine pour 2012 et les années à venir suscitent la perplexité.

La principale interrogation porte sur le respect des grandes orientations de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui représente pour beaucoup d’entre nous la traduction, après une décennie d’attente, des préconisations des commissions d’enquête de 2000 de l’Assemblée nationale et du Sénat. C’est pour nous l’espoir qu’il sera à jamais mis fin à cette humiliation pour la République que notre univers carcéral a trop longtemps constitué !

Or, dans l’équilibre entre emprisonnement ferme et aménagement de peine, la loi pénitentiaire a fait le choix non pas d’un accroissement continu des capacités de détention, mais de la rupture du cercle vicieux entre l’augmentation du nombre de détenus et l’augmentation des capacités d’accueil en prison. C’est ainsi qu’elle a fait de la peine d’emprisonnement sans sursis, en matière correctionnelle et en dehors des condamnations en récidive légale, le dernier recours. Elle a prévu qu’une telle peine, lorsqu’elle était prononcée, devait, si la personnalité et la situation du condamné le permettaient, faire l’objet d’une mesure d’aménagement. Le quantum de peines susceptibles de faire l’objet d’un aménagement a ainsi été porté de un an à deux ans.

Dans le respect de cette volonté du législateur, les mesures de libération conditionnelle ont progressé de 3, 8 % en 2010, une récente étude de l’administration pénitentiaire confirmant en outre les effets positifs sur le risque de récidive des aménagements de peine, et plus particulièrement de la libération conditionnelle. Ainsi, les risques de recondamnation des personnes libérées n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine restent 1, 6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d’une libération conditionnelle, et les risques d’une recondamnation à une peine privative de liberté 2 fois plus élevés.

Quant au placement sous surveillance électronique, il est devenu la principale mesure d’aménagement de peine. Le seuil des 5 000 placements simultanés a été atteint au mois de mars 2010, pour s’élever à 7 051 au 1er septembre 2011. En outre, en application de la loi pénitentiaire, la surveillance électronique de fin de peine est entrée en vigueur le 1er janvier de cette année. Vous nous avez indiqué, monsieur le garde des sceaux, que l’objectif pour 2012 était de l’ordre de 12 000 bracelets électroniques.

Mais l’outil que constitue ce bracelet risque de mener à de cruelles désillusions si l’accompagnement humain, notamment par le nombre des conseillers d’insertion et de probation, devait faire défaut. Je sais bien que le nombre de ces derniers a fortement augmenté de 2002 à 2011, passant de 1 300 à 2 671. Mais nous sommes bien loin pourtant des 1 000 emplois supplémentaires que l’étude d’impact considérait comme indispensables pour permettre la bonne application de la loi pénitentiaire. Et ce ne sont pas les quarante et une créations d’emploi prévues au budget 2012 pour l’ensemble des métiers du greffe, de l’insertion et de l’éducatif qui y changeront quelque chose.

Parallèlement, nous constatons une augmentation de 4, 6 % en un an du nombre de personnes écrouées détenues, qui est passé de 60 789 au 1er octobre 2010 à 63 602 au 1er octobre 2011. Cette évolution semble résulter pour une large part de la volonté de porter à exécution les peines d’emprisonnement ferme.

Or il nous paraît important de rappeler qu’une peine aménagée est une peine exécutée. Cela permet de nuancer la donnée selon laquelle 85 600 peines d’emprisonnement étaient en attente d’exécution au 30 juin 2011. En effet, près de 95 % d’entre elles sont constituées de peines aménageables, en réalité en cours d’exécution, puisque transmises aux services de l’application des peines et aux services pénitentiaires d’insertion et de probation.

Votre rapporteur pour avis s’inquiète de voir l’effort important consenti pour les prisons dans ce projet de loi de finances pour 2012 être accaparé pour l’essentiel par l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires, et l’augmentation du nombre d’équivalents temps plein travaillé se concentrer sur les personnels de surveillance.

En outre, la mise en œuvre, à l’achèvement du programme Perben de 13 200 places, d’un nouveau programme immobilier visant la réalisation de 14 282 places nouvelles et l’indispensable fermeture de 7 570 places vétustes, puis l’annonce, confirmée hier, dans le cadre de la présentation du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, d’un objectif de 80 000 places disponibles dès 2017 laissent craindre, dans un contexte marqué par une dépense publique fortement contrainte, qu’il ne restera guère de marges financières pour donner les moyens de la réussite aux mesures de substitution à l’incarcération et aux aménagements de peine.

Je conclurai en formulant deux souhaits.

D’une part, alors que l’on constate pour la première fois depuis 2003 une augmentation du nombre de prévenus, je souhaiterais la réactivation de la commission de suivi de la détention provisoire, suspendue de facto depuis la nomination en 2008 de son président, M. Jean-Marie Delarue, comme Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

D’autre part, il faut éviter un système à deux vitesses entre le parc pénitentiaire en gestion publique, qui souffre seul des gels de crédits en cours d’année, et les établissements en gestion déléguée ou construits en partenariat public-privé. Gardons-nous, par exemple, d’oublier que le défaut d’entretien a imposé la rénovation complète de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, dont le coût équivaut largement à la construction d’un établissement neuf.

Mes chers collègues, la commission des lois s’est déclarée défavorable à l’adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » au sein de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2012.

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