En effet, en répondant aux très nombreuses questions et observations des rapporteurs et des orateurs, qui sont toutes extrêmement intéressantes, je pourrai peut-être faire mieux comprendre la situation actuelle du service public de la justice.
Tout d’abord, je tracerai les lignes de force de ce budget pour 2012, dont vous demandez le rejet, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité. Sans avoir la prétention de vous convaincre, je souhaite vous donner le regret de ne pas voter ces crédits.
Comme je l’ai souligné devant les membres de la commission des lois lors de mon audition du 2 novembre dernier, ce budget traduit, plus encore peut-être que ceux qui l’ont précédé au cours de cette législature, la place que le Président de la République et le Gouvernement souhaitent accorder au ministère de la justice et à ses missions, dans le contexte budgétaire particulièrement difficile que nous connaissons tous.
Bien entendu, on peut toujours déplorer des lacunes et des imperfections. Néanmoins, nous vivons dans un contexte qui s’impose à tous : celui de la crise financière. Même si je sais que vous en êtes conscients, mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à le rappeler.
Tout d’abord, le budget pour 2012 poursuit l’effort de rattrapage engagé depuis plusieurs années et accéléré depuis 2007 afin de donner à la justice les moyens d’assumer les nombreuses missions qui lui sont aujourd’hui confiées et, ce faisant, de répondre aux attentes que les Français nourrissent à son égard.
Ainsi, une fois pris en compte le plan d’économies adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, les crédits du ministère de la justice augmenteront de 3, 5 % en 2012, alors que le budget de l’État dans son ensemble, hors charge de la dette et pensions, diminuera en valeur.
Les seuls crédits de fonctionnement et d’investissement – hors masse salariale – augmenteront de près de 5 %, et, au sein de cet ensemble, les crédits immobiliers progresseront même de 17 %. Ces chiffres illustrent l’effort engagé par le ministère pour construire et rénover établissements pénitentiaires et palais de justice.
En termes d’emplois, le ministère sera la seule administration à afficher des créations nettes en 2012, comme c’est le cas depuis 2007. Le budget triennal 2011-2013 autorisait le ministère à créer 200 emplois en 2012, contre 400 en 2011. En définitive, 512 postes seront ouverts l’année prochaine, sans compter les 250 emplois transférés depuis le ministère de l’intérieur, au titre de la reprise progressive des missions d’extraction judiciaire par l’administration pénitentiaire ; je reviendrai sur ce sujet dans quelques instants.
En outre, il est possible de mesurer l’effort de rattrapage accompli au cours de l’ensemble de la législature.
Depuis 2007, les crédits du ministère de la justice ont cru de près de 20 %, progressant de 6, 25 milliards d’euros à 7, 39 milliards d’euros. Pour les seuls services judiciaires, l’augmentation des crédits avoisine les 15 %.
En termes d’emplois, plus de 6 000 postes ont été créés, dont 1 400 environ dans les services judiciaires.
S’agissant des effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, ils ont certes été réduits d’une centaine d’emplois entre 2007 et 2011, mais ce résultat procède de deux évolutions contraires qui se compensent : plus de 700 emplois de support administratif ont été supprimés, à la suite des réformes de structure qui ont été menées, mais, dans le même temps, 600 postes d’éducateurs ont été créés, permettant à la PJJ de faire face à l’augmentation de l’activité pénale et d’améliorer la qualité de la prise en charge éducative.
Sans bénéficier de créations d’emplois nettes, la PJJ a donc pu autofinancer l’augmentation de ses effectifs d’éducateurs, grâce aux efforts de rationalisation consentis.
Quant aux effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, ils ont progressé d’un peu moins de 3 000 postes en 2007 à près de 4 100 aujourd’hui, soit une augmentation de plus d’un tiers, supérieure à la croissance du nombre des personnes placées sous main de justice et suivies en milieu ouvert au cours de la même période.
Tous ces chiffres parlent d’eux-mêmes : en cinq ans, soit le temps d’une mandature, c’est bien un véritable plan de rattrapage qui aura été accompli !
Bien sûr, il revient au ministère de la justice d’accompagner ces moyens supplémentaires d’un effort de modernisation de ses méthodes et de son organisation, pour parvenir à une plus grande efficacité collective, au service des justiciables. Cela passe, notamment, par la simplification et l’allégement des procédures, le recentrage des personnels sur leur cœur de métier, le recours accru aux nouvelles technologies, la mutualisation des achats et des fonctions support. Je détaillerai davantage ces sujets lorsque je répondrai tout à l’heure à M. Hyest.
Parmi les nombreux chantiers de modernisation engagés, je m’attarderai plus particulièrement sur celui des frais de justice, car il s'agit d’un sujet récurrent, que M. du Luart et Mme Tasca ont évoqué.
L’an dernier, la dotation des frais de justice a bénéficié d’une importante et nécessaire mise à niveau – elle est passée de 393 millions d'euros à 460 millions d'euros –, permettant en particulier de financer la réforme de l’organisation de la médecine légale. Cette année, l’enveloppe sera consolidée et son montant s’élèvera à 470 millions d'euros.
Certes, comme l’an dernier, la dépense constatée en fin d’année sera sensiblement supérieure à la dotation adoptée en loi de finances. Faut-il, comme les rapporteurs, parler de sous-budgétisation ? Je dirais plutôt que, au-delà de la couverture des dépenses courantes de frais de justice, un effort de résorption des retards de paiement constatés historiquement sur ce poste de dépense a pu être engagé, et c’est heureux, car il permet au ministère de régler ses dettes et de préserver l’équilibre financier de ses prestataires en ces temps de crise. Cependant, j’en conviens, tout n’est pas réglé.
Il n’en demeure pas moins que la dynamique de la dépense des frais de justice doit être maîtrisée, comme l’ont relevé à juste titre les rapporteurs. Nonobstant les facteurs qui poussent tendanciellement à la hausse les dépenses en la matière – augmentation du contentieux, multiplication des dispositions normatives impliquant des frais de justice, recours accru à la preuve scientifique, nouveaux droits ouverts aux victimes –, tous les efforts doivent être entrepris pour réaliser des économies, dans le respect de la liberté de prescription des magistrats et des OPJ, et sans porter atteinte à la recherche de la vérité.
À cette fin, j’ai confié cette année à l’inspection générale des services judiciaires et à l’inspection générale des finances une mission conjointe.
L’une des préconisations de ces deux inspections a déjà pu être mise en œuvre en 2011, à savoir la passation de marchés nationaux pour les analyses génétiques ; elle a permis de réaliser près de 2 millions d'euros d’économies. Ces premiers résultats sont encourageants.
Une autre de ces recommandations a donné lieu à un amendement adopté à l’unanimité, je tiens à le souligner, à l’Assemblée nationale, qui vise à mettre par défaut à la charge des personnes morales condamnées au pénal les frais de justice encourus pendant la procédure. Bien sûr, le juge aura toujours la faculté de déroger à cette règle et de mettre ces frais à la charge de l’État s’il l’estime justifié.
Il faut aussi s’attaquer à la question de la tarification des frais de justice : ainsi que le relève le rapport des inspections précitées, il convient de diminuer certains tarifs, notamment les frais de réquisition des opérateurs téléphoniques, tout en sachant que d’autres devront, au contraire, être revalorisés, en particulier ceux qui sont relatifs aux expertises psychiatriques.
En outre, beaucoup reste aussi à accomplir pour appliquer aux frais de justice les méthodes destinées à professionnaliser l’achat public : je pense, notamment, à la définition de cahiers des charges par type de prestation, à des dispositifs d’information systématique des fournisseurs et des prescripteurs pour favoriser l’alignement sur les meilleures performances.
Enfin, la simplification du circuit de paiement me semble indispensable.
Ces différents chantiers sont résolument engagés. J’espère que, au cours de l’année 2012, des avancées en la matière pourront être réalisées.
Le présent projet de budget donne ensuite pleinement au ministère de la justice et des libertés les moyens de mettre en œuvre les réformes que j’ai portées cette année au nom du Gouvernement, qu’il s’agisse de l’introduction des citoyens assesseurs dans les juridictions correctionnelles et dans les juridictions d’application des peines, de la réforme de l’hospitalisation sans consentement, ou encore de celle de la garde à vue.
À la suite d’une décision du Conseil constitutionnel, la réforme de l’hospitalisation sans consentement a été mise en œuvre le 1er août. Je veux en cet instant rendre hommage à cette tribune à tous les magistrats de France, qui sont extrêmement professionnels : grâce à leur engagement et à leur dévouement, tout s’est bien passé et cette réforme fonctionne ! Très souvent – fait nouveau –, ils se sont rendus sur place. Naturellement, cela ne signifie pas pour autant que des moyens supplémentaires ne seraient pas les bienvenus.
Au total, aux termes du projet de budget pour 2012, 315 emplois seront créés au titre de ces nouvelles mesures. Cet effort sera poursuivi en 2013 ; sur deux ans, 485 emplois seront créés au titre de ces réformes, chiffre qui correspond précisément aux évaluations figurant dans les études d’impact réalisées par la Chancellerie. Pour le moment, l’introduction de jurés citoyens dans certaines juridictions est en phase d’expérimentation. Par conséquent, point n’est besoin de mettre à disposition dès aujourd'hui tous les postes nécessaires. Attendons la généralisation de cette mesure.
Quant à la réforme de la garde à vue, elle se traduit par une augmentation de 85 millions d'euros des fonds consacrés à l’aide juridictionnelle, grâce à la contribution pour l’aide juridique d’un montant de 35 euros instituée par la loi de finances rectificative du mois de juillet dernier.
Je tiens à souligner que la création de cette contribution ne traduit nullement un quelconque désengagement du budget de la justice du financement de l’aide juridictionnelle, puisque les crédits qui y seront consacrés augmenteront de 24 millions d'euros en 2012, soit près de 8 %, passant de 312 millions d'euros en 2011 à 336 millions d'euros en 2013.
Toutefois, le coût de la réforme de la garde à vue – 85 millions d'euros – ne pouvait raisonnablement pas être absorbé par le budget de l’aide juridictionnelle du ministère de la justice, qui a déjà augmenté de plus de 50 % depuis 2002. Il fallait donc trouver d’autres ressources. Après avoir examiné différentes voies, le Gouvernement a tranché en faveur d’un droit de timbre de 35 euros, préférant cette solution, notamment, à une intervention sur les droits d’enregistrement.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la contribution en cause ne sera exigible ni des justiciables qui bénéficient de l’aide juridictionnelle ni dans certaines procédures sensibles telles que celles qui concernent les tutelles, les étrangers, le surendettement, ou encore le contentieux de la sécurité sociale. Elle ne constituera donc pas un obstacle à l’accès au juge.
Enfin, le projet de budget pour 2012 met un accent particulier sur les moyens nécessaires à l’exécution effective et rapide des peines prononcées par les juridictions, dont j’ai fait l’une de mes priorités.
Il ouvre ainsi 1, 8 milliard d'euros de crédits d’autorisations d’engagement pour les investissements prévus dans le cadre du nouveau programme immobilier en matière pénitentiaire que j’ai annoncé au printemps.
L’effort est également porté sur les aménagements de peine : les crédits relatifs au bracelet électronique, à hauteur de 23, 3 millions d'euros, sont accrus de 20 %, pour permettre à l’administration pénitentiaire d’atteindre l’objectif de 12 000 bracelets. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.
Pour renforcer la prise en charge des mineurs délinquants, 60 emplois d’éducateurs seront créés et 30 millions d'euros d’investissements engagés pour ouvrir 20 nouveaux centres éducatifs fermés.
Néanmoins, il faut incontestablement aller plus loin si nous voulons doter notre pays des moyens nécessaires à une exécution rapide et effective des peines prononcées et remédier de manière durable à la surpopulation carcérale.
Tel est l’objet du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines que le conseil des ministres a adopté hier, à la demande du Président de la République. Ce texte sera discuté par le Parlement dès la fin de cette année.
L’objectif fixé est de porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places d’ici à la fin de 2017, en privilégiant des structures adaptées aux courtes peines, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié des peines ne pouvant être exécutées. Dans le même temps, d’ici à 2017, le nombre de personnes condamnées susceptibles d’être placées sous bracelet électronique pourra être porté à 16 000.
Ce projet de loi contient aussi un volet de mesures visant à renforcer la prévention contre la récidive. J’aurai l’occasion de revenir très largement devant le Sénat sur ce texte.
J’en viens maintenant aux questions que vous m’avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. le rapporteur spécial s’est interrogé sur la crédibilité de la gestion pluriannuelle du ministère de la justice, notamment quant à l’évolution du parc carcéral. L’objet du projet de loi de programmation susvisé est d’apporter une réponse sur ce sujet sur la période 2012-2017.
Comme je l’ai déjà indiqué, il ne s’agit pas de construire un seul type d’établissement. Aujourd’hui, on dénombre environ 300 000 personnes placées sous main de justice, 64 500 détenus, 175 000 personnes faisant l’objet d’une mission en milieu ouvert. D’aucuns critiquent le « tout carcéral ». Or vous pouvez constater, mesdames, messieurs les sénateurs, que plus de la moitié des personnes incriminées se trouvent en milieu ouvert. Il faut donc en finir avec cette idée, qui n’est qu’un slogan de mauvaise qualité !
Je veux insister sur le point suivant : 80 000 personnes condamnées définitivement n’exécutent pas leur peine. Si un phénomène est source de divorce entre les Français et leur justice, c’est bien celui-ci. Il faut sortir de cette logique.