Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 25 novembre 2011 à 14h00
Loi de finances pour 2012 — Compte d'affectation spéciale : financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise financière et économique que traverse notre pays est profonde.

Alors que les experts économiques tablaient, en début d’année, sur la poursuite de la reprise engagée en 2010 et espéraient une croissance de l’ordre de 1, 5 % en 2012, les événements de ces dernières semaines les ont contraints à revoir leurs prévisions à la baisse. Ce fort ralentissement de la croissance pourrait bien faire basculer la France dans une nouvelle récession.

Par ailleurs, les récentes annonces de plans de restructuration dans des secteurs très variés font craindre une transformation de la crise financière en crise sociale. Sans compter que la possible, pour ne pas dire probable perte du triple A français risque d’aggraver la situation.

Depuis le mois de mai, le nombre de demandeurs d’emploi est à nouveau en hausse dans notre pays. Ils sont désormais 4, 4 millions. Le nombre de ceux qui sont inscrits en catégorie A à Pôle emploi a atteint un niveau inégalé depuis près de douze ans. Il faut remonter au plus fort de la crise, en 2009, pour retrouver un taux de chômage aussi catastrophique. Cette hausse n’épargne personne : ni les jeunes ni les chômeurs de longue durée, et encore moins les seniors.

S’agissant de ces derniers, le Président de la République avait promis en mai 2007 « d’aider les entreprises à donner du travail aux seniors au lieu de les encourager à s’en séparer ». Pourtant, le nombre de demandeurs d’emploi âgés de plus de cinquante ans a littéralement explosé. Il est de plus en plus difficile pour les seniors de retrouver un travail. Nous le savons bien : la précarité des seniors est devenue une réalité.

Aussi, je souhaiterais évoquer très brièvement la suppression, effective au 1er janvier dernier, de l’allocation équivalent retraite, l’AER, qui garantissait un revenu minimum aux chômeurs ayant tous leurs trimestres pour leur retraite mais pas encore l’âge pour en bénéficier, quand ils avaient épuisé leur droit aux allocations d’assurance chômage.

Le Gouvernement l’a remplacé par l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, mais les conditions d’accès sont bien plus restrictives. Seuls 11 000 demandeurs d’emploi devraient en bénéficier, alors que l’AER touchait plus de 60 000 personnes. Cette mesure n’est pas acceptable.

À la fin de l’année, le chômage devrait toucher 9, 2 % de la population active en France métropolitaine et il est à craindre qu’il ne connaisse une nouvelle augmentation en 2012.

Monsieur le ministre, la politique de l’emploi mobilisera, en 2012, 47 milliards d’euros. Je rappellerai qu’elle avait mobilisé 54 milliards d’euros en 2010 et 51 milliards d’euros en 2011 ! Si l’on s’en tient à la mission « Travail et emploi », les crédits qui lui sont alloués accusent une baisse historique de 12 %, soit une perte de 1, 4 milliard d’euros.

Une diminution aussi vertigineuse relève à mon sens d’une démarche irresponsable. Pris dans une tourmente économique et sociale, nos concitoyens attendaient que vous mettiez en place une véritable politique en faveur de l’emploi. Ce budget manque véritablement d’ambition.

Ainsi, le programme « Accès et retour à l’emploi » subit une baisse de 800 millions d’euros et le programme « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi » est réduit de 550 millions d’euros. Comment voulez-vous, dans ces conditions, gagner la bataille de l’emploi ? C’est tout simplement impossible.

Je pense notamment à Pôle emploi qui, depuis sa création, reçoit toujours la même dotation de l’État, soit 1, 36 milliard d’euros. Officiellement, donc, le budget de Pôle emploi est maintenu pour 2012. Mais, dans un contexte de crise économique et de hausse du chômage, il s’agit en réalité d’une diminution !

La dotation de l’État ne permettra pas aux agents de Pôle emploi de faire face à une charge de travail de plus en plus importante dans des conditions décentes. Un conseiller peut se retrouver à gérer un portefeuille de 200 ou 300 demandeurs, ce qui rend toute prise en charge individuelle totalement impossible.

Les demandeurs d’emploi se retrouvent donc livrés à eux-mêmes, avec pour seul moyen de contacter Pôle emploi un centre d’appel. Or les interlocuteurs sont souvent recrutés sur des contrats à durée déterminée et remplacés tous les six mois, de surcroît en ayant très peu eu de formation. Dans une logique de profit et de rentabilité, le temps d’écoute accordé aux chômeurs a été réduit. Cette situation conduit nombre d’usagers à se rendre dans les agences souvent chargés d’agressivité. C’est dommageable.

Il aurait été indispensable de réévaluer la dotation de Pôle emploi et de lui permettre de faire face à la pénurie de moyens et de personnels, d’autant qu’une intensification de l’accompagnement a toujours un effet direct sur la hausse du taux de retour à l’emploi et, par conséquent, sur la baisse du chômage.

Dans un rapport, très instructif, de 2010, l’Inspection générale des finances a d’ailleurs dénoncé le manque de moyens consacrés au suivi des chômeurs en France : « L’offre en matière d’accompagnement apparaît à la fois plus éclatée, moins étoffée et moins intensive en France qu’en Allemagne et au Royaume-Uni. »

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les effectifs consacrés à l’accompagnement de 10 000 demandeurs d’emploi sont de 178 au Royaume-Uni, de 134 en Allemagne et de 53 seulement en France ! Par ailleurs, outre-Rhin, 8 000 personnes ont été recrutées à temps plein pendant la crise pour se consacrer entièrement au suivi des demandeurs d’emploi, alors que, en France, vous avez procédé à la suppression de 1 800 postes.

En outre, en 2008, c’est-à-dire en pleine crise, les contrats à durée déterminée de Pôle emploi avaient été renouvelés. Actuellement, ils ne le sont plus.

Loin de moi l’idée de remettre en cause le bien-fondé de Pôle emploi, qui a permis de simplifier les démarches des demandeurs d’emploi et de favoriser un traitement plus égalitaire des chômeurs. Pour autant, la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC aurait mérité d’être mieux préparée et mieux accompagnée. Nous avons d’ailleurs été nombreux sur ces travées à dénoncer à maintes reprises les carences en la matière.

Au mois de juillet dernier, la mission commune d’information relative à Pôle emploi a rappelé dans son rapport que la fusion s’était déroulée dans un contexte de forte hausse du chômage et que des erreurs avaient été commises. Elle a regretté que la qualité de l’accompagnement des demandeurs d’emploi se soit dégradée, chaque conseiller n’ayant pas la possibilité d’assurer de manière satisfaisante le suivi mensuel auquel tous les demandeurs d’emploi ont droit en principe. Elle a formulé plusieurs recommandations, préconisant notamment d’attribuer des moyens supplémentaires à Pôle emploi. Je constate avec amertume que votre projet de budget n’en tient pas compte.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, vous comprendrez que la très grande majorité des membres du RDSE ne puissent pas adopter les crédits de la mission.

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