Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout ne va pas si mal pour le budget de la culture pour 2012 : avec 2, 7 milliards d’euros, les crédits de la mission augmentent de 1, 4 % en volume et dépassent légèrement le plafond du budget triennal.
La mission apparaît donc relativement préservée, si l’on se réfère aux normes transversales appliquées aux dépenses de l’État. L’amputation qu’elle a subie à l’Assemblée nationale, au titre des mesures d’économies annoncées par le Gouvernement, représente seulement 0, 5 % des crédits initiaux.
Discuter de la mission « Culture », ce n’est aborder qu’un cinquième de l’effort financier total de l’État en matière de culture et de communication. Celui-ci avoisine 13, 5 milliards d’euros en 2012, à raison de 11, 3 milliards d’euros de crédits budgétaires, de 879 millions d’euros de taxes affectées et de 1, 3 milliard d’euros de dépenses fiscales.
Un effort de rationalisation des taxes affectées aux opérateurs de l’État est aujourd’hui entrepris par le Gouvernement, notamment pour contenir leur dynamisme.
Cette rationalisation concerne tout particulièrement les opérateurs culturels que sont le Centre des monuments nationaux, le Centre national du cinéma et de l’image animée, le Centre national du livre et le Centre national de la variété, de la chanson et du jazz.
Le Sénat a mené des débats riches et parfois passionnés à ce sujet au cours de l’examen de la première partie. Toutefois, je ne doute pas que nous trouvions le moyen d’améliorer le contrôle parlementaire de la fiscalité affectée sans compromettre l’accomplissement des missions confiées aux établissements culturels. Telle est, en tout cas, la volonté de la commission des finances du Sénat et de nos collègues de la mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, qui ont consacré un excellent rapport à ces questions.
S’agissant de la dépense fiscale culturelle, dix-neuf mesures, représentant des enjeux financiers cumulés de 251 millions d’euros, ont été évaluées par le fameux rapport Guillaume. Une seule a été jugée pleinement efficiente, la réduction d’impôt SOFICA, que nous venons de reconduire pour trois ans. Le bilan global est donc, au mieux, mitigé ; il doit nous inciter à revoir les dispositifs dont l’efficacité n’a pas été pleinement démontrée.
J’en viens brièvement aux crédits des différents programmes. Ceux du patrimoine monumental sont stabilisés. Les grands projets absorbent 33 millions d’euros, dont 3, 8 millions d’euros pour la Maison de l’histoire de France, ce qui constitue la principale innovation de la budgétisation 2012 – nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir.
Le Centre des monuments nationaux est crédité de 13, 5 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 8 millions d’euros de taxe sur les paris en ligne.
J’ai fait le point, avec la présidente du Centre des monuments nationaux, le CMN, sur la mise en œuvre des onze recommandations que la commission des finances avait formulées en 2010, à la suite des travaux de la Cour des comptes.
Les résultats sont inégaux. Le contrat de performances de l’établissement devrait néanmoins être signé à la fin du mois. Il formalisera un certain nombre d’objectifs que nous avions nous-mêmes assignés à l’opérateur, en matière de ressources propres ou de programmation des investissements. Il était peut-être temps de redresser le Centre des monuments nationaux, qui a pourtant, à mon sens, une directrice remarquable.
Il était temps également de sortir l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, des difficultés financières chroniques qu’il connaît depuis plusieurs années, car cette question n’est pas nouvelle. La recapitalisation de l’Institut et l’adossement de la redevance d’archéologie préventive à la taxe d’aménagement sont « au menu » du collectif budgétaire de fin d’année, ce dont je me réjouis, car c’est une réforme que nous attendions depuis longtemps. Ces dernières années, il n’y a pas eu une loi de finances sans un problème lié à l’INRAP !
S’il est, en revanche, un secteur qui ne manque pas de moyens, c’est celui des musées. En 2012, notre politique muséale bénéficie de 15, 5 millions d’euros supplémentaires, principalement en faveur de la rénovation du musée Picasso, de la Maison de l’Histoire de France et du musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée de Marseille. Si l’on y ajoute le Quai Branly, le Louvre-Lens ou encore le Centre Pompidou-Metz, il semble que nous n’ayons jamais été mieux pourvus en institutions muséales !
Cette stratégie de développement a pourtant été sévèrement jugée par la Cour des comptes, qui considère que, en dix ans, le pilotage national de cette politique s’est affaibli. Les moyens qui y ont été consacrés ont pourtant sensiblement augmenté, sans que les musées développent significativement leurs ressources propres, et les objectifs de démocratisation de l’accès aux collections ont été très imparfaitement remplis.
Les mesures de gratuité dans les musées pour les enseignants et les jeunes sont un exemple d’initiative coûteuse, largement surcompensée, et dont l’efficacité reste à démontrer. Toutefois, elles seront toujours maintenues, parce que l’opinion publique et les parlementaires ne peuvent concevoir que les musées n’appliquent pas ce genre de dispositifs, même si leur application n’est guère convaincante !
Qu’en est-il des crédits de la création ? Quelque 45 millions d’euros de crédits sont ouverts pour la poursuite du chantier de la Philharmonie de Paris. Nous connaissons votre attachement à ce projet, monsieur le ministre. La commission des finances ne demande qu’à partager cet enthousiasme, mais l’augmentation substantielle du coût de cet équipement, de même que sa budgétisation chaotique, nous laissent perplexes. J’envisage de faire, dans le cadre des contrôles annuels menés par la commission des finances, une visite approfondie de ce chantier.
Par ailleurs, 5, 5 millions d’euros sont dévolus à la rénovation du Palais de Tokyo. Il était temps ! Ces dernières années, ce bâtiment n’a connu que des affectations éphémères. Il semble ne jamais s’être remis du déménagement du Musée d’art moderne vers le Centre Pompidou. Je dirai – ce n’est pas très juridique, mais passons – que le contraste est infiniment triste entre son néant et la vitalité de son voisin, le Musée d’art moderne de la ville de Paris, qui organise chaque année des expositions entraînant de longues files d’attente. Il faut souhaiter que la nouvelle affectation du palais sera pérenne et rencontrera le succès escompté.
Vous annoncez, monsieur le ministre, quinze mesures en faveur des arts plastiques. J’ai consacré, au premier semestre, une série d’entretiens à la politique de soutien à la création contemporaine via la commande publique, les acquisitions ou les aides aux artistes et aux structures. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de tirer un constat objectif à partir des appréciations béates ou, au contraire, d’une extrême sévérité que portent les uns et les autres sur cette politique ; le rapport n’est jamais sorti parce que nous n’arrivions pas à des conclusions totalement sûres !
Dans ce domaine, les postures conceptuelles sont plus fréquentes que les indicateurs chiffrés. Depuis le début des années quatre-vingt, le soutien aux arts plastiques a connu un essor sans précédent. Je crois qu’il est temps de procéder à une évaluation approfondie de ces trois décennies de politique en faveur de la création, évaluation qui repose sur autre chose que des jugements de goût ou des querelles entre fonctionnaires de la culture et sociologues de l’art.
J’en termine en relevant que la diminution des effectifs imputés sur la mission se poursuit et se traduit par une légère diminution de la masse salariale en valeur. Néanmoins, le ministère ayant fait mieux que le « un sur deux » en 2008, il bénéficie d’un assouplissement de la règle en fin de législature, ce qui lui permet d’y soustraire les emplois d’enseignants des établissements culturels. Ayant eu à connaître, les années précédentes, des situations des conservatoires de Paris et Lyon, qui mobilisent des équipes enseignantes d’un niveau tout à fait remarquable, je me félicite de cet assouplissement.
Tous les régimes politiques, tous les gouvernements ont mené une politique culturelle, ne serait-ce que pour des raisons de propagande. Néanmoins, il a fallu, chacun le sait, attendre le général de Gaulle et André Malraux pour qu’existe un ministère de la culture. Les grands moments historiques, la Révolution française, l’Empire ont peu créé. Il a fallu attendre la Restauration pour que se déploie le romantisme, sous un régime assez fade.
Il semble que nous nous soyons aujourd’hui mis à créer moins et à conserver davantage. Monsieur le ministre de la culture, vous n’y pouvez rien si le marché de l’art s’étiole à Paris, mais vous pouvez au moins, et vous vous y employez, nous faire de beaux musées. Est-ce à dire que nous vivons dans ce passé ? C’est l’avenir qui nous le dira.
Telles sont les principales observations que mon collègue Aymeri de Montesquiou, qui vous prie d’excuser son absence aujourd'hui, et moi-même souhaitions formuler sur ce budget.
Bien sûr, je voterai ces crédits à titre personnel, mais la commission des finances invite le Sénat à rejeter les crédits de la mission « Culture », comme elle l’a fait d’ailleurs pour toutes les missions.