La présentation de ce projet de budget est apparemment censée démontrer, malgré la faiblesse des crédits, l’importance que le Gouvernement accorde à la culture. Mais la crise et la rigueur budgétaire servent d’arguments pour justifier toutes les démissions dans ce domaine.
Au nom de la réduction des déficits publics engagée pour contenter les marchés financiers, il nous faudrait admettre que si les crédits attribués à la culture ne diminuent pas, c’est qu’ils sont considérés comme prioritaires ! L’argument a de quoi laisser songeur : l’absence de coupes budgétaires drastiques témoignerait de l’ambition de la politique culturelle…
En réalité, la mission « Culture » n’est pas plus épargnée que les autres ; elle aussi fait l’objet de mesures d’économies destinées à combler le déficit.
Ainsi, le Gouvernement a voulu que le relèvement du taux de TVA de 5, 5 % à 7 % s’applique aux livres et aux billetteries de spectacles. La faiblesse des recettes nouvelles qu’une telle mesure rapportera à l’État et l’ampleur des difficultés économiques rencontrées par les acteurs concernés auraient justifié que ces derniers soient exemptés de ce relèvement du taux de TVA, au nom de l’exception culturelle.
L’introduction d’un plafonnement du produit des taxes affectées au CNC, au CNL, au CMN et au CNV participe aussi de l’effort financier aveugle que l’on veut imposer au secteur de la culture.
Ces opérateurs culturels de l’État, chacun dans son domaine – cinéma, livre, musées et chanson –, ont permis de préserver la diversité de la création en France et de maintenir, sur tout le territoire, des réseaux de diffusion de toutes tailles. Cette situation unique fait la force de la culture française.
Le plafonnement de leur financement – l’État s’attribuant le surplus du produit des taxes affectées – se traduira de facto par un amoindrissement de leur action. Pourtant, l’affectation de ces taxes n’a pas d’incidence sur les finances de l’État ; elle est au contraire le fruit de la débudgétisation de l’action culturelle. D’ailleurs l’État continue de transférer nombre de missions à ces opérateurs : c’est ainsi que, dès 2012, le CNC aura la charge de l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, l’ancienne Femis.
La culture ne sera donc pas davantage épargnée en 2012 qu’elle ne l’a été depuis 2007.
Peut-on dire d’un ministère qui a subi les deux phases de la RGPP et qui, cette année, perd 110 emplois supplémentaires sur les 11 014 équivalents temps plein dont il dispose encore qu’il n’a pas été mis à contribution ? De plus, les crédits de la mission « Culture » sont passés de 2, 9 milliards à 2, 6 milliards d’euros entre 2008 et 2012, ce qui représente une diminution de 300 millions d’euros.
L’augmentation dont vous vous félicitez pour 2012, monsieur le ministre, doit être relativisée. Elle est assez faible, et la part du budget de l’État consacrée à la culture restera loin du niveau qu’elle avait atteint en 1981, à savoir 1 %. S’il est vrai que le ministère de la culture a été créé sous la présidence du général de Gaulle, il a en effet fallu attendre 1981 pour que de véritables moyens financiers lui soient attribués !
Dès lors que l’on tient compte de l’inflation, les crédits proposés pour 2012 n’augmentent que de 0, 9 %. Surtout, cette hausse est purement mécanique et résulte d’une mauvaise gestion de votre part : elle est essentiellement due à des investissements immobiliers mal maîtrisés, dont les coûts dépassent les prévisions. Vous n’êtes porteur d’aucune ambition pour l’avenir : c’est pourquoi les autorisations d’engagement, à la différence des crédits de paiement, ne sont pas en hausse.
Sans doute cette aberration budgétaire vise-t-elle surtout à signifier, par de grands symboles, le prétendu engagement culturel du Gouvernement. Mais ces symboles sont en fait désincarnés ; parfois, ce ne sont même que des coquilles vides !
De plus, l’essentiel de l’action culturelle reste concentré sur quelques grands projets coûteux ; cela aggrave le hiatus entre grandes et petites structures, qui recoupe souvent celui entre les grandes villes et les petites villes ou les zones rurales. Il ne s’agit pas pour moi d’opposer Paris à la province, mais il convient de permettre l’extension de la culture sur l’ensemble de notre territoire.
Je m’interroge enfin sur l’intérêt qu’il y a à créer de grands établissements si on ne leur donne pas, ensuite, les moyens de fonctionner.
Le programme « Création », le seul de la mission dont les crédits soient en hausse, illustre parfaitement mes propos.
En matière de spectacle vivant, le chantier mal maîtrisé de la Philharmonie de Paris absorbe 45 millions d’euros, soit 80 % des crédits. Le surcoût atteignant au total 133 millions d’euros, le ministère s’est vu contraint d’augmenter le budget… Il faudrait parfois prendre exemple sur les collectivités territoriales en matière de maîtrise des budgets et des coûts de construction !
Les arts plastiques, secteur sur lequel porte mon rapport, sont, pour leur part, complètement sacrifiés : leurs crédits sont en baisse de 5, 32 %, malgré l’annonce de quinze mesures en faveur des arts plastiques et du plan photo. En dépit de leur faiblesse, ces crédits sont de surcroît pour l’essentiel absorbés par un grand projet, celui du Palais de Tokyo, lui aussi très parisien, dans la localisation et dans l’esprit.
Le programme « Patrimoine » bénéficie d’une augmentation de crédits de 0, 8 % : inférieure à l’inflation, elle correspond à une baisse en euros constants.
Là encore, malheureusement, l’essentiel de l’effort budgétaire est concentré sur les « grands projets » que sont le MUCEM à Marseille et la Maison de l’histoire de France, ce dernier étant légitimement contesté.
Enfin, le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » voit ses crédits baisser, ce qui est en totale contradiction avec la prétendue priorité du ministère : la démocratisation culturelle, que vos politiques, monsieur le ministre, ont échoué à réaliser.
Ce désengagement financier nous éloigne fort de l’ambition d’Antoine Vitez, l’« élitisme pour tous », et même du grand projet, annoncé par le ministère en 2010, de « culture pour chacun ». Celui-ci était censé favoriser l’accès à la culture et éviter le hiatus entre culture scientifique et culture populaire.
Dénoncer l’élitisme pour mieux démanteler la culture et la transformer en un secteur marchand ordinaire : tel est le véritable projet du Gouvernement, dont les aides insuffisantes incitent au développement du mécénat, à la recherche de rentabilité, au développement de ressources propres et à la compétition entre des musées devenus des entreprises vendant leurs marques et leurs labels. Je ne pense pas que ce soit là l’avenir de la culture !
Pour toutes ces raisons et d’autres encore que je n’ai malheureusement pas le temps d’exposer, notre groupe votera contre les crédits de la mission « Culture ».
En conclusion, je reprendrai ces propos récents d’Euzhan Palcy, la réalisatrice des films Rue Cases-Nègres et Une saison blanche et sèche : « plus ça va mal, plus il faut investir dans la culture ». Non, la culture ne peut pas être la variable d’ajustement par temps de crise !
Monsieur le ministre, le 20 septembre dernier, l’Inspection générale des affaires culturelles vous a rendu son rapport sur les conditions de travail au sein du Centre des monuments nationaux : je vous demande, en tant que parlementaire et au nom du personnel en souffrance de cet organisme, de bien vouloir nous communiquer les conclusions de ce rapport, qui n’ont pas encore été rendues publiques.