Intervention de Dominique Gillot

Réunion du 25 novembre 2011 à 21h45
Loi de finances pour 2012 — Culture

Photo de Dominique GillotDominique Gillot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur le secteur du cinéma, dont les politiques gouvernementales ne semblent pas avoir pris toute la mesure de la situation.

Si les salles obscures sont bien le lieu de la rencontre des publics avec une œuvre, elles sont aussi le vecteur d’un plaisir partagé et d’une culture collective qui reposent sur la création, bien sûr, mais aussi l’éducation populaire et l’ancrage dans la vie de nos territoires.

Soutenir le cinéma, c’est bien entendu soutenir la création, et l’on ne peut, à cet égard, que déplorer l’effondrement de la fiction française, dont le faible niveau de production, avec seulement 752 heures réalisées en 2009, atteste le retard de notre pays dans ce domaine.

Comme le souligne le rapport Chevalier, qui vous a été remis en avril dernier, monsieur le ministre, les diffuseurs français sont frileux et, faute d’investissements suffisants, la fiction française ne peut rivaliser avec celle d’autres pays où l’on ose proposer des formats créatifs et innovants qui séduisent.

On ne crée pas une œuvre de fiction comme on fabrique un produit ; il est donc indispensable de mieux soutenir les artistes, pour leur permettre de grandir en multipliant leurs expériences, et de financer l’écriture et la créativité.

Il faut, en outre, amplifier le soutien aux festivals régionaux, en partenariat avec les collectivités territoriales et les DRAC, dont les conseillers « cinéma » sont pleinement capables de sélectionner les projets dignes d’être soutenus.

Le cinéma porte aussi une dimension éducative, malheureusement négligée. Les films, dans leur grande majorité, permettent de découvrir d’autres horizons, d’autres mœurs ou civilisations, d’autres milieux sociaux, d’autres façons de vivre, des paysages, la musique, les effets spéciaux… Ce sont des outils efficaces d’éducation populaire. Pour beaucoup de nos concitoyens, le cinéma est « la » sortie culturelle leur offrant une ouverture sur le monde.

L’image est la première approche culturelle pour les jeunes captés par les multiplexes, qui ne s’investissent pourtant pas dans l’éducation à l’image. Il est donc de la responsabilité des pouvoirs publics de s’engager, à travers le CNC, en associant les collectivités territoriales, en faveur d’une plus forte promotion de l’éducation à l’image, comme cela se fait déjà avec l’opération « Collège au cinéma », dont les contributions ont malheureusement été relevées sans concertation.

Compte tenu de la place que tient l’image dans notre société et du succès de fréquentation des salles, je déplore le manque de médiation culturelle pour l’image, à l’instar de celle qui se pratique déjà pour l’écrit à travers les bibliothèques. Il s’agit là d’un effort de démocratisation indispensable pour permettre à chacun d’accéder aux œuvres, y compris les plus exigeantes ; actuellement, il repose essentiellement sur l’engagement des petites salles indépendantes, associatives ou communales.

Le cinéma contribue à animer la vie de nos territoires, mais de fortes incertitudes pèsent sur la capacité de notre pays à maintenir une offre cinématographique diversifiée et répartie de façon équilibrée dans l’ensemble du pays.

Les petites salles s’inquiètent pour leur pérennité, non seulement en raison du développement des multiplexes, qui livrent actuellement un deuxième assaut, mais aussi à cause des modalités de déploiement du plan d’aide à la numérisation. En effet, les salles qui offrent moins de cinq séances par semaine sont exclues de celui-ci. Par ailleurs, elles rémunèrent les distributeurs à hauteur de 50 % de la recette, comme les grandes salles. Je soutiens donc la demande des exploitants, qui souhaitent l’abaissement de ce taux à 45 %, afin de pouvoir dégager les marges qui leur permettront de pérenniser leur équipement numérique et de remédier à son obsolescence rapide.

Les retombées du cinéma sur les territoires ne sont pas seulement liées aux salles : les tournages profitent, sur un plan économique, aux territoires qui les accueillent. C’est le film lui-même qui, une fois diffusé, contribue à promouvoir le site du tournage, à en donner une image positive, voire à en encourager la visite : le spectateur des salles obscures est attiré par le tourisme cinématographique.

Ainsi, VisitBritain, équivalent britannique de FranceGuide, propose sur son site internet, dès la page de garde, une entrée « télévision et cinéma » parmi d’autres consacrées aux jardins, à l’histoire et au patrimoine, aux musées et aux galeries ou au rock. Selon un rapport d’Oxford Economics, 10 % des voyages au Royaume-Uni seraient motivés par un film ou ses décors.

Je veux enfin m’insurger contre l’incohérence de la politique de soutien au cinéma. En plafonnant la recette des taxes affectées au CNC, vous déstabilisez le financement autonome du cinéma français, qui est sans équivalent dans le monde et dont l’efficacité n’avait jamais été mise en cause depuis 1946. Pour siphonner au bénéfice de l’État quelque 70 millions d’euros, cédant aux sirènes du court terme, vous vous attaquez à un système vertueux qui permettait d’échapper à la tyrannie de l’immédiateté et du box office.

Monsieur le ministre, le cinéma est un art tout juste âgé de cent dix ans, et il mérite des choix plus porteurs que ceux que vous préconisez, dont les effets seront désastreux à moyen terme pour toute la filière.

Il est nécessaire de conduire une politique en direction du cinéma qui permette de soutenir les créateurs, de stimuler l’activité et de créer des emplois, tout en transmettant savoir et émotion.

Alors que nous sommes frappés de plein fouet par la crise, il est plus que jamais nécessaire de donner sens à l’œuvre, particulièrement dans le monde de l’image, que vous connaissez et dont vous parlez très bien, mais sans parvenir à nous faire avaler vos chiffres, comme l’a dit tout à l’heure notre collègue Claude Domeizel.

En conclusion, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Culture ».

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