Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des débats sur la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, l’opposition parlementaire de gauche avait donné l’impression de vouloir jouer les Cassandre.
Qu’avait-elle dit exactement? Que la suppression de la publicité sur France Télévisions était irresponsable du point de vue financier, qu’elle n’aurait aucune incidence sur la qualité des programmes, que la mise en place brutale et désordonnée de l’entreprise unique pourrait avoir des conséquences néfastes, ne serait-ce que par la désorganisation qu’elle engendrerait, que la création des deux taxes proposées était juridiquement hasardeuse. Nous disions enfin que le nouveau mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public nuirait à leur crédibilité.
Sur l’ensemble de ces points, nos prévisions se sont révélées exactes, voire parfois un peu trop optimistes…
Des deux taxes dont la création était proposée par le Gouvernement, l’une, sur les recettes publicitaires des chaînes privées, a vu son taux raboté et ne rapporte presque plus rien, l’autre est considérée comme contraire au droit communautaire par la Commission européenne : l’État court dès lors un risque majeur de devoir rembourser les sommes perçues – entre 900 millions et 1 milliard d’euros – et la suppression totale de la publicité sur France Télévisions n’est donc absolument pas financée.
S’agissant des programmes, on peut saluer les efforts de la nouvelle direction, mais Patrick de Carolis avait déjà bien amorcé le virage éditorial du groupe avant la suppression de la publicité.
Pendant ce temps, l’entreprise a connu des bouleversements majeurs, avec une centralisation des responsabilités, puis une nouvelle décentralisation : la grosse fusion a abouti à une grosse confusion !
J’ajouterai que les chantiers majeurs du global media –même si la montée en puissance est bien réelle – ou de la mise en place d’une chaîne jeunesse ne sont pas encore achevés.
La raison en est probablement que le financement du groupe est incertain. Trois ans après la réforme, France Télévisions est une entreprise fragilisée.
En outre, les charges nouvelles sont nombreuses : je citerai notamment la diffusion hertzienne de France Ô sur tout le territoire national – 20 millions d’euros –, le déploiement de la télévision numérique terrestre outre-mer – 9 millions d’euros – ou la hausse des subventions au cinéma résultant des obligations réglementaires de France Télévisions – 8 millions d’euros.
Une inquiétude réelle pèse donc sur le financement de la réforme votée en 2009 et la pérennité du service public de l’audiovisuel ; en conséquence, la commission de la culture s’opposera à toute tentative de réduire les recettes.
S’agissant des autres groupes de l’audiovisuel public, le Gouvernement n’a rien fait, et le bilan pourrait par conséquent être plutôt positif. Des contrats d’objectifs et de moyens ont cependant été signés. C’est fondamental, puisque ces contrats sont un outil essentiel, permettant un engagement contractualisé et pluriannuel de l’État ; ils constituent donc une garantie de l’indépendance financière, et surtout éditoriale, de ces groupes.
Qu’a-t-on appris après la seconde délibération sur le projet de loi de finances à l’Assemblée nationale ? Que le Gouvernement, doutant probablement de la constitutionnalité d’une diminution des dépenses par le biais du collectif budgétaire, a introduit nuitamment dans le projet de loi de finances des dispositions retirant 15 millions d’euros de crédits à France Télévisions, 2 millions d’euros à Radio France et 1 million d’euros aux autres acteurs : Arte, l’INA et Audiovisuel extérieur de la France. Je souligne, à cet égard, que cette seconde délibération n’était pas intervenue quand j’ai rédigé mon rapport et quand la commission de la culture a émis son avis.
Cette démarche est contraire à l’esprit du contrat d’objectifs et de moyens, à l’indépendance de ces groupes, qui seraient extrêmement fragilisés par de telles ponctions. Ce ne serait pas la mort subite de notre audiovisuel public, mais, indéniablement, une asphyxie progressive, que nous avions annoncée dès l’origine de la réforme.
En ce qui concerne les crédits consentis à la presse, sans surprise, l’heure est à la diminution : le total des aides directes à la presse s’établit à 543 millions d’euros, répartis entre deux programmes, soit une baisse de plus de 6 % par rapport à 2011. Le Gouvernement a beau jeu de se dédouaner en justifiant cette baisse par la fin de la mise en œuvre du plan exceptionnel de soutien public à la presse et en ajoutant que 540 millions d’euros d’aides directes en 2012, c’est toujours 60 % de plus qu’en 2007…
On aura beau dire, une baisse aussi substantielle s’apparente à un désengagement, que nos entreprises de presse n’ont pas pu anticiper compte tenu de son ampleur et qui pourrait miner tous les efforts de modernisation qu’elles ont conduits au cours de ces trois dernières années.
Je m’interroge sur l’existence d’une véritable stratégie cohérente qui présiderait à l’évolution de ces aides. Lorsqu’elles ne font pas l’objet d’un saupoudrage qui les rend inopérantes, les aides directes sont distribuées de façon plus ou moins automatique aux mêmes titres, dans des conditions assez obscures, et parfois sans réelle analyse prospective préalable. Or c’est la production d’une information à valeur ajoutée que notre système d’aides publiques doit encourager, surtout avec la révolution numérique.
Aujourd’hui, si l’on veut véritablement accompagner la presse dans sa démarche de modernisation, c’est prioritairement sur la fiscalité, d’application neutre, qu’il convient d’agir, en mettant un terme aux inégalités de traitement entre la presse imprimée et la presse numérique.
Je me réjouis d’ailleurs que notre assemblée ait adopté, lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, un amendement que j’avais présenté en commission. Cet amendement vise à étendre à la presse en ligne le bénéfice du taux de TVA réduit de 2, 1 %, jusqu’ici réservé à la presse imprimée : c’est la condition de la migration des contenus vers tous les supports.
Compte tenu de mes observations, la commission de la culture, qui a donc délibéré avant la ponction de 20 millions d’euros que j’évoquais, a donné un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Cela étant, mon avis pourrait évoluer si l’amendement que j’ai déposé visant à rétablir ces 20 millions d’euros de crédits était adopté.