Intervention de Louis Duvernois

Réunion du 25 novembre 2011 à 21h45
Loi de finances pour 2012 — Compte de concours financiers : avances à l'audiovisuel public

Photo de Louis DuvernoisLouis Duvernois :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parler de l’audiovisuel extérieur, c’est insister sur la volonté de notre pays de s’inscrire dans un monde ouvert alors qu’il peut parfois donner l’impression d’une certaine frilosité.

Pour mémoire, la loi du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État, très largement inspirée par le Sénat, et dont j’ai été le rapporteur au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, a relativisé, contre l’avis de nombre de parlementaires, l’apport de l’audiovisuel extérieur dans la diplomatie publique d’influence contribuant au rayonnement de la France à l’étranger.

En 2008, les pouvoirs publics affirmaient la volonté de réformer l’audiovisuel public extérieur, partant « du constat que la faiblesse de pilotage stratégique de l’État, ajoutée à la multiplicité des tutelles et des sources de financement, conduisait au manque flagrant de cohérence d’une stratégie de communication performante ».

Au cours des trois dernières années se sont succédé des crises à répétition dans les différents médias de l’audiovisuel extérieur, incitant le Parlement à se pencher à nouveau sur les structures opérationnelles mises en place. Il y a d’abord eu la crise sur le statut de TV5 Monde en 2008, puis, en 2010, celle de la fusion entre France 24 et Radio France Internationale et celle de la gouvernance de France 24, cette dernière crise ayant entraîné la démission très médiatisée de la directrice générale déléguée à l’audiovisuel extérieur de la France.

À la demande du Premier ministre, l’Inspection générale des finances a publié au mois de novembre 2011 un rapport sur l’audiovisuel extérieur de la France. L’IGF y révèle notamment des « zones d’incertitudes budgétaires » de 55 millions d’euros pour la période 2011-2013. AEF a en effet anticipé des ressources propres encore hypothétiques. En outre, il a supporté les charges effectives entraînées par la fusion entre France 24 et RFI, par le plan global de modernisation et le financement du plan de sauvegarde de l’emploi, et par la réduction des effectifs fondée sur le départ volontaire des personnels, sans licenciements secs. L’IGF considère aussi que « la gouvernance de l’ensemble du dispositif existant devrait être améliorée » et propose de désigner un ministère de tutelle, chef de file de l’audiovisuel public extérieur.

Comment comprendre, comme je l’ai exprimé lors d’un récent conseil d’administration d’AEF, où je représente le Sénat, que l’Institut français et l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, deux instruments majeurs de diplomatie culturelle et d’influence, relèvent du ministère des affaires étrangères et européennes et que ce ne soit pas le cas de la société nationale de programme en charge de l’audiovisuel public extérieur de la France ?

La tutelle administrative et financière d’AEF a été confiée au ministère de la culture pour éviter des conflits d’intérêts personnalisés au plus haut niveau. Le ministère des affaires étrangères doit retrouver le pilotage politique de l’ensemble du dispositif audiovisuel pour impulser les orientations stratégiques prises au nom de l’État, en concertation naturellement avec d’autres acteurs publics.

Monsieur le ministre, entendez-vous donner suite au souhait du ministère des affaires étrangères et européennes d’exercer la tutelle d’AEF, la situation actuelle étant l’héritage d’une configuration dirons-nous personnelle ayant conduit à l’incongruité que nous connaissons aujourd'hui ?

Les composantes filialisées ou partenaires d’AEF souhaitent par ailleurs être rassurées. France 24 est un opérateur d’influence prometteur. France 24 en langue arabe et Radio Monte-Carlo Doualiya ont occupé une place historique pendant les événements du printemps arabe. Radio France Internationale regagne des parts d’audience et TV5 Monde apparaît comme une chaîne ayant trouvé ses marques, mais elle est souvent incomprise en raison de sa singularité dans le paysage audiovisuel extérieur de la France.

Les objectifs prioritaires pour AEF ne sont-ils pas d’apporter à France 24 la certitude qu’elle pourra remplir sa mission publique en posant un regard spécifiquement français sur un monde en évolution et qu’elle pourra assurer, conformément à son cahier des charges, le rayonnement de la France et de la francophonie ?

AEF ne doit-il pas permettre à RFI de préserver une identité construite depuis de longues années par des équipes professionnelles aguerries, dans un climat de travail plus harmonieux ?

Ne doit-il pas enfin apporter une garantie de pérennité à TV5 Monde, cet opérateur multilatéral et généraliste apprécié par de nombreux téléspectateurs français, francophones et francophiles sur les cinq continents, et dont la France est, rappelons-le, le premier bailleur de fonds ?

TV5 Monde a été créée voilà vingt-sept ans, en 1984, avec un engagement fort de la France. La création en 2008 de France 24 et la volonté politique et stratégique ensuite manifestée par les pouvoirs publics de réunir les rédactions de France 24 et de RFI, choix validé à plusieurs reprises, rappelons-le, par la justice, posent à nouveau clairement la question de la place de l’opérateur francophone multilatéral au sein de la société holding AEF.

Des pistes de réflexion de l’Inspection générale des finances, qui ne constituent pas encore, à ce stade, des recommandations formelles, devraient enfin permettre à AEF de boucler un contrat d’objectifs et de moyens et d’identifier également des sources d’économies, lesquelles pourraient venir de TV5 Monde, un opérateur qu’AEF ne contrôle qu’à 49 %. Toutefois, cela ne manquerait pas de compliquer de nouveau les relations diplomatiques avec nos partenaires de TV5 Monde, de même qu’avec les États francophones, en faisant de ce média une variable d’ajustement du dispositif audiovisuel extérieur français.

L’Inspection générale des finances estime que la tutelle de TV5 Monde, répartie entre l’État et AEF, est ambiguë. La sortie de TV5 Monde d’AEF est donc une option envisagée, bien qu’elle semble contradictoire avec la mise en œuvre de mesures d’économies. Elle permettrait cependant d’ouvrir la piste d’un rattachement de TV5 Monde à France Télévisions, société fondatrice de TV5 Monde, qui est aussi la vitrine internationale du groupe en tant que chaîne généraliste, à l’heure où de plus en plus de parlementaires préconisent parallèlement le rattachement d’AEF à France Télévisions.

Le rapport de l’IGF dépasse donc très largement la simple recherche d’économies, les questions qu’il soulève relevant avant tout de décisions politiques. Tout affaiblissement de l’AEF et de TV5 Monde conduirait, à terme, à une perte d’influence globale de la France et de la francophonie dans le monde.

Je m’interroge également, monsieur le ministre, sur la raison d’une réduction de 8, 3 % des financements publics consacrés à l’audiovisuel extérieur, à laquelle il convient d’ajouter plus de 1 million d’euros au titre des nouvelles mesures d’austérité gouvernementales, sur un budget total de 328 millions d’euros.

C’est la première fois depuis sa création que l’audiovisuel extérieur enregistre une diminution aussi sensible de ses crédits. En interne, on temporise, en affirmant que ces réductions budgétaires seraient également réparties entre RFI et France 24 et porteraient essentiellement sur les coûts de diffusion, un sujet déjà sensible entre France 24 et TV5 Monde, ces deux chaînes devant négocier, à l’international, sur les mêmes créneaux satellitaires et de câblodistribution.

Si l’on ajoute ces contraintes budgétaires durables à l’ambiguïté structurelle relevée par l’IGF, le risque est bien réel de voir surgir de nouvelles tensions avec les pays francophones partenaires de TV5 Monde, autres bailleurs de fonds de la chaîne multilatérale, au moment même où la France assure la présidence de la conférence ministérielle de TV5 Monde.

La préparation du premier contrat d’objectifs et de moyens d’AEF n’est-elle pas l’occasion de clarifier une configuration structurelle confuse et, en tout état de cause, potentiellement porteuse de relations conflictuelles, spécialement avec TV5 Monde ?

Nous sommes tous conscients de l’importance des enjeux géopolitiques et stratégiques de l’audiovisuel extérieur ainsi que de la nécessité de réunir les conditions de succès en termes de management et d’audience. Aussi, monsieur le ministre, comment entendez-vous, à l’aune de cette analyse, répartir dans le futur, de manière équitable et avec le souci de rechercher des synergies fonctionnelles, les dotations publiques investies auprès des opérateurs filialisés ou partenaires d’AEF, qui tous poursuivent des missions de service public ?

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