On a longtemps cru que, si l'université, le lycée et le collège devaient être réformés, l'école primaire française, à défaut d'être la meilleure du monde, fonctionnait bien. Ce n'est pas le cas, et l'on en prend aujourd'hui conscience. Or une société de la connaissance ne peut être édifiée sur du sable. Voilà pourquoi l'institut Montaigne a souhaité mener une réflexion sur l'état de l'école primaire dans notre pays, auditionner des spécialistes et publier un rapport. Les constats sur lesquels nous nous fondons ne sont pas nouveaux : alors que 800 000 enfants entrent chaque année dans le système scolaire, 300 000 en ressortent avec des lacunes qui, pour la moitié d'entre eux, sont très graves. Depuis vingt ans que cette situation perdure, nous avons donc formé trois millions d'illettrés. En dépit des efforts des gouvernements successifs et du Parlement, malgré l'investissement massif de fonds publics, rien ne change. Cette incapacité à obtenir des résultats est une singularité française.
Moi qui fus professeur dans le secondaire et qui enseigne toujours à Sciences Po, j'ai découvert avec effarement que l'ensemble du système scolaire primaire n'était pas conçu pour répondre aux intérêts des enfants mais des adultes, qu'il s'agisse de préoccupations économiques liées au tourisme et aux transports, ou du souci des parents et des enseignants de mieux organiser leurs vacances. La France est le pays occidental où il y a le plus de redoublants ; or, loin d'être une solution, le redoublement fait peser la responsabilité de l'échec sur l'élève. C'est dans notre pays que l'année scolaire est la plus courte - 140 jours contre 170 au moins au Royaume-Uni et en Allemagne - ainsi que la semaine scolaire. On s'est rendu compte que la semaine de quatre jours était une erreur ; l'institut Montaigne recommande le passage à la semaine de cinq jours, assorti d'une réduction de la durée des journées.
Nos propositions se laissent classer sous quatre chefs. En ce qui concerne les cycles d'apprentissage, la réforme voulue par M. Jospin en 1989 n'est pas appliquée. La terminologie est aujourd'hui trop complexe. Les cycles doivent être adaptés aux rythmes individuels. Nous en préconisons trois : un cycle d'apprentissages premiers de 3 à 4 ans, un cycle d'apprentissages fondamentaux de 5 à 7 ans, et un cycle d'approfondissement de 8 à 10 ans.
Viennent ensuite les mesures relatives au temps des enfants. Je l'ai dit : nous recommandons une semaine de cinq jours et une année scolaire moins compacte, allongée d'au moins deux semaines. Beaucoup de parents y sont favorables : moi-même, je m'attends à ce que l'on me demande de garder ma petite-fille pendant les vacances scolaires, alors que ses parents travaillent... Les enseignants, en revanche, n'y sont pas toujours favorables.
Le métier d'enseignant doit évoluer. Les intéressés sont demandeurs : l'immense majorité d'entre eux souffrent de l'échec scolaire et veulent être aidés. Les réformes actuelles ne nous paraissent pas aller dans le bon sens : plutôt que de former les professeurs à leur métier après leurs études, il faut mettre en place une formation en alternance. Je ne comprends d'ailleurs pas qu'ils ne soient pas entraînés à s'adresser différemment à des enfants de trois et de huit ans : même à l'université, l'on ne peut s'adresser à des étudiants de vingt ans comme à des étudiants de vingt-huit ! Nous regrettons que les hausses de traitement n'aient pas été assorties, en contrepartie, d'une obligation de présence accrue dans l'établissement, essentielle au renforcement des liens entre les maîtres et les élèves.
Enfin, la gouvernance actuelle de l'école est absurde. Alors que le collège est dirigé par un principal, le lycée par un proviseur, l'école primaire n'a pas de véritable directeur ! Le décret d'application de la loi du 13 août 2004 n'a pas été publié. Les maires sont responsables des bâtiments, mais dans le domaine pédagogique le directeur ne peut compter que sur son charisme, car il n'a pas les moyens d'imposer ses projets éducatifs, d'affecter par exemple dans les classes les plus difficiles les enseignants rompus aux techniques pédagogiques adaptées. Pour l'heure, le bizutage prévaut : le dernier arrivé écope de la classe la plus dure. Moi-même, quand j'étais jeune enseignant à Nanterre, je me vis confier un cours devant 1 200 étudiants, et je compris bientôt que j'aurais 1 200 copies à corriger...
On a parfois l'impression, dans ce domaine, d'avoir affaire au rocher de Sisyphe. Mais si l'on est impuissant à le faire rouler, c'est peut-être qu'un caillou l'empêche d'avancer. Si paradoxal que cela paraisse, on a négligé trop longtemps la pédagogie. Après avoir auditionné de nombreux spécialistes - Mme Marie Duru-Bellat, M. François Dubet, M. Michel Zorman - et considéré l'exemple d'autres pays et États - par exemple la Floride où les enfants dont l'espagnol est la langue maternelle apprennent à lire et à écrire grâce à des méthodes spécifiques - nous nous sommes convaincus de la nécessité de diffuser des pratiques pédagogiques fondées sur des données objectives et évaluées. Il faut organiser le respect des rythmes propres à chacun et s'appuyer sur des techniques qui permettent de vaincre l'échec scolaire. Mais sans une révolution mentale des enseignants, nous n'arriverons à rien. La réforme que nous préconisons n'est pas coûteuse : la suppression des redoublements ferait même faire des économies.