La commission procède à l'audition de MM. François Rachline, directeur général de l'institut Montaigne, Michel Zorman, médecin de santé publique, chercheur associé à Cogni-sciences laboratoire des sciences de l'éducation de l'Université Pierre Mendès-France de Grenoble, Centre de référence des troubles du langage du CHU de Grenoble, Mme Maylis Brandou, co-rapporteur du rapport, chargée d'études à l'institut Montaigne, et M. Alexandre Quintard-Kaigre, responsable des affaires publiques de l'institut Montaigne, sur le rapport de l'institut Montaigne « Treize propositions pour « vaincre l'échec à l'école primaire » »
Après avoir auditionné hier le ministre de l'éducation nationale, nous recevons aujourd'hui les responsables de l'institut Montaigne qui vont nous présenter leur rapport « Vaincre l'échec à l'école primaire ».
On a longtemps cru que, si l'université, le lycée et le collège devaient être réformés, l'école primaire française, à défaut d'être la meilleure du monde, fonctionnait bien. Ce n'est pas le cas, et l'on en prend aujourd'hui conscience. Or une société de la connaissance ne peut être édifiée sur du sable. Voilà pourquoi l'institut Montaigne a souhaité mener une réflexion sur l'état de l'école primaire dans notre pays, auditionner des spécialistes et publier un rapport. Les constats sur lesquels nous nous fondons ne sont pas nouveaux : alors que 800 000 enfants entrent chaque année dans le système scolaire, 300 000 en ressortent avec des lacunes qui, pour la moitié d'entre eux, sont très graves. Depuis vingt ans que cette situation perdure, nous avons donc formé trois millions d'illettrés. En dépit des efforts des gouvernements successifs et du Parlement, malgré l'investissement massif de fonds publics, rien ne change. Cette incapacité à obtenir des résultats est une singularité française.
Moi qui fus professeur dans le secondaire et qui enseigne toujours à Sciences Po, j'ai découvert avec effarement que l'ensemble du système scolaire primaire n'était pas conçu pour répondre aux intérêts des enfants mais des adultes, qu'il s'agisse de préoccupations économiques liées au tourisme et aux transports, ou du souci des parents et des enseignants de mieux organiser leurs vacances. La France est le pays occidental où il y a le plus de redoublants ; or, loin d'être une solution, le redoublement fait peser la responsabilité de l'échec sur l'élève. C'est dans notre pays que l'année scolaire est la plus courte - 140 jours contre 170 au moins au Royaume-Uni et en Allemagne - ainsi que la semaine scolaire. On s'est rendu compte que la semaine de quatre jours était une erreur ; l'institut Montaigne recommande le passage à la semaine de cinq jours, assorti d'une réduction de la durée des journées.
Nos propositions se laissent classer sous quatre chefs. En ce qui concerne les cycles d'apprentissage, la réforme voulue par M. Jospin en 1989 n'est pas appliquée. La terminologie est aujourd'hui trop complexe. Les cycles doivent être adaptés aux rythmes individuels. Nous en préconisons trois : un cycle d'apprentissages premiers de 3 à 4 ans, un cycle d'apprentissages fondamentaux de 5 à 7 ans, et un cycle d'approfondissement de 8 à 10 ans.
Viennent ensuite les mesures relatives au temps des enfants. Je l'ai dit : nous recommandons une semaine de cinq jours et une année scolaire moins compacte, allongée d'au moins deux semaines. Beaucoup de parents y sont favorables : moi-même, je m'attends à ce que l'on me demande de garder ma petite-fille pendant les vacances scolaires, alors que ses parents travaillent... Les enseignants, en revanche, n'y sont pas toujours favorables.
Le métier d'enseignant doit évoluer. Les intéressés sont demandeurs : l'immense majorité d'entre eux souffrent de l'échec scolaire et veulent être aidés. Les réformes actuelles ne nous paraissent pas aller dans le bon sens : plutôt que de former les professeurs à leur métier après leurs études, il faut mettre en place une formation en alternance. Je ne comprends d'ailleurs pas qu'ils ne soient pas entraînés à s'adresser différemment à des enfants de trois et de huit ans : même à l'université, l'on ne peut s'adresser à des étudiants de vingt ans comme à des étudiants de vingt-huit ! Nous regrettons que les hausses de traitement n'aient pas été assorties, en contrepartie, d'une obligation de présence accrue dans l'établissement, essentielle au renforcement des liens entre les maîtres et les élèves.
Enfin, la gouvernance actuelle de l'école est absurde. Alors que le collège est dirigé par un principal, le lycée par un proviseur, l'école primaire n'a pas de véritable directeur ! Le décret d'application de la loi du 13 août 2004 n'a pas été publié. Les maires sont responsables des bâtiments, mais dans le domaine pédagogique le directeur ne peut compter que sur son charisme, car il n'a pas les moyens d'imposer ses projets éducatifs, d'affecter par exemple dans les classes les plus difficiles les enseignants rompus aux techniques pédagogiques adaptées. Pour l'heure, le bizutage prévaut : le dernier arrivé écope de la classe la plus dure. Moi-même, quand j'étais jeune enseignant à Nanterre, je me vis confier un cours devant 1 200 étudiants, et je compris bientôt que j'aurais 1 200 copies à corriger...
On a parfois l'impression, dans ce domaine, d'avoir affaire au rocher de Sisyphe. Mais si l'on est impuissant à le faire rouler, c'est peut-être qu'un caillou l'empêche d'avancer. Si paradoxal que cela paraisse, on a négligé trop longtemps la pédagogie. Après avoir auditionné de nombreux spécialistes - Mme Marie Duru-Bellat, M. François Dubet, M. Michel Zorman - et considéré l'exemple d'autres pays et États - par exemple la Floride où les enfants dont l'espagnol est la langue maternelle apprennent à lire et à écrire grâce à des méthodes spécifiques - nous nous sommes convaincus de la nécessité de diffuser des pratiques pédagogiques fondées sur des données objectives et évaluées. Il faut organiser le respect des rythmes propres à chacun et s'appuyer sur des techniques qui permettent de vaincre l'échec scolaire. Mais sans une révolution mentale des enseignants, nous n'arriverons à rien. La réforme que nous préconisons n'est pas coûteuse : la suppression des redoublements ferait même faire des économies.
Merci de cet exposé très clair. Je partage votre avis sur la nécessité de renforcer le statut du directeur et d'améliorer la formation des maîtres. Nous manquons d'outils d'évaluation. Il faut passer d'une logique de l'offre à une logique de la demande.
J'aimerais vous interroger sur le rôle des parents. L'échec ne leur est-il pas en partie imputable ?
Quelle doit être selon vous la coordination entre l'école primaire et le collège ?
Ne serait-il pas judicieux de briser le rocher en petits cailloux et, tout en fixant par la loi des orientations générales, de laisser le champ libre aux initiatives locales ? Les velléités de réforme sont aujourd'hui entravées par le très fort corporatisme de l'éducation nationale. Mais il faut privilégier l'échelon de proximité, et faire travailler ensemble toute la communauté éducative, au sens de la loi Fillon.
Je vous suis sur ce point. L'éducation nationale compte 1 200 inspecteurs généraux et 300 000 professeurs, et lorsque le ministre cherche à imposer une réforme d'en haut, il ne se passe rien.
M. Zorman vous répondra sur le rôle des parents. Aujourd'hui l'école ne réduit plus les inégalités, mais les creuse, rompant ainsi le pacte républicain. Seuls les parents peuvent aujourd'hui accomplir un travail individualisé avec leurs enfants, mais encore faut-il qu'ils en soient capables. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que, dans la perspective d'une réforme de l'école primaire, il faille d'abord s'intéresser aux parents.
S'agissant du lien entre l'école primaire et le collège, je ferai seulement remarquer que lorsque les connaissances ne sont pas acquises à un certain niveau, l'enseignant considère que ce n'est pas à lui de les transmettre : il y a là un problème.
médecin de santé publique, chercheur associé à Cogni-sciences laboratoire des sciences de l'éducation de l'Université Pierre Mendès-France de Grenoble, Centre de référence des troubles du langage du CHU de Grenoble. - Les études montrent que les parents qui n'aident pas leurs enfants dans leur apprentissage scolaire sont très rares, et n'expliquent pas à eux seuls le taux d'échec scolaire, compris entre 15 et 20 %. Mais les parents des milieux favorisés font de la surenchère. L'école française est très académique : ses programmes sont très ambitieux, mais ses résultats globaux plus faibles qu'ailleurs, qu'il s'agisse du niveau des plus faibles ou des plus forts. Les consignes données aux élèves restent implicites, ce qui handicape les familles qui ne savent pas les interpréter. En outre, ce n'est qu'à la maison que les enfants peuvent travailler de manière individualisée, et ils le doivent pour réussir.
La recherche en laboratoire et les expérimentations de terrain menées à grande échelle montrent que, lorsque plusieurs personnes ont des dispositions inégales pour une certaine activité - que ce soit dû à leur conditionnement biologique ou culturel, à leurs motivations... -, on ne peut adopter à leur égard une méthode pédagogique unique si l'on veut obtenir de bons résultats. L'individualisation de l'apprentissage permettrait à la fois de réduire de 15 à 5 % le taux d'échec grave, et de porter à 50, voire 70 % la part de la population ayant accès aux études supérieures - taux qui s'élève aujourd'hui à 37 % en France, contre 70 % en Suède.
Dans certains pays, l'individualisation prend la forme du travail en petits groupes, ailleurs est mis en place un travail strictement individualisé. Sont concernés tantôt les seuls élèves en difficulté, tantôt l'ensemble des élèves : les bons deviennent alors excellents. Cela vaut bien mieux que de tenir le même discours à tous les élèves, en fonction de ce que l'on imagine être leurs connaissances et capacités moyennes ! Les enseignants doivent pouvoir évaluer les facultés de raisonnement et les compétences langagières des élèves dès leur entrée à l'école, afin de s'y adapter. Aujourd'hui, ceux qui réussissent sont ceux qui reçoivent un soutien individualisé de la part de leurs parents ou par le biais de cours particuliers. Les parents de milieux populaires payent aussi à leurs enfants des cours particuliers, mais seulement en cas d'échec, alors que les plus riches anticipent. Il vaut mieux prévenir que guérir : l'imagerie cérébrale montre que les enfants de CE1 en difficulté, lorsqu'ils essaient de lire, mobilisent des réseaux neuronaux visuels et non langagiers, parce qu'ils ont développé des stratégies de reconnaissance optique ; or il est impossible de déconstruire ces stratégies cognitives lorsqu'elles sont bien établies.
Pour ce qui est de l'apprentissage de l'écriture, de même qu'il existe des références médicales opposables, les expérimentations menées dans dix-neuf domaines linguistiques permettent aujourd'hui de fixer des références pédagogiques opposables, déterminant ce qu'il est exclu de ne pas faire : développer les compétences langagières, la conscience phonologique, la maîtrise du code alphabétique.
J'ai constaté, lorsque j'étais le collaborateur du recteur de l'académie de Grenoble, que rien ne pouvait être décidé au niveau national. Avec une communauté de communes et l'inspecteur d'académie de l'Isère, j'ai mis en place une expérimentation dans une école située en zone urbaine sensible (ZUS), consistant à individualiser les enseignements : alors que dans le groupe de contrôle, non concerné par l'expérimentation, 28 % des élèves maîtrisaient mal l'écriture à l'entrée en CE1, ils n'étaient que 8 à 10 % dans le groupe expérimental ! Cela montre que le ministère, tout en fixant des axes directeurs, doit libérer les énergies et accepter que les collectivités locales s'impliquent dans la politique scolaire. L'éducation nationale est jusqu'à présent un milieu très fermé, et tout est fait pour que la collaboration soit impossible.
L'école est un sujet qui dépasse les clivages politiques, et c'est donc très librement que je m'adresse aux responsables de l'institut Montaigne. Environ 300 000 élèves quittent l'école primaire sans savoir correctement lire, écrire ni compter. Vous êtes-vous interrogés sur l'origine socioprofessionnelle de ces élèves et sur la proportion d'entre eux dont la langue maternelle n'est pas le français ?
Ne faudrait-il pas cesser de considérer le passage en sixième comme une rupture ? Ce n'est peut-être pas si grave de sortir de l'école primaire avec des lacunes, puisque la scolarité obligatoire dure jusqu'à seize ans. La sixième ne doit pas être considérée comme la première classe du lycée, comme au temps du lycée napoléonien !
Vous vous fondez sur des études internationales comparatives, mais comparaison n'est pas raison : il est beaucoup plus facile de maîtriser l'écriture quasi phonétique du finnois que l'orthographe française !
S'agissant des rythmes scolaires, vous avez parlé de la nécessité de prendre en compte avant tout les intérêts des enfants. Je rappelle toutefois que la suppression des cours le samedi matin satisfait beaucoup de familles recomposées, où les parents assument alternativement la garde des enfants pendant les week-ends. Quant à la semaine de quatre jours, les professeurs en sont très contents. Qu'est-ce qui importe le plus dans l'esprit de ceux qui déterminent les rythmes scolaires, le tourisme estival ou le secteur du ski ?
Que pensez-vous de la réforme en cours de la formation des maîtres ? Plutôt que de mettre l'accent sur les connaissances disciplinaires, par le biais de la mastérisation, ne faudrait-il pas apprendre leur métier aux futurs enseignants ? Nous avons reçu hier M. Luc Chatel, qui nous a assurés que la formation professionnelle n'avait « pas totalement disparu »...
En France, tout est fondé sur le face-à-face entre l'élève et le professeur. Mais ce dernier est membre d'une équipe éducative. Pourquoi, dans une école comprenant deux classes de vingt-cinq élèves, ne pas confier pendant quelques mois à un instituteur les quinze élèves les plus en difficulté ? Voilà qui permettrait d'individualiser l'apprentissage !
J'accorde moi aussi un rôle primordial à la formation des enseignants. Ils doivent être formés à s'occuper d'élèves handicapés, eux aussi concernés par l'individualisation.
L'inspection est trop souvent considérée comme une sanction, plutôt que l'occasion de conseiller les professeurs et de dialoguer avec eux. Certes, les choses ont changé depuis que les inspecteurs arrivaient en classe inopinément. Mais il faut cesser de faire peser cette épée de Damoclès sur la tête des enseignants !
Je suis entièrement d'accord pour dire que rien ne peut se faire au niveau national. Lorsque j'étais enseignante, j'ai voulu expérimenter une nouvelle méthode pédagogique : emmener mes élèves dans une caserne de pompiers pour leur enseigner les premiers secours, plutôt que de rester en classe. Le chef d'établissement s'y opposant, j'ai dû demander l'aval de l'inspection. Pour récolter de l'argent, j'ai organisé une kermesse, mais aujourd'hui l'esprit communautaire n'existe plus dans les établissements.
J'aurais voulu dire un mot du zonage, car beaucoup de familles cherchent à envoyer leurs enfants dans des établissements situés en dehors des ZEP et des ZUS.
Je finirai par une remarque logistique : pour que les enseignants puissent passer plus de temps dans les établissements et y recevoir élèves et parents, il faudrait qu'ils disposent d'un lieu approprié !
L'échec scolaire est depuis longtemps un leitmotiv du débat politique. Les réformes entreprises sont restées sans résultat. Sur le redoublement, mon avis est plus nuancé que le vôtre: il permet parfois aux élèves de combler leurs lacunes, et qu'est-ce qu'une année dans le cours d'une scolarité ?
Il existe des différences biologiques entre les enfants, mais aussi entre les maîtres, ce qui rend l'équation difficile. Il faut trouver des solutions à l'échec, mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
Je pense comme vous qu'il faut un directeur fort dans une école ou, pour employer une métaphore sportive, un capitaine capable d'animer une équipe. Les syndicats y sont très rétifs, mais le chef d'établissement doit pouvoir envoyer les maîtres les plus chevronnés dans les classes difficiles. Cela impliquerait de mieux valoriser ces postes, surtout en CP, classe des apprentissages fondamentaux.
On a voulu étaler sur plusieurs années l'apprentissage de la lecture. Mais certains enseignants en ont profité pour se défausser sur leurs collègues !
Tout le monde a un rôle à jouer à l'école : les enseignants, les maires, mais aussi les parents, et pas uniquement ceux des élèves les plus doués qui sont les seuls à se rendre aux réunions de début d'année !
En ce qui concerne l'évolution du métier d'enseignant, je n'ai jamais été favorable à la mastérisation : une formation pratique est nécessaire. Lorsqu'un jeune enseignant se voit attribuer sa première classe, il est mis à l'épreuve par les parents et par les élèves eux-mêmes, et ses moindres défaillances sont vite décelées.
Il faut enfin décentraliser la gestion de l'éducation nationale, et laisser libres les gens qui veulent s'y investir. Notre objectif doit être la réussite des enfants.
Veuillez m'excuser de répondre de façon désordonnée aux interventions de MM. Bodin, Martin et de Mme Blondin. Un graphique, qui figure dans le résumé du rapport, m'empêche de dormir : celui-ci montre le décrochage scolaire des enfants d'ouvriers, d'agriculteurs et d'inactifs entre 1987 et 2007. Que l'école de la République ne corrige pas les inégalités, mais les accentue est inacceptable !
Oui, il faut totalement transformer le rôle des inspecteurs.
« Il est plus difficile de vaincre un préjugé que de briser un atome », disait Albert Einstein. Le grand préjugé est une attitude fataliste face à l'échec scolaire dans notre pays qui touche pourtant des enfants dans toutes nos familles. Moi-même, j'ai dû m'y reprendre trois années de suite pour obtenir mon baccalauréat... Or, d'après les travaux de M. Zorman, il est possible de réduire le taux d'échec scolaire de 15 à 5 %. Pour ces 5 %, soit quelque 40 000 élèves, il faudra chercher d'autres moyens.
Certes, chacun doit jouer son rôle au sein de l'école. Mais la première étape est de répondre à l'angoisse des enseignants confrontés à l'échec scolaire en leur donnant les outils adaptés. Si j'étais ministre de l'éducation, pardonnez-moi de cette prétention invraisemblable, je commencerais, non par briser l'éducation nationale comme au Canada, mais par accompagner les enseignants dans la lutte contre l'échec scolaire.
Soit, monsieur Bodin, la langue française a une orthographe plus complexe que le finnois. Pour autant, les comparaisons internationales ont du sens : depuis vingt ans, la position de la France au sein de ces classements n'a cessé de se dégrader.
Les problèmes du zonage, d'un lieu pour les enseignants au sein de l'école sont importants, mais la question centrale est celle de la lutte contre l'échec scolaire. Le directeur d'une école élémentaire devrait avoir pour seule obsession son taux d'échec scolaire, comme le taux de récidive hante le directeur de prison. Or j'ai constaté, en participant à des conseils de classe, qu'on y parlait longuement des bons élèves pour balayer le sort des autres d'un « celui-là, il faut s'en occuper ». Il ne s'agit pas de dicter aux enseignants ce qu'ils doivent faire, mais de leur dire que nous allons les aider.
L'articulation avec le collège est également une question essentielle. Mais, rendez-vous compte, j'ai rencontré des élèves en quatrième année à Sciences-po qui ne savaient pas prendre de notes. Pourtant, cela s'apprend ! Il existe aujourd'hui des techniques, mises au point en laboratoire, pour remédier à l'échec scolaire. Diffusons-les ! Si l'expérimentation à grande échelle que va mener l'institut Montaigne - soit, 500 écoles environ sur 50 000 -, donne des fruits, je suis convaincu qu'elle aura un effet d'entraînement au niveau national.
Plutôt que de parler de réforme et de dispositif, ayons pour seule préoccupation d'apporter une valeur ajoutée aux élèves. D'après nos études, les deux heures d'aides personnalisées à l'école élémentaire ne sont pas efficaces car 80 % des professeurs appliquent leur technique d'enseignement habituelle. L'individualisation n'est pas fonction du nombre d'élèves par classe - dans mon académie d'Ardèche, une classe de huit élèves avait les plus mauvais résultats -, mais de pratique pédagogique. Donnons aux enseignants les moyens d'analyser les difficultés et les outils pédagogiques pour répondre aux besoins différenciés des élèves. Transformer le rôle du directeur, le rythme scolaire aura peu d'effet tant que l'on ne sera pas attaqué à la relation humaine entre l'élève et l'enseignant.
A propos des comparaisons internationales, l'enquête PISA porte sur la compréhension de la langue et la maîtrise des mathématiques, non de l'orthographe. Trois pays ont un taux d'échec scolaire de 5 % : la Corée du Sud, le Canada anglophone et la Finlande. Preuve que la réussite scolaire n'est une question ni de langue ni de système scolaire, mais d'individualisation de l'apprentissage des compétences exigées par une société.
Merci aux intervenants de ce regard porté sur l'école que nous partageons. L'angoisse des enseignants, la solitude dans l'exercice de ce métier sont réels. Vaincre l'échec scolaire impose une triple révolution. Tout d'abord, une révolution pédagogique : penser l'apprentissage des connaissances en termes de cycles, et non de classe, ce qui, de facto, élimine la question du redoublement ; accompagner les enseignants via des personnes relais pour travailler à la gestion de l'hétérogénéité des élèves, puis à la mise au point de techniques pédagogiques. Ensuite, une réorganisation de l'école autour de la notion d'équipe et de projet pédagogiques avec des inspecteurs dont le rôle serait moins de contrôler que d'impulser des initiatives, une place faite aux collectivités locales - contrairement à ce que croient certains, les élus ne sont pas que des financeurs, ils doivent aussi avoir voix au chapitre sur les questions pédagogiques ! - et, enfin, l'adaptation du rythme scolaire au temps de l'enfant. En la matière, depuis vingt-cinq ans, les lobbies l'ont emporté sur l'intérêt de l'enfant. De quel levier disposons-nous aujourd'hui pour changer cette situation ? Pour finir, une revalorisation, y compris financière, du métier d'enseignant.
Vendre la semaine de quatre jours contre deux heures d'aides personnalisées était un contresens pédagogique et éducatif !
L'école est tout sauf un lieu neutre ; elle est le lieu de toutes les émotions. Pour une grande partie des parents, il n'est pas simple d'y pénétrer. D'où l'importance d'accorder davantage de temps au directeur d'école pour l'accueil des familles. Ensuite, comment rendre l'école enthousiasmante ? Personne n'en est satisfait aujourd'hui, que ce soient les collectivités ou les parents. Ceux qui ont des enfants bons élèves veulent dicter aux enseignants leur conduite, ceux qui ont des enfants mauvais élèves redoutent la discussion avec l'enseignant de peur d'avoir à parler de leur propre échec. Dans l'école de ma commune finistérienne, il y a une classe monolingue et une classe bilingue français-breton. La première ronronne tandis que l'on constate dans la seconde une synergie incroyable entre les parents d'élèves qui s'impliquent dans l'école, les enseignants qui ont du temps libre et les élèves. Ne pourrait-on pas s'inspirer de cette expérience ? Enfin, dernier point important pour moi, l'école doit porter un projet pédagogique inscrit dans la dynamique de la commune et chaque commune doit avoir son école.
Je prie les orateurs suivants d'être brefs. M. Rachline doit bientôt nous quitter.
Monsieur le président, dans ce cas, faites respecter les temps de parole en début d'audition, sans quoi le dialogue ne peut avoir lieu ! Je vous propose de suivre les mêmes règles qu'en séance publique.
En tant que parlementaires, notre devoir est d'aiguillonner l'éducation nationale ou, pour reprendre les mots de Claude Allègre, le mammouth. Il faut poursuivre le mouvement de décentralisation par lequel la gestion des lycées, collèges et écoles a été respectivement confiée aux régions, départements et communes. L'État doit fixer des objectifs et allouer les moyens en fonction des résultats obtenus. Nous devons obtenir de l'éducation nationale des résultats pour l'école primaire, département par département, afin d'évaluer, par exemple, les répercussions des suppressions de postes d'enseignants. Si nous invitons enseignants, parents et élèves à se battre pour changer la réputation de leur établissement, ils s'impliqueront et organiseront kermesses, fêtes, voyages ou feront tout pour améliorer leur résultat, y compris en zone sensible, tout en sachant qu'il ne faudra pas proposer du pastis au buffet... Donnons-nous les moyens d'accueillir cette diversité et convainquons l'éducation nationale des bienfaits de la décentralisation !
Que pensez-vous de la proposition de loi aujourd'hui discutée à l'Assemblée nationale qui vise à suspendre les allocations familiales pour lutter contre l'absentéisme scolaire ?
« Mieux vaut se répéter que se contredire », m'avait dit Raymond Barre à qui j'avais fait remarquer à la fin d'un cours, avec l'insolence de ma jeunesse, qu'il avait déjà traité le sujet. Pardonnez-moi donc d'insister encore sur la nécessité de commencer par transformer la pratique pédagogique. Si le taux d'échec scolaire diminue de 22 à 11 % dans une école, tout s'ensuivra, l'implication des parents dans la vie de l'école comme l'enthousiasme. Voilà le petit caillou qui fera bouger le mammouth : la modification de la pédagogie. La classe bilingue est une expérience riche pour les élèves, comme l'ont montré les travaux du docteur Tomatis. Bref, encore et toujours de la pédagogie ! Non sans lâcheté, je donne la parole à M. Zorman pour répondre à la question posée sur l'absentéisme scolaire.
A titre personnel, et non en tant que chercheur, je considère que supprimer les allocations familiales pour se faire plaisir ne résoudra en rien le problème de l'absentéisme scolaire. Comment faire revenir un enfant à l'école en ajoutant l'humiliation à l'échec scolaire ! La seule réponse à cette question me semble être de donner à chaque élève une place en tant qu'être humain au sein de l'école.
Permettez-moi de revenir sur les personnes relais : il serait vain de décréter un changement des pratiques pédagogiques au niveau national. Il faut combiner décentralisation et autorisation d'expérimenter. Enfin, il faut pratiquer l'individualisation des enseignements, non après les cours, mais dans le temps scolaire, soit huit heures de travail par petits groupes sur les vingt-quatre heures hebdomadaires. Les enseignants canadiens anglais et finlandais pratiquent tous le travail par petits groupes. Par parenthèse, il y a un bruit et un chahut dans la classe qu'aucun enseignant français ne tolérerait. Cette guidance cognitive avec chaque élève, j'y insiste, ne fait pas l'objet d'un autre dispositif.
Merci de nous avoir consacré votre temps et votre attention. L'institut Montaigne est à votre disposition si vous avez besoin d'informations supplémentaires. Je remercie également M. Zorman de sa venue, fort utile pour éclairer notre débat.