médecin de santé publique, chercheur associé à Cogni-sciences laboratoire des sciences de l'éducation de l'Université Pierre Mendès-France de Grenoble, Centre de référence des troubles du langage du CHU de Grenoble. - Les études montrent que les parents qui n'aident pas leurs enfants dans leur apprentissage scolaire sont très rares, et n'expliquent pas à eux seuls le taux d'échec scolaire, compris entre 15 et 20 %. Mais les parents des milieux favorisés font de la surenchère. L'école française est très académique : ses programmes sont très ambitieux, mais ses résultats globaux plus faibles qu'ailleurs, qu'il s'agisse du niveau des plus faibles ou des plus forts. Les consignes données aux élèves restent implicites, ce qui handicape les familles qui ne savent pas les interpréter. En outre, ce n'est qu'à la maison que les enfants peuvent travailler de manière individualisée, et ils le doivent pour réussir.
La recherche en laboratoire et les expérimentations de terrain menées à grande échelle montrent que, lorsque plusieurs personnes ont des dispositions inégales pour une certaine activité - que ce soit dû à leur conditionnement biologique ou culturel, à leurs motivations... -, on ne peut adopter à leur égard une méthode pédagogique unique si l'on veut obtenir de bons résultats. L'individualisation de l'apprentissage permettrait à la fois de réduire de 15 à 5 % le taux d'échec grave, et de porter à 50, voire 70 % la part de la population ayant accès aux études supérieures - taux qui s'élève aujourd'hui à 37 % en France, contre 70 % en Suède.
Dans certains pays, l'individualisation prend la forme du travail en petits groupes, ailleurs est mis en place un travail strictement individualisé. Sont concernés tantôt les seuls élèves en difficulté, tantôt l'ensemble des élèves : les bons deviennent alors excellents. Cela vaut bien mieux que de tenir le même discours à tous les élèves, en fonction de ce que l'on imagine être leurs connaissances et capacités moyennes ! Les enseignants doivent pouvoir évaluer les facultés de raisonnement et les compétences langagières des élèves dès leur entrée à l'école, afin de s'y adapter. Aujourd'hui, ceux qui réussissent sont ceux qui reçoivent un soutien individualisé de la part de leurs parents ou par le biais de cours particuliers. Les parents de milieux populaires payent aussi à leurs enfants des cours particuliers, mais seulement en cas d'échec, alors que les plus riches anticipent. Il vaut mieux prévenir que guérir : l'imagerie cérébrale montre que les enfants de CE1 en difficulté, lorsqu'ils essaient de lire, mobilisent des réseaux neuronaux visuels et non langagiers, parce qu'ils ont développé des stratégies de reconnaissance optique ; or il est impossible de déconstruire ces stratégies cognitives lorsqu'elles sont bien établies.
Pour ce qui est de l'apprentissage de l'écriture, de même qu'il existe des références médicales opposables, les expérimentations menées dans dix-neuf domaines linguistiques permettent aujourd'hui de fixer des références pédagogiques opposables, déterminant ce qu'il est exclu de ne pas faire : développer les compétences langagières, la conscience phonologique, la maîtrise du code alphabétique.
J'ai constaté, lorsque j'étais le collaborateur du recteur de l'académie de Grenoble, que rien ne pouvait être décidé au niveau national. Avec une communauté de communes et l'inspecteur d'académie de l'Isère, j'ai mis en place une expérimentation dans une école située en zone urbaine sensible (ZUS), consistant à individualiser les enseignements : alors que dans le groupe de contrôle, non concerné par l'expérimentation, 28 % des élèves maîtrisaient mal l'écriture à l'entrée en CE1, ils n'étaient que 8 à 10 % dans le groupe expérimental ! Cela montre que le ministère, tout en fixant des axes directeurs, doit libérer les énergies et accepter que les collectivités locales s'impliquent dans la politique scolaire. L'éducation nationale est jusqu'à présent un milieu très fermé, et tout est fait pour que la collaboration soit impossible.