En réponse à ces différentes questions, M. Pascal Lamy a déclaré que :
- la question du rythme des changements induits par le commerce international est essentielle. En effet, il y a une discordance entre, d'une part, les forces qui poussent à la mondialisation, en particulier les changements technologiques, la globalisation financière et l'opinion publique des pays en développement et, d'autre, part, la capacité de maîtrise politique des effets de la mondialisation. L'OMC doit suivre ces évolutions pour les réguler mais la réalité économique précède la régulation, qui ne va pas si vite. Ainsi, les pays en développement ont dû attendre entre trente et quarante ans la libéralisation des marchés du textile, dont les effets n'ont, en outre, pas été les mêmes dans les pays européens en fonction de la politique d'accompagnement qu'ils ont mise en place. La qualité des politiques domestiques est donc un facteur clé de succès dans le monde actuel. A cet égard, l'adoption d'une protection sociale plus robuste aux Etats-Unis serait, à terme, une bonne nouvelle pour le commerce international du fait du sentiment de sécurité qu'elle procurerait aux travailleurs américains ;
- la France a, plus longtemps que d'autres pays, conservé une école de pensée visant à former des élites administratives qui peut expliquer, en partie, la présence de Français à la tête de plusieurs organisations internationales ;
- la réforme de la PAC est, avant tout, un débat intra-européen, les échanges au sein de l'OMC portant sur la nature, ordinaire ou non, du commerce des denrées alimentaires. Les termes actuels d'un possible accord sur le cycle de Doha maintiennent une réelle spécificité de ce commerce, tout en l'incluant dans le champ des échanges régis par les réglementations de l'OMC ;
- sans formuler de commentaire juridique, la « TVA sociale » présenterait, d'un point de vue économique, des effets protectionnistes, dont il reste à déterminer s'ils seraient vertueux ou non ;
- pour ce qui concerne son budget, l'OMC est constamment à la recherche de la plus grande efficience. Toutefois, ce sont les membres de l'Organisation qui sont les prescripteurs de ses dépenses, notamment au travers des litiges portées devant elle, le directeur général devant gérer ces contraintes financières de la meilleure manière possible ;
- l'évaluation des flux du commerce international est significativement faussée par les modes de calculs actuels, qui mesurent des flux bruts alors même que les statistiques devraient rendre compte des flux de valeur ajoutée entre les Etats. Ce biais est particulièrement puissant du fait de la division internationale du travail, un même produit ayant pu être fabriqué ou assemblé dans plusieurs pays et apparaître, dès lors, plusieurs fois dans les chiffres du commerce mondial. Le flux réel des biens et services échangés est donc très inférieur à ce que montrent les statistiques officielles. En outre, le contenu en valeur ajoutée des exportations américaines et des exportations chinoises, par exemple, est loin d'être le même, ce qui a pour conséquence que le déficit commercial américain « économique » à l'égard de la Chine est bien moindre que ce dont rendent compte les chiffres officiels. De ce fait, les opinions publiques réagissent à partir de données réductrices, ce qui est un véritable problème ;
- davantage que l'approbation par consensus, c'est la méthode de négociations par paquets, relatives à un grand nombre de sujets, qui pourrait être remise en cause, à l'avenir, dans le fonctionnement de l'OMC. Sur certains sujets, des accords plurilatéraux pourraient être conclus entre des Etats représentant une grande part de marché mondial sur tel ou tel secteur industriel ou de services. A très long terme, l'instauration d'un système de « double majorité », comme celui qui existe déjà au sein de l'UE, pourrait apparaître ;
- rien ne définit strictement ce que sont des mesures de protection, d'une part, et le protectionnisme, d'autre part. C'est à l'Organe de règlement des différends et, le cas échéant, à l'Organe d'appel de l'OMC qu'il revient d'opérer une telle distinction en cas de litige, leur jurisprudence ayant reconnu à de nombreuses reprises la légitimité de mesures de protection comme, par exemple, dans les affaires « Brésil - pneumatiques rechapés » ou « Union européenne - amiante ». Dans ce contexte, le principal enjeu, pour un pays comme la France, réside dans l'adoption de normes internationales de protection environnementales et sanitaires proche des siennes.