La commission a tout d'abord entendu le compte rendu du comité de suivi du dispositif de financement de l'économie française du mercredi 24 février 2010.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Jean Arthuis, président, a tout d'abord rappelé que le comité de suivi du dispositif de financement de l'économie française comprend les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées, le gouverneur de la Banque de France, le directeur général du Trésor et de la politique économique et le directeur du budget.
Il a ensuite abordé la question du financement de l'économie au cours de l'année 2009. Il a constaté que la progression des encours de crédits est satisfaisante même si les banques n'ont pas tenu leurs engagements. En effet, dans un contexte de diminution de 2,2 % du produit intérieur brut (PIB), ces encours ont crû de 1,8 % en France alors qu'ils ont régressé de 0,6 % dans la zone euro. A titre de comparaison, en 1993, avec un recul du PIB de 0,9 %, les encours avaient décru de 1,8 %. Il a souligné que la progression des encours de crédit est plus forte pour les banques signataires d'une convention avec l'Etat puisqu'elle atteint 2,7 %. La différence, de près d'un point avec l'ensemble du secteur bancaire, atteste que la contrepartie du soutien de l'Etat a réellement incité les banques à produire un effort en matière d'accès au crédit. Elles n'ont certes pas atteint l'objectif de 3,5 % mais celui-ci était apparu caduc dès juillet 2009, dans la mesure où il avait été calculé sur la base d'une hypothèse de croissance de 1 %.
a ensuite attiré l'attention sur les engagements pris par les banques pour l'année 2010. Il a souligné que la marge de manoeuvre de l'Etat semble plus restreinte car il ne dispose plus nécessairement des outils permettant de demander des contreparties au secteur bancaire. Le ministère de l'économie poursuit un dialogue approfondi afin d'engager les banques à sortir d'un comportement excessivement prudent. Il a toutefois admis que les pouvoirs publics doivent justement doser leurs incitations pour ne pas conduire les établissements de crédit à commettre des actes anormaux de gestion. Dans ce contexte, il s'est félicité de deux engagements pris par les banques. Le premier consiste à augmenter de 38 milliards d'euros l'encours des crédits de moyen et long terme sur l'année 2010, soit une hausse de 6 %. Le second vise à réduire le délai de traitement des dossiers à 10 jours.
a admis que la situation macroéconomique cache des réalités hétérogènes. Ainsi, le crédit aux particuliers se maintient mieux que le crédit aux entreprises, même si ce dernier a connu une légère reprise à la fin de l'année 2009. Le crédit aux collectivités territoriales, désormais encadré par une charte de bonnes pratiques, bénéficie d'une hausse remarquable en 2009. Le crédit aux particuliers a crû de 4,1 % en 2009. Le crédit à la consommation se caractérise par un taux de croissance erratique, tantôt négatif, tantôt positif, et par une production de crédits stable. L'encours du crédit à l'habitat, quant à lui, a crû en 2009 malgré une chute de 17,6 % de la production dans ce secteur. La baisse des taux d'intérêt, à la fin de l'année 2009, semble favorable à la reprise du crédit à l'habitat, tandis que le crédit à la consommation profite d'une hausse de la demande combinée à une normalisation des critères d'octroi.
Il a indiqué que la situation du crédit aux entreprises révèle un problème de demande. En effet, les crédits mobilisables ont crû de 0,8 % alors que, dans le même temps, les crédits effectivement mobilisés ont décru de 1,1 %. Il a également constaté que le crédit à l'investissement de moyen et long terme est demeuré stable, ce qui démontre qu'il n'y a pas eu de comportement de restriction du côté de l'offre. Il a précisé que certains entrepreneurs ont préféré l'autocensure en ne sollicitant pas de crédit. La forte chute, de 14,2 %, du crédit de trésorerie s'explique par la moindre nécessité de financer le fonds de roulement et met en exergue le recul très sensible de l'activité économique. Pour autant, le financement des entreprises a augmenté de près de 4 % en 2009, ce qui correspond à l'objectif visé par le Gouvernement. Les grandes entreprises ont toutefois préféré se financer sur le marché obligataire, pour un montant total de 50 milliards d'euros.
Les crédits aux très petites entreprises (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME) ont connu une croissance de 2,7 % en 2009, ce qui constitue une bonne surprise au niveau macroéconomique. M. Jean Arthuis, président, a estimé que le Médiateur du crédit et OSEO ont contribué à ces bons résultats. Depuis sa création, le premier a permis de débloquer près de 2,4 milliards d'euros pour 9 440 entreprises. Le nombre de dossiers qui lui sont soumis a nettement diminué, de l'ordre de 10 % à 20 %, depuis le second semestre 2009. En revanche, les nouveaux dossiers mettent en jeu des entreprises de plus grande taille et se révèlent, de ce fait, plus complexes. Pour sa part, OSEO a connu un renforcement sans précédent puisque ses fonds propres ont été augmentés de 500 millions d'euros. Sa capacité de garantie de crédits bancaires a doublé et s'est élevée à 8 milliards d'euros.
a ensuite rappelé l'importance des dispositifs d'assurance crédit CAP, CAP + et CAP-Export dans la politique de soutien à l'activité des entreprises. CAP a connu une croissance forte et régulière pour atteindre 500 millions d'euros d'encours et protéger plus de 3 600 entreprises. Après une montée en puissance rapide, les encours de CAP + se sont stabilisés autour de 700 millions d'euros pour 5 000 entreprises bénéficiaires. Enfin, l'encours de CAP-Export, qui constitue une déclinaison des deux précédents dispositifs, s'élève à 154 millions d'euros et permet ainsi d'assurer plus de 2 600 relations commerciales.
Il a ensuite présenté la situation des banques françaises et indiqué que cette industrie semble sur la voie de la normalisation. Le produit net bancaire (PNB) a en effet progressé de 16,9 %, en 2009, pour s'établir à 85,2 milliards d'euros. L'ensemble des groupes bancaires français devraient être excédentaires en 2009, à une exception près. Le coût du risque apparaît néanmoins toujours élevé. Il atteint 18,7 milliards d'euros, soit une multiplication par un facteur de 2,1. Les banques ont enregistré 6,4 milliards d'euros de décotes contre 14,5 milliards d'euros l'année précédente. Cette diminution sensible ne doit cependant pas occulter leur montant toujours significatif.
a constaté que tant la banque de financement et d'investissement (BFI) que la banque de détail ont connu une phase de croissance en 2009, respectivement de plus de 104 % et de 13,8 %. Malgré ces bons indicateurs, la BFI demeure globalement déficitaire à hauteur de 800 millions d'euros. De même, le doublement du coût du risque dans la banque de détail, notable pour les groupes ayant une forte activité internationale, pèse sur le résultat avant impôt qui diminue de 17 %.
Il a souligné que les banques françaises apparaissent solides au regard des critères de solvabilité. Le ratio « Tier 1 » évolue, selon les établissements, de 8,8 % à 10,4 %. Hormis pour le groupe Banques populaire - Caisses d'épargne (BPCE), l'ensemble des banques ont amélioré ce ratio d'au moins 0,5 point entre juin et septembre 2009. La Commission bancaire s'est montrée très vigilante sur l'évolution des fonds propres, notamment lors des opérations de remboursement des titres ou actions souscrits par la société de prise de participation de l'Etat (SPPE). Par ailleurs, les banques françaises se préparent activement aux nouvelles règles prudentielles, dites de « Bâle 3 ». La situation saine des fonds propres des établissements de crédit explique qu'ils obtiennent tous des notes supérieures à A+.
Il a évoqué les tests de résistance effectués par les banques centrales. La Banque de France conduit régulièrement ce type d'exercice afin de contrôler la solidité du secteur bancaire en cas de situation anormale. Le Conseil ECOFIN a retenu le principe d'un test de résistance européen en 2010 sans que la date ne soit, à ce jour, fixée. Sur la question de la publication des résultats, le Gouverneur de la Banque de France a jugé qu'elle ne peut avoir lieu qu'avec des tests harmonisés et peu fréquents, pour autant que nos partenaires européens, jusqu'à présent très réticents, l'acceptent.
a salué le redressement de la société Dexia. Son résultat net devrait s'élever, pour 2009, à plus de 900 millions d'euros tandis que son besoin de financement de court terme s'est réduit de près de 80 milliards d'euros. Par ailleurs, même si elle en bénéficie toujours, la société n'a plus besoin de la garantie de refinancement des Etats. Elle devrait connaître, d'ici 2014, une profonde restructuration articulée autour de quelques points saillants. Son bilan sera réduit de près de 35 % par le biais de cessions d'actifs. De même, ses coûts diminueront de 15 % grâce à des fermetures d'agence en Europe et d'implantations à l'étranger. La banque devrait définitivement sortir de la garantie de refinancement des Etats d'ici juin 2010. Elle devra restreindre sa distribution de dividendes. Enfin, la part de financement à court terme dans son bilan sera ramenée à 10 % tout en maintenant un ratio « core Tier 1 » supérieur à 10 %.
Il a ensuite dressé le bilan de l'activité de la société de financement de l'économie française (SFEF) et de la société de prise de participation de l'Etat (SPPE). En ce qui concerne la SFEF, il a rappelé que la normalisation progressive des marchés a conduit à mettre cette structure en veille après une dernière émission le 15 septembre 2009. Au total, elle a conduit 19 émissions pour un montant de 77 milliards d'euros auprès de 12 établissements. Les premiers remboursements interviendront en mars 2010 tandis que les dernières créances s'éteindront le 15 septembre 2014.
La SPPE, quant à elle, a souscrit à 19,75 milliards d'euros de titres émis par cinq établissements à raison de 9,95 milliards d'euros de titres super-subordonnés et de 9,8 milliards d'euros d'actions de préférence. Elle a également pris une participation de 5,7 % au capital de Dexia. A ce jour, 13,45 milliards d'euros ont été remboursés après accord de la Commission bancaire. Cette somme n'a pas été utilisée pour réduire l'endettement public mais a été « consolidée » dans la dette publique pour financer une partie de l'emprunt national. M. Jean Arthuis, président, a souhaité que les sommes restant à rembourser - 6,3 milliards d'euros sont encore dus par le Groupe BPCE - soient utilisées pour réduire l'endettement public plutôt que pour financer des dépenses nouvelles.
Il a également souligné que le plan de soutien au financement de l'économie devrait générer près de 2,5 milliards d'euros de recettes brutes à raison de 1,4 milliard d'euros au titre de la garantie apportée par l'Etat à la SFEF, 193 millions d'euros au titre de la garantie accordée à la société Dexia et 940 millions d'euros au titre des intérêts bruts versés à la SPPE. Ce dernier chiffre est encore provisoire tant que les comptes de la SPPE ne sont pas définitivement arrêtés.
Il a enfin rappelé les autres engagements des banques. En ce qui concerne la rémunération des dirigeants, il a relevé que les modifications réglementaires intervenues en 2009 ont fixé un cadre contraignant. En parallèle, la Commission bancaire dispose désormais d'outils coercitifs pour le faire respecter. M. Michel Camdessus a été nommé contrôleur des rémunérations et poursuit un dialogue approfondi avec les différents établissements de la place.
En ce qui concerne les paradis fiscaux, il a noté que la France est le seul Etat à s'être mis en cohérence avec les principes du G 20. En particulier, suite au vote de la loi de finances rectificative pour 2009 du 31 décembre 2009, un arrêté du 12 février 2010 a établi une liste de 18 juridictions non coopératives.
Enfin, en ce qui concerne les fonds non centralisés du Livret A et du Livret développement durable (LDD), près de 87 milliards d'euros ont été mobilisés et ont permis d'accorder un encours de prêts d'environ 190 milliards d'euros au profit des PME et de plus d'un milliard d'euros au titre des travaux d'économie d'énergie.
a souhaité que la commission des finances suive attentivement la situation des groupes bancaires encore fragiles.
s'est interrogé sur la méthode retenue par l'Etat pour assurer son soutien aux établissements de crédit. Il a également fait part de ses craintes que les nouvelles normes de solvabilité soient préjudiciables au financement de l'économie.
a regretté que la mise en oeuvre de ce plan de soutien n'ait pas été l'occasion d'une étude plus approfondie sur les faiblesses du système économique français, notamment en ce qui concerne le financement des PME.
a souligné que l'analyse ex post du plan de soutien ne doit pas faire oublier les conditions d'urgence dans lesquelles il a été élaboré fin 2008.
s'est demandé si les mesures vertueuses adoptées par la France pour lutter contre les paradis fiscaux ne risquent pas de la pénaliser compte tenu de son isolement sur la scène internationale.
a déploré que les tests de résistance n'aient pas été systématisés au niveau européen alors que certaines banques semblent encore très exposées au risque.
Puis la commission a désigné MM. Philippe Adnot, Jean-Paul Alduy, Jean Arthuis, Mmes Marie-France Beaufils, Nicol e Bricq, MM. Yvon Collin, Yves Krattinger, Alain Lambert, Gérard Longuet, Philippe Marini, Marc Massion et Albéric de Montgolfier membres du groupe de travail sur le financement des entreprises.
La commission a procédé à l'audition de M. Pascal Lamy, directeur général à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
a tout d'abord souligné que M. Pascal Lamy, qui dirige l'OMC depuis le 1er septembre 2005, peut apporter un regard d'une grande acuité sur la mondialisation des échanges et ses effets. Il a souhaité qu'en guise d'introduction, l'intervenant livre son analyse de la crise financière et économique que traverse le monde ainsi que de ses effets sur le commerce international, et qu'il décrive le rôle de l'OMC dans ce contexte.
a déclaré que, il y a un an, au début de l'actuelle crise financière et économique, le commerce international s'est effondré sous le double effet de la chute de la demande et de l'assèchement des opérations de crédit. Les craintes d'un retour à des politiques protectionnistes étaient alors majeures, notamment dans les pays en développement. Or, il apparaît aujourd'hui que le système multilatéral a résisté à ce choc violent et que, globalement, l'économie mondiale est, dans l'ensemble, à présent aussi ouverte qu'au début de la crise. Toutefois, ses effets continuant de se faire sentir, en particulier sur le marché du travail, il convient de rester vigilant. C'est pourquoi, à la fin de l'année 2008, l'OMC a mis en place un système de suivi ad hoc, en coopération avec le G 20, qui se traduit par la publication d'un rapport périodique retraçant l'évolution des politiques commerciales dans le monde.
De manière générale, des risques continuent de peser sur le commerce mondial, notamment après la conclusion de la 15ème conférence des Nations-Unies sur le changement climatique (COP 15), qui s'est tenue à Copenhague en décembre 2009. Si des engagements ont été pris par les principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre, les doutes qui subsistent sur leur caractère non contraignant pourraient, à terme comporter des risques préjudiciables pour les échanges. M. Pascal Lamy a ajouté que, dans ce contexte, le rôle de l'OMC, en 2010, consiste à :
- conclure le cycle de Doha, lancé depuis 2001. Une solution semble proche, d'un point de vue technique, la principale inconnue résidant à ce stade, dans la position des Etats Unis et des principaux pays émergents sur l'ouverture des marchés en matière industrielle. Or le commerce international est un facteur puissant de la croissance des pays en développement, en particulier des pays émergents, principaux moteurs de la croissance mondiale ;
- continuer son suivi des politiques commerciales dans le monde. En effet, la transparence et la garantie que les autres pays ne « trichent » pas sont des éléments indispensables pour prévenir le retour des politiques protectionnistes, qui auraient des conséquences économiques nuisibles ;
- participer à la « résurrection » du marché du financement du commerce international, l'OMC étant la table autour de laquelle les principaux acteurs dudit marché se retrouvent ;
- poursuivre son mandat de coopération en matière d'aide au commerce, en partenariat avec d'autres organisations et programmes internationaux. Il s'agit de faire en sorte que les pays bénéficiaires utilisent de manière optimale la partie des crédits d'aide au développement dont ils disposent pour renforcer leurs capacités d'intégration commerciale. Cette assistance technique aboutit d'ailleurs à un renforcement des capacités de défense de leurs intérêts par ces pays, ce qui peut parfois compliquer les négociations au sein de l'OMC, mais ce qui reflète assez bien l'évolution du monde, également perceptible avec l'institutionnalisation en cours du G 20.
En outre, en toile de fond, demeure le traitement de sujets d'avenir, tels que l'articulation entre les accords bilatéraux et les accords multilatéraux, la régulation des marchés des matières premières et de l'énergie, ou encore la « question climatique ».
Un large débat s'est instauré à l'issue de ce propos liminaire.
a souhaité obtenir des précisions sur le budget de l'Organisation mondiale du commerce, sur son mode de financement et sur la manière dont le directeur général de l'OMC parvient à concilier les intérêts divergents des Etats membres.
a confirmé la complexité de la mission d'une organisation internationale telle que l'OMC et, de manière générale, les difficultés qui naissent de la nature même du système international, qu'il a qualifié de « gazeux », par opposition aux systèmes nationaux, qui relèvent de « l'état solide ». Le budget de l'OMC s'élève à environ 200 millions de francs suisses, dont 180 millions proviennent des contributions obligatoires de ses membres et 20 millions de contributions volontaires. Elle emploie 750 personnes, dont 600 fonctionnaires permanents, parmi lesquels des experts de très haut niveau dans leurs domaines respectifs. L'ensemble forme un système « efficace », contrôlé en ce moment par la Cour des comptes française. S'agissant des quotes-parts des membres dans le budget de l'Organisation, elles sont calculées en fonction de leur part dans le commerce international. Cependant, la quote-part des Etats membres de l'Union européenne (UE) s'élève à environ 40 %, au lieu de 20 % si la règle générale leur était appliquée, du fait de leur volonté de rester individuellement membres de l'OMC bien qu'ils soient représentés par l'UE et, par conséquent, de la prise en compte du commerce intra-européen dans le total du commerce international.
a ensuite interrogé l'intervenant sur l'articulation entre la libéralisation des échanges et le « désordre monétaire ». Ainsi, alors que le marché unique européen a abouti à la création de l'euro, il peut apparaître paradoxal que la mondialisation progresse dans un contexte de sous-évaluation de certaines monnaies, comme le yuan chinois. D'autre part, si le commerce international apparaît globalement comme un levier de la croissance mondiale, son développement entraîne de forts déséquilibres entre des pays « consommateurs » et des pays « producteurs ».
a indiqué que l'OMC n'ambitionne pas de créer un « marché unique mondial » et que ses objectifs ne résident que dans l'ouverture progressive des marchés de pays qui sont et demeureront très hétérogènes, ainsi que dans la prévention des distorsions de concurrence. A cet égard, d'un point de vue économique, sur le long terme, qui est celui de la régulation des échanges par l'OMC, les variations de changes ne modifient pas la compétitivité structurelle des pays. De plus, la monnaie chinoise se caractérise par une grande stabilité ces quinze dernières années et ce qui semble aujourd'hui une sous-évaluation pouvait apparaître comme une surévaluation au moment de la crise asiatique, à la fin des années 1990. Toutefois, d'un point de vue juridique, aux termes du paragraphe 4 de l'article XV de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT de 1947 modifié), les parties contractantes doivent s'abstenir de « toute mesure de change qui irait à l'encontre de l'objectif des dispositions [dudit accord] et de toute mesure commerciale qui irait à l'encontre de l'objectif des dispositions des statuts du Fonds monétaire international ». Un contentieux sur ce fondement est donc théoriquement possible, même si aucune action en ce sens n'a jamais été engagée.
Pour ce qui concerne les déséquilibres, ils résultent avant tout des choix de politique macroéconomique faits par les différents pays, et non des politiques commerciales, sauf si la concurrence est faussée, notamment par du « dumping ». Pour faire face à ce type de situations, les règles de l'OMC prévoient explicitement la possibilité pour ses membres d'adopter des mesures de sauvegarde, dont l'Organisation surveille l'application.
a relevé que l'Union européenne s'est engagée de manière déterminée dans la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, notamment en mettant en place un système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE), auxquels sont assujettis ses principaux groupes industriels. Or un accord international contraignant sur cette importante question semble difficile à atteindre. Dès lors, dans quelles conditions un mécanisme d'inclusion carbone (MIC) aux frontières de l'Europe pourrait-il être mis en place dans le respect des règles de l'OMC, sachant qu'un rapport conjoint de cette organisation et du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) semble laisser la porte ouverte à une telle faculté ?
a tout d'abord souligné que ses fonctions ne lui permettent pas de répondre de façon tranchée sur la question de la légalité d'un tel système car il ne doit pas émettre d'opinion susceptible d'influencer les juges en cas de litige sur ce sujet. Néanmoins, il a observé que le rapport conjoint de l'OMC et du PNUE a permis de mettre l'ensemble des « pièces du puzzle sur la table ». Ainsi, s'il est possible aux membres de l'OMC de se fixer pour objectif de limiter les émissions de CO2, il convient d'apprécier si les mesures prises à cet effet vont réellement dans le sens de cet objectif. La meilleure solution pour parvenir à cette fin est la conclusion d'un accord collectif contraignant le plus large possible. Il convient donc d'agir en sorte « d'amener tout le monde à bord », à cette réserve près que la contrainte ne pourra être de même niveau pour l'ensemble des parties.
S'agissant du MIC, M. Pascal Lamy a fait les remarques suivantes :
- les estimations de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) relatives aux « fuites de carbone » montrent que, en cas d'action de la seule UE en matière de réduction des émissions, les délocalisations engendrées par cette contrainte s'élèveraient à 12 % du total de l'industrie à l'horizon 2050, mais que cette proportion tomberait à 2 % en cas de mécanisme concernant l'ensemble des pays de l'OCDE et serait quasiment nulle si, en outre, l'Inde, la Chine et le Brésil y participaient également ;
- dans son appréciation de la nécessité d'un tel mécanisme, l'OMC se référerait à la portée des accords internationaux en vigueur, c'est-à-dire, à ce jour, l'accord de Copenhague ;
- la mise en oeuvre d'un MIC semble très complexe, notamment pour l'établissement du « contenu carbone » des produits importés ;
- il serait nécessaire, le cas échéant, de prendre pleinement en compte le niveau des quotas alloués gratuitement aux industriels européens dans l'élaboration de ce mécanisme et de s'interroger sur l'éventuelle mise en place, en parallèle, d'un soutien de l'UE à ses exportations industrielles, susceptible de nuire à l'atteinte des objectifs environnementaux européens.
En somme, si l'analyse qui figure dans le rapport d'information n° 543 (2008-2009) rédigé par Mme Fabienne Keller au nom du groupe de travail de la commission des finances sur la fiscalité environnementale paraît pertinente pour ce qui concerne les effets environnementaux d'éventuelles fuites de carbone, le meilleur moyen d'y faire face reste la conclusion d'un accord international sur le climat suffisamment robuste pour rendre inutile l'établissement d'un MIC aux frontières de l'UE.
a souligné que, à compter de 2013, la proportion de quotas alloués gratuitement aux industriels européens ira en décroissant et que, en toute hypothèse, un MIC aurait naturellement vocation à être « biodégradable ».
Puis M. Pierre Bernard-Reymond a souhaité que l'intervenant donne sa vision du rythme nécessaire à des sociétés comme celles des pays de l'Europe pour s'adapter au changement majeur que constitue la libéralisation des échanges, dont on a parfois l'impression qu'elle s'accélère constamment, sous l'égide de l'OMC. Il s'est également interrogé sur les facteurs expliquant la présence de personnalités françaises à la tête de certaines organisations internationales parmi les plus prestigieuses.
s'est interrogé sur les relations qu'entretiennent l'UE et l'OMC au sujet de la réforme de la politique agricole commune (PAC).
a questionné M. Pascal Lamy sur la perception d'une mesure comme la « TVA sociale » hors de France.
a souhaité connaître les règles de progression du budget de l'OMC. Par ailleurs, il s'est demandé si l'adoption de larges accords par consensus constitue encore un mode de fonctionnement optimal pour les organisations du système des Nations Unies et, dans le cas contraire, quelles seraient les évolutions nécessaires.
s'est interrogée sur la distinction qu'effectue l'OMC entre des mesures de protection et le protectionnisme à proprement parler.
En réponse à ces différentes questions, M. Pascal Lamy a déclaré que :
- la question du rythme des changements induits par le commerce international est essentielle. En effet, il y a une discordance entre, d'une part, les forces qui poussent à la mondialisation, en particulier les changements technologiques, la globalisation financière et l'opinion publique des pays en développement et, d'autre, part, la capacité de maîtrise politique des effets de la mondialisation. L'OMC doit suivre ces évolutions pour les réguler mais la réalité économique précède la régulation, qui ne va pas si vite. Ainsi, les pays en développement ont dû attendre entre trente et quarante ans la libéralisation des marchés du textile, dont les effets n'ont, en outre, pas été les mêmes dans les pays européens en fonction de la politique d'accompagnement qu'ils ont mise en place. La qualité des politiques domestiques est donc un facteur clé de succès dans le monde actuel. A cet égard, l'adoption d'une protection sociale plus robuste aux Etats-Unis serait, à terme, une bonne nouvelle pour le commerce international du fait du sentiment de sécurité qu'elle procurerait aux travailleurs américains ;
- la France a, plus longtemps que d'autres pays, conservé une école de pensée visant à former des élites administratives qui peut expliquer, en partie, la présence de Français à la tête de plusieurs organisations internationales ;
- la réforme de la PAC est, avant tout, un débat intra-européen, les échanges au sein de l'OMC portant sur la nature, ordinaire ou non, du commerce des denrées alimentaires. Les termes actuels d'un possible accord sur le cycle de Doha maintiennent une réelle spécificité de ce commerce, tout en l'incluant dans le champ des échanges régis par les réglementations de l'OMC ;
- sans formuler de commentaire juridique, la « TVA sociale » présenterait, d'un point de vue économique, des effets protectionnistes, dont il reste à déterminer s'ils seraient vertueux ou non ;
- pour ce qui concerne son budget, l'OMC est constamment à la recherche de la plus grande efficience. Toutefois, ce sont les membres de l'Organisation qui sont les prescripteurs de ses dépenses, notamment au travers des litiges portées devant elle, le directeur général devant gérer ces contraintes financières de la meilleure manière possible ;
- l'évaluation des flux du commerce international est significativement faussée par les modes de calculs actuels, qui mesurent des flux bruts alors même que les statistiques devraient rendre compte des flux de valeur ajoutée entre les Etats. Ce biais est particulièrement puissant du fait de la division internationale du travail, un même produit ayant pu être fabriqué ou assemblé dans plusieurs pays et apparaître, dès lors, plusieurs fois dans les chiffres du commerce mondial. Le flux réel des biens et services échangés est donc très inférieur à ce que montrent les statistiques officielles. En outre, le contenu en valeur ajoutée des exportations américaines et des exportations chinoises, par exemple, est loin d'être le même, ce qui a pour conséquence que le déficit commercial américain « économique » à l'égard de la Chine est bien moindre que ce dont rendent compte les chiffres officiels. De ce fait, les opinions publiques réagissent à partir de données réductrices, ce qui est un véritable problème ;
- davantage que l'approbation par consensus, c'est la méthode de négociations par paquets, relatives à un grand nombre de sujets, qui pourrait être remise en cause, à l'avenir, dans le fonctionnement de l'OMC. Sur certains sujets, des accords plurilatéraux pourraient être conclus entre des Etats représentant une grande part de marché mondial sur tel ou tel secteur industriel ou de services. A très long terme, l'instauration d'un système de « double majorité », comme celui qui existe déjà au sein de l'UE, pourrait apparaître ;
- rien ne définit strictement ce que sont des mesures de protection, d'une part, et le protectionnisme, d'autre part. C'est à l'Organe de règlement des différends et, le cas échéant, à l'Organe d'appel de l'OMC qu'il revient d'opérer une telle distinction en cas de litige, leur jurisprudence ayant reconnu à de nombreuses reprises la légitimité de mesures de protection comme, par exemple, dans les affaires « Brésil - pneumatiques rechapés » ou « Union européenne - amiante ». Dans ce contexte, le principal enjeu, pour un pays comme la France, réside dans l'adoption de normes internationales de protection environnementales et sanitaires proche des siennes.
En conclusion, M. Jean Arthuis, président, a remercié M. Pascal Lamy pour son éclairage, en soulignant l'intérêt des éléments qu'il a apportés au débat sur l'instauration d'un MIC aux frontières de l'Europe ainsi que sur l'importance de remédier aux biais induits par les modes actuels de calcul du commerce international.