Intervention de Bernard Kouchner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 avril 2010 : 1ère réunion
Politique africaine de la france — Audition de M. Bernard Kouchner ministre des affaires étrangères et européennes

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

a tout d'abord fait valoir que l'Afrique se métamorphosait à un rythme sans équivalent dans l'histoire du monde. Il a indiqué que la population d'Afrique sub-saharienne, multipliée par sept en l'espace d'un siècle, devrait encore doubler dans les quarante prochaines années, passant de 860 millions aujourd'hui à 1,8 milliard d'habitants en 2050. Il a fait observer que le processus de densification et d'urbanisation massive était un moteur d'une formidable réorganisation de l'espace et des sociétés qui redessinera le visage du continent et l'esprit de ces habitants. Le taux de croissance du continent reste très supérieur à celui de la croissance démographique, même si la mauvaise répartition de cette croissance conduit à parler « des » Afriques plus que de l'Afrique. Il a jugé que la politique des pouvoirs publics comme les investissements des entreprises françaises devaient prendre en compte ces transformations.

Evoquant le discours de La Baule, il a souligné les progrès de la démocratisation au Bénin, au Ghana et au Mali, estimant que « les choses bougeaient sur le continent africain », même si les progrès n'étaient pas uniformes. L'Afrique est diverse, a-t-il observé, avec des reflux, la résurgence de coups d'Etat, comme en Mauritanie, en Guinée, à Madagascar, au Niger, ou en Guinée Bissau, des crimes comme en Guinée, de « nouvelles » menaces, comme le radicalisme religieux, le terrorisme, le développement des trafics. Il a fait observer que les bouleversements que connaît aujourd'hui l'Afrique auraient une influence sur le monde. Enfin, il a fait valoir que, globalement, l'Afrique avançait dans le bon sens, le désir des populations comme des gouvernements étant que les Africains s'approprient pleinement leur destin.

a estimé qu'il était temps de sortir d'un discours misérabiliste et compassionnel sur l'Afrique, d'aller de l'avant et d'aider les Africains à tirer parti de leurs nombreux atouts. Il a rappelé que c'était un continent jeune, puisque deux Africains sur trois ont moins de vingt-cinq ans, avec un potentiel économique considérable, une forte croissance de 5 à 6 % par an, bien supérieure à celle de l'Europe ou des Etats-Unis d'Amérique et, enfin, des ressources naturelles immenses.

Il a ensuite affirmé que, face à cette Afrique qui changeait, la politique africaine de la France s'adaptait et avait modifié la conception qu'elle se faisait de son rôle. Il a appelé de ses voeux de nouvelles relations équilibrées, transparentes et décomplexées qui soient fondées sur les réalités contemporaines.

Le ministre a fait valoir que l'évolution de la politique africaine de la France se traduisait, d'ores et déjà, par une révision de ses accords de défense, débarrassés de leurs « clauses de sécurité » secrètes. Tous les accords seront intégralement publiés et soumis au Parlement. Désormais la finalité première des forces pré-positionnées sera d'appuyer la constitution des forces africaines en attente et d'aider ainsi l'Afrique à bâtir son propre dispositif de sécurité collective. Il a rappelé que trois de ces accords, déjà signés au Togo, au Cameroun et au Gabon, seraient prochainement soumis à la ratification du Parlement et que les cinq autres étaient en préparation avec une signature imminente pour la République Centrafricaine (RCA). Il a indiqué que, à terme, la France ne devrait disposer que de deux bases en Afrique, une à l'Ouest et une à l'Est.

a ensuite indiqué qu'il convenait de poursuivre l'effort français et européen en faveur du développement économique de l'Afrique. Il a concédé que la politique de coopération et de développement avait eu des résultats inégaux, des effets parfois contre-productifs, comme l'ont souligné certains ouvrages récents sur « l'aide fatale », des conséquences réduites par des phénomènes de corruption, mais qu'il fallait poursuivre et améliorer l'efficacité de ces politiques. Il a regretté la faiblesse des moyens de la politique française d'aide bilatérale. Il a souligné le rôle croissant joué par l'Agence française de développement (AFD) non seulement en Afrique mais également dans les pays émergents. Il a fait observer que l'essor de l'activité de prêts de l'AFD ne contribuait que marginalement au développement des pays les plus pauvres de l'Afrique subsaharienne, dans la mesure où la plupart de ces pays ne disposaient pas de capacité d'endettement. Il a jugé que, dans ces pays, et singulièrement dans les quatorze pays-cibles, il convenait d'accroître les interventions comme l'a décidé le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID).

Il a ensuite indiqué que la relation fraternelle et affective avec les pays unis à la France par les liens de l'histoire demeurait mais ne saurait être exclusive. Il a jugé qu'il était certes nécessaire de promouvoir la francophonie, mais une francophonie ouverte aux pays lusophones et anglophones. Il a estimé que la France devait renforcer les liens avec les puissances émergentes telles que le Nigeria ou l'Afrique du Sud et s'impliquer dans des zones hors de sa sphère traditionnelle d'influence, comme elle l'a fait dans la résolution des crises politiques au Kenya ou au Zimbabwe.

Il a fait valoir que la France devait représenter une force d'impulsion pour renforcer l'engagement de l'Union européenne en Afrique, dans les domaines du développement, du dialogue politique et de la gestion des crises.

Le ministre des affaires étrangères et européennes a indiqué que, en matière de coopération et de développement, la France, à travers l'Union européenne, intervenait de façon massive, notamment par le biais de sa contribution qui sera ramenée de 23 % à 19 % des financements du Fonds européen de développement (FED). Il a regretté la faible visibilité en Afrique de la contribution française au FED ou au Fonds Sida (300 millions d'euros par an), qui mobilisait pourtant des sommes considérables en comparaison avec les moyens dont disposaient les ambassades pour financer et gérer l'aide bilatérale qui manque de moyens pour promouvoir des projets bien identifiés. Il a souhaité une plus grande transparence et une meilleure redevabilité des actions menées par le FED à l'égard du Parlement européen comme des Etats membres.

a ensuite souligné le rôle essentiel des organisations régionales et de l'Union africaine dans l'unification économique du continent, mais aussi, et peut-être surtout, dans le traitement des crises nationales et régionales. Citant l'exemple récent de la Guinée, où la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), l'ONU, l'UA (Union africaine) et l'OIF (Organisation internationale de la francophonie) sont intervenues et ont notamment permis la création d'une commission d'enquête internationale après le massacre du 28 septembre 2009, et l'exemple de Madagascar où la SADC (Southern African Development Community) joue un rôle essentiel, il a estimé que le maintien de la paix et de la sécurité relevait de la responsabilité première des Africains. Jugeant que la France devait adapter sa politique en conséquence, il a rappelé que, face aux dernières crises politiques, en Guinée ou au Niger, la France avait arrêté ses positions à partir de celles des organisations africaines. A propos de Madagascar, il existait des nuances mais qui seraient amenées à disparaître.

Il a fait observer que, en matière de gestion des crises, l'Union européenne (UE) avait des résultats à mettre à son actif. Il a ainsi évoqué la force européenne EUFOR Tchad/RCA, déployée en 2008 à l'initiative de la France, qui a contribué à stabiliser la région et à mettre fin aux massacres, soulignant que ce contexte pacifié avait permis le rapprochement du Tchad et du Soudan ainsi que la signature, à Doha, des accords entre le Gouvernement du Soudan et les rebelles. Il a également indiqué que l'opération européenne Atalante de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes était la première opération maritime de l'Union européenne. Il a jugé que l'expansion d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, qui menace tout le Sahel, nécessitait de mobiliser les partenaires européens et américains.

Il a considéré que l'action de l'UE, comme celle de la France ou celle des Etats-Unis, devait viser à fortifier la présence sécuritaire de l'Etat, à relancer le développement, sans lequel la désespérance des jeunes fournira de nouvelles recrues aux réseaux extrémistes et aux bandes criminelles, et à encourager les Etats du Sahel et de la région à intensifier leur coopération.

Il a conclu en soulignant que l'enjeu pour la France - et au-delà, pour l'Europe - était de s'adapter et d'anticiper les mouvements de l'histoire, d'accompagner et de soutenir, en créant partout où cela est possible de véritables partenariats, l'émergence de cette « nouvelle Afrique » dirigée par une nouvelle génération de responsables et constituée d'Etats désireux de prendre en main leurs propres affaires et d'écrire leur histoire.

Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.

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