Intervention de Bernard Kouchner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 avril 2010 : 1ère réunion
Politique africaine de la france — Audition de M. Bernard Kouchner ministre des affaires étrangères et européennes

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

En réponse, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a précisé que :

- environ deux millions de ressortissants chinois sont installés en Afrique, et les entreprises chinoises remportent beaucoup d'appels d'offres émis par les gouvernements du continent, car leurs coûts sont très souvent inférieurs à ceux des autres pays, en particulier parce qu'ils importent leur propre main-d'oeuvre. Les gouvernements africains privilégient ces contrats moins coûteux et dont les calendriers sont respectés. Les dirigeants africains sont conscients que, au-delà de ces aides, ce sont leurs ressources naturelles que la Chine convoite. Face à cette situation, la France a choisi de coopérer avec la Chine, notamment par des rencontres sur le développement, qui se tiennent régulièrement à Pékin et à Paris. Parallèlement à ce partenariat, il convient de dynamiser fortement l'offre européenne qui doit ainsi démontrer ses avantages comparatifs à long terme, notamment grâce à l'inclusion de considérations sociales. Cent trente ans de présence française en Afrique ont donné à notre pays des éléments de compréhension du continent, qui ne sont pas toujours valorisés comme ils le mériteraient. Prenant l'exemple de la politique des États au sud Soudan, qui accèdera probablement à l'indépendance à la suite du référendum de 2011, le ministre a regretté que la France, faute de moyens, enregistre un retard de représentation, alors que les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni comme la Chine sont déjà largement implantés au sud Soudan. Les contrats passés antérieurement par le gouvernement de Khartoum avec des entreprises françaises sont mis en dormance ;

- le prochain sommet France-Afrique, qui se tiendra à Nice en juin 2010, sera l'occasion de présenter l'offre sociale, éthique et environnementale des entreprises françaises, qui doit les rendre plus attractives aux yeux des Africains, notamment par rapport à l'offre chinoise ;

- on évalue les combattants se réclamant d'AQMI à un nombre restreint évoluant entre 150 et 500 ; ceux-ci se déplacent sans difficulté entre les trois pays du Sahel que sont le Mali, le Niger et la Mauritanie, ce qui ne peut se concevoir sans complicités locales. L'un des problèmes majeurs tient au manque de communication entre ces pays. Le Maroc est également touché par les activités d'AQMI, mais ne coopère pas avec ses partenaires du fait de l'étanchéité de sa frontière avec l'Algérie. Le territoire immense que représente le Sahel est traversé par des trafics d'armes et de drogues que seule une coopération entre les pays touchés peut permettre de combattre. Après plusieurs années d'absence de contacts, une récente réunion regroupant ces cinq pays s'est tenue à Alger. Pour soutenir ce processus, et appuyer le Mali selon la promesse faite après la libération des prisonniers djihadistes qui ont permis le retour en France de notre compatriote Pierre Camatte, la mise en place de deux pôles de sécurité et de développement a été accélérée. Il faut relever que la seule école africaine de maintien de la paix est implantée dans sa capitale, Bamako ;

- à l'Est de l'Afrique, l'opération Atalante, premier déploiement européen maritime de l'histoire, s'efforce de sécuriser les eaux internationales au large de la Somalie ; de plus, seront formés par l'Union européenne 2 000 soldats somaliens, qui s'ajoutent aux 500 déjà entraînés par la France, à Djibouti, qui viendront soutenir le Gouvernement fédéral de transition. Ce projet est appuyé par l'ensemble des membres de l'Union européenne et se déroulera en Ouganda du fait de l'implication de cet Etat dans l'AMISOM et de la formation que l'Union fournit également aux soldats somaliens. Le problème majeur que représente la stabilisation de la Somalie passe également par un développement économique qui reste à mettre en oeuvre ;

- à Madagascar, l'ancien président, M. Marc Ravalomanana, était devenu très impopulaire, après sa réélection, du fait notamment de son style autoritaire et de vastes projets de cession de terres agricoles à des entreprises de Corée du Sud. La durée et les modalités de la transition menée par l'ancien maire de Tananarive, M. Andry Rajoelina, a fait l'objet d'une concertation des pays de la Southern African Development Community (SADC) présidée par la RDC, qui se sont accordés sur des sanctions à l'encontre de ce dernier. Notre diplomatie s'efforce actuellement, dans une entreprise de la dernière chance, de réconcilier les positions de Rajoelina et de Ravalomanana, un des points de divergence étant la date des élections. Les contacts noués en Afrique du Sud, puis la visite de M. Alain Joyandet à Tananarive permettront peut-être de relancer le processus politique ;

- l'exemple, cité par M. Robert del Picchia, d'une même société effectuant, sur fonds européens, une mission de coopération puis son propre audit constitue une anomalie et est contraire aux règles ;

- la coordination entre les Etats membres de l'UE et les dirigeants européens chargés de l'aide au développement doit s'approfondir ; le traité de Lisbonne conduit à une réduction des pouvoirs propres de chacun des Etats membres, notamment dans le domaine des affaires étrangères et du développement. Le commissaire européen chargé de l'aide au développement, M. Andris Piebalgs, dispose aujourd'hui des importants financements contenus dans le Fonds européen de développement (FED), auxquels la France contribue à hauteur de 19 % pour le Xe FED (2008-2013), après avoir contribué à hauteur de 23 % pour le IXe FED ; de plus, l'Union européenne a désormais un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité en la personne de la Baronne Ashton qui doit se préoccuper des questions de politique étrangère de l'Union vis-à-vis de l'Afrique ;

- des accords de coopération en matière militaire doivent progressivement se substituer aux accords de défense conclus, après les indépendances, avec les pays africains francophones. Cela conduira à un retrait progressif des troupes françaises du continent africain où la France ne conservera que deux bases, une à l'Ouest, l'autre à l'Est. Ces troupes françaises contribueront à entraîner les forces africaines qui le souhaitent et à appuyer la constitution d'une force africaine de maintien de la paix, à la demande de l'Union africaine (UA). Cette réduction numérique de nos troupes permettra, cependant, de garantir la réalisation des plans d'évacuation des ressortissants français et européens d'Afrique en cas de nécessité ;

- la défense du français sur le continent africain doit passer par des projets valorisant l'originalité et par le renforcement des bourses attribuées aux étudiants ; la fusion, en cours, des Instituts culturels français et des alliances françaises doit contribuer à améliorer notre offre culturelle et linguistique.

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