a indiqué que, face à une crise sans précédent, les mesures de relance ne sont pas à remettre en cause dans leur principe, dès lors qu'elles demeurent circonscrites et provisoires. Le risque existe néanmoins d'un relâchement de l'effort de maîtrise de la dépense. Ainsi, la dégradation des comptes publics constatée en 2008 a concerné quasiment toutes les administrations et ne résulte pas seulement des effets de la crise. En recettes, les baisses enregistrées l'an dernier traduisent principalement des tendances de fond, et sont notamment la conséquence de décisions de baisses d'impôts prises au cours des années précédentes. Ces décisions ont diminué les ressources publiques de 10 milliards d'euros, dont 6,5 milliards sont imputables à la loi pour le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat et 2,9 milliards aux dégrèvements de taxe professionnelle.
La dégradation s'explique également par l'insuffisante maîtrise des dépenses. Bien que la croissance récente de l'ensemble des dépenses publiques se soit établie à un niveau inférieur à la tendance observée sur la période 1998-2007, les objectifs affichés nécessitent des efforts d'une toute autre ampleur que ceux réalisés jusqu'à présent. A ce jour, seule la Suède a un taux de dépenses publiques plus fort que la France, mais son solde budgétaire était, au moins jusqu'à une date récente, très nettement excédentaire. Le déficit structurel français est estimé aux alentours des 3,5 % du produit intérieur brut (PIB), soit l'intégralité du déficit constaté fin 2008, ce qui démontre que le problème des finances publiques ne trouvait pas, à cette époque, son origine dans la conjoncture.
Au sens du traité de Maastricht, la dette publique brute a progressé de 10 %, passant de 1 209 milliards d'euros fin 2007, soit 63,8 % du PIB, à 1 327 milliards d'euros fin 2008, soit 68,1 % du PIB. La moitié de l'augmentation constatée est imputable au déficit et un cinquième résulte des emprunts contractés pour le financement des banques. Il convient en effet de rappeler que la Société de financement de l'économie française (SFEF) et la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE) ont été classées par l'INSEE et Eurostat parmi les administrations publiques, ce qui a pour effet d'inclure dans la dette maastrichtienne les emprunts qu'elles contractent. Le niveau potentiel de la dette brute apparaît encore supérieur si l'on y inclut la moitié des 28 milliards d'euros de dettes de Réseau ferré de France ne pouvant être remboursée que par l'Etat, et si l'on tient compte des billets de trésorerie émis par l'ACOSS, pour un montant de 10 milliards d'euros fin 2008, qui ont minoré temporairement la dette brute consolidée des administrations publiques.
Le prix de cette dette s'affiche dans les intérêts substantiels que la France doit payer, soit plus de 54 milliards d'euros en 2008, ce qui représente 2,8 % du PIB. La croissance de notre endettement s'accompagnera d'une augmentation de la prime de risque qui y est associée et, par conséquent, de la charge d'intérêts. En conséquence, et bien que l'écart de financement avec l'Allemagne ait récemment diminué, la crédibilité de la signature de la France est désormais attentivement observée par les marchés. Enfin, redevenu positif en 2006, le solde primaire des administrations publiques s'est de nouveau dégradé en 2007 et 2008 pour atteindre - 0,6 % du PIB. Les administrations publiques doivent donc emprunter pour payer non seulement les intérêts de la dette, mais aussi une partie des dépenses courantes hors intérêt.
Sur le fondement de ces constatations, M. Philippe Séguin a fait observer que la France est entrée avec des finances publiques dégradées dans une crise dont l'impact s'annonçait extrêmement violent. Selon la Cour, si une récession de 3 % se confirme, le déficit devrait s'élever à la fin de l'année à au moins 7 % de la richesse nationale et la dette publique dépasser 75 % du PIB, ou 80 % en comptabilisant les emprunts de la SFEF. Le doublement du déficit s'explique par l'impact du plan de relance, mais surtout par la baisse spontanée des rentrées d'impôts et de cotisations sociales et, plus secondairement, par l'augmentation spontanée de certaines dépenses, notamment celles d'assurance chômage. Bien que le déficit français s'annonce moins important que celui du Royaume-Uni ou des Etats-Unis, il dépassera celui de l'Allemagne, dont le plan de relance est pourtant plus important mais le déficit structurel plus faible.
Aucune catégorie d'administration publique n'échappera à la dégradation. L'Etat devrait ainsi voir son déficit doubler et passer de 56,3 milliards d'euros en 2008 à plus de 120 milliards en 2009, ce qui représente plus de la moitié de ses recettes nettes.
Le déficit du régime général de la sécurité sociale devrait doubler et dépasser les 20 milliards d'euros, ce qui n'ira pas sans poser, dès l'automne, un problème de dépassement du plafond d'avances à l'ACOSS. Si le relèvement du plafond est envisageable, il implique que la Caisse des dépôts soit en mesure d'apporter un montant supplémentaire de ressources. Or celle-ci estime que, dans les conditions actuelles du marché monétaire, de tels montants se traduiront par des pertes, raison pour laquelle elle a dénoncé la convention censée courir jusqu'en 2010. Une autre solution, de facilité, consisterait à faire reprendre ces déficits par l'Etat. La Cour estime toutefois que la maîtrise de la dette de la sécurité sociale implique qu'elle demeure isolée, et non « noyée dans l'océan des déficits » de l'Etat. A l'instar des régimes complémentaires de retraite et du Fonds de solidarité vieillesse, l'assurance chômage devrait enfin, après deux ans d'excédents, renouer avec les déficits, estimés par l'UNEDIC à 1,3 milliard d'euros fin 2009.
S'agissant des administrations publiques locales, 2009 connaîtra probablement une importante baisse des droits de mutation. Toutefois, à l'exception de la taxe professionnelle, les bases des principaux impôts directs locaux sont protégées des effets immédiats de la crise. Par ailleurs, nombre de collectivités ayant majoré leurs taux, le ralentissement du produit des impôts locaux devrait être limité en 2009. Les dotations de l'Etat devraient connaître, dans le même temps, une augmentation sensible et les dépenses risquent de continuer à croitre à un rythme soutenu, compte tenu de l'alourdissement des prestations sociales en lien avec la crise.
Pour l'ensemble des finances publiques, M. Philippe Séguin a fait valoir que les perspectives à l'horizon de 2012 ne sont guère meilleures. Même en retenant des prévisions de croissance proches de celles du Gouvernement et une progression des dépenses en ligne avec la tendance (soit 2,2 % en 2011 et 2012), le déficit serait encore supérieur à 6 % et la dette approcherait les 90 % du PIB en 2012. Dans ces conditions, les objectifs fixés pour 2012 en termes de finances publiques ne pourront être approchés qu'au prix d'un effort supplémentaire considérable. S'il convient de saluer le principe d'une loi de programmation des finances publiques et l'adoption d'un budget triennal de l'Etat, plusieurs éléments intervenus depuis le vote de la loi de programmation 2009-2012 brouillent la lisibilité de la stratégie affichée par le Gouvernement et pourraient remettre en cause sa crédibilité. Le respect des orientations fixées dans ce cadre supposerait, par exemple, que la baisse du taux de TVA sur la restauration et la réforme de la taxe professionnelle soient compensées par une augmentation d'impôts ou une suppression d'avantages fiscaux de même ampleur.
De même, et sauf à se résigner à augmenter les prélèvements obligatoires, la perspective d'une réduction sensible du déficit et de la dette à l'horizon 2012 n'est pas réaliste sans un effort drastique de réduction des dépenses. La France s'approche d'une « zone dangereuse » et parsemée de risques. Le premier est économique : la dégradation des finances publiques pourrait, en effet, nourrir l'inquiétude des agents économiques. L'anticipation, par ces derniers, de hausses d'impôts et de cotisations sociales pourrait les conduire à différer consommation et investissement et à plonger l'économie nationale dans un cercle vicieux retardant la sortie de crise. Un deuxième risque réside dans l'appauvrissement d'un Etat qui consacre davantage sa dépense au fonctionnement et aux interventions qu'à la préparation de l'avenir. L'emballement de la dette constitue un troisième risque, dans la mesure où, dans un contexte de déficit structurel et d'endettement très élevés, une faible aggravation du déficit liée, par exemple, aux dépenses de vieillissement, pourrait provoquer un accroissement exponentiel de la dette. Certains scénarios font ainsi état d'un niveau de dette proche de 100 % du PIB en 2018 et 200 % avant 2040. A titre de comparaison, la dette de la France était de 118 % du PIB au sortir de la Première Guerre mondiale et de 170 % en 1945. Sur la base d'un taux d'intérêt à 4 %, la charge d'intérêt pourrait atteindre 8 % du PIB, soit davantage que le produit de la TVA. Le quatrième risque concerne enfin la crédibilité de la signature de la France. Les charges d'intérêt ne pouvant pas mobiliser une part indéfiniment croissante des ressources, les créanciers de l'Etat pourraient refuser tout nouveau prêt et un ajustement brutal de nos finances publiques serait alors nécessaire.
Craignant que le fait de répéter que les caisses sont vides n'accrédite l'idée qu'elles sont inépuisables, M. Philippe Séguin a jugé que la dérive des finances publiques aurait des conséquences concrètes sur la vie quotidienne des Français, qui se verraient contraints de « payer plus pour rembourser plus », cependant que l'Etat serait amené à remettre en cause radicalement une grande partie des interventions et des politiques publiques. Le retour dans des délais relativement brefs à une croissance dynamique étant peu crédible, deux voies d'amélioration demeurent envisageables : la réduction des dépenses et l'augmentation des recettes, notamment par la réduction des niches sociales et fiscales. Si le défi peut paraître considérable, l'ampleur de l'effort à accomplir n'est pas exceptionnelle au regard des ajustements menés dans les autres pays de l'OCDE ou de mesures de redressement prises par la France au cours de son histoire.
La limitation des dépenses de 2008 à 2012, telle que prévue par le Gouvernement, ne peut contribuer à ce redressement que pour environ un point de PIB, soit 20 milliards d'euros. A cet égard, les économies annoncées dans le cadre de la révision générale des politiques publiques sont estimées par le Gouvernement à 6 milliards d'euros, ce qui démontre la nécessité de réformes beaucoup plus ambitieuses.
La dérive des prestations sociales appelle également une poursuite des réformes. La dégradation rapide des comptes de l'assurance vieillesse justifie de nouvelles négociations sur les retraites, y compris sur les avantages familiaux. Dans le domaine de la santé, une révision du cadre des négociations conventionnelles avec les professions de santé, une réflexion sur certaines prestations et la poursuite de la réorganisation du système hospitalier sont nécessaires. S'agissant de l'Etat, des économies supplémentaires pourraient venir d'une meilleure gestion budgétaire « en mode LOLF », c'est-à-dire centrée sur la mesure des coûts et sur la performance, d'une réforme de la gestion des ressources humaines affectées aux missions de l'Etat et d'une maîtrise de la masse salariale ainsi que du coût des pensions. Les effectifs et les charges de fonctionnement des opérateurs de l'Etat, de plus en plus nombreux, ne doivent pas non plus être négligés. Enfin, la maîtrise des dépenses locales peut passer par une rationalisation de l'intercommunalité, de la fiscalité locale et des concours financiers d'un Etat encore trop enclin à faire financer par les collectivités les politiques dont il n'a plus les moyens budgétaires.
Résumant les trois « messages-clés » adressés par la Cour à la commission, M. Philippe Séguin a contesté l'idée selon laquelle la « France s'en tirerait mieux » que ses voisins dans la crise. Il a conditionné le rétablissement des comptes à un effort accru de vérité sur l'état de nos finances publiques, et jugé indispensable la réalisation de 70 milliards d'euros d'économies. Un tel montant ne saurait être atteint par des réformes ponctuelles axées sur les gaspillages ou les dysfonctionnements les plus flagrants, et implique une véritable réflexion sur le rôle de l'Etat, les missions du service public et les modalités de leur financement.