Intervention de Bruno Lasserre

Commission des affaires économiques — Réunion du 7 janvier 2009 : 2ème réunion
Présidence de l'autorité de la concurrence — Audition de M. Bruno Lasserre candidat

Bruno Lasserre, candidat :

En réponse, M. Bruno Lasserre a apporté les éléments d'information suivants :

- le modèle américain est très différent du modèle français en raison de la pratique, outre-Atlantique, du « spoil system » qui conduit à la démission des membres des différentes autorités de régulation lorsque se produit une alternance politique, afin que la nouvelle administration puisse nommer de nouveaux membres ; cependant, la France pourrait utilement s'inspirer de l'importante proximité existant entre ces autorités de régulation et le Congrès, qui les contrôle de très près et en entend régulièrement les présidents et les membres ;

- en économie, la position dominante n'est pas illégitime, au contraire ; en revanche, l'exploitation abusive de cette position, au détriment notamment des consommateurs, ne l'est pas et doit être sanctionnée ;

- un réseau associant la Commission européenne et les autorités de régulation de la concurrence des 27 Etats membres permet une diffusion générale de l'information sur toutes les enquêtes portant sur des affaires mettant en cause le droit communautaire, la détermination de l'autorité chargée de traiter le dossier ainsi que la cohérence des décisions prises par les différentes autorités : depuis sa création en mai 2004, ce réseau compte 970 ouvertures de dossiers, dont 162 à l'initiative de la Commission européenne et 159 du Conseil de la concurrence, qui est donc un des organes les plus actifs malgré des moyens plus limités que nombre de ses homologues ;

- les relations du Conseil de la concurrence avec les régulateurs sectoriels français sont marquées au sceau de la complémentarité et cette caractéristique sera naturellement conservée en ce qui concerne les rapports entre l'Autorité de la concurrence et la future Autorité de régulation des transports ferroviaires ; en tout état de cause, la nécessité de disposer d'une autorité sectorielle dépend du degré de maturité concurrentielle du marché concerné : dans les années qui suivent le passage d'une situation de monopole public à une organisation concurrentielle, l'existence d'une autorité sectorielle est indispensable ; en revanche, dès lors que le fonctionnement concurrentiel du marché est durablement effectif, il est légitime de ne s'en remettre qu'au contrôle de l'autorité de régulation « commune » ;

- il n'existe effectivement pas d'opposition entre les missions de service public et le fonctionnement concurrentiel auquel les entreprises publiques sont désormais largement soumises ;

- l'indépendance de l'Autorité de la concurrence à l'égard des ministères est totale ; un commissaire du gouvernement permet, sur chaque affaire, de connaître le point de vue de l'administration, mais cette opinion ne lie en aucun cas la décision du collège de l'Autorité ; par ailleurs, cette décision, fondée sur une analyse strictement concurrentielle, peut faire l'objet d'un pouvoir d'évocation du ministre, lequel peut la remettre en cause pour des motifs d'intérêt général tels que le développement industriel, la compétitivité des entreprises concernées au regard de la concurrence internationale ou encore la création ou le maintien de l'emploi ; ainsi, cette indépendance absolue de l'Autorité ne prive pas le pouvoir politique de tout moyen d'intervenir légitimement, en toute transparence, au stade de la décision définitive ;

- les champs d'intervention de l'Autorité de la concurrence ne sont pas universels et certains problèmes, tels que ceux résultant de la gestion des sociétés concessionnaires d'autoroutes, n'en relèvent pas ; reste que le Conseil de la concurrence avait regretté les conditions d'attribution des concessions autoroutières et, notamment, l'absence d'un régulateur chargé en particulier de vérifier le respect au meilleur coût du cahier des charges des concessions, afin de garantir que les usagers ne seront pas soumis à des droits de péage anormaux ;

- si les ententes sur les marchés publics sont loin d'être la règle, l'Autorité de la concurrence va néanmoins faire de leur prévention une de ses priorités d'action ; du reste, ses condamnations s'alourdissent en fait (tout récemment, dans le secteur du ramassage scolaire), d'autant que leur maximum l'a été en droit grâce à la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) (il est passé de 5 % du chiffre d'affaires de la société en France à 10 % du chiffre d'affaires consolidé mondial du groupe dont dépend l'entreprise condamnée), ces deux faits conjugués devant avoir un effet dissuasif certain sur les éventuels contrevenants ;

- les élus devraient être plus vigilants dans la définition des appels d'offres des marchés publics, et notamment ne pas autoriser aussi souvent qu'aujourd'hui les regroupements entre entreprises pour le dépôt des candidatures, cette méthode facilitant les ententes ; en outre, les collectivités territoriales devraient systématiquement se tourner vers les tribunaux pour demander la réparation des préjudices subis du fait d'une contravention aux règles de la concurrence, car une telle démarche serait certainement elle aussi dissuasive ;

- l'Autorité de la concurrence consultera la future Autorité de régulation des transports ferroviaires sur toutes les affaires concernant ce secteur et, à l'inverse, la seconde pourra saisir la première dès lors qu'il lui semblera qu'une opération contrevient aux règles concurrentielles ou de concentration ; en la matière, il convient de relever que le Conseil de la concurrence avait rendu un avis soulignant les difficultés qui, selon lui, résultent de l'attribution à la seule SNCF du pouvoir d'allouer des sillons ferroviaires ;

- la disproportion des pouvoirs de marché entre les centrales d'achat peu nombreuses et les milliers de producteurs agro-alimentaires, extrêmement dispersés, justifie des organisations permettant de mener une politique concertée visant à la stabilité des filières : pour autant, la protection contre la volatilité des cours ne saurait justifier des ententes sur les prix dès lors que les producteurs restent totalement autonomes des organismes de filières ; par ailleurs, l'Autorité de la concurrence est extrêmement favorable à la différenciation par la qualité, manifestée par les labels et autres appellations d'origine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion