Au cours d'une seconde séance, tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Bruno Lasserre, candidat proposé à la nomination à la fonction de président de l'Autorité de la concurrence (AC).
Après avoir brièvement exposé les principales caractéristiques de sa carrière professionnelle, M. Bruno Lasserre a fait part des réflexions générales sur la concurrence et la régulation inspirées de son expérience de membre du Conseil de la concurrence entre 1998 et 2004 et de président dudit conseil depuis 2004 :
- si la concurrence est un instrument essentiel de politique économique et un excellent levier pour inciter les entreprises à donner le meilleur d'elles-mêmes, elle n'est pas une fin en soi qui se suffirait à elle-même, d'autant que d'autres préoccupations légitimes doivent aussi être prises en compte par le décideur politique, telles que la solidarité, l'aménagement du territoire ou encore l'indépendance nationale ;
- pour qu'elle produise ses effets vertueux et que les entreprises fonctionnent correctement sans abuser de leur pouvoir de marché, la concurrence doit être régulée ;
- pour que la régulation soit elle-même efficace et qu'elle joue pleinement son rôle sans interférer ni avec l'action politique ni avec la gestion économique, la régulation doit être indépendante, transparente, collégiale et responsable.
Puis M. Bruno Lasserre a énuméré les quatre priorités qu'il avait définies pour l'action du Conseil de la concurrence sous sa présidence :
- agir dans le temps économique, car l'efficacité de la régulation des marchés est étroitement dépendante des capacités d'adaptation des entreprises : c'est ainsi que le stock des dossiers en instance est passé de 420 à 155 entre 2000 et 2007 et que le délai entre la détection d'une entente et la décision du Conseil a été ramené à 18 mois ; ce raccourcissement du temps de l'action sera renforcé pour l'Autorité de la concurrence puisque la loi de modernisation de l'économie (LME), qui l'a créée, a regroupé en son sein les pouvoirs d'enquête et d'instruction, jusqu'alors séparés entre la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et le Conseil de la concurrence ;
- renforcer la dissuasion par une augmentation significative des amendes, qui a en conséquence accru le risque de la pénalisation : de l'ordre de 50 à 60 millions d'euros en moyenne annuelle, les amendes décidées par le Conseil ont brusquement augmenté à partir de 2005, s'élevant cette année-là à 754 millions d'euros et ayant atteint l'an dernier 630 millions d'euros ; cette politique ferme à l'encontre des grandes entreprises et au bénéfice des PME et des consommateurs sera considérablement renforcée par les moyens nouveaux donnés à l'Autorité de la concurrence par la LME, notamment à l'encontre des enseignes de la grande distribution, auxquelles pourront être imposées des injonctions structurelles de céder des surfaces afin de relancer la concurrence ;
- développer des outils de négociation et de dialogue avec les acteurs économiques, conformément aux options ouvertes par la loi NRE (nouvelles régulations économiques) qui a permis aux entreprises de prendre des engagements volontaires pour respecter les prescriptions concurrentielles ;
- renforcer l'analyse économique développée par le Conseil afin de lui permettre de porter le meilleur jugement possible et d'adopter de bonnes décisions.
a ensuite présenté les caractéristiques de la nouvelle Autorité de la concurrence. Au préalable, il a rendu hommage à l'action du Sénat, et singulièrement de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de LME et alors présidée par M. Gérard Larcher qui, compte tenu de l'importance politique de la création de l'Autorité, a exigé que celle-ci résulte de la loi et non pas, comme l'envisageait le Gouvernement, d'une ordonnance. Il a également souligné que le débat démocratique ainsi rendu possible avait permis de renforcer les outils du contrôle des concentrations économiques dévolu à l'Autorité, et de connaître, pendant la discussion parlementaire, les grandes lignes du projet d'ordonnance relatives au contrôle des pratiques anti-concurrentielles.
Il a alors indiqué que l'Autorité de la concurrence partagerait avec le Conseil trois éléments de continuité :
- défendre le bien-être des consommateurs et les conditions loyales d'activité des acteurs économiques, en particulier les PME ;
- donner toutes leurs chances aux entreprises, y compris les grandes, pour affronter les défis de la compétition économique ;
- renforcer l'influence et la visibilité de la France en matière de régulation concurrentielle dans le contexte européen et mondial.
Toutefois, le renforcement significatif des pouvoirs de l'Autorité par rapport à ceux du Conseil conduit à l'ouverture de trois chantiers nouveaux :
- l'accroissement de la responsabilité de l'Autorité : à cet égard, M. Bruno Lasserre a indiqué que la procédure d'examen par le Parlement de sa candidature à la présidence de cet organe constituait selon lui le point de départ d'une relation nouvelle entre celui-ci et la représentation nationale, qui devrait du reste être étendue à toutes les autorités administratives indépendantes ; il s'est par ailleurs félicité que la LME ait prévu la remise annuelle au Parlement du rapport de l'Autorité et la faculté pour les commissions compétentes de convoquer son président pour l'entendre ;
- le renforcement de la pédagogie et du dialogue avec les entreprises et les consommateurs, rendu possible par la faculté qu'aura l'Autorité de s'autosaisir et de rendre des avis sur le fonctionnement concurrentiel des marchés ; à cet égard, elle a vocation à devenir un expert de la concurrence, au bénéfice notamment du Parlement ;
- le développement d'une culture des résultats, gage de la légitimité des autorités administratives indépendantes : alors qu'aujourd'hui, le Conseil de la concurrence ne hiérarchise pas ses interventions, l'Autorité de la concurrence devrait, demain, mener une réflexion sur le rôle stratégique qu'elle peut avoir en privilégiant la résolution des affaires importantes ou de dossiers relevant de secteurs structurants de l'économie (télécommunications, énergie, distribution, BTP, banque et assurance...).
A l'issue de cette présentation, M. Bruno Lasserre a été interrogé par les commissaires.
après s'être félicité que le Parlement ait directement créé l'Autorité de la concurrence, a observé que les autorités de régulation américaines sont réellement indépendantes puisqu'elles ne rendent aucun compte à l'autorité politique qui les nomme. Puis il a insisté sur la nécessité de distinguer la situation dominante de l'abus d'une telle situation, qui seul nécessite d'être sanctionné. Il a par ailleurs demandé quelle serait l'articulation entre l'action de l'Autorité de la concurrence et celle des autorités de régulation européennes et françaises, telles que l'ARCEP, la CRE, etc. Enfin, s'appuyant sur l'exemple de La Poste, il a souligné l'importance de reconnaître la réalité et la nécessité des missions de service public même dans un contexte concurrentiel.
s'est tout d'abord interrogé, de manière générale, sur le degré d'indépendance des autorités administratives dites indépendantes à l'égard tant des ministères que de la Commission européenne. Par ailleurs, il a douté des capacités que pourrait avoir l'Autorité de la concurrence de rendre les pratiques plus loyales dans les relations entre distributeurs et fournisseurs ou dans la gestion des concessions des sociétés autoroutières, dès lors que celle-ci a été concédée à des entreprises de travaux publics.
s'est lui aussi inquiété de l'efficacité du rôle de la nouvelle Autorité de la concurrence pour contrarier les ententes illicites entre entreprises du BTP que subissent les collectivités territoriales dans leurs appels d'offres, ainsi que pour contrôler la gestion des concessions autoroutières.
Après avoir souscrit à la conception du libéralisme régulé exposée par l'intervenant, M. Francis Grignon a estimé qu'en matière de marchés publics de BTP, la globalisation des appels d'offres augmentait les risques de collusion des candidats. Puis il a souhaité connaître la répartition des rôles entre l'Autorité de la concurrence et la future Autorité de régulation des transports ferroviaires, dont la création est prévue par un projet de loi en instance d'examen au Sénat.
Soulignant la grande vulnérabilité économique des productions alimentaires, dont beaucoup ont pour caractéristique qu'elles ne peuvent être durablement stockées, ce qui rend leur élasticité-prix extrêmement importante, M. Gérard Bailly s'est inquiété de la condamnation des accords passés entre producteurs dans le cadre des organisations de filière et interrogé sur les moyens d'assurer la survie des secteurs agricoles concernés.
En réponse, M. Bruno Lasserre a apporté les éléments d'information suivants :
- le modèle américain est très différent du modèle français en raison de la pratique, outre-Atlantique, du « spoil system » qui conduit à la démission des membres des différentes autorités de régulation lorsque se produit une alternance politique, afin que la nouvelle administration puisse nommer de nouveaux membres ; cependant, la France pourrait utilement s'inspirer de l'importante proximité existant entre ces autorités de régulation et le Congrès, qui les contrôle de très près et en entend régulièrement les présidents et les membres ;
- en économie, la position dominante n'est pas illégitime, au contraire ; en revanche, l'exploitation abusive de cette position, au détriment notamment des consommateurs, ne l'est pas et doit être sanctionnée ;
- un réseau associant la Commission européenne et les autorités de régulation de la concurrence des 27 Etats membres permet une diffusion générale de l'information sur toutes les enquêtes portant sur des affaires mettant en cause le droit communautaire, la détermination de l'autorité chargée de traiter le dossier ainsi que la cohérence des décisions prises par les différentes autorités : depuis sa création en mai 2004, ce réseau compte 970 ouvertures de dossiers, dont 162 à l'initiative de la Commission européenne et 159 du Conseil de la concurrence, qui est donc un des organes les plus actifs malgré des moyens plus limités que nombre de ses homologues ;
- les relations du Conseil de la concurrence avec les régulateurs sectoriels français sont marquées au sceau de la complémentarité et cette caractéristique sera naturellement conservée en ce qui concerne les rapports entre l'Autorité de la concurrence et la future Autorité de régulation des transports ferroviaires ; en tout état de cause, la nécessité de disposer d'une autorité sectorielle dépend du degré de maturité concurrentielle du marché concerné : dans les années qui suivent le passage d'une situation de monopole public à une organisation concurrentielle, l'existence d'une autorité sectorielle est indispensable ; en revanche, dès lors que le fonctionnement concurrentiel du marché est durablement effectif, il est légitime de ne s'en remettre qu'au contrôle de l'autorité de régulation « commune » ;
- il n'existe effectivement pas d'opposition entre les missions de service public et le fonctionnement concurrentiel auquel les entreprises publiques sont désormais largement soumises ;
- l'indépendance de l'Autorité de la concurrence à l'égard des ministères est totale ; un commissaire du gouvernement permet, sur chaque affaire, de connaître le point de vue de l'administration, mais cette opinion ne lie en aucun cas la décision du collège de l'Autorité ; par ailleurs, cette décision, fondée sur une analyse strictement concurrentielle, peut faire l'objet d'un pouvoir d'évocation du ministre, lequel peut la remettre en cause pour des motifs d'intérêt général tels que le développement industriel, la compétitivité des entreprises concernées au regard de la concurrence internationale ou encore la création ou le maintien de l'emploi ; ainsi, cette indépendance absolue de l'Autorité ne prive pas le pouvoir politique de tout moyen d'intervenir légitimement, en toute transparence, au stade de la décision définitive ;
- les champs d'intervention de l'Autorité de la concurrence ne sont pas universels et certains problèmes, tels que ceux résultant de la gestion des sociétés concessionnaires d'autoroutes, n'en relèvent pas ; reste que le Conseil de la concurrence avait regretté les conditions d'attribution des concessions autoroutières et, notamment, l'absence d'un régulateur chargé en particulier de vérifier le respect au meilleur coût du cahier des charges des concessions, afin de garantir que les usagers ne seront pas soumis à des droits de péage anormaux ;
- si les ententes sur les marchés publics sont loin d'être la règle, l'Autorité de la concurrence va néanmoins faire de leur prévention une de ses priorités d'action ; du reste, ses condamnations s'alourdissent en fait (tout récemment, dans le secteur du ramassage scolaire), d'autant que leur maximum l'a été en droit grâce à la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) (il est passé de 5 % du chiffre d'affaires de la société en France à 10 % du chiffre d'affaires consolidé mondial du groupe dont dépend l'entreprise condamnée), ces deux faits conjugués devant avoir un effet dissuasif certain sur les éventuels contrevenants ;
- les élus devraient être plus vigilants dans la définition des appels d'offres des marchés publics, et notamment ne pas autoriser aussi souvent qu'aujourd'hui les regroupements entre entreprises pour le dépôt des candidatures, cette méthode facilitant les ententes ; en outre, les collectivités territoriales devraient systématiquement se tourner vers les tribunaux pour demander la réparation des préjudices subis du fait d'une contravention aux règles de la concurrence, car une telle démarche serait certainement elle aussi dissuasive ;
- l'Autorité de la concurrence consultera la future Autorité de régulation des transports ferroviaires sur toutes les affaires concernant ce secteur et, à l'inverse, la seconde pourra saisir la première dès lors qu'il lui semblera qu'une opération contrevient aux règles concurrentielles ou de concentration ; en la matière, il convient de relever que le Conseil de la concurrence avait rendu un avis soulignant les difficultés qui, selon lui, résultent de l'attribution à la seule SNCF du pouvoir d'allouer des sillons ferroviaires ;
- la disproportion des pouvoirs de marché entre les centrales d'achat peu nombreuses et les milliers de producteurs agro-alimentaires, extrêmement dispersés, justifie des organisations permettant de mener une politique concertée visant à la stabilité des filières : pour autant, la protection contre la volatilité des cours ne saurait justifier des ententes sur les prix dès lors que les producteurs restent totalement autonomes des organismes de filières ; par ailleurs, l'Autorité de la concurrence est extrêmement favorable à la différenciation par la qualité, manifestée par les labels et autres appellations d'origine.
Après l'audition, la commission a débattu de la candidature proposée. Tout en reconnaissant la qualité de celle-ci, M. François Fortassin a renouvelé les regrets déjà exprimés récemment à l'occasion d'autres exercices similaires que, dans ce genre de situation, le Parlement ne puisse pas entendre plusieurs candidats pour disposer d'éléments de comparaison avant son vote.
Puis la commission a rendu, à l'unanimité, un avis favorable à la nomination de M. Bruno Lasserre à la présidence de l'Autorité de la concurrence.
La commission a ensuite nommé M. Daniel Marsin rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 496 (2007-2008) pour le développement économique de l'outre-mer. Sur proposition de M. Jean-Paul Emorine, président, elle a décidé qu'un groupe de travail composé de trois représentants du groupe de l'UMP, de deux représentants du groupe socialiste, d'un représentant du groupe de l'UC, d'un représentant du groupe CRC-PG et d'un représentant de la réunion administrative des sénateurs non inscrits, participerait aux auditions organisées par M. Daniel Marsin.
La commission a ensuite désigné MM. Ladislas Poniatowski (UMP) et Roland Courteau, socialiste, pour participer à la réunion interparlementaire sur le thème de l'énergie, organisée à Prague les 25 et 26 janvier prochains, dans le cadre de la présidence tchèque de l'Union européenne.
Puis la commission a procédé à l'audition de M. Rémi Aufrère, secrétaire fédéral, et de M. Gérard Le Mauff, secrétaire général adjoint, de la CGT-FO Cheminots.
a indiqué qu'à ses yeux le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires était indissociable de la réforme issue de la loi du 13 février 1997, par laquelle la France était allée au-delà de ses obligations européennes en établissant entre la SNCF et Réseau ferré de France (RFF) une séparation non seulement comptable mais aussi fonctionnelle. En effet, cette dissociation entre les deux établissements publics a eu pour effet, d'une part, de créer des dysfonctionnements dans l'organisation ferroviaire et, d'autre part, d'accélérer le désengagement de l'Etat.
S'agissant du projet de création d'une autorité administrative indépendante chargée de la régulation ferroviaire, il a estimé que telle n'était pas à ses yeux la meilleure formule. Il a considéré qu'il aurait été préférable de conserver, quitte à en développer les compétences, l'actuelle mission de contrôle des activités ferroviaires au sein du ministère chargé des transports. Les services de l'Etat sont en effet les meilleurs garants d'une réelle indépendance vis-à-vis de l'ensemble des acteurs, dans la mesure où ils sont placés sous le contrôle des autorités politiques en charge de l'intérêt général. A l'inverse, des personnalités dites indépendantes ne sont pas, quant à elles, nécessairement hors de toute influence. D'une façon plus générale, ce souci de l'indépendance procède lui-même du principe communautaire de mise en place d'une concurrence libre et non faussée, or l'exemple récent de la crise financière a montré que ce principe ne devait pas être érigé en dogme et pouvait tout à fait être remis en cause.
a ensuite évoqué la question de la dette ferroviaire qu'il considère comme un des problèmes centraux du secteur. Il a estimé que l'une des traductions de cet endettement était la pression actuellement exercée par RFF en faveur d'une augmentation des péages, ce qui aboutit à mettre la SNCF en difficulté. Il a fait valoir que l'exemple allemand, souvent cité par les commentateurs, n'était pas transposable en France, le système ferroviaire allemand ayant bénéficié d'une reprise intégrale de son endettement par l'Etat fédéral à la fin des années 1990. Il a estimé qu'une telle politique était aujourd'hui indispensable dans notre pays, en particulier en ces temps où la puissance publique a su trouver des ressources très importantes pour assainir la situation des banques. En effet, l'équation financière issue de la réforme de 1997 ne permet pas aujourd'hui de garantir un financement satisfaisant du réseau. Les 13 milliards d'euros programmés par le contrat de performance entre l'Etat et RFF pour la période 2008-2015 risquent d'ailleurs de s'avérer insuffisants, 1.800 kilomètres de voies ferrées étant d'ores et déjà sujets à des ralentissements. Les choses pourraient même continuer de se détériorer compte tenu de l'état des infrastructures après 15 années d'investissements insuffisants pour la régénération des voies, insuffisance soulignée par le rapport de l'Ecole polytechnique de Lausanne en 2005 ainsi que par celui de la Cour des comptes. Au moment où les Etats-Unis d'Amérique répondent à la crise économique par un vaste plan d'investissements dans les infrastructures publiques, le Sénat pourrait utilement défendre la mise en place d'une programmation pluriannuelle des dépenses en faveur du réseau ferroviaire, tout en s'assurant que celle-ci ne se limite pas à des effets d'annonce comme c'est trop souvent le cas des décisions prises à l'occasion des Comités interministériels d'aménagement et de compétitivité des territoires (CIACT).
Enfin, il a craint que l'on assiste en France à la mise en place d'une concurrence faussée mais dans un sens inverse de celui qui est souvent dénoncé. En effet, ce ne sont pas les nouveaux opérateurs qui risquent de subir les principaux déséquilibres dans la mesure où ils ne s'intéressent qu'aux segments de trafic les plus rentables. En revanche, le développement de la concurrence risque de porter atteinte aux péréquations dont bénéficient aujourd'hui les liaisons les plus déficitaires assurées par la SNCF, notamment les grandes liaisons transversales de voyageurs telles que Lyon-Nantes ou Lyon-Bordeaux.
Après cette intervention, M. Jean-Paul Emorine, président, a rappelé que la programmation pluriannuelle des investissements était effectivement un des sujets sur lesquels le Sénat travaillait déjà, en particulier dans le cadre de l'examen des projets de loi liés au Grenelle de l'environnement et à l'occasion du plan de relance économique de 26 milliards d'euros actuellement en cours d'examen.
a rappelé que :
- d'une part, la France était, depuis le mois de juin, sous le coup d'une mise en demeure de la Commission européenne pour non-respect des règles communautaires en matière de transport ferroviaire ;
- d'autre part, le traitement de la dette ferroviaire avait été effectué en 1997 sous la contrainte forte des critères de Maastricht liés à l'entrée de la France dans la zone euro ;
- en outre, il a indiqué qu'il comptait proposer que la Commission de régulation des activités ferroviaires (CRAF), telle que créée par ce projet de loi, soit renommée Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF).
Concernant ce projet de loi, il a souhaité connaître la position de la CGT-FO sur l'organisation de la régulation à partir de la fin 2009, date du début de l'ouverture de la concurrence sur les lignes de voyageurs et sur la façon dont le projet de loi pourrait être amélioré afin de mieux assurer cette régulation. Il a aussi souhaité connaître l'avis des représentants syndicaux sur les rumeurs d'entrave à la concurrence parfois répandues par les nouveaux entrants ainsi que sur un fait divers relaté par la presse et qui aurait consisté en un piratage du système informatique de la SNCF par l'un de ses concurrents dans le but de débaucher une partie du personnel de l'entreprise publique.
a apporté les éléments de réponse suivants :
- il existe un risque très réel de voir un quart ou même un tiers du réseau devenir impraticable à brève échéance si les 13 milliards d'euros annoncés dans le contrat de performance ne sont pas effectivement mobilisés. Ceci exige un réel effort financier de l'Etat car les deux autres sources de recettes commencent elles-mêmes à subir de fortes tensions. C'est, en premier lieu, le cas des péages qui sont parmi les plus élevés en Europe en matière de transport de voyageurs au moment même où la SNCF doit réaliser des investissements très importants dans une conjoncture difficile. En second lieu, les financements des conseils régionaux pourraient devenir problématique compte tenu des efforts déjà accomplis, par exemple par la région Aquitaine qui pourrait voir son endettement tripler à l'occasion de la réalisation de la ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique ;
- la CGT-FO Cheminots est très attachée à ce que la régulation des activités ferroviaires soit assurée par une instance contrôlée par l'Etat comme c'est actuellement le cas avec la mission de contrôle des activités ferroviaires. Il s'est d'ailleurs interrogé sur les modalités de nomination des membres d'une éventuelle autorité indépendante ;
- depuis plusieurs années, la direction de la SNCF attache le plus grand soin à ce que des règles strictes soient respectées par ses équipes afin qu'aucun soupçon de favoritisme ne puisse peser sur l'opérateur historique. Il a d'ailleurs indiqué que si des soupçons de déséquilibres concurrentiels étaient parfois évoqués, aucun fait avéré n'avait encore été établi à ce jour ;
- s'agissant enfin de l'affaire d'un éventuel débauchage de personnels de la SNCF par son concurrent Euro Cargo Rail et sans pouvoir se prononcer de façon explicite sur ce cas, il convient de relever un véritable problème de fuite des compétences au sein de l'entreprise publique. Ce phénomène de départs vers des entreprises concurrentes ne concerne d'ailleurs pas seulement les agents de conduite mais il affecte par exemple aussi les ingénieurs en charge des projets d'infrastructure. Cette situation est d'autant plus inquiétante qu'elle ne permet plus la transmission des compétences entre les différentes générations et qu'elle risque à terme de remettre en cause l'excellence technique de la SNCF, pourtant internationalement reconnue, en particulier au travers de la réalisation du TGV.
En complément de ces réponses, M. Rémi Aufrère a dénoncé l'existence d'une véritable distorsion de concurrence en faveur des nouveaux opérateurs dans la mesure où ces derniers n'appliquent pas toujours les règles de sécurité ferroviaire avec toute la rigueur nécessaire. Ces allégations semblent d'ailleurs corroborées par certains rapports et lettres d'observation confidentiels qui auraient été émis par l'Etablissement public de sécurité ferroviaire (EPSF). En outre, le projet de loi aborde les problèmes dans le mauvais ordre puisqu'il faudrait commencer par régler la question du financement de l'ensemble du réseau afin d'assurer un transport ferroviaire dans de bonnes conditions, avant de mettre en place un système de régulation.
tout en admettant parfaitement que l'on puisse s'opposer au principe de la concurrence, a fait valoir que celle-ci s'imposait de toute façon en application du droit communautaire et qu'il convenait dès lors de s'assurer qu'elle s'exerce dans des conditions équitables. La régulation en matière de concurrence doit viser une égalité à la fois en matière de péage et d'accès au réseau. Mais cette question est distincte de celle de la sécurité, même si le respect de l'ensemble des règles par les différents opérateurs constitue également un élément du jeu de la concurrence auquel il faut veiller.
En réponse, M. Gérard Le Mauff a précisé qu'il convenait effectivement de dissocier, d'une part la régulation appliquée dans le sens d'une concurrence équitable et, d'autre part, le contrôle des règles de sécurité confiées à l'EPSF d'autre part. Il a toutefois indiqué qu'il lui semblerait utile que l'EPSF puisse intervenir en amont.
Enfin, de façon générale, il a considéré que l'exemple britannique était la preuve que la concurrence dans le secteur ferroviaire induisait de très nombreux risques en termes d'augmentation des tarifs pour les usagers ou de difficultés dans la gestion des correspondances entre les trains exploités par différentes compagnies. La création d'une société des chemins de fer intégrée au niveau national a été un des acquis de l'histoire ferroviaire française qu'il serait dangereux de remettre en cause.
La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Dominique Aubry, secrétaire général adjoint, et de M. Christian Dreyer, secrétaire national, de la Fédération des Cheminots CFDT.
a tout d'abord rappelé les éléments mis en avant par la CFDT Cheminots lors de son audition par M. le sénateur Hubert Haenel en août 2008.
Il a souligné que la réforme de 1997 créant Réseau ferré de France (RFF) n'avait pas réglé le problème de l'endettement global du système ferroviaire, même si des efforts financiers importants ont été consentis, notamment depuis 2005.
Il a indiqué que le désengagement de l'Etat en matière de financement des infrastructures ferroviaires au cours des dernières années avait conduit à des investissements des collectivités territoriales, à l'augmentation importante des péages de TGV par RFF, et à des investissements de la SNCF en lieu et place de RFF, ce dernier élément posant un problème de concurrence déloyale par rapport aux autres opérateurs.
Relevant que le Grenelle de l'environnement comportait un objectif de rééquilibrage entre la route et le rail, M. Dominique Aubry a estimé que cela nécessitait un financement conséquent des infrastructures ferroviaires, et que l'Agence de Financement des infrastructures de transport de France (AFITF) devrait être dotée du budget nécessaire, par l'intermédiaire de l'écotaxe.
Il a également appelé de ses voeux une simplification des relations entre RFF et la SNCF, saluant les dispositions du projet de loi en la matière.
S'agissant de l'exploitation du réseau, il a déclaré s'opposer à l'éclatement du dispositif entre la conception du graphique qui serait confiée à RFF et la gestion opérationnelle relevant de la SNCF. Pour la CFDT Cheminots la gestion de la capacité du réseau doit relever dans son ensemble de la SNCF.
a ensuite rappelé que la CFDT Cheminots était favorable depuis l'origine à la création d'une autorité de régulation ferroviaire, investie des missions de l'Etat et dotée des prérogatives nécessaires. Elle souhaite par ailleurs que l'Etablissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) soit rattaché à cette autorité, afin d'éviter une complexité du système potentiellement nuisible à la sécurité.
a enfin souligné que la question financière restait d'actualité afin d'assurer le développement du réseau ferroviaire en France et en Europe : il a estimé que l'Etat devait rapidement reprendre la main, RFF et la SNCF étant uniquement des leviers de ce développement.
Il a déclaré que la CFDT Cheminots n'était pas opposée au texte du projet de loi mais il a formulé plusieurs interrogations.
S'agissant de l'endettement du système ferroviaire, la CFDT Cheminots souhaite que la Commission de régulation des activités ferroviaires (CRAF) puisse veiller à l'équilibre du financement des infrastructures ferroviaires, notamment entre l'Etat, RFF, les collectivités territoriales et les entreprises ferroviaires. Cela permettrait ainsi une saine concurrence dans le secteur ferroviaire et contribuerait au désendettement du système.
Dans le cadre de l'ouverture du réseau à la concurrence en 2010 pour les lignes internationales, M. Dominique Aubry a souhaité que la CRAF puisse jouer un rôle important en matière de contrôle du caractère accessoire du cabotage afin qu'il n'y ait pas de déséquilibre au détriment des trains nationaux.
Enfin, il a estimé que la CRAF devrait non seulement veiller à l'égal accès de tous les opérateurs au réseau ferroviaire mais également à ce que le système conserve les éléments permettant une pérennité du service public. Il a rappelé la demande ancienne de la CDFT Cheminots en faveur de la reconnaissance du rôle de service public de fret, par exemple pour le transport des matières dangereuses, la desserte de zones difficiles ou diffuses, ou le contournement des grandes villes.
a souhaité des éclaircissements quant à l'évolution et au rôle futur de l'EPSF.
a jugé positif le souhait exprimé par M. Dominique Aubry que le coût des péages corresponde à une réalité économique, comme indiqué dans le projet de loi. Tout en soulignant que le cabotage constituait un vrai problème, il a cependant estimé que le risque induit était peu élevé. Concernant l'EPSF, il a relevé que son indépendance était souhaitée par tous et que peu souhaitaient son intégration dans le système.
Il a ensuite interrogé les deux représentants de la CFDT Cheminots sur :
- les éléments du rapport Haenel quant à l'articulation entre RFF et la SNCF et la proposition du gouvernement de mettre en place une direction spécifique au sein de la SNCF, avec des garanties d'indépendance ;
- la question du TER, certaines régions demandant une expérimentation de l'ouverture à la concurrence au niveau régional.
a indiqué que la CFDT tenait à ce que la SNCF reste maître de la conception et de la gestion du graphique. Cependant, il a estimé que RFF avait un rôle à jouer. Il a également souligné qu'il était nécessaire d'assurer l'impartialité dans l'accès des opérateurs aux capacités horaires du réseau.
Il a souligné que la CFDT Cheminots n'avait aucune objection à la création d'une direction de l'exploitation ferroviaire au sein de la SNCF avec un directeur nommé par l'Etat.
S'agissant de l'EPSF, M. Dominique Aubry s'est déclaré opposé à l'intégration de la sécurité au sein des différentes organisations de la SNCF, avec la crainte que celle-ci ne conduise à ce que l'économique prenne le pas sur la sécurité. Il a par ailleurs rappelé que la concurrence ne devait pas conduire à un dumping, non seulement social, mais également en termes de sécurité. Par ailleurs, si un rééquilibrage entre transports routier et ferroviaire est bien un objectif du Grenelle de l'environnement, cet objectif nécessite l'augmentation du prix du routier et le paiement du juste prix pour le ferroviaire.
Concernant le TER, M. Dominique Aubry a rappelé que la CFDT s'était toujours félicitée de la régionalisation et qu'elle appelait de ses voeux sa poursuite.
Soulignant que son organisation syndicale n'était pas favorable à l'arrivée de la concurrence dans le transport de voyageurs, il a estimé que celle-ci n'apporterait aucune plus-value, comme l'a démontré selon lui l'introduction de celle-ci dans l'activité de fret. Rappelant que la CFDT n'avait pas signé l'accord sur le temps de travail dans le secteur ferroviaire du fait des risques qu'il faisait peser sur la sécurité des salariés et sur la précarisation de leurs conditions de travail, il a ajouté qu'elle avait souhaité le voir dénoncé.
Faisant observer que la force du secteur ferroviaire français résidait, dans sa bonne couverture en réseaux de transport de voyageurs, dans la modernité et l'homogénéité de ses matériels, et dans les investissements importants réalisés par les collectivités ayant permis d'augmenter les cadences, il a dit craindre que la libéralisation des TER n'érode ces atouts. Les opérateurs alternatifs seront en effet naturellement incités à restreindre leur activité aux axes les plus rentables, l'opérateur historique devant assumer les autres. De plus, la coordination entre l'ensemble des moyens de transport -TGV, TER et bus- aujourd'hui assurée par la SNCF, sera beaucoup plus délicate entre des opérateurs concurrents. Enfin, M. Dominique Aubry a rapporté qu'une étude réalisée en 1990, alors qu'il travaillait à la direction des transports de la SNCF, avait montré que le passage à la gestion par activité aboutissait à une augmentation des coûts.
a alors interrogé l'intervenant sur la conception de la régionalisation qu'il promouvait sur la façon dont la SNCF pouvait actuellement fonctionner en l'absence de la direction spécifique qu'il préconisait sur le problème de l'indépendance de cette dernière par rapport à l'opérateur historique auquel elle resterait intégrée ainsi que sur ses craintes éventuelles quant au statut de son personnel.
a répondu que le succès de la régionalisation tenait non au seul fait que les régions contribuent au financement des TER mais à une meilleure prise en compte de la notion de proximité : en s'emparant de la gestion des dessertes, ces collectivités ont été en mesure de mieux répondre aux besoins exprimés localement. Rappelant que le financement du TER provenait à 30 % des recettes des usagers et, pour le reste, de subventions, il a indiqué que cette proportion resterait constante à l'avenir, s'inquiétant cependant de ce que les opérateurs privés ne soient tentés de supprimer les postes d'agents et de contrôleurs, au détriment de la sécurité des personnels et des utilisateurs, et de confier leurs fonctions aux conducteurs de train. Appelant à accorder une place prééminente, dans les appels d'offre, au mieux-disant et aux critères sociaux, il a indiqué que le Gouvernement s'était engagé sur le statut des personnels. Estimant que l'organisation actuelle des transports ferroviaires, caractérisée par d'importants échanges entre échelons national et régionaux, était performante et devait continuer d'être gérée par la SNCF, quitte à la transférer à une entité distincte en son sein, il a jugé qu'il relèverait de la compétence de la CRAF de s'assurer de son indépendance. Dès lors que cette dernière s'assurerait de l'équité dans l'accès aux capacités du réseau, et quand bien même de nouveaux opérateurs la contesteraient, il a jugé que l'exigence de non discrimination serait satisfaite.