Intervention de Jean-Baptiste de Foucauld

Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion — Réunion du 26 février 2008 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Baptiste de Foucauld président de solidarités nouvelles face au chômage

Jean-Baptiste de Foucauld, président de Solidarités nouvelles face au chômage :

a indiqué que ses idées sur le sujet trouvaient leur origine dans ses expériences au commissariat général au plan, à l'inspection des finances, dans divers conseils et commissions, ainsi qu'au sein de l'association Solidarités nouvelles face au chômage (SNC) qu'il préside. Il a expliqué que le chômage, au lieu de susciter un fort élan de solidarité de la part de la société, conduit souvent à la perte des liens sociaux. Forte de ce constat, SNC met à la disposition des chômeurs deux accompagnateurs sans limite de temps. Si cet accompagnement est insuffisant, l'association peut créer et financer elle-même des emplois dans des associations partenaires.

a ensuite exposé les principaux éléments de son analyse du chômage et de l'exclusion :

- les chômeurs ne participent pas suffisamment, faute d'organisation collective, à la construction des politiques qui les concernent. A cet égard, le Grenelle de l'insertion a su innover, en associant à ses travaux des collèges d'usagers. Par ailleurs, les associations d'aide aux chômeurs ne sont pas suffisamment soutenues par les pouvoirs publics ;

- le risque d'exclusion est inhérent aux sociétés modernes dans la mesure même où celles-ci sont fondées sur l'autonomie et la liberté. La loi de 1998 sur l'exclusion a donc posé à juste titre la question de la responsabilité de chacun face à ce phénomène. A ce propos, il est regrettable que la création d'un service civique obligatoire, idée soutenue par plusieurs candidats à l'élection présidentielle, dont le président élu, ne soit pas reprise actuellement. Un travail préparatoire pourrait utilement être lancé en vue d'une mise en oeuvre éventuelle lors de la prochaine législature ;

- le capitalisme en voie de mondialisation présente certains déséquilibres. Ainsi, à l'inverse de la situation qui prévalait au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les managers et les salariés des entreprises sont aujourd'hui en position d'infériorité par rapport aux consommateurs et aux actionnaires, si bien qu'une pression très forte s'exerce sur le travail, désormais considéré principalement comme un coût. M. Jean-Baptiste de Foucauld s'est ainsi prononcé en faveur d'un impôt sur les sociétés progressif en fonction de la rentabilité des fonds propres, et d'une incitation à l'actionnariat responsable et équitable ;

- le décalage est croissant entre la « machine à fabriquer des désirs », qu'elle soit commerciale ou politique, et les ressources, nécessairement limitées, permettant de satisfaire ces désirs. La productivité du travail augmentait en effet de 5 % par an dans les années 60, contre seulement de 1,5 % ou 2 % aujourd'hui. Le surplus susceptible d'être distribué au salarié est ainsi deux ou trois fois moindre. Un conflit émerge également entre la demande sociale et les nouvelles normes et contraintes écologiques, qui pèsent parfois particulièrement sur les pauvres. La population se partage entre une part frustrée, notamment dans les banlieues, une part satisfaite et à une part cynique, au détriment de l'unité globale de la société ;

- le développement doit être recentré sur l'essentiel. Il est impossible de garantir une vraie solidarité sans une certaine sobriété créative : c'est l'idée d'« abondance frugale ». La démocratie doit permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même, mais aussi d'accéder à ce qui lui est essentiel : il faut ainsi garantir à chacun un équilibre entre la satisfaction de son besoin professionnel, de son besoin relationnel et de son besoin « spirituel » (la construction de soi) ;

- une telle politique de sobriété relative implique non une diminution, mais une meilleure orientation des 45 % de prélèvements obligatoires. Le prélèvement sur le travail doit ainsi être diminué au profit d'un prélèvement plus juste sur les revenus, l'ensemble des ressources dégagées permettant alors de rechercher le plein emploi de qualité par un soutien accru à l'initiative, une aide aux chômeurs mieux organisée, une recherche dynamique et des contrats aidés de bon niveau dans les secteurs associatifs. La France ne souhaite en effet se conformer ni au modèle américain, avec un blocage du salaire minimum et une déréglementation du marché du travail, ni au modèle nordique impliquant une participation accrue de partenaires sociaux responsables et une forte contrainte collective. Elle doit pourtant réformer son modèle « étato-individuel », qui a montré son insuffisance ;

- le taux de chômage encore trop élevé implique de favoriser l'augmentation du nombre d'emplois plutôt que l'accroissement du revenu des pauvres. Or, une certaine « fétichisation » du taux de chômage a parfois conduit les pouvoirs publics à se préoccuper davantage de la baisse de ce taux, fût-elle artificielle, qu'à l'amélioration réelle de la situation des chômeurs. La dernière enquête emploi trimestrielle de l'INSEE constitue à cet égard un progrès car elle comporte trois indicateurs différents : le chômage au sens du Bureau international du travail (2,2 millions de personnes) ; l'ensemble des personnes ne travaillant pas mais souhaitant travailler, qu'elles soient ou non disponibles dans les deux semaines, et qu'elles recherchent ou non un emploi (2,8 millions) ; enfin les personnes en situation de sous-emploi, c'est-à-dire qui travaillent déjà mais voudraient travailler davantage (1,4 million) ;

- la société reste très fermée à ses jeunes. Il convient à cet égard de s'inspirer du rapport de la commission nationale pour l'autonomie des jeunes (2002), qui a préconisé la création d'un véritable service public de l'orientation, la possibilité d'un report des bourses non utilisées, la garantie d'une expérience professionnelle pour tous les jeunes et l'instauration d'un contrat d'allocation d'autonomie ;

- on peut observer certaines évolutions positives, notamment une prise de conscience par les partenaires sociaux du problème de l'exclusion, comme en témoigne l'accord conclu récemment avec le collectif ALERTE. On assiste peut-être ainsi à une « cristallisation collective », comparable à celle de 1985-1986 lorsque la France a décidé de tourner le dos à l'inflation ;

- un travail intéressant a été accompli par de nombreux conseils, institutions et commissions, pendant une durée trop limitée, dans le domaine de la lutte contre l'exclusion. Cependant, un travail de longue haleine est désormais nécessaire pour être à la hauteur de l'enjeu. Par ailleurs, bien que la gouvernance se soit améliorée, par exemple en matière de retraites, une cohérence accrue des divers dispositifs mis en place est nécessaire.

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