Il est regrettable que l'amendement n° 86 ne soit pas défendu, car il est pertinent. La question se pose en effet de savoir ce que deviennent les ordonnances lorsqu’elles n’ont pas été ratifiées.
La note de synthèse du service des études juridiques du Sénat du 2 février 2007, dont je salue la qualité, note une accélération : « Au cours de la dernière période quinquennale (2002-2006), le nombre de lois contenant des mesures d’habilitation dépasse celui enregistré pour les vingt années 1984-2003. »
Rares sont les textes d’importance dans lesquels le Parlement n’habilite pas le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. C’est également sur ces textes que l’urgence est déclarée.
Ce constat inquiétant montre une dérive dans la pratique des institutions, dérive qui tend à priver le Parlement de ses droits.
L’article 38 de la Constitution est symptomatique de l’emprise du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif et de la volonté de donner au premier les moyens de neutraliser le second. Nous assistons ni plus ni moins à une constitutionnalisation de la pratique des décrets-lois des IIIe et IVe Républiques !
Une partie de la doctrine constitutionnaliste va même jusqu’à considérer que les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État ont su neutraliser une pratique jugée dangereuse.
Il n’en est rien ! Oui, cette pratique est dangereuse pour les droits du Parlement, car elle le dépossède quasiment de son pouvoir législatif. Non, la jurisprudence et les pratiques constatées ne sauraient être interprétées comme une limite à cette intrusion. D’une part, mais j’y reviendrai en présentant l’amendement n° 196, les domaines juridiques concernés par les habilitations sont très divers. D’autre part, la période la plus récente a consacré de nouvelles pratiques en ce qui concerne le support ainsi que l’origine de la demande d’habilitation.
Sur le premier point, depuis la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, les habilitations résultent généralement d’un ou de plusieurs articles d’un texte ayant un objet plus large.
Sur le second point, dans les faits, l’habilitation peut résulter d’un amendement gouvernemental déposé à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi ou d’un projet de loi, ce qui nuit à la lisibilité de la procédure. Mais elle peut surtout résulter d’un amendement parlementaire, alors même que l’article 38 de la Constitution désigne le seul Gouvernement comme titulaire de ce droit d’initiative.
Enfin, le juge constitutionnel a réitéré à plusieurs reprises l’obligation faite au Gouvernement de « définir avec précision les finalités de l’habilitation » et d’indiquer précisément le « domaine d’intervention » des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances. Cependant, il n’est pas très exigeant, puisqu’il considère que « l’urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l’article 38 de la Constitution » et qu’elle peut résulter de la nécessité de surmonter « l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire ».
Pour toutes ces raisons et au nom du renforcement des droits du Parlement, qui vous sont chers, nous demandons la suppression de l’article 38 de la Constitution.