L’amendement n° 195 de Mme Borvo Cohen-Seat vise à abroger l’article 38 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de prendre, avec l’autorisation du Parlement, des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi.
À l’évidence, il est toujours préférable que ces mesures soient délibérées et adoptées par le Parlement. Mais la pratique a démontré que, dans certains domaines, une urgence ou une nécessité pouvait justifier qu’elles soient prises par voie d’ordonnances.
En tout état de cause, le recours aux ordonnances est autorisé par une loi d’habilitation. C’est au Parlement qu’il revient finalement d’apprécier, au cas par cas, s’il convient d’autoriser ou non le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. Si le Parlement ne veut pas que le Gouvernement ait recours à une ordonnance, il peut tout à fait ne pas l’habiliter.
À défaut de supprimer l’article 38 de la Constitution, vous souhaitez, madame Borvo Cohen-Seat, limiter le champ possible de l’habilitation.
Par l’amendement n° 196, vous voulez interdire le recours aux ordonnances lorsque sont en cause des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.
Cet amendement ne paraît pas souhaitable, pas plus que l’amendement n° 462 rectifié du groupe socialiste, qui est quasiment identique, puisqu’il aurait pour conséquence de rigidifier la procédure. Il risquerait, par exemple, d’interdire le recours aux ordonnances pour la plupart des projets de codification. Or, on le sait très bien, certaines dispositions devant être codifiées touchent aux libertés fondamentales, comme la liberté du commerce ou de l’industrie.
Les risques d’une atteinte particulière aux libertés ne sont pas pour autant à redouter, puisque le Conseil constitutionnel opère toujours un contrôle approfondi des lois d’habilitation, en exigeant du Gouvernement qu’il indique avec précision la finalité des mesures qui seront prises. Bien entendu, la loi d’habilitation ne dispense en rien le Gouvernement de respecter les règles et les principes de valeur constitutionnelle.
Madame Borvo Cohen-Seat, vous voulez également, au travers de votre amendement n° 197, faire obstacle à la transposition par ordonnance d’un acte communautaire qui a fait l’objet d’une résolution.
L’article 88-4 de la Constitution permet aux assemblées de voter des résolutions sur les projets ou propositions d’actes de l’Union européenne qui interviennent en matière législative. Le Parlement peut ainsi faire connaître sa position au Gouvernement au stade de la négociation de l’acte, et appeler son attention sur certaines difficultés, de quelque nature que ce soit.
Mais cela ne veut pas dire – on s’en rend compte assez régulièrement, d’ailleurs – que le Parlement entend forcément adopter lui-même des mesures de transposition une fois que l’acte est pris. Il vaut mieux lui laisser le choix au cas par cas, le moment venu, puisqu’il pourra toujours refuser de voter la loi d’habilitation. Finalement, le dernier mot revient au Parlement.
Sur l’encadrement des délais, je comprends la philosophie qui sous-tend votre amendement, monsieur Lecerf : vous souhaitez prévoir un délai maximum de six mois entre la loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances et le dépôt du projet de loi de ratification.
De telles dispositions risquent d’introduire une trop grande rigidité dans l’application directe de l’article 38, puisque certaines ordonnances, telles les ordonnances de codification, concernent plusieurs textes ou plusieurs matières, voire plusieurs codes. Dès lors, la commission de codification, puis le Conseil d’État sont obligatoirement consultés. Cela peut prendre un peu plus de temps que le délai de six mois que vous souhaitez introduire par votre amendement.
Là encore, c’est au législateur qu’il appartient, dans la loi d’habilitation, de fixer au cas par cas le délai, s’il l’estime nécessaire. Du reste, c’est souvent le cas ! Cette souplesse peut donc être conservée dans le cadre de la loi d’habilitation.
Par conséquent, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
J’en viens à la portée juridique des ordonnances. Vous souhaitez, monsieur Lecerf, que les ordonnances aient valeur législative dès leur publication. Tant qu’elles ne sont pas ratifiées par le Parlement, les ordonnances ont une nature réglementaire : seul le législateur peut leur conférer une valeur législative en les ratifiant
Il serait dangereux qu’il en soit autrement s’agissant de la compétence du législateur ou pour nos concitoyens. Une ordonnance ne peut prendre des dispositions qui sont du domaine de la loi que dans la stricte mesure autorisée par la loi d’habilitation. Si elle excède les limites de l’habilitation, une ordonnance est donc illégale aussi longtemps que le législateur ne l’a pas reprise à son compte.
Avec votre proposition, monsieur le sénateur, une telle illégalité ne pourrait plus être levée, puisque l’on passerait directement d’une nature réglementaire à une valeur législative, sans passer par cette loi d’habilitation.
En outre, cette modification entraînerait un recul en termes de facilité d’accès au juge, puisque, aujourd’hui, parce qu’elles ont valeur réglementaire, les ordonnances non ratifiées font l’objet du contrôle du juge administratif, lequel peut être saisi d’un recours en annulation par toute personne intéressée. Ce recours est simple et rapide.
Si l’on considère que les ordonnances ont immédiatement valeur de loi, le Conseil constitutionnel, saisi par voie d’exception, pourra certes effectuer un contrôle, mais il faudra attendre que l’ordonnance ait fait l’objet d’une application et que cette application ait donné lieu à un litige. Ce serait plus long et plus compliqué.
Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
Enfin, l’amendement n° 414 vise à bloquer la ratification de l’ordonnance en cas de recours pour excès de pouvoir. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, parce que la ratification modifie la nature même de l’ordonnance et fait obstacle à la poursuite de l’instance engagée devant le juge administratif.