Intervention de Adrien Gouteyron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 juin 2011 : 1ère réunion
Conventions fiscales — Examen des rapports

Photo de Adrien GouteyronAdrien Gouteyron, rapporteur :

La commission des finances a examiné, ces deux dernières années, trente-cinq projets de loi visant à ratifier, soit des conventions relatives à la suppression des doubles impositions, soit des accords d'échange de renseignements en matière fiscale.

Nous examinons aujourd'hui dix accords supplémentaires :

- deux conventions fiscales de suppression des doubles impositions, signées respectivement avec l'île de Man et Hong Kong ;

- huit accords d'échange de renseignements signés avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria.

Vous me permettrez ensuite de faire un point sur l'état d'avancement de la politique de lutte contre les paradis fiscaux, tant sur le plan multilatéral que français.

Je fais ici référence :

- d'une part, à la mise à jour des listes, celle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) mais aussi celle de la France ;

- et, d'autre part, aux conséquences qui s'attachent à ces listes, c'est-à-dire l'application automatique des sanctions fiscales françaises aux Etats qui demeurent inscrits sur notre liste et l'examen par les Pairs du Forum mondial de l'OCDE, qui s'est tenu aux Bermudes le 31 mai dernier.

S'agissant des accords de suppression des doubles impositions, celui conclu avec l'île de Man, signé le 26 mars 2009, a pour objet unique d'éviter la double imposition en matière de navigation maritime et aérienne.

Il prévoit, en effet, que les bénéfices qu'une entreprise tire du trafic maritime ou aérien international ne seront imposables que dans le pays où se trouve le siège de direction effective de celle-ci.

Cet accord technique doit, cependant, être conçu comme complétant le lien conventionnel déjà approuvé, en matière d'échange de renseignements, l'an dernier. Les deux conventions sont intrinsèquement liées car l'entrée en vigueur et la pérennité du présent accord sont subordonnées à celles de l'accord d'échange de renseignements.

Quant à l'accord fiscal conclu avec Hong Kong, je tiens à souligner qu'il est l'aboutissement d'un long processus de négociations. Celui-ci a débuté en 2003. Il a tout d'abord permis de négocier les dispositifs anti-abus prévus par la législation française.

La convention n'a pu, toutefois, être paraphée, principalement en raison de l'impossibilité pour Hong Kong de transmettre toutes les informations bancaires utiles ainsi que le prévoit le modèle de l'OCDE.

Cet obstacle à l'échange a été levé en 2009, à la suite de la dynamique initiée par les travaux du sommet du G 20. La législation hongkongaise a été modifiée en conséquence, en janvier 2010. Ces modifications sont entrées en vigueur en mars de l'année dernière. La convention a pu finalement être signée, le 21 octobre 2010.

Cet accord, vous n'en serez pas étonnés, est largement inspiré du modèle de convention fiscale de l'OCDE de 2008.

Il prévoit ainsi une répartition du droit d'imposition entre l'Etat, source des revenus, et celui de la résidence du bénéficiaire, en fonction des revenus.

En l'absence d'un droit exclusif de taxer un revenu, la double imposition qui en résulte est éliminée conformément à la pratique conventionnelle française du crédit d'impôt.

A titre d'illustration, s'agissant des personnes physiques, un résident français imputera, sur l'impôt français, un crédit d'impôt égal au montant de l'impôt hongkongais qu'il a payé, dans la limite du montant de l'impôt français.

Nous pouvons également nous féliciter d'un certain nombre de dérogations au modèle OCDE intégrées à l'accord à la demande de la France. En effet, non seulement l'accord tend à éliminer les doubles impositions, facteur de développement pour l'investissement de nos sociétés à Hong Kong, mais il vise également à supprimer les situations de double exonération grâce, notamment, à la taxation des bénéficiaires effectifs, et à la reconnaissance des dispositifs anti-abus de notre droit interne...

Enfin, l'accord contient un article permettant un échange de renseignements dans des conditions conformes aux standards les plus récents de l'OCDE, ce qui nous conduit à aborder les huit accords dont l'objet exclusif est cet échange.

Ces huit accords ont été conclus, je le rappelle, avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria. Ils offrent la possibilité à la France de demander aux autorités de ces Etats et territoires toute information utile à la bonne application de sa loi fiscale interne.

Pourront être sollicités tous renseignements vraisemblablement pertinents pour la détermination, l'établissement et la perception des impôts visés dans l'accord, pour le recouvrement et l'exécution des créances fiscales, ou pour les enquêtes en matière fiscale pénale.

Les demandes pourront concerner toute personne ou entité, y compris les trusts et les fondations. Ce dernier point dépend certes des obligations comptables et statutaires imposées à ces organismes fiscalement transparents.

S'agissant par exemple de Jersey, son premier ministre, Terry Le Sueur, a déclaré le 1er juin dernier, devant notre commission, que l'île pouvait répondre à de telles demandes relatives à la composition des trusts qui y sont établis.

En outre, ces territoires ne pourront pas opposer un éventuel secret bancaire.

Les accords prévoient que ces Etats et territoires doivent adapter leur législation interne afin de conférer un caractère effectif à l'échange d'informations, en rendant l'information accessible, disponible et en mettant en place des mécanismes d'échange d'informations.

L'examen de l'ensemble des dix accords m'a amené tout naturellement à m'interroger sur « l'après ratification » des accords conclus en termes de mise en oeuvre de la coopération fiscale internationale.

J'observe, tout d'abord que la politique conventionnelle française s'inscrit dans le cadre multilatéral de l'OCDE. La France a naturellement négocié avec les territoires qui n'avaient pas conclu les douze accords requis par le Forum mondial de la transparence fiscale pour ne plus figurer sur la liste grise ou noire de l'OCDE, établie le 2 avril 2009.

Ainsi, à cette date, la Dominique, Brunei, Anguilla et le Libéria figuraient sur la « liste grise », dans la mesure où ces pays avaient pris l'engagement auprès de l'OCDE de respecter les standards internationaux d'échange de renseignements, sans les avoir toutefois encore mis en oeuvre. Ils sont, depuis, passés sur la « liste blanche ».

Le Costa Rica, quant lui, était inscrit le 2 avril 2009, sur la « liste noire » dès lors qu'il n'avait pas formellement exprimé un tel engagement. S'il le formalisa dès le 7 avril 2009 afin d'intégrer la liste « grise », il y demeure encore aujourd'hui car des huit Etats et territoires examinés ce matin, il est le seul à n'avoir pas intégré la « liste blanche » de l'OCDE.

Cette observation nous alerte sur le risque d'inertie de certains pays à coopérer fiscalement. C'est pourquoi la France a souhaité élaborer des sanctions fiscales automatiques frappant les acteurs ainsi que les flux transitant par des pays « réticents à la coopération fiscale ».

A cette fin, elle a tout d'abord établi sa propre liste d'Etats et territoires non coopératifs, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009.

Un pays est qualifié de non coopératif s'il figure sur la dernière liste grise publiée par l'OCDE et s'il n'a pas signé avec la France une convention d'assistance administrative permettant l'échange de renseignements.

La première liste française de ces « paradis fiscaux » a été publiée le 12 février 2010, par arrêté des ministres chargés de l'économie. Elle comptait dix-huit pays dont Anguilla, Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria.

Cette liste a été mise à jour le 14 avril 2011. Ainsi Saint-Christophe et Niévès et Sainte-Lucie en ont été retirés alors que les îles Turques et Caïques et Oman y ont été ajoutés.

Pour ces deux pays nouvellement inscrits, les sanctions fiscales ne seront donc applicables qu'au 1er janvier 2012.

En revanche, en ce qui concerne les pays qui n'ont pas été retirés de la liste, tels qu'Anguilla, les sanctions entrent en application automatiquement dès 2011, alors même que nous examinons le projet de loi visant à ratifier l'accord signé avec ce territoire. Seules, l'entrée en vigueur et l'application de l'accord permettront la radiation de la liste française.

Craignant un éventuel effet négatif sur le commerce extérieur français, en raison du maintien d'un Etat sur la liste française, en dépit de ses efforts pour coopérer fiscalement, j'ai exprimé le souhait que la publication de cette liste soit accompagnée de précisions données par l'administration sur l'état d'avancement des actions entreprises par cet Etat, c'est-à-dire la signature, la ratification d'un accord, le changement de sa législation etc. En réponse à ma proposition, l'administration a déclaré réfléchir à l'élaboration d'une instruction fiscale sur ce point précis.

L'enjeu est donc d'importance. Les conséquences de l'inscription sur ces listes sont, en effet, de deux ordres :

- l'application automatique de sanctions fiscales pour la France ;

- la formulation de recommandations par le groupe des pairs du Forum mondial pour l'OCDE.

En ce qui concerne la France, les flux financiers transitant par les pays figurant sur la liste française des territoires non coopératifs sont frappés de diverses dispositions pénalisantes.

Je rappellerai pour mémoire que ces mesures visent, en premier lieu, les résidents de France qui réalisent des transactions avec de tels pays.

Elles se traduisent, notamment, par un renforcement des dispositifs de lutte contre la fraude, par un durcissement du régime d'imposition des plus-values mobilières et immobilières ou encore par le refus du bénéfice du régime mère-fille aux sociétés françaises.

Ces dispositions frappent, en second lieu, les résidents de ces paradis qui bénéficient de flux provenant de France. Elles entraînent l'application de taux majorés de retenue à la source sur les revenus immobiliers et plus-values ainsi que sur les intérêts, dividendes et redevances.

L'action française se conjugue parallèlement avec l'examen conduit par le groupe des pairs du Forum mondial de l'OCDE dont la mission depuis 2009 est d'évaluer l'engagement de se conformer aux standards internationaux de la transparence fiscale, au-delà de l'obligation formelle de signer douze accords pour ne plus figurer sur la liste grise ou noire de l'OCDE.

En effet, si l'établissement des listes a permis essentiellement de signer environ six cents accords permettant l'échange de renseignements, il convient désormais de se référer aux résultats des évaluations menées par le groupe des pairs du Forum mondial, présidé par la France en la personne de François d'Aubert.

Trente-quatre rapports ont été publiés à ce jour, depuis le début de cette évaluation. Les neuf derniers ont été adoptés lors de la réunion du Forum qui s'est tenue aux Bermudes les 31 mai et 1er juin derniers. Ils concernent l'Italie, l'île de Man, la Nouvelle Zélande, les Etats-Unis, La France, la Hongrie, les Philippines, Singapour et la Suisse.

Le rapport sur Jersey, quant à lui, n'a pas pu être adopté, en raison d'une objection mineure soulevée par la Norvège. Il sera à nouveau soumis à l'adoption à la prochaine réunion du Forum en juillet.

Il convient de se féliciter des conclusions du rapport sur la France. Celles-ci font valoir que nous disposons d'un des plus importants réseaux conventionnels. Le cadre légal est satisfaisant. Le rapport recommande néanmoins que les délais de réponse soient raccourcis.

Quant à la Suisse, tout en relevant les progrès réalisés, le groupe des pairs met en exergue les domaines dans lesquels l'engagement de se conformer aux standards internationaux n'est pas totalement satisfait.

Il s'agit notamment des mécanismes d'identification des porteurs de part. Il apparaît également que les autorités suisses n'ont pas totalement accès à l'information bancaire, s'agissant des demandes formulées dans le cadre d'accords entrés en vigueur avant le 1er octobre 2010, sous réserve des cas de fraude.

Enfin, en ce qui concerne l'île de Man, le rapport conclut que les éléments requis sont satisfaits. Il préconise, néanmoins, que soit améliorée la disponibilité des informations comptables des sociétés en commandite.

En conclusion, si les cent un pays membres du Forum mondial sont entrés dans un système de discipline collective, cette évaluation repose sur le consensus.

Il n'existe pas, en effet, d'ordre fiscal international. C'est pourquoi, le réseau d'accords bilatéraux que la France tisse est si important.

L'adoption des dix projets de loi de ratification soumis à votre approbation en constitue donc une toute première étape, absolument indispensable, mais qui devra être suivie d'une vigilance accrue.

En conséquence, je vous propose d'adopter, sans réserve, les présents projets visant à approuver les accords conclus avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, Hong Kong, l'île de Man, les îles Cook et le Libéria.

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