Je vous en remercie ! Certes, je comprends bien le débat qui existe sur le nombre d'autorités indépendantes. Toutefois, à partir du moment où elles sont créées, il me semble difficile de vouloir les considérer comme un opérateur de l'Etat, ce qu'elles ne sont précisément pas. Je m'engage en revanche à vous rendre des comptes sur l'utilisation de nos moyens.
Grâce à vous, la loi de régulation bancaire et financière nous aura également donné des pouvoirs accrus, notamment des pouvoirs d'urgence. Surtout, elle parachève la réforme de notre processus répressif, entamée dès le prononcé de la décision EADS, en décembre 2009. Je suis convaincu que la publicité des séances de la Commission des sanctions et des sanctions elles-mêmes aura, à l'usage, un effet dissuasif, car le risque de réputation, dans certains cas, surtout pour les grandes entreprises, est plus redouté encore que la sanction pécuniaire, même si son plafond a été relevé à 100 millions d'euros. Le Collège n'a pas encore eu à jouer de son pouvoir d'appel d'une décision de la Commission des sanctions, mais cela viendra sans doute. En revanche, la procédure de transaction, dont le décret d'application a été examiné hier matin en Conseil d'Etat, sera très vite rodée et je puis vous donner l'assurance que cette procédure sera transparente et aidera à désengorger la Commission des sanctions. Sur la quarantaine de dossiers traités annuellement, environ une dizaine pourrait faire l'objet d'une transaction. Je tiens à rappeler que les dossiers qui portent sur des abus de marché ou des délits d'initié ne peuvent pas faire l'objet de transaction. La nouvelle procédure vise surtout des dossiers de non respect de leurs obligations professionnelles par les intermédiaires ou prestataires financiers régulés par l'AMF, nous permettant de nous concentrer sur les dossiers les plus importants. Cette procédure permet également de rentrer dans une logique d'indemnisation plus rapide de l'épargnant.
Retenez aussi de ce bilan 2010 la prise en compte plus systématique des intérêts des épargnants dans toutes les décisions qui peuvent les affecter. Le bilan de la direction des relations avec les épargnants, direction transversale à l'AMF, désormais pleinement opérationnelle, est à cet égard éloquent.
La difficulté consiste à maintenir le même tempo dans un contexte particulièrement mouvant. Nous devons trouver le bon équilibre entre la poursuite d'une activité soutenue tout en évitant les risques de sur-régulation, c'est-à-dire un risque de tarissement du financement de l'économie.
Quels sont les sujets qui appellent notre vigilance les mois qui viennent ? J'en vois trois principaux que vous retrouverez en filigrane de la cartographie des risques 2011 : l'avenir de la Place de Paris ; l'agenda européen de la régulation ; et la reconquête de l'épargnant/investisseur.
En ce qui concerne l'avenir de la Place de Paris, si le projet de fusion de Nyse-Euronext et Deutsche Börse devait se concrétiser, je comprends qu'il puisse susciter des inquiétudes, mais il ne faut pas les exagérer.
Nous avons à Paris la moitié des grandes capitalisations européennes, c'est un atout important. Les protagonistes de ce rapprochement n'auraient aucun intérêt à s'aliéner ces grands clients, sauf à prendre le risque de les voir partir non pour Francfort... mais pour Londres.
Ensuite, une place ne se réduit pas à une bourse, régulée ou pas. Pour être une place financière de référence dans la compétition internationale, il faut offrir une gamme de services bien plus large. Or la Place de Paris n'est pas la moins bien dotée. Nous sommes un leader européen de la gestion, bien préparé à l'ouverture des frontières européennes grâce à la transposition rapide et modernisatrice de la directive OPCVM IV ; sur les marchés d'actions, toute la logistique, humaine, matérielle et réglementaire est opérationnelle, surtout depuis la création du compartiment professionnel pour les entreprises internationales ; nous avons relancé le marché obligataire primaire en nous alignant sur les conditions offertes au Luxembourg. Nous sommes quasiment prêts à lancer un marché secondaire obligataire, complétant ainsi l'offre de la Place (il s'agit du projet Cassiopée). Nous avons beaucoup travaillé à l'émergence de nouvelles infrastructures techniques, pour enregistrer et compenser les transactions, notamment de dérivés. Nous avons anticipé l'émergence d'un cadre réglementaire européen du marché des quotas de CO2.
Bref, nous avons quelques atouts, et pas des moindres. Encore faut-il la volonté politique pour bien les exploiter.
Cela étant dit, nous avons trois points de vigilance principaux à propos du projet de fusion : nous souhaitons une gouvernance équilibrée de l'entité fusionnée mais aussi le maintien d'une capacité de développement à Paris d'infrastructures de marché et de post-marché (compensation, dépositaire central,...) essentielles pour l'activité de la Place comme pour notre stratégie réglementaire destinée à favoriser les plateformes de négociation transparentes et la compensation de dérivés de gré à gré. Enfin, il est essentiel de préserver des capacités d'accueil sur le marché des petites et moyennes entreprises (PME). C'est peut-être le sujet le plus difficile à régler. Sur tous ces points, nous demandons des garanties. Or nous accorderons les agréments à la nouvelle entité au vu du respect des engagements pris. De même, l'ACP devra donner ou non le statut d'établissement de crédit aux chambres de compensation. Nous disposons donc d'un certain nombre de moyens légaux pour faire en sorte que l'influence de la Place de Paris soit maintenue.
Deuxième sujet de préoccupation immédiate pour l'AMF, l'agenda européen de la régulation. Avec quatre questions sous-jacentes. Tout d'abord, sommes-nous en retard par rapport aux Etats-Unis ? Les Américains ont frappé fort en légiférant en bloc avec le Dodd-Frank Act mais ils doivent maintenant dérouler toute la phase de transposition en mesures techniques et ils prennent du retard sous la pression des lobbies et parce que le texte initial est souvent peu précis, voire inapplicable. Mais il est rassurant de constater que la volonté de l'Administration Obama, notamment du Secrétaire d'Etat au Trésor Timothy Geithner, et des régulateurs sont néanmoins intactes.
Les Européens sont, quant à eux, liés par leur processus décisionnel et par le calendrier des travaux de la Commission qui a saucissonné en plusieurs règlements et directives chaque sujet. Mais, dans l'ensemble, les textes ne souffrent pas de retard excessif et nous cochons petit à petit toutes les cases. Le commissaire Michel Barnier indiquait avant-hier que dix-huit textes étaient en cours de discussion pour tirer les leçons de la crise, dont trois particulièrement importants, sans compter le travail sur les normes comptables : la révision de la directive sur les marchés d'instruments financiers qui devrait intervenir à la fin de l'été ; la révision de la directive transparence ; la révision de la directive abus de marché.
Mais, qu'il s'agisse des Etats-Unis ou de l'Europe, il faut compter au minimum deux, voire trois ans entre le moment où un principe est acté au G 20 et son application effective. Ce fut le cas pour les agences de notation ou les fonds d'investissement spéculatif.