Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 juin 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Pierre Jouyet président de l'autorité des marchés financiers amf

Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers :

Je comprends ce que vous avez pu ressentir parce que ce fut notre crainte à un certain moment. Le départ fut rapide puis il y a eu une sorte de plateau : la première phase a dû être digérée.

Néanmoins, vous connaissez les mécanismes de décision européens qui ne sont pas les plus rapides. En arrière-plan, les institutions communautaires et les pouvoirs publics nationaux se sont aussi focalisés sur la question des dettes souveraines, sujet qui est venu se surajouter aux travaux de régulation.

Pour en avoir débattu avec le commissaire Barnier, chacun se rend compte qu'il y a une seconde étape à franchir et qu'il faut aller vite. Le vrai juge de paix ce sera la révision de la directive « marchés d'instruments financiers » (MIF). C'est à cela que nous verrons si l'Europe a changé et s'est adaptée à l'évolution des marchés, à la spéculation et à la volatilité.

La troisième question porte sur la convergence des normes européennes et américaines. Il y a encore une marge de progrès. Car même si nous apportons des réponses assez proches aux problèmes identifiés en commun, chacun fait selon sa tradition. Vous connaissez la logique de réglementation américaine : elle est d'application extra-territoriale. Ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait une réponse européenne unie, comme l'ont exprimé le Parlement européen ou la Commission. Nous devons avoir les mêmes réflexes que les Etats-Unis, c'est-à-dire veiller à réguler les institutions et les acteurs européens qui travailleraient sur le territoire américain ou en relation avec lui.

C'est un grand progrès auquel je souscris totalement car, à l'asymétrie d'une extraterritorialité unilatérale, je préfère encore une extraterritorialité réciproque, stade nécessaire pour atteindre la signature de vrais accords de reconnaissance mutuelle.

Ce qui nous amène à la quatrième question, la place de l'AEMF. Il y a clairement un risque, celui que les régulateurs nationaux, réunis au sein du Conseil de l'Agence, ne continuent, comme avant, à défendre leurs propres intérêts, c'est-à-dire celui du rendement économique de leur industrie financière nationale, au détriment de la coopération renforcée et de la mutualisation des moyens.

Nous allons devoir apprendre à jouer notre partition. Cette agence est à Paris, ce qui est un atout important. Nous sommes, avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, la place financière la plus importante. Mais, dans une Europe à Vingt-Sept, cela ne suffit pas ! Nous devons adapter notre « logiciel » diplomatique d'influence économique à cette Europe, ce qui nous est parfois moins naturel qu'à d'autres. Je suis néanmoins confiant au vue des orientations que dessine depuis peu l'AEMF.

Enfin, le troisième et dernier sujet de vigilance pour le régulateur concerne la reconquête de l'épargnant et de l'investisseur après la très grave crise de confiance.

Le premier terrain d'intervention porte sur la protection de l'épargnant et de l'investisseur. Vous savez que nous avons mis en place des visites mystères, que nous avons participé à la création d'un Observatoire de l'épargne, que nous avons rehaussé les standards professionnels en matière de commercialisation des produits financiers - avec un accent nouveau sur le régime des « biens divers » et autres produits « quasi financiers » - ainsi que sur les enjeux des négociations européennes en cours ou à venir.

J'insisterai sur trois autres enjeux essentiels à la confiance des investisseurs. Le premier d'entre eux s'intéresse à la gouvernance d'entreprise. J'attends beaucoup du groupe de travail dirigé par Olivier Poupart-Lafarge sur le fonctionnement des assemblées générales et l'exercice du droit de vote. L'Union européenne a fait des propositions que d'aucuns jugent audacieuses, notamment sur le fait de savoir si l'assemblée générale doit se prononcer sur la rémunération des administrateurs. Nous n'éviterons pas de nous poser la question en France. J'estime qu'un mécanisme consultatif et ex post permettrait de respecter les prérogatives normales du conseil d'administration et de l'assemblée générale.

Le deuxième enjeu se rapporte à la question des franchissements de seuil. Votre rapporteur général est très sensible à ce sujet et nous espérons avec lui pouvoir saisir une fenêtre de tir dans l'agenda du Parlement pour amender notre législation. Nous ne pouvons pas rester avec des dispositions qui ne sont pas dignes d'une grande démocratie financière. Pour que le marché fonctionne bien il faut que toute influence significative qui s'exerce sur une société cotée apparaisse clairement. C'est l'intérêt des actionnaires, celui de la société mais aussi des intervenants que d'avoir des règles du jeu qui, peu importe les instruments utilisés, soient parfaitement claires.

Enfin, le troisième enjeu a trait à l'indemnisation des préjudices subis par les épargnants. Les pistes de travail esquissées dans le rapport de Martine Ract Madoux et Jacques Delmas-Marsalet pour palier l'insuffisance des voies de réparation actuelles (mise au point d'une méthode de calcul de l'indemnisation, accès du juge civil aux éléments d'enquête recueillis dans le cadre du contrôle d'une société mise en cause, aménagement de l'action en représentation conjointe) doivent être exploitées.

En ce qui concerne la surveillance des marchés, nous avons réorganisé l'AMF : nous disposons désormais d'une nouvelle direction des marchés pour mieux exercer notre fonction de surveillance sur tous les acteurs, tous les marchés et toutes les infrastructures. Dans le même temps, nous étendons progressivement notre dispositif de surveillance automatisé à tous les marchés, en tenant compte des nouvelles techniques de négociation. Mais je suis convaincu que nous devrons pousser plus avant nos réflexions sur les conséquences de la montée en puissance du trading algorithmique. On entend que ces techniques apportent de la liquidité au marché, sans doute, mais ces techniques ne produisent qu'une liquidité artificielle qui peut disparaître en quelques micro-secondes. Américains et Européens sont très sensibilisés à l'influence de ces techniques, d'autant plus qu'elles se développent sur de nouveaux marchés tels que les marchés de matières premières ou de CO2.

Sur ces nouveaux marchés, il nous importe d'avoir accès à un meilleur accès aux données physiques qui existent. Nous ne pouvons pas à nous seuls, régulateurs financiers, malgré la financiarisation dénoncée de ces marchés, mettre un terme à la volatilité excessive et aux comportements parfois très anormaux que l'on rencontre sur ces marchés.

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