Intervention de Marc Laménie

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 décembre 2009 : 1ère réunion
Proposition de résolution européenne — Respect du droit à l'action collective - examen du rapport

Photo de Marc LaménieMarc Laménie, rapporteur :

a indiqué que la proposition de résolution, déposée par les membres du groupe socialiste, sera examinée en séance publique le 10 décembre prochain. Elle a été transmise à la commission sans modification par la commission des affaires européennes.

Cette proposition de résolution ne porte pas seulement, en fait, sur le droit syndical mais, plus généralement, sur la protection des salariés en cas de détachement transfrontalier et sur le risque de dumping social en Europe.

Son objet est de revenir sur trois arrêts importants de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), rendus en 2007 et en 2008, et qui ont suscité une certaine inquiétude dans les milieux syndicaux. Ces arrêts ont précisé l'interprétation de la directive du 16 décembre 1996 relative au détachement des travailleurs, en opérant une conciliation entre le droit à l'action collective reconnu aux syndicats et les libertés économiques accordées aux entreprises.

Il faut rappeler qu'une entreprise qui remporte un marché de prestations de services dans un autre Etat membre de l'Union européenne est souvent amenée à détacher temporairement des salariés pour exécuter cette prestation. La question est alors de savoir quel est le droit applicable aux salariés détachés. La directive de 1996 y a répondu en dressant la liste des matières pour lesquelles c'est le droit de l'Etat d'accueil qui s'applique, en l'occurrence les règles relatives à la durée maximale du travail et au temps de repos, à la durée minimale des congés payés, au salaire minimum, à la sécurité, la santé et l'hygiène au travail, aux mesures protectrices des femmes enceintes, des jeunes mères, des enfants et des jeunes travailleurs et à l'interdiction des discriminations. Cette liste peut être complétée, à l'initiative des Etats, par des dispositions d'ordre public.

Les règles visées doivent résulter de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives d'application générale. A titre d'illustration, un salarié détaché en France bénéficiera obligatoirement du Smic ; s'il travaille dans une branche où le salaire minimum conventionnel est supérieur au Smic, c'est ce salaire conventionnel qui devra lui être versé. Ces dispositions protectrices visent à prévenir le risque de dumping social en Europe. La concurrence entre entreprises doit s'exercer au niveau de la qualité du service fourni ou des délais d'exécution, mais pas au niveau des salaires.

Si la directive a globalement atteint son objectif, la CJCE en a donné une interprétation restrictive qui a posé un problème dans certains Etats membres, notamment en Allemagne et en Suède, où la négociation collective est très décentralisée.

Elle a ainsi considéré, dans les arrêts « Laval » et « Rüffert », qui datent de 2007 et de 2008, que la directive définit des « règles impératives de protection minimale », que les Etats membres ne peuvent compléter sans apporter une restriction injustifiée à la liberté de prestation de service.

Ainsi, dans la première affaire, des syndicats suédois avaient tenté de contraindre une entreprise du bâtiment lettone à appliquer aux salariés qu'elle avait détachés en Suède une convention collective couvrant une partie seulement de ce secteur. La CJCE a estimé que les actions menées par ces syndicats n'étaient pas compatibles avec la liberté de prestation de service, dans la mesure où elles visaient à imposer à l'entreprise le respect de règles sociales ne figurant pas dans une convention collective d'application générale.

Dans la seconde affaire, le Land de Basse-Saxe, en Allemagne, avait exigé que toutes les entreprises qui remportent un marché public s'engagent à appliquer une convention collective déterminée. Là encore, la Cour de justice a considéré que cette pratique était contraire à la liberté de prestation de services, dans la mesure où la convention collective ne s'appliquait pas à toutes les entreprises du secteur.

Les arrêts « Laval » et « Viking » ont ensuite précisé dans quelles conditions une action syndicale destinée à défendre les droits des salariés est compatible avec les libertés économiques garanties par le droit communautaire.

Selon la CJCE, le droit pour un syndicat de mener une action collective est un droit fondamental : toutefois, l'exercice de ce droit fondamental doit être concilié avec les droits protégés par les traités communautaires et être conforme au principe de proportionnalité.

En conséquence, les restrictions qui peuvent être légitimement apportées aux libertés économiques garanties par les traités communautaires doivent répondre à certaines conditions :

- elles doivent poursuivre un objectif légitime compatible avec les traités et se justifier par des raisons impérieuses d'intérêt général ;

- elles doivent être de nature à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

Ces conditions peuvent, certes, paraître rigoureuses. Cependant, la Cour considère que la protection des travailleurs de l'Etat d'accueil contre une pratique de dumping social constitue un motif impérieux d'intérêt général.

Ainsi, elle a admis, dans l'affaire « Viking », que des syndicats finlandais avaient pu déclencher une grève pour dissuader une entreprise de transports maritimes d'immatriculer un de ses navires en Estonie, ce qui aurait eu pour effet de soustraire l'équipage à l'application du droit social finlandais. Elle a laissé le soin à la juridiction nationale de déterminer si les conditions de travail et d'emploi des salariés étaient réellement menacées mais, dans l'affirmative, la grève lancée par les syndicats pour dissuader leur employeur de s'établir en Estonie aurait apporté une restriction justifiée à la liberté d'établissement.

Ces arrêts ont néanmoins suscité l'inquiétude de la confédération européenne des syndicats (CES), qui y a vu une atteinte au droit fondamental des syndicats à l'action collective.

La proposition de résolution du groupe socialiste exprime la même préoccupation : elle critique une forme de primauté donnée aux droits économiques sur le droit à l'action collective et s'inquiète du risque de dumping social résultant de l'interprétation stricte des termes de la directive. Elle condamne l'introduction d'un critère de proportionnalité pour évaluer l'action des syndicats. Elle appelle à une révision de la directive de 1996 et à un renforcement des moyens de contrôle, ainsi qu'à l'inclusion, dans les traités, d'une clause de progrès social.

a dit partager certaines des observations formulées par la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution.

Est-il, d'abord, opportun de demander une révision de la directive sur le détachement de travailleurs ? Cette solution semble, à première vue, la mieux à même de renforcer la protection des travailleurs. Toutefois, il est peu probable qu'une renégociation aboutisse à un renforcement des droits des salariés, les Etats où les salaires sont les plus faibles n'ayant guère intérêt à s'engager sur cette voie. En outre, les Etats membres concernés par les trois affaires ne réclament pas une révision de la directive : ils ont plutôt choisi d'adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire. En revanche, il serait envisageable de compléter la directive par un règlement d'application, qui préciserait son interprétation, et de renforcer les moyens de contrôle.

Sur la question du droit syndical, on peut juger un peu excessive l'affirmation selon laquelle une hiérarchie des normes aurait été établie au détriment des syndicats et au profit de la liberté économique des entreprises. En réalité, la CJCE invite à opérer une conciliation entre ces différents droits et libertés.

En ce qui concerne le principe de proportionnalité, il reste à apprécier l'application qu'il trouvera en droit français. S'il consiste simplement à sanctionner l'abus du droit de grève ou le comportement fautif des grévistes, il est compatible avec notre droit national.

Les signataires de la proposition de résolution suggèrent enfin d'insérer une clause de progrès social dans le traité de Lisbonne, afin d'affirmer la supériorité des droits sociaux fondamentaux sur les libertés économiques. Ce traité est finalement entré en vigueur le 1er décembre 2009, au terme d'un long processus de ratification, et il est douteux que sa modification soit envisagée par les Etats membres avant plusieurs années. Il ne peut donc s'agir là que d'un objectif de long terme. En tout état de cause, l'article 3 du traité sur l'Union européenne consacre déjà avec force la finalité sociale de la construction européenne. Cette base juridique devrait suffire à assurer un équilibre entre les libertés économiques et la protection des droits sociaux.

En conclusion, M. Marc Laménie, rapporteur, a proposé, conformément à l'accord politique passé entre les groupes au sujet de l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat sur proposition d'un groupe d'opposition, de ne pas modifier la proposition de résolution, afin qu'elle soit débattue, en séance publique, dans la rédaction voulue par ses auteurs. Lors d'une prochaine réunion, la commission examinera les amendements à la proposition de résolution qui seraient éventuellement déposés avant son examen en séance publique.

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