Je constate d’ailleurs que nos collègues socialistes vont tenter de poursuivre l’opération s’agissant des textes relatifs aux collectivités territoriales, au travers de l’amendement qui suit.
En réalité, cette question de priorité est sans doute pour le moins curieuse, car il me paraît tout de même naturel que l’assemblée la plus compétente, s’agissant d’un domaine qui relève de sa spécialité, puisse se prononcer en premier afin d’éclairer les députés, qui sont appelés à trancher en dernier ressort. Cela me semble tellement évident que je suis étonné de ces manifestations de susceptibilité !
Le vrai problème n’est pas là : il tient à la politique définie lors de l’élaboration de la Constitution de la Ve République.
En effet, ses rédacteurs ont alors choisi de prendre en compte les Français de l’étranger en décidant qu’ils seraient représentés, comme tous les citoyens, à l’Assemblée nationale, cette dernière représentant tous les Français, quel que soit leur lieu de résidence. Le Sénat représente, lui, les collectivités de citoyens, autrement dit les collectivités territoriales.
Il se trouve que, à cette époque, il a été décidé de permettre aux Français de l’étranger de s’inscrire sur les listes électorales en France dans une commune de rattachement et de participer à l’élection des députés par ce biais.
C’est pourquoi les Français de l’étranger ont aujourd'hui des députés ! Il ne faut pas croire qu’ils sont privés de représentation nationale : ils sont représentés par des députés élus dans les départements de la République française.
Par ailleurs, si les Français de l’étranger sont représentés à l’Assemblée nationale en tant que citoyens, force est de constater qu’ils ont une spécificité tout à fait particulière, et, aux termes de l’article 24 de la Constitution, il a été reconnu qu’ils formaient non pas une collectivité territoriale, mais une collectivité de fait, et qu’à ce titre ils devaient être représentés au Sénat.
Le fait qu’ils soient représentés par des députés spécifiques ne change rien : les Français établis hors de France constitueront toujours demain une collectivité de fait, qui va d’ailleurs être renforcée par la création de députés et qui devra naturellement se transformer en une collectivité de droit.
Il ne manquait aux Français de l’étranger que la création de sièges de député pour que les attributs d’une collectivité de plein exercice – une collectivité extraterritoriale, bien entendu – soient réunis. Aucun citoyen français ne peut être privé de l’appartenance à une collectivité publique de la République.
Pour l’instant, les Français établis hors de France relèvent des communes, mais, dès lors qu’ils voteront pour élire des députés spécifiques, comment justifier qu’ils puissent continuer très longtemps à participer à la désignation des conseillers généraux, des conseillers régionaux, des conseillers municipaux ?
Par conséquent, c’est un problème de fond qui se pose. L’Assemblée nationale l’a parfaitement compris, puisqu’elle reconnaît que si, de par la Constitution, Saint-Martin et Saint-Barthélemy doivent avoir des sénateurs spécifiques en tant que collectivités, elles n’ont pas forcément à avoir de députés spécifiques, et que la situation actuelle, avec une circonscription englobant une partie de la Guadeloupe, pourrait être maintenue.
Telle est en tout cas la position qu’ont adoptée un certain nombre de députés.
Dans ces conditions, il est évident que traiter de manière différenciée, à l’article 39 de la Constitution, les Français établis hors de France remet en cause l’émergence, que j’appelle de mes vœux et qui doit être organisée autour de l’Assemblée des Français de l’étranger élue au suffrage universel, de la collectivité formée par cette catégorie de nos compatriotes, une collectivité d’outre-frontières, certes extraterritoriale, mais néanmoins publique.
Cette remise en cause est très indirecte. Je reconnais que plus aucune spécificité n’est indiquée à l’article 24 de la Constitution pour le Sénat, mais, pour autant, cette spécificité, comme je viens de le démontrer, existera toujours demain.
Il est donc quelque peu regrettable, mes chers collègues, que, pour des raisons de susceptibilité aucunement fondées, puisque ce sont les députés qui ont le dernier mot et qui doivent être éclairés en connaissance de cause avant de prendre leur décision finale, la collectivité des Français établis hors de France se voit appliquer un traitement différent de celui qui est réservé aux collectivités territoriales.
Plus grave encore, alors que nous avons, en 2003, modifié la Constitution de façon à préciser que la France est organisée de manière décentralisée, les Français établis hors de France, qui sont au nombre d’environ 2, 3 millions, sont les seuls à ne pas être encore organisés ainsi dans leur vie quotidienne, c’est-à-dire pour ce qui n’a rien à voir avec les pouvoirs régaliens de l’État.