Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 mars 2011 : 1ère réunion
Réserves militaires et civiles — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, rapporteur de la proposition de loi :

J'ai conduit quelques auditions afin de m'assurer que le texte ne suscitait pas d'objections, pour constater, in fine, qu'il emportait au contraire une large adhésion. Je félicite, encore une fois, ses auteurs, dont le travail, considérable, honore le Parlement.

Le travail de nos collègues a fait l'objet, au cours de la mission, d'un dialogue fourni au sein d'un groupe de travail animé par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui a bien voulu assurer avec les services du Sénat une coordination interministérielle. Je ne peux que me féliciter de cette collaboration en bonne intelligence entre l'exécutif et le législatif : la méthode mérite d'être reproduite.

Il faut aujourd'hui rompre avec la vision de la réserve qui était celle du XXe siècle : les conflits ont changé de nature, et les textes sont désormais largement obsolètes. Ainsi, avec la professionnalisation des armées, le régime de la mobilisation générale, tel qu'il fut utilisé en 1914, puis en 1945, comme celui de l'état d'urgence, qui prévalut en Algérie, n'a plus lieu d'être. Avec la disparition -jusqu'à nouvel ordre- de la conscription, le vivier de recrutement que constituait la réserve est aujourd'hui caduc.

Nous avons, au surplus, besoin de réserves faites essentiellement pour être utiles à ceux qui les emploient : il faut pouvoir convoquer ceux-là seuls dont on a besoin pour assurer la continuité du service public, principe dont les deux auteurs du rapport ont montré l'importance. Il ne s'agit de rien moins que d'assurer la résilience de la nation pour garantir aux citoyens les services publics dont ils ont besoin.

Depuis l'adoption du Livre Blanc, nombre de dispositions ont été prises destinées à améliorer la gestion des crises et marquées par le souci d'assurer une action interministérielle efficace dans la logique du concept de continuum sécurité-défense. Cette proposition de loi reste dans la ligne, en intégrant l'ensemble des réserves, militaires et civiles.

Le dispositif qui nous est proposé est pragmatique. Il répond aux besoins concrets de nos armées comme de nos services de sécurité et de secours. Il est souple, puisqu'il ouvre au Premier ministre la faculté de permettre aux administrations gestionnaires de mobiliser selon leurs besoins.

On pourrait m'objecter qu'il est paradoxal d'introduire une forme de contrainte dans un régime qui relève, par essence, du volontariat. Le volontariat dans la réserve ne se situe pas seulement au moment de la souscription à un contrat, mais au niveau de chaque convocation. Le réserviste est à chaque instant en mesure d'accorder ou non son temps. La réserve est ainsi fondée sur un double volontariat par lequel le réserviste accepte, d'une part, de consacrer du temps à la réserve et, d'autre part, d'y effectuer telle ou telle mission. Dans ce contexte, la proposition de loi vient temporairement rompre cet équilibre, puisqu'elle permet, en cas de crise majeure, de contraindre le réserviste à répondre présent et à servir les autorités dont il dépend au titre de son engagement volontaire. Le réserviste reste un volontaire, car il a librement consenti son engagement dans la réserve, mais il est, en cas de circonstances exceptionnelles, requis d'accepter la mission qu'on lui confie au nom de l'intérêt supérieur du pays plongé dans une crise majeure.

Je vous proposerai, en conséquence, d'adopter en l'état les articles 1 et 2. Sur les articles 3 et 4, relatifs aux dispositions fiscales, je serai, en revanche, plus circonspect. Sur le fond, j'estime justifié de proposer une compensation aux entreprises qui acceptent de se séparer de leur salarié au moins vingt jours par an. C'est là un acte de patriotisme qui mérite reconnaissance, mais la carotte fiscale, outre qu'elle sera complexe à mettre en oeuvre, comme en témoigne le fait que des dispositifs analogues n'ont jamais bénéficié à personne, me laisse sceptique. Sachant de quoi il est question, est-ce bien au titre du mécénat qu'il convient de rétribuer ce...sacrifice ? Le choix me semble peu conforme à la situation. Les représentants du Medef, qui avaient d'abord milité en faveur de cet expédient, sont aujourd'hui dubitatifs. On peut craindre, au reste, que notre commission des finances doive y voir une nouvelle niche fiscale. Sans compter qu'à l'heure où l'on entend réserver constitutionnellement à la loi de finances toute mesure fiscale, ce doit nous être une obligation que de nous conformer à cette règle de bonne gestion, qui s'impose à l'exécutif.

Je suggère donc de supprimer ces deux articles, pour réfléchir plus avant à la portée d'un dispositif auquel il nous appartiendra de revenir en loi de finances.

Je vous propose en revanche un nouvel article pour adjoindre à la proposition de loi un toilettage du dispositif dit « du service de défense ».

Le texte de nos collègues prévoit, lorsque le dispositif de réserve de sécurité nationale est déclenché, que les réservistes sont dans l'obligation de rejoindre leur affectation. Les réservistes employés au sein d'une entreprise ou d'une administration dont le fonctionnement est jugé essentiel au bon fonctionnement du pays peuvent néanmoins, dans le texte proposé, déroger à cette obligation.

En cas de mobilisation des réservistes, ces salariés, dans le domaine des télécommunications, des transports et de l'énergie, ne doivent pas être réquisitionnés. Ils doivent contribuer, dans leur poste, à la gestion de la crise et au rétablissement de la situation au sein de leur entreprise.

Or, la préoccupation de pouvoir disposer du personnel nécessaire pour assurer la continuité de l'action des services de l'Etat et des opérateurs dont les activités contribuent à la défense de la France est au coeur du dispositif dit «de service de défense ». La proposition de loi ne modifie pas ce dispositif. Pourtant, il est aujourd'hui nécessaire de le rénover.

Dès 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale soulignait que « ce système, créé à la fin des années 1950, souffre, sous sa forme actuelle, d'insuffisances importantes. Bien qu'adapté en 1999, il n'est pas mis en oeuvre. Son dispositif juridique le lie étroitement à des situations, comme la mobilisation, devenues aujourd'hui improbables ».

Le secrétaire général de la défense nationale a attiré mon attention sur la nécessité de rendre ce dispositif opérationnel.

Rénover ce dispositif présente, en effet, l'intérêt de bien coordonner les obligations qui résulteront du service de défense avec celles liées au dispositif de réserves de sécurité nationale, mais aussi de rendre opérationnel un mécanisme essentiel à la capacité des pouvoirs publics et des opérateurs d'importance vitale à résister aux conséquences d'une agression ou d'une catastrophe majeure. Souvenons-nous des « affectés spéciaux » de 1916, ces personnels indispensables que l'on finit par renvoyer, comme de juste, aux industries de guerre auxquelles ils appartenaient ?

Je vous proposerai, pour en prendre acte, une modernisation du dispositif et un changement d'appellation, le service de défense prenant celle de « service de sécurité nationale », conformément aux recommandations du Livre Blanc.

En conclusion, je voudrais souligner plusieurs points. Le texte de la proposition de loi pose plus largement la question de la qualification du besoin des pouvoirs publics en matière de réserve, des emplois qui peuvent être confiés à des réservistes, des qualifications, compétences et des formations requises et enfin, sur ces bases, du format souhaitable de chacune des réserves. La puissance publique n'a pas besoin d'immenses bataillons, mais de gens utiles, formés, et facilement insérables dans les dispositifs existants. Nos armées ne peuvent plus compter sur la réserve de conscription : il faut adapter la réserve militaire à cette nouvelle configuration.

Ce texte doit s'accompagner d'une révision de la politique de réserve.

Or à ces questions-là, les pouvoirs publics n'ont pas encore de réponses suffisamment étayées. A commencer par les armées qui, légitimement, ont concentré l'essentiel de leur action sur la transformation en cours des forces d'active, sans totalement abandonner, qui plus est, les anciens schémas de la réserve de conscription.

Je crois que ce texte doit être accompagné d'une remise à plat de la politique des réserves qui permette de préciser les besoins, les emplois et le format des réserves dont les pouvoirs publics ont besoin, d'améliorer la gestion quotidienne des réserves, de réfléchir à une refonte du contrat d'engagement des réservistes.

On ne peut que constater le caractère ambigu du contrat passé entre le réserviste et les armées : ambiguïté quant aux obligations réciproques des deux parties, ambiguïté quant au statut de l'employeur qui, sans être partie au contrat, s'y trouve de fait engagé.

Les deux rapporteurs de notre mission ont relevé la disparité des mesures de convocation -elles sont ainsi différentes pour les réservistes de l'armée et ceux de la police. Il n'est pas rare que les employeurs ne sachent pas à quel type de réserviste ils ont affaire, ni même s'ils sont dits « disponibles ». Tout cela est source de bien des agacements, qui prédisposent les réservistes à cacher leur appartenance à la réserve, pour ne pas être pénalisés, alors qu'ils ne visent qu'à rendre service au pays. Il est pour le moins anormal qu'il faille se cacher pour servir son pays. Cette situation de clandestinité jette, par ailleurs, un doute sur l'efficacité du dispositif en cas de crise.

Vous aurez compris, Monsieur le ministre, au travers de l'ensemble de mon propos, que le chantier est loin d'être négligeable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion