Intervention de Muguette Dini

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 mai 2011 : 1ère réunion
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Muguette DiniMuguette Dini, rapporteure :

Je salue la présence de Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois, qui a elle-même examiné, la semaine dernière, ce texte important, complexe et controversé.

La prise en charge des personnes souffrant de maladies mentales doit respecter un juste équilibre entre la nécessité de soigner le malade dans les meilleures conditions, la protection du malade contre lui-même, la préservation de la sécurité des personnes - parfois menacée par le comportement de certains malades - et l'obligation de ne limiter la liberté que dans des proportions strictement nécessaires pour éviter que le patient ne nuise à lui-même ou à autrui. Dans cette matière particulièrement délicate, le législateur - comme dans le champ de la bioéthique - doit faire preuve d'une grande prudence.

Le statut des malades mentaux a été défini pour la première fois par la loi du 30 juin 1838, qui a fait obligation à chaque département d'avoir un établissement public spécial destiné à recevoir et à soigner les aliénés. Cette loi a défini le régime du placement à la demande de l'entourage, sur avis d'un médecin ne devant pas travailler dans l'hôpital destiné à recevoir le malade et n'ayant aucun lien de parenté avec lui ; et le régime du placement d'office, sur décision du préfet, lorsque la dangerosité du malade est avérée. Ce texte est resté en vigueur pendant cent cinquante ans et n'a fait l'objet d'une refonte qu'avec la loi du 27 juin 1990.

La loi du 30 juin 1838 ne connaissait que les modes de placement sous contrainte ; celle du 27 juin 1990 consacre l'hospitalisation libre comme le régime habituel. Le code de la santé publique reconnaît au patient « les mêmes droits liés à l'exercice des libertés individuelles que ceux reconnus aux malades hospitalisés pour toute autre cause ».

Dans la loi de 1990, deux procédures permettent d'hospitaliser une personne sans son consentement lorsqu'elle souffre de troubles mentaux et n'est plus en mesure de donner son consentement : l'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) et l'hospitalisation d'office (HO). L'HDT est possible quand des soins immédiats et une surveillance constante en milieu hospitalier sont nécessaires. Le tiers doit avoir un lien personnel avec le malade. Deux certificats médicaux concordants doivent être produits, le premier ne pouvant être établi par un médecin exerçant dans l'établissement d'accueil. A titre exceptionnel, en cas de péril imminent pour le patient, le seul certificat du médecin exerçant dans l'établissement suffit : confirmation devra être apportée par un psychiatre dans les vingt-quatre heures de l'admission, puis dans les trois jours précédant la fin des quinze premiers jours d'hospitalisation, puis chaque mois.

Quant à l'HO, elle peut être prononcée en cas d'atteinte à la sûreté des personnes ou, de façon grave, à l'ordre public. Un seul certificat est nécessaire, qui ne peut émaner d'un psychiatre de l'établissement d'accueil.

Dans les deux cas, l'hospitalisation peut être interrompue par des sorties d'essai décidées, dans l'HDT par un psychiatre de l'établissement, dans l'HO par le préfet sur proposition du psychiatre. Leur durée est de trois mois mais le renouvellement est possible autant de fois que nécessaire.

Enfin, la levée d'hospitalisation relève du psychiatre en cas d'HDT, mais est automatique si le tiers à l'origine de l'hospitalisation demande sa mainlevée. En cas d'HO, la levée relève du préfet sur proposition du psychiatre.

La loi de 1990 prévoyait un bilan après quelques années. En 1997, le groupe d'évaluation a proposé des évolutions importantes, certaines reprises dans le projet de loi, tels les soins sans consentement en dehors de l'hôpital pour remplacer les sorties d'essai. Le groupe proposait aussi de fusionner HO et HDT et de supprimer le trouble à l'ordre public comme critère de l'hospitalisation. Quelques suggestions seulement, portant sur les droits des patients hospitalisés, avaient été reprises dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Plus tard, en 2005, un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des services judiciaires a lui aussi recommandé la mise en place des soins ambulatoires sans consentement.

En 2006, le Gouvernement a souhaité intégrer une réforme de la seule hospitalisation d'office dans un projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, pour renforcer la place de l'HO par rapport à celle de l'HDT. Le texte confiait au maire la décision d'hospitalisation d'office, le préfet intervenant pour la confirmer, et créait un traitement automatisé des hospitalisations d'office. Des dispositions de cet ordre, inscrites dans un projet de loi sur la prévention de la délinquance, ont suscité de nombreuses protestations ; elles ont été retirées au cours de la navette.

En 2008, à la suite d'un drame survenu à Grenoble, le Président de la République a annoncé un plan de renforcement de la sécurité des hôpitaux psychiatriques, la création de quatre nouvelles unités pour malades difficiles et une réforme de la loi de 1990. Or, en juin 2008, le Gouvernement avait confié à une commission présidée par M. Edouard Couty une réflexion visant à « donner un cadre aux missions et à l'organisation de la psychiatrie et de la santé mentale, intégrant les évolutions et réformes en cours ». Il s'agissait d'examiner les missions de la psychiatrie et de la santé mentale, la démographie médicale et soignante et les collaborations professionnelles, les politiques de santé publique abordées sous l'angle de la santé mentale, la prévention en particulier.

La principale conclusion du rapport de janvier 2009 revêt aujourd'hui une certaine importance : « L'exigence d'une politique de santé mentale alliant l'intégration des malades dans la cité et des prises en charge sécurisées pour la population reste un impératif qui peut apparaître paradoxal. (...) Une loi est nécessaire. Ce texte législatif devrait intégrer les différentes facettes de l'accompagnement et des prises en charge des usagers de santé mentale, des familles et des proches des malades : le repérage et le diagnostic précoces, l'accès aux soins rapide et adapté, le suivi personnalisé et continu, la réhabilitation sociale, la prévention des risques, la recherche autour des déterminants de la santé mentale, l'organisation rénovée de dispositifs nécessaires aux hospitalisations sans consentement, ainsi que l'organisation des soins aux détenus. ».

De son côté l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps), dont le rapporteur était Alain Milon, avait demandé au centre national de l'expertise hospitalière (CNEH) une étude sur la prise en charge psychiatrique en France. L'office a publié, en avril 2009, un rapport qui recommandait l'organisation d'états généraux de la santé mentale puis un projet de loi sur la santé mentale susceptible d'adapter l'organisation territoriale de la psychiatrie aux besoins de la population.

Le 5 mai 2010, le Gouvernement a déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi portant exclusivement sur la question des soins sans consentement. Le 28 novembre 2010, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a estimé que l'absence de contrôle judiciaire systématique sur les décisions d'hospitalisation à la demande d'un tiers était contraire à la Constitution. Il a, en conséquence, imposé la mise en place d'un tel contrôle juridictionnel avant le 1er août 2011.

Le Gouvernement a alors déposé devant l'Assemblée nationale, le 26 janvier dernier, une lettre rectificative à son projet de loi de mai 2010, prévoyant une intervention du juge sur toutes les mesures d'hospitalisation sans consentement, dès lors qu'elles durent plus de quinze jours. Ce texte a été examiné par l'Assemblée nationale au mois de mars et nous est maintenant soumis. Ses dispositions doivent impérativement entrer en vigueur le 1er août prochain.

En premier lieu, le texte a pour objectif de diversifier les formes de prise en charge des malades faisant l'objet de soins psychiatriques sans leur consentement. Aujourd'hui, seule existe l'hospitalisation complète. Le texte dissocie l'obligation et les modalités. Un régime de « soins sans consentement » est ainsi substitué au régime de l'hospitalisation sans consentement. Il inclurait obligatoirement des soins ambulatoires mais pourrait comprendre des soins à domicile ou des séjours en établissement psychiatrique.

Un protocole de soins serait établi dans les soixante-douze heures de l'admission par un psychiatre de l'établissement. Il définirait le ou les types de soins imposés au malade, les lieux de leur réalisation, leur périodicité. Dans tous les cas, la prise en charge d'un malade sans son consentement débuterait par une période d'observation et de soins de soixante-douze heures sous la forme d'une hospitalisation complète. Deux certificats médicaux devraient alors évaluer la nécessité de soins sans consentement : le premier dans les vingt-quatre heures suivant l'admission, le second dans les soixante-douze heures. Un psychiatre de l'établissement proposerait alors, dans un avis motivé, la forme de prise en charge et le protocole de soins ambulatoires.

En cas d'admission à la demande d'un tiers, le directeur de l'établissement aurait compétence pour retenir la forme de prise en charge proposée par le psychiatre. En cas d'admission sur décision du représentant de l'Etat, le préfet aurait compétence pour décider la forme de prise en charge en tenant compte de la proposition établie par le psychiatre et des exigences liées à la sûreté des personnes et à l'ordre public.

En deuxième lieu, pour tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le projet de loi modifie les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention (JLD) contrôlera les mesures de soins sans consentement. La saisine du juge est prévue, comme actuellement, à l'initiative de la personne faisant l'objet d'une mesure de soins sans consentement, ou d'autres personnes intéressées, aux fins d'ordonner la levée de cette mesure ; mais aussi, de façon obligatoire, à l'initiative du directeur de l'établissement ou du préfet, aux fins de contrôler la nécessité du maintien en hospitalisation complète, avant l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de l'admission, puis tous les six mois. Le juge statuera après débat contradictoire. L'audience pourrait prendre la forme d'une visioconférence.

Les ordonnances du juge pourraient faire l'objet d'un appel devant le Premier président de la cour d'appel ou son délégué - et cet appel pourrait revêtir un caractère suspensif si le juge ordonnait la mainlevée de l'hospitalisation. Par ailleurs, l'Assemblée nationale a prévu une saisine obligatoire du juge des libertés lorsque le préfet refuse de faire droit à une demande de levée de soins psychiatriques émanant du psychiatre.

En troisième lieu, le projet de loi met en place des procédures particulières pour la sortie des soins sans consentement des personnes ayant été déclarées pénalement irresponsables ou ayant fait un séjour en unité pour malades difficiles (UMD). Un collège de soignants composé de trois membres appartenant au personnel de l'établissement - un psychiatre participant à la prise en charge du patient, un psychiatre n'y participant pas, un membre de l'équipe pluridisciplinaire - se prononcerait avant la levée des soins. En outre, deux expertises devraient être réalisées par des psychiatres extérieurs à l'établissement. L'Assemblée nationale a complété ce dispositif pour prévoir qu'il ne s'appliquerait plus après une certaine durée, fixée par décret en Conseil d'Etat.

Enfin, le projet de loi crée une nouvelle procédure d'hospitalisation en cas de péril imminent sans demande d'un tiers. Elle vise les personnes isolées ou les cas dans lesquels la famille peine à formuler une demande d'hospitalisation. Le texte renforce le droit à l'information des patients concernés ; il procède à une réécriture des dispositions du code de la santé publique relatives à l'hospitalisation sans consentement des détenus, sans toutefois en modifier le contenu.

J'ai procédé, avec plusieurs d'entre vous, à de nombreuses auditions : représentants des malades et des familles, psychiatres, infirmiers, directeurs d'établissements, magistrats, avocats, représentants des préfets, des pompiers, etc. Je me suis également rendue au centre psychiatrique du Bois de Bondy ainsi qu'au centre hospitalier de Saint-Cyr au Mont d'Or dans le Rhône.

Tout d'abord, je constate que ce projet de loi n'est pas la loi de santé mentale qui avait été préconisée par la commission Couty et le rapport Opeps.

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