Intervention de Muguette Dini

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 mai 2011 : 1ère réunion
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Muguette DiniMuguette Dini, rapporteure :

Le projet de loi initial ne contenait rien sur l'organisation territoriale de la psychiatrie. Or l'essentiel est pourtant d'assurer le suivi du patient. Les drames surviennent lorsqu'il est perdu de vue, qu'il ne vient plus aux consultations... A quoi bon de nouvelles formes de soins sans consentement si nous ne disposons pas d'un maillage solide et homogène sur le territoire pour le suivi ?

C'est ainsi que l'Assemblée nationale a confié à l'agence régionale de santé (ARS) la responsabilité d'organiser la gestion des urgences psychiatriques en partenariat avec le Samu, les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), les forces de police et de gendarmerie, ainsi que les transporteurs sanitaires agréés. Elle a prévu des conventions établies à l'initiative des directeurs d'établissements psychiatriques avec les préfets, les collectivités territoriales et les ARS sur le suivi et l'accompagnement des patients en soins ambulatoires sans consentement.

Certes, le Gouvernement nous annonce un plan de santé mentale pour l'automne, mais le Parlement est appelé à se prononcer sur le projet de loi sans connaître le contenu du plan ! Une loi nouvelle devrait toujours tendre à simplifier et clarifier les règles, poser des principes à la fois applicables par les professionnels et compréhensibles par les citoyens. Une loi plus large et plus complète serait l'occasion d'un débat approfondi sur l'organisation et l'avenir de la psychiatrie dans notre pays.

Néanmoins, certaines dispositions du projet de loi méritent d'être soutenues. L'introduction d'un contrôle juridictionnel sur les mesures d'hospitalisation sans consentement est unanimement saluée comme un progrès essentiel pour le respect des droits des patients. Le Conseil constitutionnel l'a souligné, il est paradoxal que les personnes dont les facultés sont altérées soient les seules dont la privation de liberté n'est pas soumise au contrôle du juge judiciaire.

Ce contrôle entrera en vigueur dès le 1er août prochain : les difficultés pratiques sont inévitables. Des postes de magistrats et de greffiers vont être créés, mais les titulaires ne seront pas opérationnels à temps. L'organisation des audiences sera compliquée. Le Gouvernement a donc prévu la visioconférence - laquelle risque de devenir systématique pour éviter de transporter les malades au tribunal. Mais toutes les personnes que j'ai interrogées sont hostiles à ce système qui posera des problèmes insurmontables. Pourquoi accorder un nouveau droit tout en retenant des modalités qui le rendent inopérant, voire néfaste pour la santé du patient ? Transporter tous les malades jusqu'au lieu de l'audience apparaît humainement impossible. Et il faut imaginer plusieurs malades attendant leur tour de passer devant le juge, tous en crise psychiatrique majeure, souvent accompagnée d'agitation et de violence... On imagine mal la police intervenir pour maîtriser ou pire, pour menotter l'un d'eux.

Je pensais donc vous proposer un amendement, mais celui de Jean-René Lecerf me paraît excellent, qui subordonne l'utilisation de la visioconférence à une autorisation médicale, prévoit la possibilité pour le juge de se déplacer pour tenir l'audience à l'hôpital et la possibilité du huis clos, au nom du secret médical et pour échapper à l'indiscrétion des médias ou la curiosité du public. N'oublions pas que le juge interroge le malade non sur ce qu'il a fait mais sur ce qu'il est.

D'autres mesures me paraissent devoir être approuvées. La création d'une procédure de péril imminent permettant l'hospitalisation d'une personne en l'absence de tiers susceptible de faire la demande comble un vide. On recourt aujourd'hui à l'hospitalisation d'office pour des cas qui n'en relèvent pas. Toutefois, il faudra veiller à ce que les familles ne cherchent pas systématiquement à utiliser cette procédure pour éviter qu'il soit fait état de leur demande.

En ce qui concerne les dispositions spécifiques prévues pour les personnes ayant séjourné en UMD ou ayant été déclarées pénalement irresponsables, je ne considère pas anormal que des précautions particulières soient prises s'agissant de malades qui ont déjà fait preuve de comportements violents, même si je ne suis pas complètement convaincue de la pertinence de ce « ciblage ». Quoi qu'il en soit, le dispositif retenu apparaît discutable : la composition du collège risque d'être problématique. En outre, c'est au Parlement qu'il revient de fixer le délai d'oubli.

J'en viens au point le plus délicat : les soins sans consentement à l'extérieur de l'hôpital, en ambulatoire. Cette idée a été proposée dans plusieurs rapports et semble intéressante. Aujourd'hui, pendant la sortie d'essai, le patient hospitalisé sans consentement reste sous le régime d'HO ou d'HDT. Il ne semble pas illégitime de prévoir des soins sans consentement autres que l'hospitalisation. Toutefois, quand il s'agit de préciser le régime concrètement, de multiples interrogations se font jour.

Le projet de loi reste très vague sur le contenu du protocole de soins et renvoie à un décret en Conseil d'Etat. Le malade sera-t-il partie prenante à ce protocole ? Quelle fiabilité aura l'engagement de quelqu'un dont l'adhésion au protocole sera le meilleur moyen de sortir de l'hôpital ? Que se passera-t-il après ? Qui aura accès à ce protocole ? Comment pourra-t-il évoluer ? Que fera-t-on si la personne refuse d'ouvrir sa porte ? Quels types de soins seront prodigués ? Autant de questions sans réponse.... Surtout, le contrôle systématique du juge n'est pas prévu alors même que le protocole comportera des mesures très contraignantes.

Tous les médecins le disent, le consentement du malade est à rechercher en permanence car il est la condition essentielle d'une amélioration de son état. Les soins sans consentement en dehors de l'hôpital suscitent donc beaucoup d'inquiétudes. Feront-ils diminuer le nombre des hospitalisations sans consentement ou viendront-ils s'y ajouter ? Le groupe d'évaluation de la loi de 1990, en 1997, suggérait des soins sans consentement en ambulatoire, mais appelait à éviter tout amalgame avec les injonctions de soins et les mesures pénales de suivi sociojudiciaire. Or, le projet de loi n'évite pas cet écueil. Le préfet pourra transformer l'hospitalisation sans consentement en soins ambulatoires en l'absence de toute demande par un psychiatre. Au nom de quoi ? Le préfet peut refuser une levée d'hospitalisation pour un motif de sécurité, mais comment pourrait-il ordonner l'élaboration d'un protocole de soins ? Aujourd'hui, il ne peut prononcer de sa propre initiative une sortie d'essai.

Ces nouvelles dispositions entraînent l'instauration d'une période d'observation de soixante-douze heures en hospitalisation complète qui suscite, elle aussi, beaucoup d'interrogations. Et qui a pour effet de multiplier les certificats médicaux produits par les psychiatres.

Les soins sans consentement sous une autre forme que l'hospitalisation n'ont pas fait l'objet d'une réflexion ni d'une concertation suffisamment approfondies. Ils sont trop novateurs pour être créés dans un texte qui doit impérativement entrer en vigueur dans trois mois. Si le changement est seulement sémantique, il est inutile ; si la modification a une portée réelle, nous n'en percevons pas l'ampleur exacte.

Restons-en aux hospitalisations sans consentement avec sorties d'essai, dans l'attente d'une réflexion globale sur l'avenir de la psychiatrie et son organisation. Notre responsabilité de législateur nous commande la prudence lorsqu'il s'agit d'une question aussi fondamentale que la prise en charge des personnes les plus vulnérables, celles qui ne sont pas en mesure d'apporter un consentement libre et éclairé aux soins qu'il est nécessaire de leur prodiguer.

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