Intervention de Alain Rousset

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 12 octobre 2010 : 1ère réunion
Fonctionnement des instances de dialogue entre l'état et les collectivités territoriales — Débat d'orientation

Alain Rousset :

On a besoin de lieux de dialogue. Notre pays est bâti sur un modèle jacobin avec des corps d'État qui se défendent aujourd'hui face à la décentralisation et qui ont peur de perdre une part de leur existence professionnelle.

L'intervenant précédent évoquait les comparaisons européennes. Nous sommes le seul pays en Europe à maintenir un système napoléonien. Vous n'avez aucun pays où les corps d'État doublonnent d'une manière aussi massive les responsabilités des collectivités locales. En Espagne, en Allemagne ou en Italie, tout cela fonctionne autrement.

La décentralisation a toujours été un progrès, que ce soit pour les départements, les communes, les intercommunalités ou les régions. Les services publics qui ont été transférés de l'État aux collectivités locales étaient dans un état catastrophique ; il a fallu que les collectivités territoriales fassent un effort considérable et je trouve désagréable qu'on mette en cause cet effort. Parce que cet effort a été réalisé par toutes les collectivités, que ce soit les départements, les régions ou les communes, que les élus aient été de droite ou de gauche, et dans tous les secteurs, que ce soit pour les lycées, les collèges, les trains ou le développement économique.

Par ailleurs, l'État croit attendre de nous des subventions et non des politiques ; or, les collectivités locales aujourd'hui conduisent des politiques.

Ensuite, malgré trente ans de décentralisation, la clarification des relations entre l'État et les collectivités locales, et singulièrement avec les régions, n'est toujours pas faite. Dans le budget des régions, l'État représente une part de plus en plus importante (pour la région Rhône-Alpes, 30 %). Avec la ligne grande vitesse, ce sera bientôt plus de 30 % pour les régions Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes et Aquitaine. Aujourd'hui, les doublons ne sont pas entre les collectivités locales entre elles. Le problème des doublons d'ingénierie, donc du coût et du temps de la décision publique, est entre l'État et les collectivités locales, et singulièrement entre l'État et les régions. C'est pour cela qu'il y a des tensions.

En 2001, le Président de la République actuel disait que la réforme de l'État dépendait de la décentralisation. Comme il n'y a pas de nouveau dans la décentralisation, il n'y a pas de réforme de l'État. La RGPP n'est qu'une réduction des effectifs. L'État n'a pas de stratégie économique, il a une stratégie de ressources humaines. Il veut garder sur le territoire la compétence de gestion des fonds européens, mais il n'arrive plus à le faire parce qu'il n'a plus assez de monde. Et comme ce n'est pas lui, mais les collectivités locales, qui met les contreparties, quand il veut garder la compétence de gestion des fonds européens, cela coûte plus cher et retarde les dossiers. Il n'y a pas de stratégie politique de réforme de l'État dans notre pays. Certes, il peut y avoir parfois des collectivités locales qui ne sont pas parfaites, mais, sur la gestion de leurs finances, elles ont toutes été bien gérées. Il n'y a que l'État qui emprunte pour payer ses fonctionnaires.

On n'avait jamais vu dans notre histoire démocratique un Gouvernement qui attaque les collectivités locales, ce qui peut expliquer des tensions.

Il y a eu des tentatives faites pour développer le dialogue. Le CFL fonctionne bien. Tout le monde y participe. La CCEN et la CCEC permettent aussi un travail en profondeur. En revanche, il y a une insatisfaction totale des élus face à la CNE, qui n'est qu'un lieu de discours où il n'y a pas de dialogue. Chacun y vient pour dire son texte, on n'y discute pas du fond. On n'a jamais discuté, par exemple, des entreprises en difficulté, comme cela se passe en Allemagne, en Espagne, en Italie, dans tous les pays démocratiques, compte tenu de la part des régions dans l'action économique. Il y a une espèce d'autisme du Gouvernement et de l'État, comme si le dialogue pouvait passer par les préfets. On a l'impression que le Gouvernement et l'État ne traitent pas les collectivités locales en adulte. La CNE ne fonctionne pas bien, ce n'est pas la bonne instance de dialogue.

Ces difficultés sont aggravées par la crise profonde que traverse l'État : crise identitaire, crise financière et crise politique. Crise identitaire, car l'État n'est plus stratège. Il fonctionne par appel à projets. L'État attend du terrain des réponses à une politique qu'il ne formule plus. Aujourd'hui, on ne sent plus l'État comme portant de grandes politiques scientifiques, technologiques, industrielles, scientifiques.

La crise financière aggrave les rapports entre l'État et les collectivités locales, non pas parce que l'État doit intervenir partout (je ne suis pas de ceux qui critiquent le désengagement de l'État, au sens laisser faire les collectivités locales : ce n'est plus à l'État de s'occuper des pistes cyclables, des aménagements de bourgs ou de je ne sais quel problème territorial). La réforme des finances locales ne s'est pas faite avec nous. Les collectivités locales ont représenté 44 milliards sur le plan de relance alors que l'État a représenté 4 milliards. Pourtant, nous n'avons pas été consultés sur la réforme de la fiscalité locale. Nos associations sont reçues, mais jamais consultées. J'ajouterai qu'aucun compte n'a été tenu des nombreux rapports : rapports Lambert, Warsmann, Belot. Si je prends l'exemple du conseiller territorial, vous constaterez qu'il n'émane d'aucun travail d'expert, démocratique ou économique.

Nous n'avons pas procédé à la clarification des compétences. Là encore, il y a un réel problème, non pas entre les collectivités locales entre elles, mais entre les collectivités locales et l'État.

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