Intervention de Claudy Lebreton

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 12 octobre 2010 : 1ère réunion
Fonctionnement des instances de dialogue entre l'état et les collectivités territoriales — Débat d'orientation

Claudy Lebreton :

Je vais d'abord faire un retour trente ans en arrière. En 1980 : le conseil régional n'existait pas, les communautés de communes et les communautés d'agglomération non plus, et les décisions de l'assemblée départementale étaient mises en oeuvre par le préfet. Le 2 mars 1982 est adoptée la première loi de décentralisation. Le président de l'assemblée départementale est devenu maître de l'ordre du jour, a été investi de réelles responsabilités, dispose d'une administration, si bien que nous avons aujourd'hui une collectivité locale qui n'a rien à voir à ce qu'elle était dans les années 1970.

Il y a eu ensuite la création des régions, des communautés d'agglomération et de communes.

Le paysage territorial a donc profondément changé en l'espace de quelques années et ce serait intéressant d'apprécier, sur le plan quantitatif et qualitatif, cet apport de la décentralisation. Des rapports existent, ils sont objectifs et convergent souvent : la démocratie territoriale y a gagné, les libertés locales s'y sont épanouies, l'efficacité de l'action publique a été au rendez-vous et tout cela avec des budgets maîtrisés, sous le contrôle du citoyen. Le sens et la volonté d'alors étaient de redonner les pouvoirs au citoyen par une proximité, par une démocratie locale proche de l'ensemble des hommes et des femmes qui vivaient sur notre territoire ; c'est la décentralisation.

Pour autant, le jacobinisme dans notre pays a encore de beaux jours. Souvenez-vous des préfets, qu'on a un temps voulu appeler les commissaires de la République, souvenez-vous de l'extrême résistance aux changements d'alors. Aujourd'hui, la relation des élus avec l'administration de l'État déconcentrée a beaucoup changé. Nos administrations locales sont composées de personnes de grande qualité qui ne souffrent d'aucun complexe à l'endroit de l'administration d'État, qu'elle soit centrale ou territorialisée.

Ensuite, je veux aborder cette question en regardant au-delà de nos propres frontières nationales. A l'ADF, dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales et de la fiscalité, nous avons produit des rapports assez exhaustifs sur l'organisation territoriale des 27 pays de l'Union européenne : dans les 27 il y a le niveau local ; 19 pays européens ont le niveau intermédiaire ; seulement 8 pays ont le niveau régional en tant que collectivité territoriale légitimement élue au suffrage universel direct. On retrouve, la plupart du temps, le niveau régional dans les pays les plus peuplés d'Europe. Tous les grands pays européens ont trois niveaux de collectivité territoriale.

Il faut aussi regarder les compétences, y compris les finances publiques et la fiscalité. Les collectivités, c'est précisément 213 milliards 800 millions d'euros, alors que le budget de l'État qui va être discuté au Parlement en recettes est de 336 milliards 500 millions. Si une évolution de la décentralisation devait se poursuivre, le temps viendrait, peut-être, où le budget des collectivités locales pourrait être supérieur au budget de l'État lui-même, parce qu'on aurait compris qu'un certain nombre de compétences sont mieux assurées en proximité qu'elles ne le sont au niveau local. Dans le cadre du débat sur la clarification des compétences, on parle surtout de la clarification des compétences entre collectivités ; il faut aussi mettre dans le jeu clarification des collectivités et de l'État lui-même.

Troisième point : quand on parle du dialogue, on fait souvent une confusion entre l'État et le Gouvernement. Le problème de la relation se pose entre les collectivités et les représentants politiques de notre pays ; ce n'est pas pareil que le dialogue avec les administrations de notre pays, administrations centrales et déconcentrées. Les élus organisés au niveau national rencontrent les grandes directions, la DGCL, la DGFiP, mais il y a aussi des relations avec le Gouvernement. Et, localement, les élus et les collectivités ont des relations avec les représentants de l'État (préfet, sous-préfet,...). La relation avec l'État peut être meilleure que la relation avec le Gouvernement.

Je fais une analyse en trois mots qui me paraissent essentiels : consultation, concertation et négociation. A quelle étape en sommes-nous ? Certainement pas à celle de la concertation, et ne parlons même pas de la négociation. D'autres grandes démocraties européennes ont la culture de la négociation. Par exemple, lorsque le Président du Gouvernement espagnol a envisagé de transférer la compétence de santé aux grandes régions espagnoles, il y eu trois ans de négociations préalables entre le Gouvernement et les représentants des régions ; résultat : la loi a été votée pratiquement à l'unanimité. On aurait pu, sur un sujet aussi important que l'organisation territoriale de la République, conduire une véritable négociation entre les collectivités, leurs représentants et le Gouvernement et je pense qu'on aurait fait faire des progrès énormes à la démocratie territoriale. Il y avait des rapports convergents qui constituaient incontestablement une base de dialogue, voire de négociation. Je crois c'est plus une question d'état d'esprit que d'outils de concertation et de dialogue. Les instruments de négociation sont des éléments essentiels du débat entre l'État, le Gouvernement, les collectivités et leurs représentants, mais il faut un travail sur la modification de l'état d'esprit pour avoir un dialogue de confiance.

Je pose les questions : faut-il institutionnaliser les associations d'élus les plus importantes au niveau des lois de la République ? Faut-il instituer une obligation d'adhérer à ces associations pour les représenter dans le dialogue républicain ? Il faut reconnaître qu'après trente ans les associations sont reconnues. Dans un certain nombre de lois, il est écrit qu'il faut demander l'avis des associations.

Sur les instances de dialogue, il y a le CFL, la CCEN, la CCEC, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale et d'autres. Des outils existent mais ils sont sectoriels : le personnel, les charges, les normes... D'où l'idée de la Conférence nationale des exécutifs, dont le Premier ministre est le président et les présidents des associations les vice-présidents. Mais c'est devenu une instance de proclamation sans dialogue. On pourrait lui donner une importance plus grande si on avait la volonté de la faire vivre collectivement. Sans multiplier à l'extrême les groupes de travail, il ne serait pas inconvenant que certains membres du Gouvernement chargés de portefeuilles qui touchent les collectivités territoriales passent quelque part une demi-journée ou une journée en session plénière avec l'ensemble des collectivités territoriales. Les collectivités territoriales pèsent 213 milliards d'euros et représentent plus d'1 500 000 fonctionnaires, soit 73 % de l'investissement public. Aujourd'hui, plus aucune politique nationale n'est possible sans le concours des collectivités territoriales. C'est la réalité, trente ans après les débuts de la décentralisation. Pour un certain nombre de nouvelles politiques conduites par l'État, le Gouvernement serait bien inspiré de négocier avec les collectivités territoriales. Le plan de relance a eu des effets positifs parce que les collectivités se sont engagées au titre des investissements publics qui ont été largement consommés : c'est une illustration d'un partenariat entre la politique nationale accompagnée, voire soutenue, par les collectivités territoriales.

Je pense qu'on pourrait améliorer les instruments de dialogue existants : leur donner un pouvoir d'avis obligatoire, les doter d'une faculté d'auto saisine...

Je termine sur un exemple : les départements financent les services d'aide à domicile qui relèvent de leur responsabilité à raison de 80 %, et la caisse nationale vieillesse à raison de 20 %. Il y des difficultés financières. Les associations et fédérations avaient demandé au Gouvernement de faire une réunion qui n'a pas abouti. L'ADF, après avoir vu la plateforme des 17 représentants des associations, a travaillé et négocié ; elle vient de valider et nous nous apprêtons à signer une convention avec un certain nombre de propositions. Voilà un exemple de négociation qui pourrait être utile et reproduit.

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