Tout d'abord, le dialogue nécessite l'utilisation de mots qui ne soient pas caricaturaux. Le terme « d'autisme » qui a été utilisé au cours du débat est, selon moi, totalement déplacé.
Le bilan qui vient d'être dressé sur les instances de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales apparaît très négatif. Or, force est de constater un certain nombre d'améliorations, dont on peut tirer quelques enseignements sur les conditions nécessaires pour obtenir un dialogue réussi entre l'État et les collectivités territoriales.
Ainsi, un dialogue structuré et portant sur des questions précises permet des avancées réelles. Ainsi, le Comité des finances locales, créé en 1979, et obligatoirement consulté sur les décrets à caractère financier ou sur la répartition de la dotation globale de fonctionnement, a joué un rôle central lors de la réforme de la DGF en 2004-2005 ou celle des finances locales en 2010, avec notamment la présentation du rapport des inspections générales sur la réforme de la taxe professionnelle et celui de six parlementaires. Il permet, par ailleurs, à travers l'Observatoire des finances locales (OFL), d'avoir une vision objective et partagée de la situation des finances locales.
Le bilan est identique pour la Commission consultative d'évaluation des charges. Depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, elle est composée, ainsi que chacune de ses sections, à parité entre représentants de l'État et élus locaux, et elle est présidée par un élu. Elle s'est réunie à quarante reprises depuis le 10 mars 2005, a examiné 145 projets d'arrêtés sur la compensation des transferts de compétences et en a adopté 139 à l'unanimité. Lorsque des désaccords sont apparus, l'État a sollicité des missions d'expertise de la part des inspections générales avant de demander des arbitrages auprès du Premier ministre, dont un certain nombre ont été favorables aux collectivités. La CCEC a ainsi permis de désamorcer des difficultés naissantes sur un certain nombre de sujets, comme le rappellent le rapport de 2006 de M. Éric Doligé consacré au transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) et des directions départementales de l'équipement (DDE), ainsi que celui de MM. du Luart et Krattinger, fait au nom de votre Délégation en 2010, consacré aux compensations des transferts de compétences, ou encore ceux de M. Thierry Carcenac, en tant que président de la CCEC.
Quant à la Commission consultative d'évaluation des normes, créée par la loi de finances rectificative pour 2007, son bilan est, là encore, très positif. Réunie depuis septembre 2008 à 28 reprises, elle a examiné 346 textes. Mais au-delà des chiffres, elle a surtout permis à l'administration d'État de prendre conscience et de mesurer les impacts financiers des textes règlementaires qu'elle édicte pour les collectivités territoriales. Par ailleurs, lors de la deuxième conférence sur le déficit, le 20 mai 2010, ont été annoncés un moratoire sur la production de normes de la part de l'État et la possibilité pour la CCEN d'examiner le stock existant. Les présidents des trois principales associations nationales d'élus ont été saisis afin de connaître leurs priorités sur les textes qui pourraient être examinés par la CCEN.
Il existe d'autres instances nationales de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, telle que le Conseil national de la fonction publique territoriale (CNFPT). La loi du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale, dont Madame Gourault était rapporteur au nom de la commission des lois du Sénat, a permis la création du collège employeur, réunissant les élus locaux. Cette mesure a été complétée par la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, qui prévoit qu'à compter de 2014, date du prochain renouvellement du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), celui-ci se prononcera par un vote par collège, ce qui obligera les représentants des collectivités à se concerter préalablement pour faire émerger une position commune des employeurs publics territoriaux.
Ainsi, ce bilan nous permet de dégager trois facteurs permettant de favoriser le dialogue entre l'État et les collectivités. Le premier est la contrainte qui s'applique aux administrations de l'État : elles sont soumises à une obligation de consultation de ces instances, qui constitue une formalité substantielle. Ainsi, les administrations sont obligées d'engager un dialogue avec les collectivités sur certains sujets précis. Le second est la constance de ce dialogue, compte tenu de l'organisation régulière de réunions et de l'existence d'un ordre du jour précis. Enfin, le dernier est la confiance, qui implique bonne foi et transparence de la part des administrations.
Cependant, l'absence de formalisme a pu également permettre un dialogue constructif et apaisé entre l'État et les collectivités, compte tenu d'un calendrier serré et d'un objectif précis, qui a nécessité la recherche d'un accord entre les deux partenaires. Il en fut ainsi pour le groupe de travail consacré à la maîtrise de la dépense locale, présidé par MM. Gilles Carrez et Michel Thénault, qui a permis un constat objectif et partagé sur le niveau et les raisons de l'évolution des dépenses des collectivités territoriales depuis les premières lois de décentralisation de 1982-1983.
Les instances formelles citées précédemment souffrent cependant d'un certain nombre de limites, qui tiennent à leur formalisme même : elles ne peuvent agir que dans le cadre des compétences qui leur ont été assignées. Cependant, au sein de la CCEC, lorsque les élus locaux ont souhaité aborder un domaine qui n'entrait pas dans le champ de compétence de la commission, l'administration de l'État a toujours répondu à leurs attentes en leur apportant les éléments de réponse demandés.
Plus globalement, le rapport de MM. Carrez et Thénault identifie deux lacunes principales qui obèrent le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. La première porte sur la dispersion : en effet, le dialogue est structuré sur des thématiques précises, telles que les normes règlementaires imposées aux collectivités ou la compensation des transferts de compétences. Il n'existe pas, entre la CNE et les instances dérivées du CFL, d'instance intermédiaire de dialogue sur les politiques publiques, que ces dernières soient décentralisées ou partagées entre l'État et les collectivités. Ainsi, les relations continuent de s'entretenir, de façon verticale, entre les ministères et les associations nationales d'élus, pour chaque niveau de collectivités territoriales. Ce constat s'apparente à une difficulté pour le ministère de l'Intérieur et la DGCL. C'est pourquoi le rapport de MM. Carrez et Thénault propose la mise en place d'un secrétariat permanent de la CNE, proposition sur laquelle il serait souhaitable que la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat fasse connaître sa position.
La deuxième lacune, également pointée par le rapport de MM. Carrez et Thénault, porte sur l'absence de connaissance partagée des politiques décentralisées entre l'État et les collectivités territoriales. L'appareil statistique de l'État est dispersé entre les différents ministères. Par exemple, c'est la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), direction de l'administration centrale des ministères sanitaires et sociaux, qui dispose de l'ensemble des données statistiques relatives à l'allocation personnalisée d'autonomie, et non la DGCL. Or, cette connaissance partagée des politiques décentralisées est une des conditions indispensable pour réussir un dialogue apaisé entre l'État et les collectivités territoriales.
Dès lors, se pose la question du rôle que pourraient jouer les différents acteurs. Comme je l'ai mentionné, la CNE pourrait se doter d'un secrétariat permanent et il serait utile que la Délégation se prononce sur cette question. En effet, le rôle du Parlement est essentiel sur cette question, d'autant plus qu'il appartient à la loi de définir les modalités de la libre administration des collectivités territoriales et de leurs ressources, conformément aux dispositions de l'article 34 de la Constitution. Dans un État unitaire comme le nôtre, avec une hiérarchie des normes, il revient au législateur de définir qui fait quoi.
S'agissant de la Cour des comptes, l'article 47-2 de la Constitution dispose qu'elle assiste le Gouvernement et le Parlement dans l'évaluation des politiques publiques. Sa mission ne se restreint donc pas aux seules politiques conduites par l'État, mais à l'ensemble de la sphère publique. Cette question, évoquée dans le rapport de M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi portant réforme des juridictions financières, est délicate. Mais tous les acteurs publics, et notamment l'État et les collectivités territoriales, gagneraient à bénéficier d'une analyse qui permette l'évaluation des politiques publiques, et non plus seulement le contrôle de celles-ci.