En réponse, M. Ahmedou Ould-Abdallah a apporté les éléments suivants :
- les pays africains réunis actuellement à Cannes pourraient, en effet, adresser un message de nature à soutenir la population guinéenne, et qui permette aux autorités militaires de ce pays de prendre conscience de la gravité de la situation ;
- le secrétaire général de l'ONU a déjà condamné les violences intervenues en Guinée, et les cinq membres du Conseil de sécurité pourraient utilement relayer cette initiative, car il semble que ni la Russie, ni la Chine ne s'y opposeraient. Cependant, la vision du monde du président Conté n'intègre pas l'existence d'organisations internationales, encore moins celle de l'Union européenne, qui l'a déjà menacé de sanctions. Une démarche ferme, incluant l'hypothèse d'un tribunal international, entreprise par de grandes puissances comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France serait seule de nature à être entendue par lui ;
- à l'occasion d'un récent voyage accompli en Guinée le 22 janvier dernier, il s'était entretenu avec des officiers supérieurs, auxquels il avait laissé entendre qu'ils pourraient être passibles de la Cour pénale internationale. Il reste à savoir si cette menace a été prise ou non au sérieux. Au total, la situation en Guinée est déterminée par le caractère atypique de son acteur principal, le président Conté.
Puis M. Ahmedou Ould-Abdallah a évoqué la situation de la Côte d'Ivoire, qui pèse sur l'ensemble de la région. Il a estimé que la France n'avait pas été exempte d'erreurs, par manque de cohérence dans sa politique, particulièrement lors de l'éclatement de la crise, en septembre 2002. Il est incontestable que des messages divergents ont alors été émis par la France. Par ailleurs, il estime que, comme beaucoup d'opposants, le président Gbagbo a éprouvé des difficultés à passer au statut de dirigeant et à assumer les responsabilités du pouvoir, difficultés encore aggravées par ses méthodes de manipulation de la population. Son indépendance financière est garantie par les recettes tirées du gisement de pétrole situé en haute mer, et exploité par une société canadienne dont la taille ne semble pas la soumettre aux mêmes obligations de transparence que les majors. A cela s'ajoutent les revenus tirés du cacao. L'opposition n'est pas non plus sans reproche, car elle se discrédite vis-à-vis de la population ivoirienne par un train de vie très bourgeois. Cette attitude renforce le populisme du président Gbagbo. L'opposant le plus crédible est Guillaume Soro, qui a été formé par Gbagbo lui-même.
La situation actuelle pourrait déboucher sur un apaisement, du fait de la lassitude de la population ivoirienne et de la détermination du médiateur Blaise Campaoré, qui connaît personnellement les éléments de la crise et ses acteurs. La proximité physique du lieu de négociation rend les contacts et les consultations plus faciles. De plus, le président burkinabé connaît parfaitement le président Gbagbo comme Guillaume Soro, et sa détermination est appuyée par la présence de deux à trois millions de ses compatriotes en Côte d'Ivoire. L'ensemble de ces éléments pourrait conduire le pays, qui a été dévasté sur le plan économique, à une pacification qu'appuierait une résolution du Conseil de sécurité, prenant en compte le résultat des négociations, et qui serait suivie d'élections. Il a fait remarquer que la population était parfaitement informée de l'évolution des négociations grâce aux nouvelles technologies (radio, internet...).
a estimé que la crise ivoirienne ressemblait, à bien des égards, à une crise européenne, comme celle qui avait affecté la Bosnie, plus qu'à une crise africaine. La qualité des infrastructures laissées par la colonisation française permettrait une rapide reprise économique en cas de stabilisation politique. Ainsi, même au plus fort des troubles, le port d'Abidjan est resté le plus compétitif de la région. De surcroît, le ressentiment anti-français est limité à l'entourage du président Gbagbo.
Puis M. Ahmedou Ould-Abdallah a évoqué les facteurs de crise qui touchaient l'ensemble de la jeunesse africaine. Il a relevé, en premier lieu, la forte démographie, qui constitue un sujet tabou, et qui alimente l'exode rural au profit des bidonvilles. Certes, cette croissance de la population finira, à terme, par se stabiliser, mais les campagnes se vident, car les jeunes ne veulent plus assumer des tâches agricoles pénibles et peu rémunératrices. L'approvisionnement alimentaire des villes est en péril, alors que les jeunes urbains sont sans travail. Faisant référence à deux études récentes, destinées à analyser les risques nouveaux en Afrique, il a indiqué que le détournement d'une part importante de la production pétrolière, les migrations irrégulières dues au problème démographique et à l'urbanisation constituaient des risques majeurs. De plus, il a estimé que la jeunesse, sans espoir et sans travail, représentait la plus grande menace à la stabilité en Afrique. Les gouvernements ne sont pas sans responsabilité dans cette crise, par les faux espoirs qu'ils entretiennent dans les populations et par un manque de compétence économique.
a regretté qu'une mentalité « administrative » continue à prévaloir dans nombre de pays francophones, au détriment de la nécessaire émergence d'une volonté de production. L'ensemble de ces éléments conduit les jeunes au désespoir et à l'émigration clandestine, avec les drames qui s'y attachent.